François Bayrou : « Nous faisons évoluer le mode de calcul du DPE pour mieux refléter notre mix énergétique décarboné »
Jeudi 10 juillet, François Bayrou, Premier ministre, était l'invité exceptionnel de LCI face à Darius Rochebin. Il a aussi évoqué la situation budgétaire et l'instauration de la proportionnelle.
Darius Rochebin : Bonsoir à toutes et à tous, la rédaction de LCI vous propose une émission spéciale à la mesure de l'enjeu et de sa gravité, notamment économique. Monsieur le Premier ministre, bonsoir.
François Bayrou : Bonsoir.
Darius Rochebin : Merci François Bayrou d'être là. Avant d'entrer dans le vif du sujet, la nouvelle qui est tombée tout à l'heure, c'est le sort du compatriote français franco-allemand, très exactement, ce jeune cycliste dont on n'avait pas de nouvelles en Iran. Son arrestation est maintenant confirmée. On ne sait pas tout à fait ce qu'allèguent les autorités en Iran. Quel est le message que vous leur adressez ?
François Bayrou : D'abord, en effet, son arrestation, l'arrestation de ce jeune homme qui s'appelle Laurent, est confirmée. Les autorités françaises sont en liaison avec les autorités iraniennes. Deuxièmement, qu'on n'en parle pas davantage pour ne pas mettre en difficulté ou en péril l'issue de cette affaire. Troisièmement, que les Français, spécialement les jeunes Français qui nous écoutent, ne croient pas que lorsque les pouvoirs publics disent « il ne faut pas aller dans ce pays », c'est une lubie qu'on peut parfaitement contourner. Vous avez vu que sur ces réseaux sociaux, ils s'étaient moqués beaucoup de la consigne de ne pas aller en Iran. Au contraire, il faut respecter ces consignes. Il y a des pays particulièrement dangereux dans le monde. Et si les autorités françaises disent « Attention, s'il vous plaît, faites attention, mesurez ce que ça signifie », comme mobilisation pour essayer de sortir ce jeune garçon. Et les autorités sont naturellement en contact avec sa famille.
Darius Rochebin : Quel est le message que vous adressez précisément au gouvernement à Téhéran ?
François Bayrou : Tout le monde sait que le devoir des pays est de ne pas persécuter des innocents qui sont parfois inconscients des risques qu'ils courent, que nous avons un devoir de protection réciproque et que ce devoir de protection réciproque, surtout dans les temps si difficiles de tensions et de guerres où nous sommes, il faut le respecter pour que les pays puissent ensemble tracer un jour un chemin vers la paix.
Darius Rochebin : François Bayrou, la situation de la France, je cite vos propres mots, « le danger pour la France est immense », ça donne le ton des enjeux, notamment de l'urgence de la réforme dont on va parler maintenant. Les réformes faites, mais aussi les réformes à faire, le gouffre financier, le risque de basculer dans l'inconnu, plus tard dans l'émission, vers la fin, on parlera de votre avenir à Matignon, et évidemment de ce que ça détermine pour la France entière, pour la situation de la France. D'abord aussi, peut-être une note, si on veut, optimiste, vue de l'histoire, aujourd'hui, c'est la capacité de se relever dans les plus durs moments. Aujourd'hui, à Vichy, vous avez rendu hommage à ces 80 parlementaires qui avaient dit « non » aux pleins pouvoirs, au maréchal Pétain, c'était un même 10 juillet 1940. Quelle est la leçon que vous tirez de ce moment-là ?
François Bayrou : Bon, la première chose, c'est que vous vous souvenez ce que ça signifiait, juillet 40. Un pays tout entier jeté sur les routes, effondré dans sa défense militaire, effondré dans son moral. Un pays qui croyait qu'il était armé pour résister et qui tout d'un coup découvre qu'il ne tient pas face à l'ennemi.
Darius Rochebin : Personne ne l'imaginait.
François Bayrou : Personne ne l'imaginait, on imaginait le contraire. Il faut penser que 20 ans auparavant, c'était la victoire de 1918, et que donc, un pays où les anciens combattants jouaient un rôle très important. Vous savez ce que c'est, la guerre de 1914, 20 ans avant ? C'est 1 400 000 morts. 1 million 400 000, de jeunes hommes, entre 20 et 40 ans, tués. Et au moins deux fois autant blessés. Et donc, ça avait été une épreuve, on croyait que c'était la « der des der ». Vous vous souvenez ? On disait que c'était la « der des der ». Et puis, le nazisme arrive, on le voit arriver, mais on ne prend pas tout ça au sérieux. Et puis il y a des accords dont on croit qu'ils vont éviter la guerre, les accords de Munich. Et il y a très, très, très peu d'observateurs qui disent : attention, là c'est un danger que nous n'arriverons pas à conjurer. C'est un danger mortel. Le pays tout entier s'abandonne à la figure du maréchal Pétain, qui avait la stature et puis qui avait été le héros de la guerre de 14, et puis qui offrait au pays quelque chose qui paraissait d'une autorité. Tout le monde s'abandonne, sauf une petite poignée, qui vont être des résistants. Le général de Gaulle qui part à Londres, et ces 80 là parlementaires, députés, sénateurs et une vingtaine qui s'est embarquée pour l'Algérie.
Darius Rochebin : Pour l'histoire, rappelons la proportion, il y avait 80 qui ont été ces courageux, honneur à eux, mais 569 parlementaires de droite et de gauche, qui ont voté oui à Pétain, régime odieux, qui au milieu même de la débâcle considérait comme sa première priorité, une de ses premières priorités, de voter le statut des juifs.
François Bayrou : Oui, c'est même pire que ça. Alors donc, 12% des parlementaires, il est vrai de tous bords. Il ne faut jamais oublier, c'est la chambre du Front Populaire, la chambre de la gauche unie, qui vote les pleins pouvoirs à Pétain.
Darius Rochebin : On peut redimensionner, parce que les communistes n'en étaient pas tous. Ils soutenaient le pacte germano-soviétique pour une grande partie d'entre eux.
François Bayrou : …qui votent les pleins pouvoirs à Pétain. Et cette poignée-là, aujourd'hui, précisément jour pour jour, il y a 85 ans, ont osé dire non. Et donc, j'ai voulu aller au nom du gouvernement, avec leur famille, 85 ans après, j'ai amené avec moi Charles de Courson, qui est le petit-fils d'un des 80. Et ces 80-là ont osé dire non, avec tous les risques qu'ils allaient courir. Et je trouve qu'il y avait quelque chose, qu'il y a quelque chose dans cette mémoire qui permet aussi de penser qu'un pays se relève à une condition, c'est qu'il ne perde pas les valeurs pour lesquelles il veut vivre. Nous avons construit en France une République. C'est le mot qu'on utilise pour dire c'est une organisation politique qui porte des valeurs. La volonté de se respecter, de vivre ensemble, et c'est le plus précieux de ce que nous avons.
Darius Rochebin : Est-ce que vous dressez un parallèle, c'est presque un lieu commun, de dire il y a quelque chose dans les années 30, dans ce que nous vivons, il y a aussi la fragilité économique, ça va être la grande partie de notre émission, entre, heureusement c'est beaucoup moins tragique aujourd'hui, mais il y a de grands dangers, et aujourd'hui ?
François Bayrou : Alors, il y a quelque chose de frappant dans les années 30, c'est que tous les piliers de la société qu'on croyait impossibles à fragiliser, qu'on croyait surpuissants, que tous ces piliers se sont effondrés. Vous savez, il y a un très beau livre d'un historien qui s'appelle Marc Bloch, dont le titre est magnifique, c'est « L'étrange défaite ». Et comme vous savez, c'est un thème que j'ai essayé de porter dans la vie politique française. Nos fragilités menacent notre avenir. À condition que nous sachions les identifier et à condition que nous sachions y répondre, alors nous pouvons trouver un chemin différent. C'est le cas pour la dette dont nous allons parler beaucoup, ça fait plus de vingt ans que j'essaie d'appeler l'attention de nos concitoyens sur ce très grand sujet. Et tant d'autres faiblesses, eh bien ces faiblesses-là, il est temps de les conjurer, de les affronter, de les identifier, et en effet de sortir de ces dérives-là.
Darius Rochebin : Alors, monsieur le Premier ministre, faisons-le. Parlons d'abord du déficit public de la France. La cour des comptes le révèle dans une ampleur qui donne encore plus le vertige. Regardez les courbes qui se sont croisées. La France est désormais l'Etat de la zone euro qui affiche le déficit le plus important à 5,8 points du PIB. Regardez bien la courbe qu'on va afficher ici, on comprend bien que l'Italie, l'Italie dont on avait si longtemps dit que c'était les pays du sud, vous vous rappelez on disait les fourmis, on disait les cigales pardon, avec un tout petit peu de mépris. La France…
François Bayrou : On disait le Club Med.
Darius Rochebin : Le Club Med, voilà. Là, le Club Med se venge un peu, parce que le Club Med fait mieux que la France. Quelle est la leçon que vous tirez de ça ?
François Bayrou : Alors, je pense qu'une chose essentielle est de caractériser où nous en sommes, sans nous laisser découragés par les difficultés et notamment par l'idée que nous serions devenus incapables de répondre aux questions qui se posent à nous. Nous avons laissé s'accumuler des déficits depuis des décennies. Vous savez de quand date le dernier budget en équilibre qui ait été voté en France ?
Darius Rochebin : C'est très ancien.
François Bayrou : 1974. Il y a plus de 50 ans que chaque année, la France a dépensé plus que les recettes qu'elle pouvait réunir. Et si une famille dépense tous les ans plus que ce qu'elle a comme ressources, si une entreprise dépense tous les ans plus que ce qu'elle a comme ressources, si une association… Eh bien, il est sûr qu'elle se plonge dans un risque énorme que tout le monde connaît, dont tout le monde connaît le nom, qui est le risque du surendettement.
Darius Rochebin : Mais monsieur le Premier ministre, ça a empiré parce que regardez cet autre graphique, parce que tout le monde s'attendait, connaissant cette situation, que la part des dépenses publiques diminue et c'est le contraire qui s'est produit. Regardez, tout est là dans ce graphique-là, on voit très bien que légitimement la France a fait un très grand effort pendant le Covid et ensuite il s'agissait de diminuer et la France l'a fait de manière méritoire 2021, 2022, 2023 et là... Ça paraît martien. Au moment où il faudrait dégraisser la dépense publique, c'est le contraire qui se produit. De façon pédagogique, en deux phrases, pour le public qui est là, pour celles et ceux qui nous entendent, est-ce que vous arrivez à expliquer ceci qui paraît tellement inexplicable ?
François Bayrou : Vous savez ce qui est arrivé.
Darius Rochebin : Quoi ?
François Bayrou : Le Parlement, il y a eu de nouvelles élections, un nouveau Parlement, et le Parlement a dit de ces économies, nous ne voulons pas. Et ils ont renversé, le Parlement a renversé le gouvernement de Michel Barnier qui me précédait. Et donc, il a fallu, lorsque nous avons été nommés, c'était à la fin du mois de décembre, la France n'avait pas de majorité, elle n'en a toujours pas. Elle n'avait pas de budget pour l'action publique, l'action de l'État, et elle n'avait pas de budget pour la sécurité sociale. Puisque vous savez, tous les ans, le Parlement vote ces deux budgets-là, action publique de l'État et sécurité sociale.
