"Avec l'école, ce que François Hollande a fait est un crime social"

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Déresponsabilisation du citoyen, prolifération administrative, blocages, trahison du projet éducatif républicain… Le président du MoDem et ancien ministre de l’Éducation nationale dresse le portrait d’une démocratie à bout de souffle et redit son amour des livres, qui sont « sa drogue et sa substance »

Entretien avec François Bayrou réalisé par Valérie Toranian, pour la Revue des Deux Mondes (décembre 2016 - janvier 2017)

Vous êtes un lecteur passionné. Comment les livres vous aident-ils dans la vie politique?

Envisager de faire de la politique sans être immergé dans les grands textes, les grandes pensées qui ont façonné notre pays et le monde qui nous entoure m’est inimaginable. Je lis et je relis les auteurs de ma vie, Péguy, par exemple, que je n’ai jamais quitté depuis mon adolescence… Je reste toujours émerveillé par cette intelligence au laser qui voit tout du monde qui va naître. Au tournant de l’année 1900, Péguy comprend tout: le parti intellectuel, la sociologie qui remplace l’histoire, la dévaluation de la mystique républicaine… Les livres m’ont fabriqué, m’ont constitué; ils sont ma drogue et ma substance.

Comment faites-vous pour lire un livre par jour ?

Je lis le matin très tôt, le soir très tard, et au déjeuner quand je suis seul. J’ai beaucoup diminué la lecture des journaux, je préfère garder du temps pour les livres. Quand j’observe mes enfants –  de très bons lecteurs – et leurs amis, je m’aperçois que la presse écrite les captive peu. C’est dommage, et c’est aussi la preuve qu’il y a une forme à réinventer. C’est un problème du temps. Pour l’information, il y a Internet et la radio le matin. Pour les voyages, une liseuse est un outil précieux ; j’ai téléchargé des dizaines d’ouvrages: Montaigne, Pascal, La Fontaine, la Bible, de la poésie, des romans policiers, des romans européens. Mais je n’abandonne pas les volumes imprimés. J’ai tant de livres fétiches, certains peu connus, comme celui du romancier allemand Ernst Wiechert, les Enfants Jéromine. Mais aussi de la poésie (Apollinaire, Aragon, Cadou).

À quand remonte votre passion pour la littérature?

À l’enfance. À la maison, tout le monde lisait à table. Il m’a fallu très longtemps pour comprendre que ça ne se faisait pas! Et aujourd’hui encore, quand je rentre tard chez moi, j’aime prendre du fromage des Pyrénées, du vin et un livre. Je ne connais rien de plus serein que cette heure silencieuse, sous la protection de ce triptyque! Dans mon enfance et ma jeunesse, je passais mon temps à lire. Au détriment de mes devoirs scolaires – j’ai honte de l’avouer – et de mes cours à la fac… Mais le fait d’avoir lu et relu, d’avoir su comprendre les textes et leurs nuances et d’avoir une bonne mémoire m’a permis de réussir les examens et les concours.

Comment expliquez-vous cette addiction à la lecture?

Par la chance. Et par l’exemple de mes parents. Il n’y avait aucune autre distraction possible à la maison. J’avais une passion que je mariais avec la lecture: je réparais d’antiques postes de radio, je me branchais sur les ondes courtes, ces voix du bout du monde me faisaient rêver – radio Moscou, radio Pékin… J’écoutais les émissions avec un casque sur les oreilles et je lisais en même temps. Aujourd’hui, j’en serais incapable: je suis obligé d’entrer dans la profondeur du texte.

Venons-en à Tocqueville. Dans l’Ancien Régime et la Révolution, il analyse l’état de la France au moment de la Révolution: il évoque la centralisation du pouvoir, la domination de Paris, la disparition des contre-pouvoirs qu’exerçaient localement les parlements régionaux, l’avènement de la bureaucratie et de l’administration. D’après lui, tout cela préexiste à la Révolution et sera renforcé avec la naissance de la République. Sa description s’applique-t-elle à la France du XXIe siècle?

