"Réconcilions les peuples avec l'idée européenne et retrouvons une capacité à agir"

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Pour Marielle de Sarnez, "l'Europe s'est trop longtemps faite sans les peuples". Une "erreur" pour la députée européenne qui a rappelé sa "détermination" à réconcilier les citoyens avec l'Europe, au micro de RFI.

L'Union est toujours engluée dans l’austérité et l’aggravation du chômage un peu partout en Europe. A un an des élections européennes de mai 2014, l’Europe fait face aux défis peut-être les plus graves, en tout cas les plus décisifs de son histoire. C’est vrai que l’Europe n’a plus la côte, il y a eu un sondage récent organisé par la Commission européenne. Je donne un seul chiffre, en Espagne en 2007, 23% des Espagnols ne faisaient pas confiance à l’Union européenne, aujourd’hui en 2012 ils sont 72% à rejeter l’Union Européenne. L’Europe est devenue le problème ?

Ça a augmenté en France aussi. En tous les cas, il y a une crise extrêmement lourde qui s’ajoute à la crise sociale et politique. Il y a une crise de confiance dans l’Europe. Je crois que l’Europe s’est longtemps faite sans les peuples. C’était d’ailleurs la décision des Pères fondateurs et ceux qui leur ont succédé ont décidé que, pendant vingt, trente ou quarante ans, c’était tellement complexe et il valait mieux laisser les peuples à part. Je crois que c’est une erreur qui est une erreur lourde que nous sommes en train de payer aujourd’hui. Nous ne ferons pas l’Europe sans les peuples. Toute ma volonté, toute ma détermination dans les élections européennes qui viendront l’année prochaine, c’est de réconcilier les peuples avec l’idée européenne. Pour ça il faut que l’Europe retrouve une capacité à agir, une capacité à être efficace, et qu’on y mette de la démocratie, ce qui n’est pas le cas suffisamment aujourd’hui

Comment pourrait-on relégitimer cette Europe ? Est-ce qu’il faut, par exemple, élire le Président du Conseil européen au suffrage universel ?

Oui, bien sûr !

Est-ce qu’il faut changer le mode de désignation de la Commission ?

Oui, bien sûr.

Plus facile à dire qu’à faire.

Nous, nous le disons depuis longtemps. Il ne faut jamais avoir raison trop tôt mais là…

Il faut une nouvelle Constitution soumise aux peuples européens ?

Nous devons vraiment nous y coller. Si nous pouvons avoir quelques réformes comme ça, juste démocratiques, qui soient décidées par l’unanimité du Conseil, ça voudrait dire que nous avons des chefs d’Etat et de gouvernement qui deviennent intelligents sur la question européenne. Et qui assument vis-à-vis de leurs opinions publiques nationales le côté de leur politique européenne, ce qu’ils ne font pas. Parce que, un des problèmes aussi du désamour et du désaveu, c’est que c’est hyper facile. Cela fait des décennies que tout ce qui va mal, c’est Bruxelles, tout ce qui va bien, c’est au plan national. Comme ça, l’ensemble des dirigeants qui se sont succédés, en particulier en France, n’ont cessé de pointer du doigt l’Europe comme responsable de tous les maux. Mais l’Europe ce n’est pas une politique d’affaires étrangères, ce n’est pas une politique étrangère, nous sommes l’Europe, nous formons l’Europe. Les peuples européens, les Etats européens forment l’Europe. L’Europe n’est pas quelqu’un d’autre que nous !

Rien ne s’est fait contre la volonté des gouvernements.

C’est nous. Il n’y a pas une décision en Europe qui n’ait été prise, depuis que l’Europe existe, sans que l’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement aient donné leur aval, leur feu vert, leur autorisation.

Mais pas les Parlements nationaux, souvent ?

Pas assez. Tout ce qui est le niveau démocratique doit se saisir de la question européenne comme de son affaire. Il faut recréer une intimité…

Alors il faudrait une nouvelle Constitution soumise à un référendum ?