Darius Rochebin : Et vous, vous avez tenu bon, contrairement à M. Barnier, mais vous, vous n’allez pas vous en tirer comme ça. Regardez, parce que le but c'est, je crois, les 3% en 2029. Mais ça c'est la promesse. Pour arriver à la promesse, écoutez ce que dit le gouverneur de la Banque de France. Il dit, c'est quand même tellement loin, c'est tellement improbable qu'il va falloir des efforts avant. Écoutez ce qu'il dit et vous réagirez.
[Extrait du gouverneur de la Banque de France] : « Par rapport à ce cap 2029 de 3%, il faut une étape significative de réduction du déficit l'an prochain, passer nettement sous 5%, le plus proche possible de 4,5%. »
Darius Rochebin : Voilà, là il y a une demande de la Banque de France, c'est-à-dire avant le rêve qui serait les 3% en 2029, dès à présent aller en direction du 4,5% de déficit. Est-ce que c'est possible ?
François Bayrou : Ce n'est pas seulement que ce soit possible, c'est que nous allons le faire. L'engagement que j'ai pris, le contrat que j'ai avec les Français, un contrat moral, c'est que oui, nous n'allons pas laisser les déficits s'accumuler. Lorsque nous avons été nommés, les déficits étaient proches de 6%. Ça veut dire qu'on dépense 6% de plus que les ressources qu'on a accumulées. Et pour dépenser, on emprunte. Pour faire face aux dépenses, on emprunte. Exactement comme une famille. On est à 5,8. Nous allons cette année passer à 5,4. Et l'année prochaine, c'est le budget que nous allons annoncer, c'est les principes que je vais présenter mardi après-midi, avec ce que ça suppose comme décisions à prendre. Nous allons aller vers 4,6. C'est exactement ce que dit le gouverneur de la Banque de France. Mais cette année, ça ne sera pas improvisé à la dernière minute. Pour une fois, pour la première fois depuis très, très longtemps, dès le début du mois de juillet, le gouvernement va dire ce que sont les contraintes, les efforts nécessaires, les décisions à prendre pour qu'on se tire de ce piège mortel.
Darius Rochebin : Et ce sera vraiment cette fois votre budget, votre responsabilité. Alors je vais être honnête avec vous, François, vous savez comment sont les journalistes, ils sont toujours d'une rigueur absolue, vous qui les aimez tellement - pourquoi est-ce que vous souriez ? Ce qui est convenu, c'est qu'évidemment il ne s'agit pas de déflorer ce que vous avez annoncé le 15, mais de parler des principes et vous savez combien...
François Bayrou : Je ne le ferai pas.
Darius Rochebin : Vous avez raison.
François Bayrou : Je vous ai dit quand vous m'avez invité, je viendrai, mais je ne vais évidemment pas spoiler, comme vous dites, dans votre langage.
Darius Rochebin : Ne vous inquiétez pas, et ça n'est pas mon cas non plus, je vous rassure.
François Bayrou : C’est-à-dire révéler. Et donc vous m'avez dit, bien sûr...
Darius Rochebin : L'esprit, l'esprit quand même, l'esprit cependant, et notamment parlons de la croissance, parce que le vrai miracle c'est ça, la croissance c'est le médicament universel. Bercy dit 0,7%, là c'est pas très fameux, c'est plus ou moins la stagnation, 0,7%. Si en plus Trump mange en partie ça, avec son 10% de taxes, peut-être 20%, qu'est-ce qui va rester ?
François Bayrou : Alors, vous posez une question très importante et on va s'y arrêter un quart de seconde. Bien sûr, il va falloir faire des efforts. Bien sûr, il va falloir faire des économies. Plus qu'on n'en a jamais fait. Je crois, de mémoire, je n'ai pas souvenir qu'il y ait eu une mobilisation du gouvernement autour de l'idée « on ne va pas laisser dériver les choses, on ne va pas laisser s'enfoncer notre pays ». Et je vous dirai dans une minute ce que veut dire « on ne va pas laisser s'enfoncer le pays ». Et donc on va prendre des décisions et des orientations. D'habitude, on annonce ça à la fin du mois de septembre. Nous allons l'annoncer à la fin de la première quinzaine de juillet, deux mois avant les autres années. Pourquoi ? Pour que les Français se donnent à eux-mêmes ce cap, se disent à eux-mêmes, comprennent ou acceptent l'idée de la gravité de ces choses. Parce que ceux qui dirigent vraiment le pays, ce n'est pas les gouvernants. C'est les Français. Par votre intermédiaire, par l'intermédiaire des médias, par l'intermédiaire... Mais le rapport de vérité qui doit présider au pacte entre les citoyens et les gouvernants, ce rapport de vérité, il sera respecté.
Darius Rochebin : Monsieur le Premier ministre, est-ce que ça passera par des sacrifices ? Pardon. Je vous laisse commencer...
François Bayrou : Excusez-moi, parce que j'avais commencé à répondre précisément à la question que vous avez posée.
Darius Rochebin : Je vous laisse finir.
François Bayrou : Parce que, évidemment, nous dépensons plus que nos ressources ne nous le permettent. Donc on est obligé d'emprunter l'argent qu'on n'a pas. Et ça crée des difficultés dont on parlera, énormes, et des menaces énormes.
Darius Rochebin : Et une charge de la dette quand même.
François Bayrou : Mais le fond de l'affaire, et c'est pour ça que c'est extrêmement difficile, c'est que nous sommes dans cette situation parce que nous ne produisons pas assez. Si la France produisait des richesses tous les ans, comme ses voisins, on n'aurait pas de problème de financement de notre action publique, ni de notre action sociale. Et que donc, pour moi, l'essentiel, c'est, en même temps, au moins aussi important, c'est de donner un élan à la production du pays.
Darius Rochebin : Et on va entrer dans le détail.
François Bayrou : Production agricole, production industrielle, production intellectuelle.
Darius Rochebin : On va entrer dans le détail dans les moyens par lesquels vous voulez passer pour doper cette production. Mais vous n'avez pas répondu quand même sur ce qui restera de la croissance si Trump, allez, prenons l'hypothèse la plus optimiste, 10% de taxes, qu'est-ce qui restera selon vous de la croissance de la France ?
François Bayrou : Ce que nous voudrons en faire et la détermination qui sera la nôtre. Je ne crois pas que nous soyons en face du président des États-Unis comme le petit oiseau en face du serpent. Je ne crois pas que nous soyons sans armes, sans capacité de nous faire entendre. Je ne crois pas que l'Europe et la France soient à ce point désarmées. Je pense que depuis très longtemps, nous avons le devoir de construire une influence au moins aussi grande. Vous savez, les difficultés budgétaires que je décris, c'est aussi les difficultés des États-Unis. C'est les mêmes. C'est le seul pays dans le monde qui ait le même type de difficultés, c'est les États-Unis.
Darius Rochebin : Mais ils ont la planche à billets.
François Bayrou : Mais eux, ils ont le dollar. C'est-à-dire qu'ils sont capables, au fond, de favoriser leur croissance en ayant une création monétaire, ou en tout cas une ouverture à la création monétaire, qui donne de l'optimisme à leur économie.
Darius Rochebin : Mais cependant, François Bayrou, un mot...
François Bayrou : Laissez-moi dire ce rêve. Et je rêve que la Banque Centrale Européenne sente, mesure, qu'elle a son rôle à jouer dans la croissance de l'Union Européenne.
Darius Rochebin : En faisant quoi exactement ?
François Bayrou : Eh bien, en prenant les mêmes principes qui sont de favoriser la capacité des entreprises à investir, des pays à investir, autrement dit qu'elle soit en soutien à l'activité au lieu d'être en freinage de l'activité.
Darius Rochebin : Ça veut dire quoi, quant à ses taux par exemple ?
François Bayrou : Oui, quant à ses taux.
Darius Rochebin : Qu'elle fasse quoi exactement ?
François Bayrou : Je vais vous dire ce que je crois. Nous vivons avec l'urgence et le besoin de trouver des prêteurs pour notre économie, pour notre pays. Des gens qui acceptent de nous prêter en pariant sur notre avenir. Et qu'est-ce qui fait qu'un prêteur prête ? C'est qu'il a le sentiment que son argent va lui revenir avec les taux d'intérêt qui lui permettront de justifier son investissement.
Darius Rochebin : La confiance.
François Bayrou : Et donc il faut de la confiance. Et il faut qu'il y ait un différentiel positif, une différence positive entre les taux d'intérêt et la croissance qui est attendue.
Darius Rochebin : Mais pardon, M. Bayrou, la confiance manque précisément. On est au stade assez vertigineux où la France emprunte plus chèrement que l'Italie parce qu'elle a fait des sacrifices.
François Bayrou : Au même taux, à peu près.
Darius Rochebin : Ne chipotons pas. L'Italie est à 67 ans de la retraite. Elle a fait, elle, des sacrifices. J'aimerais vous entendre juste sur ce mot-là. Est-ce que oui ou non, ça passera en France par des sacrifices ?
François Bayrou : Ça passera par des efforts.
Darius Rochebin : Pourquoi évitez-vous le mot sacrifice ?
François Bayrou : Parce que si ceux qui nous écoutent retiennent de l'émission, le sang, les larmes, il n'y a pas d'espoir, on va être obligé, il n'y a pas de porte qui s'ouvre sur l'avenir, alors je ne fais pas mon travail. Quand vous dites, est-ce que vous vous rendez compte de la gravité des choses, je vais vous dire, pourquoi croyez-vous que je sois là ? Pourquoi croyez-vous que j'ai été nommé dans cette responsabilité ? On a essayé bien d'autres expériences avant, et puis là on était devant une difficulté particulière. Et donc, est-ce que nous avons conscience de la gravité des choses ? Oui, et mon but est que ceux qui nous écoutent, en tout cas nos concitoyens, les Français, se rendent compte de la nécessité absolue, impérieuse d'apporter enfin des réponses qui soient solides, substantielles.
Darius Rochebin : 40 milliards à trouver, 40 milliards à trouver. Et aujourd'hui, ce matin, le journal L'Opinion affirme que Bercy veut économiser plus. Alors, à l'échelle de la dette, on dira que c'est pas grand-chose. Mais enfin, 45 milliards, quelle est la bonne version ? 40 ou 45 milliards ?
François Bayrou : Vous verrez.
Darius Rochebin : Regardez le dessin de Kak.
François Bayrou : Je vous ai dit que je ne détruirai pas la communication que je dois faire mardi en révélant à l'avance ce que nous allons faire. Mais je vais vous dire, peut-être qu'il faut s'arrêter une seconde pour expliquer ce que ces 40 milliards sont.
Darius Rochebin : Oui.
François Bayrou : Nous devons atteindre un but précis le plus vite possible, et ce qu'on a fixé c'est 2029, c'est-à-dire dans 4 ans. Le but à atteindre c'est que la dette arrête d'augmenter, cesse d'augmenter. Et 3% c'est le seuil à peu près à partir duquel, 3% de déficit du pays, à partir duquel la dette n'augmente plus. Et donc, ce seuil-là, on va l'atteindre. Pour l'atteindre, il faut des marches d'escalier. Et cette année, la marche d'escalier, elle est importante, comme le disait tout à l'heure le gouverneur de la Banque de France, la marche d'escalier, elle est à peu près de 40 milliards. Jamais on ne présente des efforts de cet ordre. Ces efforts, vous me demandiez quels principes ? Je veux que tout le monde y participe. Je ne veux pas qu'il y ait des catégories ciblées et d'autres qui ne le sont pas. Avec un effort de justice qu'il va falloir évidemment mettre en place.