Oui. Certainement, même si le livre de Tocqueville que je préfère, ce sont les Souvenirs. Incroyablement vivant! Mais le constat de l’Ancien Régime et la Révolution est profondément juste: regardez la démocratie aujourd’hui, l’hypercentralisation efface le civisme et l’initiative de la société. La démocratie, écrit Marc Sangnier (1873-1950), c’est le choix de porter à son plus haut la conscience et la responsabilité du citoyen. Actuellement nous avons une conscience très faible, à laquelle répond une responsabilité très faible. Pourquoi? Parce qu’un paysage médiatique fondé sur les pulsions de l’instant, marié à une centralisation excessive, nourrit les passions et fait rêver d’un Père Noël qui résoudra tous les problèmes sans effort. Je crois à la puissance des hommes d’État, mais ils sont rares. L’homme d’État est celui qui peut reconstruire la maison dans un moment critique. Charles de Gaulle en est un exemple. La déresponsabilisation de la société est un phénomène massif. Elle s’accompagne d’un autre fait, la prolifération bureaucratique. Non seulement le centralisme laisse croire que tout se règle « là-haut », mais « là-haut » impose une mainmise étouffante sur les organismes vivants, les entreprises, les associations et les familles. « Là-haut » produit des normes et des règlements toujours plus nombreux. Robert Laffont a publié en 1983 un livre génial, extrêmement drôle, de Cyril Northcote Parkinson: les Lois de Parkinson. Dans une administration, explique l’auteur, moins vous avez de travail, plus vous en faites naître et plus vous demandez des collaborateurs pour vous aider à faire face à la surcharge de travail que vous avez créée vous-même. Une administration, dit-il, ne se comporte ni comme un solide ni comme un liquide mais comme un corps à l’état gazeux. Elle occupe tout l’espace qu’on lui offre et exige toujours de l’élargir. Moins il y a de marins, plus il y a de personnel au ministère de la Marine et c’est la même chose pour les anciens combattants… Ce sont les lois de Parkinson. Cela explique sociologiquement et physiquement la prolifération administrative. Tout est lié à l’organisation hypercentralisée de la démocratie française. Tout concourt à la déresponsabilisation du citoyen, au blocage de la société. Cela se vérifie au quotidien. Prenons par exemple la manière dont ont été réorganisées les collectivités locales: Pau a été placée dans la même région que Bressuire et Limoges. Or il faut cinq heures de voiture pour aller de Pau à Bressuire et presque autant pour aller à Limoges. En revanche, Tarbes qui se trouve à moins d’une heure de Pau, est dans la même région que Montpellier… Le pouvoir central a décidé sans la moindre consultation du citoyen, du géographe, du sociologue, de l’historien… Résultat, on multiplie l’administratif: plus le pouvoir est loin, plus il faut d’administration pour assurer la transmission. Le mal français est en grande partie lié à l’hypercentralisation érigée en idéologie jacobine.

Nous sommes dans la tyrannie douce, décrite par Tocqueville, un système qui nous prend en charge du début à la fin : « [le pouvoir démocratique] crée un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse. »

On assiste aujourd’hui à une annihilation des initiatives, à des blocages perpétuels. Je peux citer des exemples absurdes. J’ai visité à deux ou trois reprises des terrains magnifiques entourés de maisons dans des villes qui cherchaient désespérément des lieux pour des logements sociaux. Ces terrains étaient exclus de toute construction parce que, disait-on, ils appartenaient à la zone de bruit de l’aéroport. Mais il n’y avait pas de bruit! Faire constater au préfet qu’il n’y avait pas de bruit était inutile: on ne peut pas toucher à la zone de bruit. La norme a pris le pas non seulement sur les initiatives individuelles, mais aussi sur le réel.

Tocqueville écrivait que l’égalitarisme serait la passion ardente des peuples démocratiques, au détriment de leur liberté. Parlons d’un domaine qui vous passionne, l’école. Sous la IIIe République, on cherchait à élever le niveau d’éducation d’une nation; on ne songeait pas à limiter l’élévation des meilleurs. Aujourd’hui, ne préfère-t-on pas, au nom de l’égalitarisme, niveler vers le bas ? Ne pénalise-t-on pas les plus pauvres, ceux qui ne peuvent pas aller dans le privé, ou s’offrir des cours particuliers ? N’est-ce pas le contraire même du projet républicain et démocratique?