Nous pouvons avoir une nouvelle Constitution soumise à un référendum, nous pouvons avoir un nouveau traité. Si vous me demandez quels sont les objectifs principaux, je vous dirai qu’il faut qu’à terme, le jour où on élit les députés européens, il y ait une deuxième urne à côté où l’on puisse choisir le Président de la Commission et son équipe. Pas seulement le Président de la Commission et son équipe, mais choisir aussi le contenu de la politique qui va être mise en œuvre. Est-ce que nous voulons en Europe une politique plus sociale, plus solidaire, plus libérale, plus écologiste ? Les peuples doivent se prononcer sur la politique des institutions européennes. Donc, oui, il faut de la démocratie.

L’idée d’un gouvernement économique de l’Europe, justement avancé par François Hollande, c’est le bon moment pour proposer ça ? Qu’est-ce que vous en pensez ?

Ça fait vingt ou vingt-cinq ans que l’on parle de gouvernance économique de la zone Euro, parce que quand on fait une monnaie, c’est évident que l’on ne marche que sur une jambe si l’on n’a qu’une union monétaire sans union économique et politique.

On a mis la charrue avant les bœufs, d’une certaine manière ?

Il fallait faire les deux en même temps. A l’époque, ce que Jacques Delors et ses amis pensaient, c’était que, faisant la monnaie, ils allaient créer une marche en avant inexorable vers une union économique. Nous voyons bien que ça n’a pas suffi. Donc, bien sûr qu’il faut une gouvernance économique, je suis contente que François Hollande le dise, il était temps. Maintenant la question c’est de le faire, parce que nous sommes tous d’accord, ça fait quinze ou vingt ans que nous le disons. Il faut une gouvernance économique de la zone Euro, de ceux qui ont une monnaie en partage. Je rappelle aussi que dans les traités, l’Euro est la monnaie de toute l’Union européenne alors, associons aussi à cette gouvernance économique les pays qui ont vocation à rejoindre l’Euro. Peut-être faudrait-il aussi que ce nouvel ensemble davantage intégré ait un jour son propre budget européen, des politiques industrielles, des politiques d’investissement ou des politiques de recherche communes. Je crois que c’est comme cela que nous ferons l’Europe de l’avenir. Donc, oui, il faut davantage d’intégration, au minimum au niveau de la zone Euro.

Le problème, c’est que cette crise intervient aussi en pleine crise économique. Ce n’est pas un hasard sans doute, il y a l’austérité, les déficits, la dette qui plombent les budgets nationaux et européens. Comment sort-on de la spirale de la récession dans laquelle nous sommes rentrés ?

Je crois qu’on en sort à deux niveaux. C’est-à-dire qu’on en sort d’abord avec des Etats-membres qui doivent faire le boulot qui leur est imparti, en particulier de réformes quelquefois structurelles qui sont nécessaires.

Même si c’est Mme Merkel qui le dit ?

Mais ce n’est pas Mme Merkel !

Je me fais l’avocat du diable.

Je sais bien. Même si Mme Merkel n’existait pas, il faudrait le faire pour nous. Nous avons besoin de nous adapter au monde tel qu’il est. Nous avons besoin de nous réformer. Evidemment, ce que l’on appelle l’austérité c’est d’augmenter les impôts, mais ce n’est pas ça que nous devons faire. Il faut arrêter d’augmenter les impôts et d’augmenter la pression fiscale.

Qu’est-ce qu’il faut faire alors ? Réduire la dépense publique ?

Depuis le début de la crise, la dépense publique en Europe, vous pensez qu’elle a baissé ? Non, elle a augmenté depuis les trois dernières années, parce que les ponctions fiscales ont augmenté et on a continué à dépenser.

Je sais que le MoDem et François Bayrou se sont souvent exprimés et ont mis en garde contre les déficits et les dettes excessives. Mais comment fait-on ? Quelles dépenses publiques est-ce que l’on réduit en priorité ?

Nous avons besoin de réformes structurelles, c’est ce que je viens de vous dire. Nous avons besoin de réformer l’Etat, de réformer par exemple le millefeuille territorial. Nous allons créer des métropoles, des regroupements de communes, c’est très bien, j’y suis favorable.