Darius Rochebin : Est-ce que ça voudra dire une augmentation d'impôts ?
François Bayrou : Non, pas principalement.
Darius Rochebin : Qu'est-ce que ça veut dire, pas principalement ?
François Bayrou : C'est-à-dire qu'il peut y avoir ici ou là des efforts particuliers, mais je ne crois pas que ce soit par l'impôt qu'on résout des problèmes de cet ordre. Je pense que la bonne approche, c'est la dépense publique. C'est que nous sommes le pays du monde qui a la dépense publique la plus importante. Et nous sommes le pays du monde qui a les impôts les plus importants. Or, si la prospérité venait des impôts, puisque nous avons les impôts les plus importants du monde, nous serions les plus riches du monde. Il faut avoir un minimum de bon sens dans ces choses-là.
Darius Rochebin : Alors, pardon, s'il faut réduire la dépense publique, entrons quand même dans certains détails. Et je ne veux vraiment pas vous tirer les vers du nez sur ce qui se passe à l'instant.
François Bayrou : Non, mais vous n'y arriverez pas.
Darius Rochebin : Et je n'y arriverai pas, et j'en suis bien conscient.
François Bayrou : Je vous dis à l'avance.
Darius Rochebin : Et vous avez tout à fait raison. Mais dans l'esprit de ces réformes, est-ce que ça voudra dire, par exemple, que quand on parle des arrêts maladie, et qu'on voit qu'un certain nombre de gens disent... ça n'est plus possible de rembourser 100%. Un jour de carence d'utilité publique non remboursée fera partie des outils possibles, en tout cas des options possibles. Est-ce que c'est vrai ?
François Bayrou : Vous n'êtes pas du tout en train de me tirer les vers du nez dans vos questions.
Darius Rochebin : Pas le moins du monde.
François Bayrou : Eh bien alors, constatons ensemble que vous avez essayé, et c'est bien d'essayer de tirer les vers du nez, mais vous n'y êtes pas arrivé.
Darius Rochebin : Les dépenses sociales...
François Bayrou : On peut prendre acte de ça ?
Darius Rochebin : Absolument, mais l'esprit des dépenses sociales, est-ce que oui ou non, ça voudra dire, encore une fois, on prend l'exemple d'Italie, c'est pas qu'ils ont fait des miracles, c'est que ça va un peu mieux. Un peu mieux, ils partent de très haut. Est-ce que certaines dépenses sociales devront être diminuées ?
François Bayrou : Certaines dépenses sociales devront être contrôlées. Oui, vous voyez bien, nous sommes le pays le plus généreux du monde dans les dépenses sociales. Nous sommes d'ailleurs le pays le plus généreux du monde dans toutes les dépenses publiques. On prend en charge chez nous, vous savez bien, vous connaissez bien la Suisse, le moins que l'on puisse dire est qu'en Suisse, qui n'est pas un pays qui va mal, qu'en Suisse, l'État ne prend pas en charge les dépenses des citoyens et des familles.
Darius Rochebin : Moins.
François Bayrou : Bon, vous aussi… Si on doit faire la liste ensemble, vous allez voir que chez nous, l'école est gratuite depuis la maternelle jusqu'à l'université ou à peu près. Chez nous, la santé est entièrement prise en charge. Chez nous, le chômage est entièrement pris en charge. Chez nous, les assurances font que… Bon, et c'est notre modèle à nous.
Darius Rochebin : Et ce modèle est très populaire et très ancien, mais est-ce qu'il devra être revu ?
François Bayrou : Il doit être reconfiguré.
Darius Rochebin : Vous donnez l'exemple du chômage, est-ce que ça voudra dire que nous devons revoir l'indemnisation du chômage en France ?
François Bayrou : Non, non, non...
Darius Rochebin : C'est vous qui le donnez, François Bayrou, c'est vous qui le donnez.
François Bayrou : Ça ne vous fatigue pas d'essayer désespérément de me tendre des pièges dans lesquels je ne tomberai pas. Donc, c'est un jeu auquel il ne faut pas que nous jouions. On va parler de choses aussi importantes. Je ne dévoilerai pas les décisions, les orientations que nous présenterons mardi. Je vous rappelle que c'était votre engagement.
Darius Rochebin : Sur le fait que l'État doit maigrir, et ça, ça ne fait pas seulement partie du budget, ça fait partie d'une volonté générale. Est-ce que vous pouvez prendre l'engagement que la dépense générale, la dépense publique, au total, diminuera. Pour l'instant, on a vu que ça n'est pas le cas.
François Bayrou : La dépense économisée… 40 milliards sur l'augmentation attendue de la dépense publique, c'est en effet faire des économies. Et c'est ce que nous allons faire. Mais ne continuons pas à jouer à ce petit jeu, parce que ça serait un petit jeu qui ne serait pas normal et loyal, étant donné le sujet de cette émission.
Darius Rochebin : Les réformes que vous prenez maintenant, qui ont un lien très direct, vous avez pris celle par exemple concernant les préfets. Et c'est une réforme de grande importance parce qu’une partie de ce qui était géré, notamment par les directions régionales, etc., sera prise en charge par les préfets de manière plus directe et plus simple. Est-ce que c'est un début de réponse ?
François Bayrou : C'est la réorganisation nécessaire de l'État. L'État, vous le voyez, il dépense beaucoup d'argent, il coûte très cher au pays. Et est-ce que les Français sont satisfaits de leur État ? Non. Est-ce qu'ils sont satisfaits de son efficacité ? Non. Est-ce qu'ils sont satisfaits de sa lisibilité ? Non. Et donc nous allons réorganiser cet État. Nous avons commencé là par l'État local.
Darius Rochebin : François Bayrou, comment ? J'essaie d'avoir de l'eau, vous voulez de l'eau aussi ? C'est très difficile d'avoir de l'eau.
François Bayrou : Mais c'est bien qu'on s'écoute. Donc nous avons commencé par la réorganisation de l'État local. Et vous savez bien, ce que les Français disent, ce que les élus disent, c'est qu'on ne trouve jamais personne de responsable en face de nous. On essaie d'obtenir des réponses, et puis on nous dit « non, c'est pas nous, c'est pas cette direction-là, c'en est une autre ». Alors on a décidé de mettre un responsable qui permette à toutes ces forces de travailler ensemble et ça sera celui dont les préfets, le seul dont les citoyens savent qui représente l'État, ce sont les préfets. Et donc le préfet sera, ce qui a été annoncé hier, comme celui qui va coordonner toute l'action de l'État et de toutes les directions et toutes les agences qui représentent l'action publique.
Darius Rochebin : Est-ce que ça passera, disons les choses, par un moment libéral ? Il y a beaucoup de pays en Europe qui l'ont vécu, y compris d'ailleurs sous la houlette de Premiers ministres, plutôt de centre-gauche. Les Allemands ont eu ça avec Schröder. Le mot, évidemment, fait un peu peur en France. Merci beaucoup. Le mot fait un peu peur, mais à un moment donné, les États très sociaux, la France est un État social, tant mieux, tant mieux pour les Françaises et les Français, mais il y a un virage libéral qui est pris ?
François Bayrou : Il n'y a pas d'économie qui marche sans liberté. La création, le risque qu'une jeune femme ou un jeune homme prend en créant une entreprise. Les start-up dont on parle, qui sont des entreprises plus souvent dans le monde numérique, par exemple. Tout ça a besoin de liberté. Et en France, on a, comment dire, bloqué, corseté par des paperasses innombrables, par des normes comme on dit, innombrables, et les gens ne s'y retrouvent plus, ils ont le sentiment qu'ils sont perpétuellement écrasés sous la bureaucratie.
Darius Rochebin : Est-ce qu'il y a eu un fantasme bureaucratique ? Je vous donne un exemple, François Bayrou, regardez, ça a beaucoup provoqué sur les réseaux sociaux de réactions. Ce que l'INSEE a fait sur le logement, vous avez vu ça, où l'INSEE s'est mis en tête de dire, il y a beaucoup de Français qui ont trop d'espace apparemment pour leur logement. On ne sait pas très bien dans quel but c'est, certains plaisantaient sur le thème un petit peu, est-ce que c'est le côté un peu post-bolchevique, il y a des gens qui ont trop de pièces dans leur appartement. On se dit, quand il faut économiser tellement, c'est un peu étrange, que des gens se mettent au travail pour constater qu'il y a des gens qui ont de trop grands appartements ou de trop grandes maisons.
François Bayrou : Oui, c'est n'importe quoi. Je peux le dire de manière simple. On a le droit de vivre en France, on a le droit de choisir l'utilisation de ses moyens.
Darius Rochebin : C'est la moindre des choses. Combien de mètres carrés est-ce que vous avez, vous ?
François Bayrou : Moi ? J'en sais rien.
Darius Rochebin : Ah ben voilà, moi je sais pas très bien, mais en tout cas c'est pas hors normes. Et on voit que quand vous parlez de dérive bureaucratique, c'est ce type de choses qui étonne un petit peu les gens.
François Bayrou : Ah mais c'est un type de choses extrêmement nuisibles. Nous avons pris hier une décision très importante qui n'a pas coûté un centime et qui a, vous savez qu'on est dans une crise du logement énorme, et qui a remis sur le marché de la location, écoutez bien, 850 000 logements.
Darius Rochebin : C'est un grand changement.
François Bayrou : C'est un énorme changement, ça n'a pas coûté un centime, et pourquoi ? Parce que nous nous sommes aperçus, en étudiant la crise du logement, qu'une règle avait été fixée qui faisait que les logements chauffés à l'électricité étaient presque automatiquement dans les catégories, vous savez, les plus lourdes, de l'alphabet F, G, etc., interdits de location.
Darius Rochebin : C'était la pénalisation de ce qu'on appelle les passoires thermiques. Et vous avez revu ça.
François Bayrou : Mais là, c'était pas ça du tout. Si ça avait été de lutter contre les passoires thermiques, c'est absolument normal. Mais on s'est aperçu, en étudiant les raisons de tout ça, que l'État avait décidé que si c'était chauffé au gaz, alors on calculait votre dépense au gaz. Si c'était chauffé… et on disait, ça dépense beaucoup, donc ça ne va pas, ou ça dépense moins, et ça va bien. Mais pour l'électricité, ce n'était pas ça. Au lieu de calculer la dépense en électricité comme on calculait la dépense du gaz, quand c'était électricité, on multipliait par 2,3 la dépense.
Darius Rochebin : Et c'est une réforme saluée, même par François Lenglet. Vous savez, quand François Lenglet n'a pas la dent dure sur le gouvernement, c'est vraiment que c'est très très bien. Même François Lenglet dit c'est bien. Donc prenez le compliment, mais est-ce que ça veut dire qu'il y a eu un excès de réglementation, de corsetage au nom de l'écologie, mais de façon excessive ?
François Bayrou : Oui. Je ne veux pas dire au nom de l'écologie. En tout cas, les habitudes françaises, qui consistent à enfermer la vie dans des règles bureaucratiques, technocratiques, comme on dit, dont personne ne comprend la raison. Parce que, comment vous voulez comprendre que 1 kWh de gaz valent 1, mais 1 kWh d'électricité valent 2,3. Comment vous voulez comprendre ça ? Et en réalité, alors, on s'aperçoit qu'il y avait derrière tout ça une idée que les centrales électriques, elles dépensent beaucoup d'énergie pour chauffer, pour faire tourner les turbines. Mais, mesdames et messieurs qui prenez ces décisions, excusez-moi, les centrales électriques françaises, elles sont nucléaires, c'est-à-dire c'est zéro émission de gaz à effet de serre. Zéro.