Vous avez parfaitement raison. Je vais vous faire une confidence: j’ai voté pour François Hollande en 2012 ; si j’avais su ce que son gouvernement ferait de l’Éducation nationale, je ne lui aurais jamais donné ma voix – même si je ne l’aurais pas donnée non plus à Nicolas Sarkozy. C’est le seul sujet sur lequel j’éprouve ce sentiment. Sur le reste, François Hollande s’est trompé et a profondément déçu. Mais avec l’école, ce qu’il a fait est criminel. C’est un crime social ; mes amis d’enfance, et moi-même au premier chef, avons été tirés de l’univers qu’on n’écoute pas, qu’on ne peut pas faire évoluer, sur lequel on n’a aucun pouvoir, par l’école. Dans ma classe, on trouvait des fils d’ouvriers, de paysans, de petits commerçants ou d’employés du commerce, de cheminots, quelques fils de professeurs, très peu… C’était ça, l’école: construire un esprit critique, s’affirmer… L’école offrait cela à tout le monde.

Dans quel lycée étiez-vous ?

Dans le petit chef-lieu de canton de Nay, dans les Pyrénées-Atlantiques. Nous étions cinq cents élèves, de la sixième à la terminale. J’ai fait toutes mes études secondaires entouré d’élèves remarquables, qui ont embrassé des carrières brillantes – médecins, enseignants… Par le plus grand des hasards, on m’a offert la possibilité d’apprendre le latin et le grec; sans cet enseignement, je n’aurais pas pu découvrir ce que j’ai découvert de la langue et de la pensée. Quand je pense que c’est un gouvernement dit de gauche qui a supprimé les humanités classiques en France, un gouvernement qui ose se réclamer de Léon Blum, de Jean Jaurès, de Victor Hugo, de Voltaire, des lettrés, des humanistes… Les professeurs sont révulsés mais n’osent rien dire; on les bâillonne idéologiquement, on les écrase sous les obligations administratives, pédagogiques, les réunions, on les oblige à devenir les défenseurs de la réforme qu’ils rejettent, sous peine de sanctions, une première dans l’histoire! On les menace d’être punis s’ils ne se font pas les défenseurs de ce que déclare la ministre. C’est profondément choquant. Je suis scandalisé par ce qui a été fait. C’est un sujet qui me donne envie de monter sur des barricades.

La culture était terriblement élitiste à la fin du XIXe siècle, mais ce n’est plus le cas…

L’égalitarisme prive les individus de l’égalité des chances. Quand s’est ouverte la polémique sur les humanités, sur le latin et le grec, Claude Lelièvre, qui se présente comme l’inspirateur du programme socialiste en matière d’éducation, a déclaré: « Il y a deux grands criminels: l’un s’appelle Georges Pompidou et l’autre François Bayrou. Tous les deux agrégés des lettres, ils ont introduit ou réintroduit le latin en cinquième; c’est un crime contre l’égalité. » Et il poursuit en citant Henri Wallon (du plan Langevin-Wallon) : c’est criminel car cela favorise les destins individuels. Or, dit-il, notre thèse à gauche, c’est que les réussites individuelles sont nuisibles à la réussite collective. La gauche, dit-il, pense que si vous enlevez les meilleurs de chaque génération d’ouvriers et de pauvres, en réalité vous justifiez les inégalités ultérieures. Je n’avais jamais vu exposer aussi clairement des principes aussi attentatoires à l’égalité des chances.

La culture est-elle élitiste par essence?

Sûrement pas. Mais la transmission de la culture répond à une faim, un appétit, qu’il s’agit d’aiguiser et qu’il est criminel de freiner ou d’empêcher. C’est un projet social : il s’agit d’offrir par l’école des découvertes, des chemins à défricher, spécialement à l’intention de ceux qui ne peuvent recevoir ces richesses dans leur famille. Plus on nivèle au nom de l’égalitarisme absolu et moins les défavorisés ont de chance de s’envoler vers des cieux nouveaux…

« La démocratie est un risque et un enjeu », dit Tocqueville. On pourrait reprendre les mêmes termes et les appliquer à la République: la République est un risque et un enjeu. Les valeurs de la République sont aujourd’hui bafouées : la laïcité, par exemple, caricaturée en laïcisme, en idéologie laïque, liberticide… L’islam politique (salafistes, Frères musulmans) s’attaque à la République en proposant une vision de la société, de la place de la femme étrangères à nos valeurs. Qu’apporte-t-on comme réponse à ceux qui veulent transformer ou déstabiliser la République au nom de la liberté?