Excusez-moi mais ça c’est quand même un peu la tarte à la crème parce que tout le monde dit qu’il faut réduire le millefeuille…

Je vous dis, par exemple pour Paris, que le département doit être supprimé. La ville et le département doivent être fusionnés. Il faut faire exactement ce qui s’est fait pour la ville de Lyon entre le Président du Conseil général Michel Mercier qui est plutôt de droite et un maire qui est plutôt de gauche.

Mais ce n’est pas ça qui va permettre à la France d’arriver à 3% en 2015.

Vous me demandez avec quels types de réforme. Nous devons continuer la réforme du Code du travail. Nous devons avoir une réforme des retraites qui ne soit pas seulement pour trouver de l’argent aujourd’hui mais qui soit pour pérenniser notre modèle de retraite. Ça veut dire une réforme qui fasse la retraite par points. Ce que nous demandons, nous, depuis plusieurs années. Nous devons soutenir les investissements et les PME. Enfin, une politique de bon sens. Tout ça, c’est très important, il faut que la France le fasse et que Hollande, de ce point de vue, assume un cap, c’est-à-dire ne louvoie pas trop et soit carrément un réformateur assumé. D’ailleurs, ce serait très bien qu’il dise en France la même chose qu’en Allemagne. Il a eu un discours très courageux devant le SPD il y a trois jours en Allemagne, où il a vanté les mérites de Gerhard Schröder et Dieu sait si Gerhard Schröder avait fait des réformes importantes.

Marielle de Sarnez, il faut rappeler que ce sont des réformes qui sont considérées par la gauche du Parti socialiste comme des réformes libérales.

Je salue François Hollande d’être un réformateur volontariste et courageux, et j’espère que le discours qu’il a tenu en Allemagne, il le tiendra en France, parce que nous devons faire des réformes. Et en même temps nous devons créer des perspectives. Vous ne pouvez pas n’être là qu’à vouloir faire des réformes structurelles, il faut aussi créer des perspectives. C’est-à-dire montrer  qu’il y a évidemment un avenir, favoriser l’investissement, ne pas changer les règles fiscales, juridiques, tous les quatre matins.

Mais vous dites tout ça parce que pour vous il n’y a pas d’autres politiques que l’axe franco-allemand, comme on dit souvent ? Cette politique allemande qui a marché en Allemagne même si on peut mettre des bémols…

Je ne vous dis pas de copier ce qu’a fait l’Allemagne mais il est évident que la France doit s’adapter au monde tel qu’il est. Je n’ai pas du tout envie que, demain, les retraites ou les salaires baissent. Donc, je préfère que nous menions à bien un certain nombre de réformes et je préfère qu’en même temps nous menions à bien une politique d’investissements réels. Parce que l’emploi ne viendra pas seulement par les emplois publics, pardonnez-moi, pas seulement par les contrats d’avenir, il viendra par les petites et moyennes entreprises. Nous devons les soutenir, soutenir leurs investissements. Et l’Europe doit aussi soutenir des investissements au plan européen. Nous avons une épargne européenne importante…

Des grands travaux, par exemple ?

Oui, des grands travaux, des infrastructures, en particulier pour les énergies. Des investissements, par exemple dans les énergies renouvelables. Nous avons des choses à faire ensemble en Europe.

Qu’est-ce qu’on attend ?

Du volontarisme politique.

Ce sont les égoïsmes nationaux qui l’empêchent ?

Oui, des égoïsmes nationaux et puis du court-termisme, c’est-à-dire que chacun ne voit pas plus loin que le bout de son nez. La vérité c’est que nous avons besoin d’avoir une vision. Nous ne retrouverons pas la confiance sans avoir une vision globale pour notre avenir en France et en Europe.

Nous avons besoin de François Bayrou Premier ministre ? Ça marcherait mieux ?

En tous les cas François Bayrou est un homme politique apprécié des Français, les Français ont confiance en lui et ils ont raison.

On doit encore demander des efforts aux populations ? On doit encore faire de la rigueur ? Quand on voit les milliards qui s’échappent par l’évasion fiscale, on promet des réformes depuis quatre ans et en fait rien ne se fait. Par contre les mesures de rigueur, elles, sont appliquées.

