Réforme des institutions: "Il faut encore faire un effort."

François Bayrou était l'invité d'Apolline de Malherbe dans "BFM Politique" ce dimanche 8 avril 2018. Nous vous invitons à revoir la première partie de l'émission où il a été question de la réforme des institutions.

Apolline de Malherbe : Bonjour François Bayrou.

François Bayrou : Bonjour.

Apolline de Malherbe : Merci d’être avec nous et d’être venu sur BFM TV. Cela fait longtemps que que vous n’avez pas pris la parole et vous êtes particulièrement attendu cette semaine. Vous êtes président du MoDem et maire de Pau. Mercredi, Edouard Philippe a donc présenté les grandes lignes de la réforme des institutions. Je voudrais qu’on écoute ce qu’il dit de la proportionnelle.

Discours d'Edouard Philippe

Apolline de Malherbe : 15% des sièges pour les députés… Est–ce que cela correspond à ce que vous espériez ?

François Bayrou : Est-ce qu’on peut dire avant que la réforme présentée est une réforme qui a plusieurs chapitres. Des chapitres qui touchent à la Constitution elle-même. Par exemple, qu’il n’y aura plus de Cour de Justice de la République, cette justice spéciale pour les ministres. J’en avais fait la proposition pendant les quelques semaines où j’étais garde des Sceaux, et cela est repris. C’est la même chose pour le Conseil  Supérieur de la Magistrature. Cela, c’est la partie Constitution. Et la partie Constitution apparemment, il n’y a pas de sujet d’affrontement. Il y a même un consensus très important. Après il y a un deuxième texte, qu’on appelle une loi organique et qui touche à la composition des assemblées - du Sénat et de l’Assemblée nationale. Parce qu’en France, la Constitution dit qu'à chaque fois qu’on doit fixer le nombre de sièges et les conditions d’inéligibilité, alors c’est un loi organique. Et le propre d’une loi organique, elle doit être voté dans les mêmes termes par l’Assemblée et au Sénat, ou alors on passe au référendum. Et il y a un troisième texte qui est le mode de scrutin, qui est une loi qu’on appelle « simple », c’est-à-dire qu’on peut faire des allers-retours entre l’Assemblée et le Sénat, et c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot. Alors sur la Constitution, on l’a dit, il n’y a pas de difficulté. Sur le nombre de sièges, c’était l’engagement du président de la République, et il est bien qu’il soit respecté.

Apolline de Malherbe : 404 députés contre 577 aujourd’hui. 244 sénateurs contre 348 aujourd’hui. Vous êtes favorable ?

François Bayrou : Vous voyez qu’on est dans la gamme de ce qu’était attendu et de ce pourquoi les Français ont voté.

Apolline de Malherbe : Certains y sont réticents… Gérard Larcher dit c’est trop...

François Bayrou : C’est absolument normal qu’il y ait des oppositions. Ce qui compte, dans le débat que nous avons, c’est l’espoir que les Français ont exprimé quand ils ont élu Emmanuel Macron. C’est le projet, le contrat entre celui qui se présentait à la présidence de la République et les Français. Et c’est pourquoi, on va voir qu’il faut encore faire un effort pour que ce soit respecté. Mais il y a un point très important, dans la loi organique, que les Français ont plébiscité, et qui n’est absolument pas respecté dans le texte. Les Français ont plébiscité qu’au bout de trois mandats – c’est long trois mandats : 18 ans pour un maire, 15 ans pour un député – on change. Au bout de trois mandats, on peut se faire élire ailleurs, on peut rester dans d’autres fonctions. Alors, on avait déjà exclu les maires des petites communes (moins de 3500 habitants)…

Apolline de Malherbe : Je voudrais qu’on redonne les éléments : interdiction du cumul dans le temps dit-on, mais enfin la réalité, c’est que ce ne serait appliqué que pour les villes de plus de 9000 habitants.

François Bayrou : C’est pire. On a pas lu le texte qui est bien plus en distance que cela de la promesse. La promesse était au bout de trois mandats, quand on aura voté le texte, ça s’appliquera. Or là, par un tour de prestidigitation, de passe-passe, d'escamotage, ça s’appliquerait si on suivait le texte en 2032 ou 2037. Alors on voit bien pourquoi ça a été fait. Pour essayer de séduire le groupe LR du Sénat : disons la vérité. Et cela ne marchera pas. On a sacrifié une partie importante de la réforme pour avoir leur accord. Et au bout du chemin, on n’aura pas leur accord et on n'aura plus la réforme. C’est pourquoi il va falloir intervenir de manière décisive pour changer cela…

Apolline de Malherbe : Cela veut dire quoi intervenir de manière décisive ? Cela veut dire que vous, vous allez dire…

François Bayrou : Nous et d’autres. Car je suis absolument certain qu’au groupe LREM, il y a aussi des gens qui pensent comme moi, ainsi que dans l’opinion publique. Si vous dites aux Français : "vous vous souvenez, vous avez voté pour qu’au bout de trois mandats,... et ça a fait des polémiques", mais les Français ont bien compris qu’on ne peut plus avoir cet espèce de blocage perpétuel, d’élus qui restent très longtemps dans les mêmes fonctions. Encore une fois, on pourra changer de fonction. Mais le renouvellement exige qu’il y ait cette barrière. Si on leur dit : « Voilà, on va le faire, mais on avait oublié de vous dire quelque chose, c’est que ça se ferait en 2032 ou 2037 ». Eh bien je suis absolument certain que ce tour d’escamotage là, les Français ne l’accepteront pas.