On apporte peu de réponses: d’abord parce que la parole politique est devenue uniquement technique. Les responsables politiques en France ont désappris à parler, à articuler une pensée avec des mots qui perforent et qui entraînent, des mots de combat, d’élan. Ils parlent chiffres. Évidemment les chiffres comptent, mais sur les grands sujets qui font notre raison de vivre, ils comptent moins que les mots justes. Quand j’écoute la plupart des locuteurs politiques, j’ai l’impression d’entendre toujours les mêmes phrases; c’est de la fausse monnaie. C’est la culture des conseillers en communication, des éléments de langage qui se ressemblent tous. Sans leadership, personne ne peut proposer au peuple une vision. Sur la défense de nos valeurs, de la laïcité, hélas, les responsables politiques ne trouvent pas les mots, personne ne peut les écrire à leur place. On m’a demandé un jour, dans une émission philosophique, de définir le charisme. Le charisme, ai-je répondu, c’est quand quelqu’un se lève pour parler et que les autres tout à coup se taisent pour l’écouter. Certains ont beau se lever, s’installer avec un manteau doré sur les épaules, les projecteurs braqués sur eux, personne ne les écoute. Pourtant la parole politique est une arme: le jour où François Mitterrand a dit « le pacifisme est à l’Ouest et les Euromissiles à l’Est », il a créé un basculement.

Voyez-vous des similitudes entre le XVIe siècle et aujourd’hui ?

Pas des similitudes mais d’incroyables ressemblances. La question du pluralisme religieux a été traitée par Henri IV avec l’édit de Nantes, et, à rebours, effacée par Louis XIV avec la révocation de l’édit de Nantes, qui fut acclamée par le peuple. Pourtant, ce fut l’entrée dans la crise terminale de la monarchie française. Elle ne s’en est pas relevée. Aujourd’hui, les mêmes causes reviennent à produire, quatre siècles plus tard, les mêmes effets. Je trouve cela très troublant. Je sais pourtant que ce sentiment d’être contestés dans notre mode de vie est un ressort très puissant. Mais cela ne peut se traiter qu’en expliquant, qu’en convainquant. On ne peut se battre que s’il y a des responsables publics ressentis comme crédibles, qui disent des choses à la fois offensives, entraînantes et rassurantes. On n’a plus cela aujourd’hui, y compris dans les médias ou chez les intellectuels. La catégorie des « intellectuels », inventée en France au moment de l’affaire Dreyfus, a disparu. On peine à la retrouver ; en tout cas, moi, j’ai du mal.

L’islam politique et la montée du communautarisme sont-ils une menace pour la République?

Il y a une confrontation de valeurs. Car dans l’idéologie religieuse originelle de l’islam, la séparation entre la foi et la loi n’existe pas. Pas de « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » en islam. Heureusement, les musulmans français sont très largement entrés dans la laïcisation. Ils ne vivent pas avec l’idée de trouver la loi civile dans les préceptes fondamentalistes coraniques. En fait, l’immense majorité d’entre eux vit comme les autres Français avec la distinction entre la loi religieuse et la loi civile. Comme citoyens, ils acceptent parfaitement le pluralisme religieux et ils s’en prévalent. Ils n’ont même pas idée qu’on puisse dans notre société n’avoir plus qu’une seule religion, fût-elle la leur. Et il ne s’agit pas seulement de ce qu’on appelle les principes de la République. L’ensemble du monde occidental vit selon les préceptes de Pascal sur la distinction des ordres: il y a l’État, l’univers scientifique, le religieux, le pouvoir, la science, la foi… aucun de ces ordres n’interfère sur l’autre; c’est en pensant cette séparation de l’autorité dans chacun de ces univers qu’on a émancipé l’être humain, que la conscience et l’esprit critique ont pu se former, que la liberté individuelle a pu s’affirmer. Pascal est un bienfaiteur de l’humanité: en nous libérant de l’autorité unique, il nous a fait entrer dans le monde moderne.