Les réformes structurelles ne font pas forcément du mal aux gens. Si vous avez demain une retraite comme la retraite que l’on appelle "par points", ça veut dire que vous avez plus de flexibilité, de souplesse. En Suède, vous pouvez partir entre 61 ans et 67 ans pour ceux qui le souhaitent. Si vous avez travaillé et que vous avez eu un travail pénible, vous avez des points supplémentaires. Ça veut dire aussi qu’il faut réfléchir à une nouvelle façon de travailler à partir d’un certain âge de la vie. Je pense que nous ne sommes peut-être pas obligés de travailler tout le temps au même rythme. Ça veut dire aussi qu’il faut améliorer les affaires de formation. Donc, peut-être que nous vivrons mieux demain avec une réforme comme celle-là.

Marielle de Sarnez, pour cette réforme des retraites que vous venez de décrire, est-ce qu’il y aurait selon vous une majorité au Parlement français pour la voter ?

Oui, pour autant qu’elle soit portée par le pouvoir en place. Il a ouvert le dialogue social, c’est très bien, il a demandé aux partenaires sociaux de prendre des décisions sur le court-terme des retraites, OK, mais prenons des décisions qui vont sur le long terme. Il est vraiment temps.

La lutte contre la fraude fiscale c’est aussi de la justice sociale ?

Oui, c’est très important pour les opinions, pour le budget, pour la morale et pour l’éthique pour autant qu’il y ait encore de la morale et de l’éthique en politique. Donc, je trouve que vous avez mille fois raison.

Est-ce qu’il n’y a pas une occasion historique en ce moment ?

On dit qu’il y a un manque à gagner de mille milliards par an, d’absence de recettes de rentrées fiscales. Ce n’est pas l’argent de la fraude, c’est l’argent que nous n’avons pas. A peu près 60 milliards pour la France, je crois.

60 à 80 milliards.

C’est ça, c’est une estimation. Mais je trouve ça nul qu’au dernier Conseil européen, je l’ai dit d’ailleurs au Parlement européen parce que je suis intervenue sur cette question, qu’on n’ait pas pris la décision de faire les choses. Je trouve ça nul qu’il n’y ait pas l’échange d’informations, l’automaticité…

Mais vous savez bien qu’il y a des résistances luxembourgeoises ou autrichiennes…

Très bien, alors pointons-les du doigt et que François Hollande, Angela Merkel et d’autres, Enrico Letta par exemple, notre ami italien, prennent les opinions publiques à témoin. Vous allez voir que s’ils le font, je donne quelques heures au Luxembourg et à l’Autriche pour rallier une position qui soit une position offensive.

Mais il n’y a pas que le Luxembourg et l’Autriche.

Il n’y a pas que, mais il y a aussi.

Il y a un énorme problème, c’est la Grande-Bretagne. Que faisons-nous avec la Grande-Bretagne puisque David Cameron refuse de policer la City ? La City aujourd’hui, c’est un des principaux lieux financiers en Europe…

Ne mélangeons pas tout, si vous le voulez bien. Restons sur la fraude fiscale une seconde. Ensuite il y a une deuxième question que nous devons soulever, c’est celle de l’optimisation fiscale, qu’il faut aussi que l’on traite.

Qui est légale.

Voilà, avec des gens payés pour optimiser fiscalement.

C’est souvent difficile de différencier les deux.

Sur la fraude fiscale, il faut avancer. Ce qui est le paradoxe, c’est que nous avons des paradis fiscaux sur notre sol européen. Nous devons en finir avec ça. Nous avons un mode d’emploi, c’est ce que Obama a fait avec FATCA, c’est exactement quelque chose qui fonctionne. Parce que, si vous dites aux banques "si vous ne me dites pas que vous avez le compte d’un Américain, vous ne travaillerez plus aux Etats-Unis"…

C’est l’obligation de dénoncer.

D’informer. De transmettre les données.

Enfin, c’est révolutionnaire de faire ça.

Mais c’est quand même hyper simple.

Je sais, mais dites ça aux banques suisses et luxembourgeoises.

Si les Etats-Unis le font, l’Europe, pour autant qu’elle en ait vraiment la volonté…

Il n’y a pas de volonté politique ?

Je doute du volontarisme.

Si les Britanniques refusent ?