Darius Rochebin : François Bayrou, pour celles et ceux qui nous rejoignent, je tiens à souligner à quel point on va progresser dans cet entretien. On va quitter un peu la question du budget. On attendra effectivement le 15 juillet. On va parler de la classe politique, de l'état de votre gouvernement, de l'appel qu'Emmanuel Macron avait lancé à ce sujet, de votre avenir en Matignon. Il y a beaucoup de chapitres qui s'ouvrent devant nous. J'aimerais vous entendre encore un mot sur ce qui va se passer le 15 juillet. Et ne vous inquiétez pas, je ne veux pas vous faire quoi que ce soit, révéler quoi que ce soit sur l'état du budget, mais sur le quitte ou double. Quelle sera votre attitude ? Est-ce que vous direz c'est ce budget ou rien ? Ou est-ce que vous entrerez en réalité dans une négociation, dans une autre négociation ?
François Bayrou : Le but qui sera fixé dans les annonces de principe, on est obligé de baisser la dépense publique du pays. On est obligé de faire que le déficit ne s'accroisse pas et que la dette s'accroisse moins. Vous verrez les chiffres quand on pourra les rendre publics. Ils sont vertigineux. Ce principe-là ne changera pas. Le degré d'effort que nous allons proposer, il ne changera pas. Après, si quelqu'un a, dans les deux mois qui viennent, de meilleures idées pour qu'on trouve mieux comme économie, mieux comme baisse du déficit, je suis preneur de toutes les bonnes idées. Mais, le but que nous nous sommes fixés, il ne changera pas.
Darius Rochebin : Vous devrez trouver des espaces de compromis. Vous l'avez fait et c'est une grande partie du secret de votre survie politique. Certains vous donnaient partant il y a déjà un moment.
François Bayrou : Oui, depuis le début.
Darius Rochebin : On verra jusqu'où ça dure.
François Bayrou : Et ça continue.
Darius Rochebin : C'est la mère de Bonaparte : « pourvu que ça dure. Pour l'instant, ça dure ». Alors, la gauche voudra plus de fiscalité sur les riches. Est-ce que ça fait partie, en termes de vision de la société française, d'un moment quand vous dites, vous avez dit tout à l'heure, il faut des efforts particuliers.
François Bayrou : Pardonnez-moi de vous dire, je vous ai déjà dit trois fois depuis le début de cette émission, ou peut-être quatre, ou peut-être cinq, que je ne révèlerai pas les principes et l'organisation que nous allons proposer pour le budget. Je ne le ferai pas, je ne serai pas venu pour cette émission. Et vous m'avez à mille reprises affirmé que vous comprenez très bien que ça serait mon principe. Je ne le ferai pas. Pourquoi ? Parce qu'on a besoin d'un plan global, on a besoin d'une cohérence, on a besoin de comprendre que c'est quelque chose qui pèse, qui est important. Et donc, je ne révèlerai pas même bribe par bribe, même fil par fil, je ne déferai pas ce que nous allons annoncer mardi.
Darius Rochebin : Ce qui n'est pas le contenu du budget, c'est le contrat disons politique que vous devez passer avec une grande partie de la classe politique qui a le pouvoir de faire le pouce en bas. C'est évidemment ce qui s'est passé avec le RN concernant le gouvernement Barnier. Est-ce que là, un certain nombre de compromis seront nécessaires, je pense en particulier à la proportionnelle ?
François Bayrou : Alors, vous mélangez beaucoup de sujets. La proportionnelle, ceux qui nous écoutent, rappelons-leur que c'est la loi électorale qui permet que chaque parti ait le nombre de sièges correspondant à son nombre de voix. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, parce que le mode de scrutin, comme on dit, fait que ça avantage de très loin ceux qui arrivent en tête. Je suis acquis à l'idée de la proportionnelle depuis longtemps, mais je ne vais pas en faire un échange de bons procédés. On n'est pas dans un marché aux bestiaux, je ne vais pas échanger, je ne vais pas troquer la survie du pays contre tel ou tel changement.
Darius Rochebin : Il se trouve que vous avez souvent défendu cette idée, donc c'est pas absurde.
François Bayrou : J'ai souvent défendu cette idée, je continuerai à la défendre. Je suis persuadé qu'il y a là quelque chose de très important, qui est la possibilité d'apaiser les débats dans notre pays.
Darius Rochebin : Donc c'est pas le marché aux bestiaux, ça peut contribuer à la bonne entente politique.
François Bayrou : Oui, parce que l'état de l'Assemblée nationale aujourd'hui, le moins qu'on en puisse dire, c'est que c'est inquiétant, attristant, navrant parfois, les injures d'un bord sur l'autre, l'incapacité à s'écouter, l'incapacité à débattre. Parfois on y arrive, cela m’est arrivé sur la fin de vie, on peut y arriver sur des sujets essentiels. Mais pour l'essentiel, c'est un champ de bataille. Et pour moi, la vie politique n'est pas un champ de bataille. La vie politique, c'est des opinions différentes, qui se confrontent, qui peuvent être en désaccord, et parfois trouver des accords, mais pas systématiquement le un contre tous et tous contre un. C'est pas comme ça que ça doit marcher. Donc, je défendrai la proportionnelle. Je l'ai défendue depuis toujours et toute ma vie politique.
Darius Rochebin : Est-ce que ça pourra prendre un aspect concret à échéance de quelques mois ?
François Bayrou : Oui. Vous savez quelle est la difficulté sur la proportionnelle, c'est très simple. Il y a une majorité à l'Assemblée nationale pour cette loi électorale. Mais dans ceux qui soutiennent le gouvernement, ça ne fait pas l'unanimité. Et donc, on va essayer de réfléchir ensemble. Vous savez le fond de ce que je pense ? C'est que c'est par référendum qu'il faudrait arrêter ce mode de scrutin. C'est que c'est les Français qui doivent choisir.
Darius Rochebin : Est-ce que c'est votre espoir concret ? Pas seulement une idée générale, mais un espoir, là, concret ?
François Bayrou : Si ce n'était pas mon espoir concret, je ne vous en parlerais pas.
Darius Rochebin : Quelle échéance ? Quelle échéance imaginable ?
François Bayrou : Je ne sais pas. On entre dans le budget pour l'automne. Et puis le référendum, vous savez, c'est le président de la République qui choisit.
Darius Rochebin : Vous avez quelques rapports avec lui ?
François Bayrou : Oui, même assez confiants, j'espère. Et donc, en tout cas de ma part, sans aucun doute...
Darius Rochebin : De la sienne ?
François Bayrou : De la sienne, j'espère aussi, je crois. En tout cas, il le dit à juste titre. Mais c'est lui qui choisit. Vous voyez bien, c'est un sujet qui empoisonne la vie politique du pays depuis des décennies. C'est un sujet sur lequel on n'arrive jamais à se mettre d'accord. Alors mon point de vue est assez simple, confions-le aux Français. Ceux qui nous écoutent, ceux qui sont là, après tout ils ont bien le droit de décider eux, à leur avis. Il faut que tout le monde soit représenté ou faut-il que les uns écrasent les autres ?
Darius Rochebin : Mais François Bayrou, vous dites une chose très importante, là. Est-ce que ça peut être un moment de cohésion, de débat national sain ? C'est un beau sujet : la proportionnelle, pour ou contre…
François Bayrou : Je le crois.
Darius Rochebin : …que vous proposerez au président de la République pour d'ici 2027 ?
François Bayrou : Je vous promets que quand je parlerai au président de la République, je le ferai sans vous inviter à la conversation.
Darius Rochebin : Et je vous en remercie. Parlons, puisqu'on parlait du RN : le RN est aujourd'hui en partie bousculé dans des circonstances qui sont graves parce que c'est le premier parti d'opposition de fait. C'est la perquisition qui a eu lieu hier en lien avec une information judiciaire sur les dernières campagnes. Je vous propose d'écouter la réaction très vive de Jordan Bardella à ce sujet et vous pourrez réagir.
[Extrait vidéo] "La France vit une dérive antidémocratique extrêmement inquiétante qui me fait plus penser à un pays comme la Russie qu'à une grande démocratie digne de ce nom comme la France. Et j'ai un peu le sentiment, comme beaucoup de Français ce soir, que dans la France d'Emmanuel Macron, mieux vaut être trafiquant de drogue qu'opposant politique."
Darius Rochebin : Monsieur le Premier ministre, est-ce que vous le comprenez ?
François Bayrou : Je le comprends et ne l'approuve pas. Je le comprends parce que j'ai subi des perquisitions, et franchement c'est un moment qui n'est pas agréable. Et on a le sentiment en effet d'être persécuté. Et j'ai vécu ça, on n'est pas les seuls, le nombre de partis politiques qui ont subi des perquisitions en France est très important. Vous vous souvenez de Mélenchon et des incidents que ça avait provoqués, mais il n'est pas le seul, beaucoup d'autres partis politiques...
Darius Rochebin : Vous employez un mot très fort, un sentiment de persécution, dites-vous.
François Bayrou : Oui, vous êtes là, et voilà que viennent frapper à votre porte des inspecteurs de police, parfois des policiers en tenue, des magistrats qui ont le droit d'aller fouiller toutes vos affaires, y compris les plus personnelles. Et donc oui, on a un sentiment de persécution. Et cependant, c'est la justice de notre pays. Je ne crois pas du tout que ce soit lié à la situation d'opposants politiques.
Darius Rochebin : On ne veut pas la peau du RN ?
François Bayrou : Parce que non, je ne crois pas. J'ai été dans cette situation et je n'étais pas opposant politique. Et nous avons été perquisitionnés. Et nous avons été traduits devant les tribunaux, j'ai été relaxé, et tout ça c'est une épreuve, c'est extrêmement difficile.
Darius Rochebin : Est-ce qu'on est allé trop loin dans une forme, appelons ça comme on voudra, de volonté, d'ailleurs les politiques eux-mêmes ont voté les lois, mais de volonté, disons, puritaine de la vie politique ?
François Bayrou : Oui, je ne sais pas très bien ce que ça veut dire. J'entends cette thèse assez souvent, les gens qui disent on est allé trop loin vers la transparence. C'est l'évolution de la société dans laquelle on est. Que disent les Français ? Ils disent des choses assez simples. Ils disent : nous, chaque fois qu'on commet une faute, un délit, on est poursuivi. Les puissants doivent être poursuivis comme nous. C'est ça qu'il y a au fond de l'esprit des Français. Et donc, je ne crois pas à la persécution. Je ne crois pas que ce soit pour des raisons politiques. Mais je pense, en effet, qu'il y a un mouvement général qui a touché ou qui doit toucher toutes les formations politiques, il est vrai que toutes n'ont pas été touchées, même quand on pouvait chercher.
Darius Rochebin : Vous pensez auxquelles ?
François Bayrou : Non, je ne...
Darius Rochebin : Ah bah attendez, là c'est vous qui en avez trop dit ou pas assez, vous pensez auxquelles ?
François Bayrou : Oui, j'ai fait un sourire au passage, parce qu'il est vrai qu'on a eu le sentiment que les très grandes formations politiques étaient à l'abri de ce genre… Mais bon, c'est un sentiment. Tout le monde doit se plier à la loi.