La démocratie se définit par le suffrage universel. Or, pour obtenir des voix, beaucoup sont prêts à soutenir des associations clairement communautaristes… Le personnel politique, les élus locaux ont une part de responsabilité dans la montée de cet islam politique. Le clientélisme n’est-il pas une des plaies qui ravage la démocratie aujourd’hui ?

Le suffrage aux élections locales consacre trop souvent le communautarisme. Je connais des élus – je me suis souvent disputé avec eux – qui fragmentent leur électorat en groupes différents, notamment d’origine et de religion, pour donner à chacun des satisfactions. C’est un dévoiement, une perversion de la démocratie. Le phénomène a toujours existé mais il s’accélère en raison des tensions extrêmes qui traversent la société. Au fond, il y a un affrontement séculaire entre deux lignes de conduite politiques et civiques; l’une est l’héritage abâtardi de Machiavel – « la fin justifie les moyens » –, l’autre, dans la lignée de Gandhi, dit: « la fin est dans les moyens, comme l’arbre est dans la graine ». Il y a donc deux cultures, l’une politicienne, l’autre civique. Les premiers pratiquent allègrement le mensonge adapté à leur public: à chaque communauté sa satisfaction. Mais le mensonge a du plomb dans l’aile: Internet rend l’abus de confiance impossible, ou en tout cas beaucoup plus difficile.

Nous venons de vivre deux années particulières. Face au terrorisme, de nombreux débats se sont engagés sur nos institutions : sont-elles garantes de notre liberté et notre sécurité? Notre réponse actuelle est-elle la bonne?

Notre organisation de sécurité doit être améliorée, car il s’agit d’une course sans fin entre l’agression et la défense. Quand l’agression change de forme, la défense doit le faire tout autant. Un petit exemple: j’étais opposé à l’armement de la police municipale, les Flash-Ball me semblaient suffisants. J’ai vu l’attentat de Nice, avec d’autant plus de terreur que le boulevard des Pyrénées à Pau ressemble à la promenade des Anglais et que nous avions un feu d’artifice à la même heure devant un public de 30 000 personnes. J’ai été saisi d’effroi et je me suis demandé: qu’aurait pu faire la police municipale avec des Flash-Ball devant une voiture ou un camion? Rien, évidemment. J’en ai donc conclu qu’il fallait équiper la police municipale d’armes à feu. La réalité de la menace a fait évoluer ma réflexion. La question principale touche à l’organisation du renseignement et à la police de proximité, que Nicolas Sarkozy a supprimée, à mon avis, avec légèreté; il en résulte de graves conséquences. Si l’on dispose d’une police de proximité, on peut l’améliorer; si on la supprime, il faudra bien des efforts pour la remettre en place. L’organisation doit être améliorée en permanence avec des gens suffisamment souples, qui sachent ne pas examiner les choses par le biais de leur intérêt corporatiste ou politique. Un principe à respecter simplement: chaque fois qu’une décision portant atteinte à une liberté doit être prise, il faut un juge. Ce peut être un juge spécialisé, un juge antiterroriste, un juge au fait des réseaux et des risques. C’est d’ailleurs ce que l’on fait pour les internements d’office en établissement psychiatrique. Vous pouvez décider d’un internement mais le juge des libertés doit se prononcer dans les douze jours. Du point de vue institutionnel, il y a un énorme travail international à faire; ce qui a le plus aidé les terroristes ces dernières années, ce sont les frontières. D’un côté de la frontière, si vous êtes repéré, vous êtes traqué. De l’autre côté de la frontière, vous êtes tranquille. Si vous avez une force de police transfrontière, vous êtes bien moins à l’abri. L’échange de renseignements est une arme précieuse contre les réseaux.

Quel est votre point de vue sur la déchéance de nationalité?