Sur l’affaire de la fraude fiscale, ce ne sont pas Britanniques qui bloquent. Honnêtement non, ce sont le Luxembourg et l’Autriche, et quelques paradis fiscaux de Monaco à Jersey, à Guernesey… Nous avons Monaco, Andorre, donc balayons nous aussi, France, devant notre porte. Tout le monde se planque là-dessus. Donc là aussi il y a beaucoup d’hypocrisie. Il faut évidemment avancer, mais quand je dis avancer c’est agir, arrêter les pétitions de principe. Vous vous souvenez d’ailleurs que Sarkozy il y a quatre ans nous a dit que les paradis fiscaux, c’était fini. Donc, nous sommes habitués, mais maintenant ras-le-bol, il faut vraiment le faire ! Deuxièmement, il y a ce que l’on appelle l’optimisation fiscale. Là aussi il faut y mettre fin. Ce n’est pas normal qu’il y ait un certain nombre de grands groupes mondiaux, internationaux…

Google, Apple, Total…

Qui ne paient pas d’impôts dans les pays européens dans lesquels ils font des bénéfices. Ceci ne peut pas durer. Je dis depuis longtemps qu’il faut une harmonisation de l’impôt sur les sociétés, qu’il soit non seulement harmonisé dans toute l’Europe mais soit aussi la base du marché futur européen. Voilà une proposition concrète.

Vous savez bien que pour changer la fiscalité européenne, il faut l'unanimité. Tant qu'il n'y aura pas l'unanimité, ce sera bloqué.

Très bien. Moi je vous dis une chose, s'il y avait vraiment du volontarisme de la part d'un certain nombre de chefs d'Etat et de gouvernement, s'ils prenaient vraiment leurs opinions publiques à témoin, ceux qui résistent ne résisteraient pas longtemps.

Donc quand le sommet de Bruxelles a dit qu'en janvier 2015 il y aurait un échange automatique d'informations entre les administrations fiscales....

Bla bla bla.

Vous n'y croyez pas ?

Non. Je veux que ce soit maintenant et qu'on en finisse, qu'on tourne cette page. Nous avons vraiment beaucoup d'autres problèmes à régler. Alors, que cette question de fraude fiscale soit réglée, que l'on s'attaque à l'optimisation fiscale et que l'on mette tout ça derrière nous pour avancer.

Là-dessus, il y a un grand non-dit qui existe encore aujourd'hui, c'est la question des frontières de l'Europe. Jusqu'à où l'Union européenne doit se développer ? On parle aujourd'hui beaucoup d'intégration politique, économique, ùais les frontières ? Notamment, que doit-on faire avec la Turquie ? François Hollande a rompu avec la ligne Sarkozy parce qu'il a décidé de rouvrir un chapitre dans les négociations entre l'UE et la Turquie. Quelle est votre position là-dessus ?

J'ai une position ancienne qui était que je voulais que l'on approfondisse l'Union européenne avant de l'élargir. Malheureusement je dois dire que ça n'a pas été le cas. Jacques Chirac a décidé exactement l'inverse, c'est-à-dire, au lieu d'approfondir, élargir. Tout ça sous pression, d'ailleurs, des Britanniques. C'est-à-dire sous pression de ceux qui ont une vision de l'Europe comme un simple grand marché où peuvent circuler librement les biens, les hommes, les capitaux, et où l'on peut faire du business. Pour moi, l'Europe ce n'est pas ça. Pour moi, l'Europe c'est aussi un ensemble de valeurs qui sont à défendre. Donc je considère qu'il doit y avoir des frontières en Europe. Nos avons parlé tout à l'heure de l'intégration de la zone Euro, le temps de l'approfondissement est revenu. Approfondissons la zone Euro.

Est-ce qu'il faut dire ouvertement aux Turcs "accord d'association, très bien", "libre échange, très bien"...

Je crois qu'il faut dire ouvertement aux Turcs qu'il faut plusieurs cercles. C'était François Mitterrand qui avait proposé cette idée à l'époque, je la trouvais bonne. Il peut y avoir un premier cercle qui est celui de facto de la zone Euro. Allons-y : intégration supplémentaire, approfondissement et démocratie au sein de la zone Euro.

Et gouvernement économique ?