Darius Rochebin : Puisqu'il s'agit de financement des campagnes, vous aviez proposé une banque de la démocratie. Ça a été un moment important où le RN en bénéficie, mais tous, tous ceux qui ont de la peine à se faire financer auprès des banques de manière, disons, classique. Est-ce que vous seriez prêt à relancer cette idée ?
François Bayrou : Ce n'est pas la relancer, je suis déterminé à proposer la banque de la démocratie. Pourquoi ? Si vous voulez bien, on s'arrête une seconde. Et le RN, lorsqu'il s'exprime sur ce sujet, et d'autres, disent des choses justes. Qu'est-ce qui est choquant ? C'est que les financements politiques sont décidés par des banques privées. C'est que vous déposez un dossier, et il arrive, ça m'est arrivé, qu'en dépit de toutes les garanties que vous pouvez présenter, la banque dit non, on ne vous financera pas. Et puis vous apprenez en lisant le journal que d'autres partis, eux, ont été financés, sans difficulté, et pour des sommes considérables. Et je traduis, là encore, cette idée que, quand vous êtes un parti minoritaire, vous avez le sentiment de ne pas avoir les mêmes droits que les autres.
Darius Rochebin : Pouvez-vous expliquer comment ça fonctionnera de façon synthétique ? Ça veut dire quoi cette banque de la démocratie ? Tous les partis pourront aller s'y présenter ?
François Bayrou : Avec des garanties !
Darius Rochebin :Bien sûr.
François Bayrou : L'idée est simple. Lorsque vous avez la possibilité de prouver que vous avez toutes les chances d'obtenir un remboursement, ou si vous ne les avez pas, que vous prenez des assurances. Alors, la banque, elle ne se pose plus la question de savoir si vous lui plaisez ou pas, elle ne se pose plus la question de savoir si vous avez bonne image ou pas. Si vous avez les garanties, si vous êtes un parti démocratique, la banque prend en charge le prêt que vous auriez obtenu autrement auprès de banques privées.
Darius Rochebin : D'où viendra l'argent ?
François Bayrou : Moi je pense que ça doit être adossé à la Caisse des dépôts et consignations, qui est comme vous le savez, ce bien de la nation, immense bien de la nation, à partir duquel on finance les collectivités locales, les logements, qui alimentent les livrets d'épargne. Bon, et donc je trouve que ça c'est justice. Tout le monde est traité de la même manière. Et d'ailleurs, on peut imaginer que ce soit élargi, qu'il n'y a pas de raison qu'il n'y ait que les partis politiques, il peut y avoir les syndicats, qui sont eux aussi éligibles, qui parfois ont du mal à se financer auprès des banques privées.
Darius Rochebin : Et François Bayrou, donc on comprend, visiblement, que vous tenez beaucoup à ce projet. Est-ce qu'on peut articuler une échéance là ? C'est-à-dire, c'est quoi ? C'est dans les mois qui viennent que vous l'espérez ?
François Bayrou : J'espère présenter ce projet avant l'automne.
Darius Rochebin : C'est très clair. François Bayrou, puisqu'on reste au RN, encore un mot là-dessus, c'est l'importance de ce parti, qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, dans une partie considérable des Français, c'est ce sondage qui révèle qu'une partie très significative, je crois que c'est 34% on va le voir ici, des Françaises et des Français considèrent que c'est le principal parti d'opposition. Et après, très vite, on voit que ça se dissémine un peu, ce qui n'enlève rien aux qualités ou défauts des autres, mais le RN est vu comme, de fait, votre opposition principale, par une partie significative des Françaises et des Français. Si Marine Le Pen devait être privée de candidature, à la fin de tous les recours possibles judiciaires, est-ce que pour vous ce sera un problème politique ?
François Bayrou : Pour moi ?
Darius Rochebin : À vos yeux.
François Bayrou : Oui, je me suis déjà exprimé sur ce sujet. Lorsqu'un parti réunit un nombre aussi significatif d'intentions de vote, le trouble que ressentent les électeurs est un problème que je trouve significatif. Mais je ne suis pas la justice. J'ai subi la justice comme les autres. Je n'ordonne pas des perquisitions. J'ai subi les perquisitions comme les autres. J'ai fait ce chemin-là. Et donc, je sais que notre devoir et notre obligation est de respecter les décisions de justice et les procédures de justice. Et donc, ce n'est pas un problème pour moi, c'est un problème pour cette formation politique et pour la démocratie française en général.
Darius Rochebin : Quel est le statut aujourd'hui de ce parti ? Vous avez commencé en parlant d'histoire, et la grande et tragique histoire de Vichy 1940. Il y a deux manières de regarder le RN d'aujourd'hui. C'est la manière de Mme Borne, dans votre gouvernement, qui avait dit que le RN d'aujourd'hui est l'héritier de Pétain, et d'ailleurs, elle avait été corrigée par le président de la République. Et puis il y a une autre partie de l'opinion qui dit, non, c'est fini ce temps-là, d'ailleurs tout le monde a eu ses cadavres à Vichy, il y a eu beaucoup de radicaux socialistes comme Bousquet, il y a eu des gens qui sont devenus gaullistes ensuite, qui ont été condamnés plus tard comme Papon, mais enfin, la droite nationaliste a été très compromise jusqu'en 1945, là on est en 2025. Cette histoire, est-ce qu'elle est définitivement passée, ou est-ce qu'il en reste quelque chose ?
François Bayrou : C'est à eux de le dire. Je ne partage pas les idées de ce courant politique-là. Je ne les ai jamais partagées. Je n'ai jamais eu la moindre accointance. Et cependant, je considère qu'ils font partie de la démocratie française. Je suis à l'Assemblée nationale. Je les respecte en tant que députés exactement à l'égal de tous les autres bancs de l'Assemblée nationale.
Darius Rochebin : C'est un parti comme un autre ?
François Bayrou : C'est une formation politique qui a 130 ou à peu près députés à l'Assemblée nationale. Je ne refuse pas de leur serrer la main. Parce que pour moi, c'est des représentants du peuple. Je les combats. Je suis en désaccord. J'essaie de convaincre qu'ils se trompent. Mais je ne les regarde pas comme des pestiférés.
Darius Rochebin : Quand on a vu à la tribune de l'Assemblée, au moment du vote, un certain nombre de gens qui refusaient de leur serrer la main, comment vous l'avez ressenti ?
François Bayrou : Mal. Je pense que, surtout, c'était à l'égard du plus jeune député de l'Assemblée, j'ai trouvé que c'était extraordinairement violent. Je pense que quand on est entré à l'Assemblée nationale, au Palais Bourbon, quand vous êtes dans cet hémicycle, la règle civique doit être de respecter tout le monde, de ne pas approuver les dérives, de ne pas approuver les injures, de ne pas approuver les insinuations. Mais cependant, dans cet hémicycle-là, qui est le cœur de la démocratie française, dans cet hémicycle-là, à mes yeux, et notamment à mes yeux de chef de gouvernement, tout le monde est également respectable. Je combats les idées, mais je n'écarte pas les personnes.
Darius Rochebin : François Bayrou, qu'on les approuve ou qu'on les désapprouve, on voit qu'un certain nombre d'idées qu'on a attribuées au RN sont revendiquées aujourd'hui par des gouvernements européens de plusieurs couleurs. On voit les socio-démocrates danois, par exemple, qui veulent restreindre l'immigration, qui veulent même changer les pratiques européennes pour cela. La Pologne rétablit le contrôle frontalier avec l'Allemagne. L'Allemagne durcit les règles pour les illégaux. Est-ce que ce mouvement-là fait pour vous partie d'un mouvement de bon sens auquel la France devra, comment dire, participer ?
François Bayrou : C'est le droit d'une nation de contrôler ses frontières. Et même, si je peux aller plus loin, c'est le devoir d'une nation de contrôler ses frontières. De ne pas donner à ses ressortissants, à ses citoyens, le sentiment que, bon, on subit, que c'est comme ça et qu'on n'y peut rien. Parce qu'à ce moment-là, ils se révoltent et ils passent dans le rejet pur et dur. Et cependant, je refuse qu'on distingue les citoyens français selon leur origine, selon leur nom, selon leur religion, selon leur couleur de peau.
Darius Rochebin : On parlait des clandestins illégaux. L'Allemagne, par exemple, parle des clandestins illégaux.
François Bayrou : C'est plus compliqué que ça. Les citoyens, les gens avec qui nous partageons la vie, je refuse qu'on les juge sur des critères qui ont trait à ces origines-là. Je vais vous dire quelque chose qui va vous paraître bizarre. Je ne vois pas la différence des couleurs de peau. On a eu un jour un débat, vous et moi ensemble, sur ce sujet-là. Vous m'avez dit, mais comment il se fait, dans votre classe, il n'y avait que des blancs ? Ben oui, il y a des pays dans lesquels les couleurs de peau ne sont pas les mêmes. Et pour moi, je refuse que ça soit un critère.
Darius Rochebin : Est-ce que ça veut dire qu'il y a une forme de destin que l'Europe soit métissée ? Par exemple, Jean-Luc Mélenchon, avec beaucoup de clarté, qu'on l'approuve ou qu'on le désapprouve, encore une fois, parle de la créolisation. Et on voit notamment en Allemagne à quel point la démographie a changé. Est-ce que c'est la logique européenne ?
François Bayrou : Excusez-moi, je désapprouve complètement cette phrase de Mélenchon.
Darius Rochebin : Pourquoi ?
François Bayrou : Parce que créolisation, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le français n'est plus notre langue.
Darius Rochebin : C'est plus large dans son esprit.
François Bayrou : Non, non, non. Qu'est-ce que c'est le créole ? C'est une déformation locale ou une transformation locale de la langue française. Moi, j'apprécie, j'aime... Je mets la langue française au-dessus de tout. C'est mon métier, comme vous savez, j'ai été professeur de français, de latin et de grec. Je pense qu'une langue, ça forme une pensée. Et je pense que la langue française, elle est un trésor national. J'ajoute qu'elle n'est pas la seule langue qui soit un trésor national. J'aime et je défends les langues régionales, qui ont cette richesse-là de porter une pensée, une manière de voir le monde différente.
Darius Rochebin : Vous avez posé le principe sur les frontières, mais qu'est-ce que ça signifie concrètement ? Puisque certains de ces pays sont en train de revoir, disons les choses, les principes de Schengen, Dublin, les principes fondateurs de l'Europe. Est-ce qu'on est à un moment où il faut se décomplexer et les revoir ?
François Bayrou : Les principes fondateurs de l'Europe, c'est qu'on défend nos frontières ensemble. Et que ça n'est pas des pays ouverts à tous les vents. Si vous donnez le sentiment que vous êtes incapables de faire respecter pour vos concitoyens le territoire national et leurs droits, parce que les droits des citoyens, ils sont réels. Et que tout ça est sans régulation, tout ça est sans surveillance. Eh bien, les gens se révoltent. Ils ont le sentiment qu'ils sont abandonnés par leurs dirigeants. Tant que je serai dans des responsabilités comme ça, je n'accepte pas d'abandonner mes concitoyens. Et en même temps, je refuse, comme vous le voyez, toutes les arrière-pensées sur l'origine, la couleur de la peau et la religion. Je crois au contraire que nous devons, en tant que concitoyens, nous devons cultiver toutes les raisons que nous avons de nous respecter, de vivre ensemble et si possible de nous aimer.
Darius Rochebin : Êtes-vous prêt, comme le disent les Allemands, de rétablir certains contrôles aux frontières supplémentaires, dans cette logique ?