J’avoue que je n’avais pas vu la gravité du problème, ni le choc symbolique que cela allait créer auprès d’un certain nombre de personnes. Retirer la nationalité française à des individus titulaires d’une double nationalité qui venaient de tuer ne me dérangeait pas. La proposition a pourtant produit un choc sur deux publics: le public éclairé, qui a eu le sentiment de revenir aux « années noires » de 1940 et de la France de Vichy, et les binationaux. Or nous avons en France beaucoup de binationaux. Ils n’ont pas retenu qu’ils n’étaient en rien concernés, ils ont entendu que leur situation était ciblée. Rien n’est plus fort que les symboles.

Le repli identitaire constitue-t-il une menace pour la démocratie?

Le phénomène n’est ni français ni européen, mais universel. Il touche le monde entier. Le Moyen-Orient, bien sûr, menacé par une radicalité fondamentaliste, les États-Unis avec le « trumpisme ». C’est en partie vrai aussi en Inde avec la campagne préalable à la victoire du Bharatiya Janata Party, le parti des « vrais Indiens ». Cela se joue aussi dans tous les États européens, de l’Est, du Nord et chez nous. De quoi s’agit-il? D’une réaction universelle face à la mondialisation. Personne ne veut être pareil ; on veut être « chez soi et de chez soi ». Le « back to the roots » (le retour aux racines). On ne peut pas ignorer cette vague, mais on peut l’équilibrer avec des personnes qui savent parler de mémoire, d’avenir, qui savent créer de l’émotion. Il est criminel de couper les racines culturelles, d’empêcher les plus jeunes esprits de se rendre compte qu’au fond tout cela a existé, qu’on peut trouver des références dans le passé.

L’Europe est-elle en panne?

L’Europe est devenue, pour les Français, le fourrier de la mondialisation, alors qu’elle était la résistance contre des puissances lointaines et impitoyables.

Elle l’est toujours un peu à travers la monnaie…

Heureusement qu’elle existe pour ça ! L’essentiel de la crise européenne s’explique par l’absence de démocratie réelle. L’Europe s’est construite avec des spécialistes, non avec le peuple: cela vient de la méthode de Jean Monnet, faire l’Europe avec des responsables éclairés, sans trop s’attacher aux désirs des peuples. On comprend bien qu’au lendemain de la guerre, les peuples n’avaient évidemment pas envie de fraterniser avec le voisin responsable de millions de morts. Il a fallu des gens incroyablement généreux pour surmonter ce ressentiment. Seulement la méthode de Monnet ne peut plus marcher: au fur et à mesure que le temps a passé, l’exigence démocratique a grandi. Cette exigence est simple: je suis un citoyen et je ne reconnais à personne le droit de décider à ma place sans me le dire. Or, quelle est la légitimité des institutions européennes, y compris la plus démocratique d’entre elles, le Parlement? Comment le système fonctionne-t-il? Que font-ils ces initiés? Personne ne le sait. Comme les chefs d’État et de gouvernement gardent leurs débats secrets, personne n’est capable de dire ce que l’on prépare ou décide. Tout ceci est insupportable au sens propre du terme. Ces institutions, avec exclusion d’information à destination du peuple, des citoyens, sont ressenties comme inacceptables. Le second problème est celui des compétences: il n’est pas possible que l’Europe soit tatillonne sur les normes de toute nature et ne se saisisse pas des inquiétudes principales des peuples. Elle commence à comprendre les préoccupations de sécurité, mais elle ne considère pas celles du chômage par exemple. La banque centrale américaine (Fed) elle, a le plein-emploi dans sa mission, et le chômage outre-Atlantique n’atteint pas les 5 %.

L’un des effets de la culture égalitariste, c’est aussi la reconnaissance des droits des communautés, des minorités, des identités. C’est le contraire du projet universel républicain où chaque individu pouvait avoir sa chance, quelle que soit sa communauté d’origine...

On pourrait dire que c’est aussi l’inverse du projet national. Quand Voltaire lance à l’un des plus grands seigneurs de la cour « la différence entre nous c’est que vous finissez votre nom, je commence le mien », il y avait l’idée que l’on pouvait, en France, faire son chemin même de naissance roturière, sous une monarchie absolue. Aujourd’hui, la réussite est trop souvent liée à la naissance, au patrimoine hérité. De fait, c’est une société de castes. Et c’est une atteinte grave à l’espérance française.

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