Et gouvernement économique, bien évidemment. Ensuite nous pouvons avoir un deuxième cercle de ceux qui ne sont pas dans la zone Euro mais qui sont dans l'Union européenne, en particulier la Grande-Bretagne et le Danemark. Et puis nous pouvons avoir un troisième cercle de pays qui sont associés. La Turquie est un grand pays. Je dis cela parce que j'y étais il n'y a pas longtemps, en particulier pour visiter les camps des réfugiés syriens qui étaient sur le territoire turc. La Turquie est une remarquable diplomatie qui a beaucoup pesé sur toutes les révolutions arabes, qui est extrêmement présente avec un modèle, espérons-le, laïc, qui pourra peut-être se développer.

C'est une démocratie pour vous, la Turquie ?

Il y a encore des difficultés, il y a encore des problèmes de démocratie, disons que ça va quand même dans le bon sens et disons que c'est un pays peut-être plus stable, avec des difficultés que je ne peux pas nier, évidemment. Mais il y a un modèle turc pour les pays qui ont eu les révolutions arabes chez eux, qui le regardent avec intérêt, et une diplomatie turque extrêmement lourde et forte. Et en plus des relations avec les Américains qui sont très serrées.

Et c'est un marché aussi.

C'est un grand marché et c'est une relation privilégiée avec les Américains. Donc, je dis de faire plutôt des cercles concentriques et d'avoir des pays associés comme la Turquie, qui soient des partenaires.

Et la même chose avec l'Ukraine ?

Oui, sauf que l'Ukraine c'est compliqué parce qu'une moitié de l'Ukraine est vraiment tournée vers l'Europe et une autre moitié est russophone.

Vous voulez la scission de l'Ukraine ?

Non ! Je ne veux rien, moi. Je dis que c'est compliqué, ils ne parlent pas les mêmes langues et une moitié est vraiment russophone, très tournée vers la Russie, vous le savez.

Alors, nous n'allons pas tout à fait quitter la région parce que nous allons parler d'énergie donc ça concerne aussi la Russie et l'Ukraine. C'est une Union européenne très dépendante vis-à-vis de l'extérieur et en particulier de la Russie pour son énergie, pour son gaz. Donc, évidemment, qui dit gaz pense gaz de schiste. Est-ce que vous êtes favorable à l'exploitation du gaz de schiste en France, sous réserve qu'il y en ait d'ailleurs. Parce qu'on dit qu'il y en a, comme en Pologne, mais nous n'avons pas fait les forages pour le savoir.

Je suis favorable à ce qu'il y ait des recherches qui soient approfondies sur la manière d'extraire le gaz de schiste, c'est tout. Je suis pour le principe de précaution, c'est-à-dire que tant qu'il n'y a pas une alternative à la fracturation hydraulique...

Donc vous êtes sur la ligne Hollande ?

Je ne sais pas.

Il dit la même chose que vous.

Je suis contente que Hollande ait une ligne précise, c'est bien, j'en suis heureuse. Mais c'est vrai que la France n'est pas les Etats-Unis, c'est-à-dire qu'aux Etats-Unis les espaces sont beaucoup plus vastes, plus grands, donc on ne peut pas tout à fait comparer. Mais c'est évident que les Américains vont avoir un avantage compétitif énorme.

Un seul chiffre : le prix de l'énergie trois à quatre moins cher que chez nous.

Voilà. Le paradoxe, c'est que ça fait baisser le prix du charbon et qu'on revoit du coup du charbon dans l'Union européenne. Donc c'est sûr que ce n'est pas une bonne nouvelle, paradoxalement, pour l'Union européenne.

Vous pensez que les Polonais ont raison de foncer vers cet Eldorado ?

Non, ce n'est pas ce que je viens de dire. J'ai dit qu'il fallait faire de la recherche, et qu'il fallait trouver des alternatives, regarder si des alternatives existent. En même temps, je comprends très bien la pression de certains peuples qui se disent qu'ils peuvent demain avoir un atout de compétitivité. Donc, nous devons avoir une position équilibrée entre la nécessaire compétitivité, ré-industrialisation, parce qu'il y a des emplois à la clé, et le devoir d'exemplarité de l'Europe en matière de changement climatique.