François Bayrou : Nous devons le faire ensemble entre pays européens. C'est ça le contrat que nous avons passé à Schengen, et c'est cela que les Allemands veulent construire avec nous. Et je suis d'accord pour que nous, ensemble, les pays européens, nous ayons une démarche positive.
Darius Rochebin : Aujourd'hui, on voit à quel point la question de l'autorité est au centre des débats publics. Alors il y a ce qui s'est passé, on va y revenir après la victoire du PSG, il y a un match important ce dimanche, la question, le débat sur la police municipale où une députée LFI a proposé de désarmer la police municipale. Qu'est-ce qu'il en est par exemple à Pau, chez vous ?
François Bayrou : Il y a une police municipale importante.
Darius Rochebin : Armée ?
François Bayrou : Armée. Et je vais vous expliquer pourquoi la police municipale est armée à Pau. Et il y a des caméras de vidéosurveillance nombreuses, auxquelles la justice fait appel, écoutez bien, tous les jours. En moyenne, chaque jour de l'année, la police nous dit « est-ce que vous avez des images de tel forfait, de telle agression, de telle rixe, de telle tentative d'assassinat ? » Et nous avons ces images et personne ne s’est jamais plaint que ces caméras existent. Mes oppositions étaient contre, exactement comme la députée qui a demandé qu'on désarme la police. Alors je vais vous dire pourquoi j'ai armé la police municipale. Quand je suis arrivé, je me suis dit, peut-être on peut se contenter de donner à la police municipale des armes qui ne soient pas létales, c'est-à-dire qui ne tuent pas. Et puis il y a eu à Nice le 14 juillet 2015, peut-être…
Darius Rochebin : Grand attentat, sur la promenade des Anglais.
François Bayrou : Ce camion sur la promenade des Anglais qui a foncé et fait des dizaines de victimes. Or, il se trouve que la promenade des Anglais dominait le feu d'artifice, et que nous avons à Pau, qui est une ville où les Anglais ont eu villégiature, nous avons exactement la même disposition sur ce qui fait notre fierté, qu'on appelle le boulevard des Pyrénées. Et d'où on regarde le feu d'artifice tiré en contrebas du boulevard des Pyrénées. Et ce jour-là, je me suis dit, mais si un camion arrive et fonce sur la foule, les bâtons ou les tasers ne suffiront pas. Et donc j'ai décidé d'armer la police municipale, elle l'est, et je crois que les agents sont contents d'être armés, la population est contente qu'ils le soient, et je le suis aussi.
Darius Rochebin : Sur l'état de la France aujourd'hui, c'est 2016, l'attentat à Nice.
François Bayrou : 2016, oui.
Darius Rochebin : Sur l'état de la France, est-ce que certains diront, ça montre quand même que c'est un pays où la sécurité a considérablement reculé, Pau, pas Chicago, je ne critique ni n'approuve ce que vous me dites, mais est-ce que de fait la sécurité a reculé en France à un point inquiétant ?
François Bayrou : Partout sur la planète et dans les pays occidentaux, la sécurité a reculé. Partout. Les risques sont beaucoup plus importants. Les agressions sont de tous les jours. Et quel est le devoir des responsables ? C'est d'assurer la sécurité de leurs concitoyens.
Darius Rochebin : Est-ce que ce sera un grand rêve de 2027 ?
François Bayrou : Et de ne jamais reculer lorsqu'il s'agit d'accomplir ce devoir impérieux. Vous savez pourquoi ? Qui sont ceux qu'il faut protéger ? C'est les plus faibles. Lorsque vous avez une mère de famille qui est avec ses enfants dans la rue, si vous la laissez exposée aux violences, aux intimidations, aux injures, aux crachats, vous êtes coupable. Les responsables sont coupables. Et donc le devoir impérieux, indiscutable, qui doit s'imposer aux gouvernants, que ce soit les gouvernants nationaux ou les gouvernants locaux, c'est de protéger leurs citoyens, spécialement les plus faibles.
Darius Rochebin : On en aura un exemple lors du match, c'est Chelsea-PSG, ce dimanche. Tout le monde a en mémoire ces images, ça a été un moment important dans la prise de conscience de ces questions, pendant et après la victoire du PSG l'autre jour. Qu'est-ce que vous attendez de ce moment dimanche ?
François Bayrou : J'attends que le respect des biens et des personnes et l'attitude des supporters soient plus honorables que celle qu'il y a eu ce soir-là. Et tous les soirs précédents, parce que ça monte depuis des années. Et donc, que les forces de sécurité soient là, et que ceux qui ont de l'influence sur les supporters et sur ceux qui ne sont pas des supporters mais qui ont envie de casser, que tout ça soit franchement déterminé à ce que notre capitale devienne respectable. Redevienne respectable.
Darius Rochebin : François Bayrou, regardons vers l'avenir. Dieu sait s'il est important, pas seulement vous, pas seulement le gouvernement, mais plus largement, c'est ce qui va se passer jusqu'en 2027. Vous avez fait le choix d'un gouvernement de poids lourds, et avec les risques que ça comportait. Vous dites, « c'est pas une cour d'école, c'est pas une école enfantine, c'est un vrai gouvernement politique, pas avec des techniciens, avec les bons et les mauvais côtés que ça a, que ça représente ». Est-ce que vous êtes prêt à aller plus loin, par exemple ? Je vous posais la question, si les choses devaient tourner, bon, pas très fort pour l'économie, on l'a compris en début d'émission, si vraiment il fallait un gouvernement d'union nationale, s'il fallait ouvrir encore. Est-ce que vous seriez prêt à dire autour de la table, il en faut d'autres ?
François Bayrou : Je suis prêt à accueillir les grandes forces politiques démocratiques du pays dans un gouvernement qui aurait pour mission de faire face à des risques inusités. Je l'ai toujours été. J'ai décrit, quand j'ai été nommé, cette méthode qui consistait à dire à toutes les forces politiques : vous êtes dans la majorité, vous avez votre place et je vous écoute. Vous n'êtes pas dans la majorité, mais vous êtes positif avec l'action qu'il faut mener. Et même vous êtes dans l'opposition, et même dans les oppositions les plus radicales, mais n'oubliez pas que vous êtes co-responsable de l'avenir du pays.
Darius Rochebin : Jusqu'où est-ce que ça peut aller ? Un Gabriel Attal ? Un Édouard Philippe ? Qui sont là plutôt à la position de ceux qui regardent et qui critiquent. Est-ce que vous seriez prêt à dire « Venez ! » ?
François Bayrou : Non, je ne crois pas qu'ils critiquent.
Darius Rochebin : Critiquent ou qu'ils critiquent moins. Est-ce que des grandes personnalités comme ça peuvent faire partie d'un gouvernement d'union nationale ?
François Bayrou : Bien sûr, mais je ne suis pas en train...
Darius Rochebin : Au-delà du principe, vous imaginez vraiment un gouvernement d'union élargi, parce que dans les circonstances graves où nous sommes, où un Édouard Philippe, par exemple, siégerait à vos côtés ?
François Bayrou : Pourquoi pas ? C'est une personnalité respectable et c'est une personnalité éminente dans la majorité et d'autres. Nous avons le devoir de réunir le plus largement possible les forces démocratiques du pays pour qu'on réponde aux défis si graves qui sont devant nous.
Darius Rochebin : Monsieur le Premier ministre, ce gouvernement de têtes, de fortes têtes, de caractère, d'ambition présidentielle, certains en ont, Bruno Retailleau, je pense que ça ne fait aucun doute. Vous avez un doute là-dessus ?
François Bayrou : C'est à lui de le dire, ce n'est pas à moi.
Darius Rochebin : En tout cas, il existe, il fait partie de ceux, parfois même, qui contredisent le président de la République. Rappelons ce que disait à ce sujet Emmanuel Macron :
[Extrait vidéo ] « Moi, j'ai nommé un Premier ministre. Le Premier ministre, il doit diriger son gouvernement. Et les ministres du gouvernement doivent s'occuper des politiques qu'ils conduisent. Chaque ministre. Parce que si on se met à avoir des ministres qui s'occupent de tout, ça ne s'appelle plus un gouvernement. »
Darius Rochebin : François Bayrou, réponse ?
François Bayrou : L'unité du gouvernement, j'en suis le garant. Et il n'y a jamais eu au sein du gouvernement une critique à l'égard du gouvernement. Alors c'est des chefs de parti, c'est des responsables politiques de premier plan, il leur arrive assez souvent de s'exprimer devant leurs militants sur telle ou telle orientation du pays, j'accepte très bien ça. Mais il n'y a pas de discussion de la ligne du gouvernement. Il peut y avoir des opinions différentes, mais il n'y a qu'une ligne du gouvernement.
Darius Rochebin : Alors, soyons honnêtes. Quand Bruno Retailleau, par exemple, critique, dit dans la politique à l'égard de l'Algérie, dans la très grave affaire de Boualem Sansal et du confrère journaliste retenu en otage en Algérie, il y a quand même deux lignes. En gros, il le dit lui-même, il y a celle du président de la République et il y a celle de Bruno Retailleau.
François Bayrou : Absolument pas. Je suis assez bien placé aux premières loges pour savoir ça. Chacun des deux cherche le moyen de peser sur les dirigeants algériens pour obtenir la libération de Boualem Sansal et de votre confrère journaliste. Chacun des deux est indigné par le fait que notre compatriote, 80 ans, malade, grand écrivain, soit ainsi réduit en situation de captif. Absolument pas de confrontation ou de contradiction.
Darius Rochebin : Ça tiraille. Attendez, attendez…
François Bayrou : Non.
Darius Rochebin : Ça tiraille. Laurent Saint-Martin, il est dans votre gouvernement. Il n'est pas parti pour l'instant. Laurent Saint-Martin qui dit, il parle de Bruno Retailleau, Bruno Retailleau, devait-il ou non rester l'allié du bloc central ? Il dit, ça n'est pas à lui de décider s'il doit rester ou ne pas rester. « Oui, bien sûr, ça me gêne », dit Laurent Saint-Martin. Ça le gêne.
François Bayrou : Non, c'est... Vous voyez, c'est comme dans un couple. C'est comme dans une association. Vous avez absolument mille l'occasion de prendre une petite discordance et d'en faire un affrontement. Mon travail à moi, ma mission à moi, c'est de réunir les gens. Ma mission à moi, c'est de faire que l'équipe gouvernementale soit solidaire et solide. Et donc, non, je ne vois pas ce que vous essayez de mettre en valeur.
Darius Rochebin : Je ne mets pas en valeur, regardez, quand Bruno Retailleau fait sa tribune sur les énergies, et que le camp macroniste, c'est votre majorité quand même, dit ça n'est pas acceptable de remettre en cause de cette façon-là. Vous regardez dans l'air, mais oui, c'est les faits. Alors ?
François Bayrou : Excusez-moi, Bruno Retailleau, il est ministre de l'Intérieur. Et comme ministre de l'Intérieur, c'est la politique du gouvernement. Chef de parti, il peut avoir l'occasion de dire des choses que le reste du gouvernement n'approuve pas. Point. Il n'y a pas de difficulté au sein du gouvernement.
Darius Rochebin : Est-ce qu'il est sain qu'il reste dans le gouvernement le plus tard possible ?
François Bayrou : Je ne sais pas le plus tard possible. Il est membre du gouvernement, le président de la République l'a nommé sur ma proposition, et je suis le défenseur de l'unité du gouvernement. Et je suis le défenseur, je vais vous dire. Il y a des gens qui passent leur vie à imaginer que c'est mieux de se disputer que de s'entendre. Et je crois, spécialement dans des moments aussi difficiles que ceux que nous vivons, je crois que c'est beaucoup mieux de s'entendre que de se disputer. Et quand il y a des petites anicroches, je préfère laisser les anicroches de côté et au contraire mettre en valeur ce qui rassemble.
Darius Rochebin : Quel est l'état de votre relation ?
François Bayrou : Ce n'est pas de l'angélisme, c'est la nécessité pour que le pays apparaisse comme un pays en ordre et pas comme un pays en désordre.
Darius Rochebin : Avec le président de la République, vous avez un très long compagnonnage. Vous l'avez aidé de manière significative à gagner en 2017. Vous avez compté beaucoup pour ça. Vous vous parlez depuis si longtemps. Là, cette fois, vous êtes Premier ministre. À quel rythme est-ce que vous vous parlez ? Pardon, question très pratique. Chaque jour ?
François Bayrou : Trois fois par semaine. Plus s'il le faut. Mes relations n'ont pas changé avec le président de la République. Parce que, avant d'être des relations de responsable à responsable, ce sont des relations d'homme à homme. Alors ça peut paraître mystérieux, parce que tout le monde voit la vie politique comme un immense ring dans lequel on se tape sur la figure. On croit que c'est de la boxe ou du catch. Ça n'est pas vrai. En tout cas pour moi. Et je crois que pour lui, ça n'est pas vrai. Et les relations d'estime que nous avons, ce sont des relations qui sont inchangeables au travers du temps.
Darius Rochebin : Il est le chef des armées et on vit dans un moment - plus tard dans l'émission, on va voir ce qui se passe en termes de menaces, y compris nucléaires, et le fait qu'aujourd'hui, c'est une des grandes actualités de la soirée, le Royaume-Uni et la France veulent unir dans une certaine mesure leurs capacités de dissuasion.
François Bayrou : Coordonner.
Darius Rochebin : Coordonner, vous avez raison, c'est le bon mot. Est-ce que, et là, pardon, je suis obligé de vous poser, même si c'est un petit trait avec le budget, mais là on est vraiment dans les principes les plus supérieurs, est-ce qu'il y a un cas particulier de la défense ? C'est-à-dire le moment est si grave dans l'Europe entière, est-ce que le budget de la défense est pour ainsi dire en dehors ?
François Bayrou : Sacré, oui, le budget de la défense. L'état du risque en Europe et l'état du risque dans le monde est tel qu'on n'a pas le droit de baisser la garde, même pour des raisons budgétaires.
Darius Rochebin : Et ça, c'est la gravité de l'heure ?
François Bayrou : Oui, c'est notre devoir. Je pense qu'en Europe, dans l'ensemble européen, on a trop cru que la sécurité était assurée parce que les Américains ne laisseraient jamais l'Europe mise en cause. Et on s'est trompés. On a vu, avec les prises de position récentes sur l'Ukraine, sur le Groenland, on a vu que ça n'était plus aussi vrai qu'autrefois. Et alors ça entraîne des conséquences beaucoup plus lourdes et beaucoup plus graves. La première de ces conséquences, c'est qu'on ne peut pas dépendre de l'industrie américaine pour l'armement des Européens. Alors je sais qu'un grand nombre de pays n'en sont pas encore là. Ils sont encore sur les habitudes d'autrefois. Mais la vérité est que s'enracine de plus en plus dans les esprits l'idée qu'on est obligé d'avoir notre propre industrie de défense pour assurer notre propre sécurité. Et ceci, c'est formidable. On peut peut-être s'arrêter une seconde pour dire que c'est la position de la France depuis la Ve République. C'est la position de la France depuis 1958. Et on avait raison. Enfin, je veux dire, le général de Gaulle avait raison. Ceux qui le soutenaient dans cette position avaient raison. Et ceux qui, au contraire, pensaient qu'on pouvait se confier à d'autres se trompaient.
Darius Rochebin : Une promesse a été faite à l'OTAN, tous les membres de l'OTAN étaient là, une promesse a été faite d'augmenter les budgets de la défense. Est-ce que là, elle engage la France ? C'est-à-dire que, est-ce que le budget de la défense de la France ira grandissant ? Est-ce que vous tiendrez cette promesse ?
François Bayrou : Je pense qu'il faut regarder deux choses essentielles qu'on ne regarde pas. La première, c'est que la France a fait des efforts considérables, et notamment des efforts ces huit dernières années…
Darius Rochebin : On le voit ici, c'est vrai.
François Bayrou : … pour que son budget soit à la hauteur du risque, premièrement. Deuxièmement, la France a construit une défense nucléaire. Elle est, comme on dit dans le langage, dotée de l'arme nucléaire. Et avoir construit une capacité de défense nucléaire, ça s'est fait au travers du temps et on ne peut pas considérer que ce ne soient pas des efforts immenses qui ont été accumulés au travers du temps par les gouvernements successifs. Et je pense qu'on ne peut pas traiter de la même manière des pays qui n'avaient fait aucun effort de défense et des pays qui avaient fait l'effort de construire une armée complète qui a toutes les possibilités de son action depuis les sous-marins nucléaires jusqu'à une aviation puissante et à des armes spatiales puissantes. Et aussi une infanterie et une marine.
Darius Rochebin : Vous avez dit que le budget des armées est sacré. Vous savez combien il y a de militaires ici à LCI, autour de la table, vous les verrez tout à l'heure. Vous pouvez les rassurer de ce point de vue-là, ça ne reculera pas en France, ça c'est un domaine où il n'y aura pas de coupe ?
François Bayrou : C'est non seulement un engagement mais un devoir.
Darius Rochebin : Monsieur le Premier ministre. « Durer », vous connaissez le mot de Metternich, « l'essentiel c'est de durer ». Ou durer, contre certaines cassandres qui vous prédisaient que ça ne tiendrait pas, est-ce que votre but est de rester jusqu'au bout ? Pas seulement pour rester mais pour la stabilité de la France. Est-ce que pour vous le but est mai 2027 ?
François Bayrou : Durer pour quoi faire ? Durer ça n'a aucun sens si c'est pour baisser les bras. Durer, ça n'a aucun sens si c'est pour se résigner. Et durer, ça n'a aucun sens si c'est pour renoncer à ce à quoi on croit. Je crois à la durée à condition qu'on porte une volonté, une action et une capacité de décision. À ce moment-là, c'est bien de durer, c'est utile, ça permet de résoudre de grandes questions, mais durer pour durer, ça n'a aucun sens.
Darius Rochebin : Ça passera évidemment par la question si cruciale des retraites. Un mot de votre méthode. On a compris que vous avez tenu le conclave, qu'une partie du consensus qui est apparu dans ce conclave, vous espérez le mettre dans la loi.
François Bayrou : 90%.
Darius Rochebin : Qu'est-ce que ça voudra dire à la rentrée ? Qu'est-ce qui se passera à la rentrée ? Vous avez proposé une loi ou il y a encore une discussion qui aura lieu autour de cette loi à la rentrée ?
François Bayrou : Merci de poser cette question parce qu'il y a eu beaucoup d'incompréhensions voulues autour de ce sujet. Lorsque nous avons été nommés, nous avons fait le constat, tous ensemble, les journalistes aussi, que cette question des retraites, elle empoisonnait la vie politique française. Or, il se trouve que j'ai alerté depuis très longtemps, j'étais commissaire au plan, j'ai alerté sur le déséquilibre du financement du système de retraite, j'ai même avancé des chiffres dont on sait aujourd'hui qu'ils étaient exacts. Et simplement, j'avais rencontré tous les responsables d'entreprises et syndicaux. Ils m'avaient tous dit, « ouais, vraiment, il y avait des marges d'amélioration, on n'a pas pu les faire avancer ». Et j'ai donc pris au mot la démocratie sociale française, c'est-à-dire les représentants du patronat, les représentants des syndicats. Et je leur ai dit, mais moi je suis prêt à vous aider à ce que vous discutiez ensemble des progrès possibles. Et s'il y a des progrès possibles, si vous vous mettez d'accord, je les ferai entrer dans la loi. Et puis il se trouve qu'ils ont énormément progressé. Je dis ils ont fait 90% du chemin. Et puis, ils ne sont pas arrivés tout à fait à l'accord. Je ne me résigne pas aux défaites quand je sais qu'elles sont simplement une apparence.
Darius Rochebin : Donc une discussion reprendra à la rentrée ?
François Bayrou : Non, je discuterai avec chacun d'entre eux, mais le gouvernement va trancher et il va mettre dans la loi les progrès qui ont été réalisés. Quels sont les progrès ? Un, la situation des femmes qui n’était dans la réforme précédente peut-être pas suffisamment prise en compte parce que les carrières des femmes, elles sont interrompues par la maternité, parfois rendues plus difficiles dans un pays qui devrait avoir plus de solutions de garde d'enfants. Et donc les syndicats et les organisations d'entreprise se sont mis d'accord pour qu'on améliore la situation des femmes. Et se sont mis d'accord pour qu'on puisse prendre sa retraite si on n'a pas encore tous ses droits, un peu plus tôt que les 67 ans qui étaient prévus. Ils se sont mis d'accord sur la pénibilité, sur deux points et demi essentiels sur trois. Alors quels sont les deux points et demi essentiels ? C'est la définition des métiers pénibles. Et par exemple, des critères qui avaient été écartés. Le fait d'être soumis à des vibrations quand on tient un marteau-piqueur, ou bien le fait d'avoir des postures difficiles quand on s'occupe de petits enfants, on doit être à genoux tout le temps. Ou quand on s'occupe des personnes dans un EHPAD, il faut les soulever et ça fait des troubles au dos, musculo-squelettiques comme on dit. Ils se sont mis d'accord pour prendre ça. Ils se sont mis d'accord pour la cartographie des métiers pénibles. Et ils se sont mis d'accord sur la moitié des réponses qu'on peut apporter aux métiers pénibles, la première étant la prévention.
Darius Rochebin : Monsieur le Premier ministre, la méthode, là, en juillet et à la rentrée, est-ce qu'il est possible, on l'entend beaucoup dire, que le budget sera présenté en même temps qu'une loi sur le travail ?
François Bayrou : C'est tout à fait possible qu'on imagine ça, les partenaires sociaux travaillent sur ces sujets, le gouvernement travaille sur ces sujets, mais vous ne réussirez pas à me faire dévoiler des décisions...
Darius Rochebin : C'est vous qui avez dit qu'il faudra développer les forces du travail, produire davantage. Ce sera l'esprit de cette loi sur le travail ?
François Bayrou : Produire davantage, je crois travailler plus nombreux, et faire que le travail, au lieu d'apparaître comme une punition, apparaisse comme un épanouissement.
Darius Rochebin : Ouvrir ?
François Bayrou : Voilà les principes que je crois nécessaires. Si nous avions les mêmes taux de personnes au travail que nos voisins, nous n'aurions pas de difficulté de financement.
Darius Rochebin : Donc les Français doivent produire davantage, davantage qu'aujourd'hui ?
François Bayrou : Non seulement davantage, ils doivent se réconcilier avec la production. Ils doivent se réconcilier avec la présence d'entreprises sur notre sol, avec la production agricole, et avec la production industrielle, et avec la production intellectuelle. Tout ça, c'est nécessaire.
Darius Rochebin : Et ça veut dire ouvrir davantage les magasins, ouvrir le dimanche, ouvrir ?