Qui dit énergie dit aussi, surtout en France, énergie nucléaire. Il y a 58 centrales qui fonctionnent en France. Est-ce qu'il faut fermer les plus anciennes d'entre elles ?

Vous ne proposez pas de refaire des centrales au charbon ?

Non, mais je vous pose la question sur Fessenheim, qui est la plus ancienne centrale en fonctionnement.

Je fais confiance à l'autorité de sûreté nucléaire. S'il faut que l'autorité de sûreté nucléaire soit renforcée avec encore davantage d'experts, faisons-le. Mais je trouve que c'est à ce type d'autorité de se prononcer. Nous, nous devrions avoir confiance dans nos autorités nationales de régulation.

Donc il ne fallait pas promettre la fermeture de Fessenheim ?

Je pense que, d'une manière générale, il est mieux de promettre ce que l'on peut tenir.

Sur ce chapitre de l'énergie nucléaire, vous ne pensez pas du tout à un besoin d'harmonisation en Europe ? Les Allemands ont choisi une voie, nous avons choisi une autre voie.

Vous savez bien que tout ce qui est du domaine énergétique est du domaine national en Europe. Alors, nous parlons de politique européenne parce que nous parlons en fait de politique européenne en matière d'interconnexion des réseaux de distribution énergétique. Mais c'est quelque chose qui relève, aujourd'hui, de chacun des pays, avec pas mal d'effets, disons un peu hypocrites. C'est-à-dire que nous allons dire en France que nous sommes contre le charbon, mais s'il y a un pic de froid nous allons importer de l'électricité d'Allemagne qui va être faite avec le charbon. Et vice-versa, l'Allemagne va dire qu'elle est pour la sortie du nucléaire mais si elle a un problème, elle va importer de l'énergie de chez nous qui sera fabriquée avec du nucléaire. Donc je crois que nous devrons aller au-delà de tout ça et avoir une réflexion d'ensemble sur le mix énergétique dans les années qui viennent.

Donc, la sortie du nucléaire décidée par l'Allemagne, parce qu'en Allemagne je crois qu'il y a 17 réacteurs en fonctionnement, c'est une mauvaise décision ? Ou vous respectez cette décision politique ?

Je la respecte. Après tout, c'est du ressort de l'Allemagne, donc je la respecte, avec l'hypocrisie que je viens de dénoncer. Mais, en même temps, si c'est pour remplacer ces centrales par des centrales à charbon, vous voyez bien le problème que ça pose. Parce que c'est cela qui va se passer et c'est cela qui se passe en Allemagne aujourd'hui. Alors il faut que nous arbitrions. C'est un arbitrage, comme je vous disais tout à l'heure, qui doit prendre en compte le réchauffement climatique et le fait que l'Europe soit en pointe sur cette question. Ce qui quelquefois peut poser des problèmes dans notre commerce international avec d'autres grands pays qui n'ont pas les mêmes exigences. Mais je pense que nous devons assumer le fait que nous ayons des normes très hautes et très fortes en Europe.

Il y a un très vieux serpent de mer qui est la question de la Défense européenne. Michel Rocard avait proposé il y a quelques années de mutualiser l'arme nucléaire. Beaucoup de personnes en politique française avaient ri à ce moment-là, est-ce que vous, vous riez ?

Non, je ne ris pas. Parce que la dissuasion nucléaire n'est pas mutualisée dans les textes, mais de facto on imagine que s'il se passait quelque chose, ça ne concernerait pas que la France et ça pourrait évidemment concerner plus largement l'Europe.

Est-ce qu'il faudrait le formaliser ?

Il faut d'abord faire une chose. Jean-Yves Le Drian est venu au Parlement européen, je trouve que c'est un bon ministre qui dit bien les choses. Il va y avoir un Conseil qui sera consacré à la Défense au mois de décembre, à la fin de l'année 2013. Nous devons aller – c'est ce que nous avons dit avec Jean-Yves Le Drian – vers une mutualisation de nos armées, de nos industries. Nous n'aurons plus les moyens d'avoir les forces de défense nécessaires sans mutualisation. Et en même temps, tant que l'Europe politique n'existera pas, c'est important que de grands pays comme la France gardent une capacité à agir.

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