François Bayrou : Ouvrir… Tout ce qui favorise l'activité économique et la création d'entreprises, et la place des plus jeunes dans le travail, et la place des femmes dans le travail. Et au fond, l'idée que le travail c'est bon pour la vie, tout ça va dans le bon sens.
Darius Rochebin : François Bayrou, il y a ce lieu commun sur l'enfer de Matignon. On dit tellement, vous n'avez pas l'air de vivre en enfer si je peux me permettre. Pourquoi ?
François Bayrou : Parce que j'ai toujours eu assez de joie de vivre pour considérer que quand je choisis un cap, c'est plutôt mieux de le réaliser. C'est pas ce que vous faites, vous ?
Darius Rochebin : C'est dur quand même, non ? Votre métier est plus dur que le mien, si je peux me permettre.
François Bayrou : Ouais, mais je savais, avant d'entrer à quelques exceptions près, je savais que ça serait difficile. Pourquoi ? Pour une raison simple, c'est qu'on avait à peu près tout essayé, n'est-ce pas ? Et on a vu où ça nous conduisait, où les difficultés s'étaient accumulées. Et j'avais toujours eu le sentiment qu'on ne me confierait ces responsabilités que le jour où les difficultés apparaîtraient insurmontables. Et mon idée était de montrer que cependant un chemin existait. Et je pense toujours ça. Je pense que la société française n'est pas condamnée à l'échec. Je pense que tous ceux qui veulent baisser les bras se trompent. Je pense que tous ceux qui veulent qu'on continue dans le sens qui nous a menés où nous sommes se trompent. Je pense que nos obsessions ne sont pas bonnes. Je pense que l'idée qu'il faut que les Français s'affrontent entre eux, par exemple, je pense que l'idée que les salariés sont en guerre avec les entreprises est une mauvaise idée. Et d'ailleurs, sur le terrain, ce n'est pas comme ça que ça se passe. Et donc je ne crois pas à l'affrontement systématique que beaucoup de gens voudraient perpétuer.
Darius Rochebin : On vous sent fier d'être Premier ministre.
François Bayrou : Oui. Vous êtes chef du gouvernement de votre pays, vous aimez votre pays plus que tout. Vous avez mené des combats depuis très longtemps pour lancer des avertissements sur ce qui venait. Quand vous êtes à la proue d'un navire et que vous devez voir venir un iceberg, votre responsabilité est de dire « attention, ça vient ». Et si on vous confie la barre, de faire ce qu'il faut pour essayer de redresser le bateau, la route du bateau.
Darius Rochebin : Vous êtes le fils d'un père mort prématurément.
François Bayrou : Pendant le travail, oui.
Darius Rochebin : Pendant le travail. Je me rappelle vous avoir entendu dire à quel point le fait que vous dirigiez les centristes était pour vous une fierté, en pensant à ce qu'il aurait imaginé. Alors, Premier ministre ?
François Bayrou : Alors, c'est intime ce que vous dites. Tous ceux qui m'ont précédé et qui ont disparu trop tôt, je ne les ai jamais quittés. J'habite toujours le village où je suis né. Je suis élu dans la ville où j'ai été élu le premier jour de mon engagement politique. Et je ne la quitterai pas. Et je n'ai jamais oublié que mon père, et tant d'autres comme lui, paysans, ouvriers, c'était des gens qui avaient une valeur extraordinaire et que personne n'écoutait. Ma première interview, il y a très longtemps, quand j'ai pensé à me présenter à une élection, je disais ça. Je disais « je veux être la voix de ceux qu'on n'écoute pas ». Je n'ai jamais changé d'avis sur ce point. Mais ma foi dans la famille politique qui est la mienne, ce n'est pas une foi pour quelqu'un. C'est une foi parce que je crois que c'est vrai.
Darius Rochebin : Vous m'aviez lu une fois une page de Pagnol, le Château de ma mère. « Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins. »
François Bayrou : Oui, c'est une page qui... Je vous confie quelque chose, c'est une page qui m'a toujours fait pleurer quand je l'ai lue à mes enfants ou à mes amis. Il se trouve que je suis copain avec Vincent Lindon, et un jour j'ai lu cette page à lui et à son frère, et j'ai pas pu m'empêcher de pleurer en la lisant parce que c'est la mort de sa mère, vous savez. Et donc, oui, je pense que la vie n'est pas faite que de bonheur et d'enthousiasme. Mais je pense qu'elle vaut la peine d'être vécue. Il y a beaucoup de gens qui pensent qu'elle ne vaut pas la peine d'être vécue. Je pense exactement le contraire. Je pense que chacun de ces moments où on prend des risques, où on s'avance seul contre tous, chacun de ces moments où on accepte de relever le défi, chacun de ces moments vaut la peine. Et c'est même à peu près ça le sens d'une vie humaine.
Darius Rochebin : François Bayrou, vous avez vécu des épreuves. Matignon, on parle de l'enfer de Matignon, ce sont toutes les accusations liées à l'affaire de Betharram. Plus de 200 anciens élèves d'établissements catholiques béarnais qui ont dénoncé des cas de violences psychologiques, physiques, sexuelles, de 1950 à l'an 2000. Il n'y a pas lieu ici, ce serait l'objet d'une émission entière, mais, qu'est-ce que ça dit de votre milieu d'origine, ce monde catholique, conservateur, provincial, ou ce genre de choses ?
François Bayrou : Tout est faux dans ce que vous dites. Je n'ai jamais appartenu à un monde catholique, conservateur.
Darius Rochebin : C'est la question que je vous pose.
Darius Rochebin : Non, mais n'essayez pas de l'insinuer parce que c'est faux. Les victimes de Betharram, je suis avec elles et elles savent que je suis avec elles. On a essayé de faire une affaire et vous savez, au terme d'une confrontation de plus de cinq heures, j'ai fait la preuve par écrit que chacune des accusations était fausse et infondée. C'était une ignominie. C'est des gens qui voulaient détruire en se servant d'une affaire. J'aurais pu y laisser ma peau politique parce que si je n'avais pas trouvé les preuves, eh bien ça aurait été accusation contre accusation. Ils adorent faire ça. Et moi je me défends. Et donc je ne suis pas d'un milieu conservateur d'origine, tout ça est ridicule.
Darius Rochebin : C'est ce milieu-là qui fait que le secret a été maintenu, c'est votre fille, c'est pas une accusation contre vous, c'est ce que votre fille décrivait elle-même. C'est ce milieu qui a fait que le secret a été tenu pendant si longtemps, c'est ce que votre fille a décrit.
François Bayrou : Excusez-moi, ma fille a dit exactement le contraire. Ma fille a dit, et elle a beaucoup réfléchi à ce sujet depuis longtemps, ma fille a dit : on ne parle pas parce qu'on ne peut pas parler. Et elle a décrit, alors c'est pas que les établissements catholiques, tous les autres, les associations sportives dans lesquelles il y a ce genre d'atteinte, les établissements scolaires, la culture, le cinéma, c'est pas le milieu catholique, mais personne ne parle. D'abord parce qu'on n'est pas sûr de voir ce qu'on a vu, et ensuite parce que je crois qu'on a peur de heurter les gens avec qui on vit. Et ce que ma fille a décrit, c'est le fait que parler est impossible, ou peut-être, on va le dire autrement, parler était impossible. Et peut-être maintenant, on fera plus attention à la parole de ceux qui sont atteints. Et si j'ai pu aider, même pour de mauvaises raisons, à ce que la parole des victimes soit mieux entendue, je trouverais que ça n'a pas été totalement inutile.
Darius Rochebin : François Bayrou, de tous les qualificatifs, il y en a un qu'on ne peut pas enlever, c'est la province. Vous venez de ce monde provincial. Vous m'avez souvent parlé des petits marquis parisiens qui souvent, soit voulaient votre peau, soit se disaient « qu'est-ce qui vient là, ce béarnais avec son accent ici, ce mêlé de nos affaires ? » Est-ce qu'il y a quelque chose comme une revanche, le fait que vous soyez là et que vous teniez ?
François Bayrou : Bon, peut-être, je ne dirais pas le contraire. Ce n'est pas une revanche. Le pouvoir, concentré dans les mêmes cercles depuis des générations ne correspond pas à ce que j'aime dans notre pays, dans la République. Ça ne correspond pas. Ce dont je rêve, ce qui m'intéresse, c'est que ceux qui ne viennent pas des milieux de pouvoir puissent un jour y avoir accès. C'est que ceux qui ne viennent pas des milieux de la culture puissent un jour y avoir accès. Ceux qui ne viennent pas des milieux où on peut suivre des aventures, qu'ils puissent y avoir accès. Ce que je déteste, et ce que j'ai aimé dans la campagne du président de la République, c'est qu'il s'est attaqué à ça. Au fait que, quand vous naissez dans un milieu, vous êtes condamné à y rester toute votre vie. Et c'est vrai que j'ai fait tout ce que je pouvais pour faire éclater ce plafond de verre. Et je voudrais qu'on soit très nombreux à faire éclater le plafond de verre. Les filles, les jeunes filles, les garçons, les jeunes garçons, et les personnes plus âgées, ne sont pas destinées à être condamnées au silence. Ils peuvent se faire entendre. Et si je suis, d'une certaine manière, la représentation de ça, ou un exemple de ça, tant mieux.
Darius Rochebin : Monsieur le Premier ministre, merci beaucoup. Combien de fois avez-vous été candidat à la présidence de la République ?
François Bayrou : Trois fois.
Darius Rochebin : Trois fois. Alors, on ne peut pas dire jamais trois fois quatre, mais il y a ceux qui n'ont pas survécu à Matignon politiquement, et puis il y a eu quelques cas, quand même, qui ont eu un avenir après Matignon. Vous y pensez encore ?
François Bayrou : Non, je crois que dans les circonstances où nous sommes, vous savez, il y a un très grand livre de l'histoire de l'humanité qui s'appelle La Divine Comédie du très grand poète italien qui s'appelle Dante. Et dans La Divine Comédie, il y a la description de l'enfer. Et sur la porte de l'enfer, il y a écrit : « Vous qui entrez ici, laissez toute espérance. » Et j'ai toujours pensé que dans la situation de crise où nous sommes, si on franchit le seuil de Matignon, il ne faut pas le faire en pensant à d'autres destinées.
Darius Rochebin : Oui, mais à la fin de La Divine Comédie, il y a aussi à la fin « l'amour qui meut le soleil et les autres étoiles ». L'envie, quand on a été trois fois candidat, ne me faites pas croire qu'on n'a pas envie d’une quatrième.
François Bayrou : Et bien écoutez, commentez Dante, moi je me contente de voir les difficultés de l'heure pour les résoudre.
Darius Rochebin : Merci beaucoup, M. le Premier ministre, d'avoir été avec nous. Et dans quelques instants, avec nos autres invités, avec nos éditorialistes et invités, on commentera, évidemment. Et merci beaucoup à celles et ceux qui étaient aussi présents sur ce plateau, les électeurs, on est toujours en campagne quand on est homme ou femme politique. Merci à vous de nous avoir suivis. Restez avec nous dans quelques instants. Le commentaire des quelques annonces que vous avez faites sur la proportionnelle, sur la banque pour la démocratie, sur notamment le caractère sacré du budget des armées et de la nécessité là de ne pas toucher aux économies, concernant aussi les impôts, les efforts particuliers, ce sont les mots que vous avez prononcés. Merci encore à vous.