Apolline de Malherbe : Cela veut dire d’Edouard Philippe a monnayé ou tenté de monnayer en espérant que cela ne se voit pas trop ?

François Bayrou : Je pense que le gouvernement a voulu obtenir les voix de ceux qu’étaient contre la réforme. Je crois que cette manœuvre est vaine. Je pense qu’au bout du chemin, il y aura une explication, et qu’on devra la voir de manière claire et transparente. En tout cas, ce serait un abandon extrêmement insupportable de la partie de la réforme à laquelle les Français ont donné le plus leur assentiment.

Apolline de Malherbe : D’autant plus qu’Emmanuel Macron répète à qui veut l’entendre qu’il est le président qui fait ce qu’il avait dit qu’il ferait. Là visiblement, c’est pas le cas...

François Bayrou : Et donc, de ce point de vue là, je ne peux pas accepter ce qui est en train de se tramer. Si vous lisez attentivement les interviews des responsables, du président du Sénat par exemple, a une intense rigolade ! C’est très rare que dans les interviews, le journaliste note « (rires) » ou « (grands rires »)… 

Apolline de Malherbe : En fait, ils se sont faits avoir ou ils ont accepté de se faire avoir.

François Bayrou : En tous cas, pour moi, il y a là un manquement absolu à la promesse faite, et donc il ne faut pas l’accepter. Les manquements, il faut les refuser. Et ce manquement il ne faut pas l’accepter parce que cela veut dire qu’au fond, ce grand moment de rencontre qu’a été l’élection présidentielle, à laquelle beaucoup d’entre nous ont pris part avec un très grand espoir, espoir justifié parce que le président de la République a des qualités tout à fait exceptionnelles. Je ne sais pas si vous avez entendu le discours magnifique pour le Colonel Betrame aux Invalides, qui était un discours pas seulement écrit, mais habité par quelqu’un qui avait le sentiment que quelque chose de grand se jouait là. J’ai trouvé cela profondément heureux qu’on puisse avoir un président de la République qui sache à des moments cruciaux de la vie de la Nation, se saisir de son émotion et de ses attentes. Et situer au niveau de l’horizon, de l’idéal, ce qu’il avait à dire aux Français.

Apolline de Malherbe : Sur ce que vous dites sur le cumul des mandats, je vous repose ma question : sur la proportionnelle qui est un autre volet sur lequel vous avez toujours été très engagé, 15% de proportionnelle est-ce que là encore c'est une « rigolade », est-ce que c'est suffisamment sérieux ?

François Bayrou :  Vous voyez bien que 15% de proportionnelle, ça veut dire 60 sièges. Si on a un mode de répartition des sièges qui est simplement l'application du nombre de voies obtenues, par les différents courants politiques du pays, les grosses écuries, sur les 60 sièges, vont en prendre 35/40. Il va donc rester 20 sièges à se partager entre les minoritaires. 20 sièges, sur 400. Cela veut dire que un courant qui aura obtenu 10%, c'est à dire 2 millions de voies, aura 5 ou 6 sièges. C'est dérisoire.

Si on veut obtenir les vertus que ce mode d'élection apporte à la vie publique, c'est à dire une stabilisation et une justice, il faudrait plus de sièges que ça. J'avais dit 100, on peut trouver. Tous les pays européens sans exception ont un mode de scrutin très largement voire intégralement proportionnel.

Apolline de Malherbe : En Autriche, proportionnelle intégrale et on voit l'état du gouvernement aujourd'hui, avec la montée du populisme, Italie 386 sièges à la proportionnelle, 225 sur le scrutin majoritaire et là encore on voit le résultat... N'est-ce pas une fausse bonne idée pour favoriser les populismes ? 

François Bayrou : Ce n'est pas une fausse bonne idée quand on voit sur 26 pays sur 27 qui l'appliquent : l'Allemagne, les pays scandinaves, hors de l'UE vous regardez la Suisse, ce sont des pays stables et des leaders en Europe. L'Italie, la situation est complètement différente, c'est que c'est l'opinion publique qui est explosée en Italie. Les deux populismes – je n'aime pas trop ce mot – d'extrême droite sont arrivés en tête aux élections. Et les partis dits de gouvernements plus « stables » sont arrivés derrière. Le responsable en Italie n'est pas la proportionnelle. Il y a une prime majoritaire, comme nous avons en France, qui finalement, ne marche pas si mal, disons la vérité ; toutes les villes sont gérées avec ce mode de scrutin là. Les vainqueurs ont gagné, on leur donne une majorité, les autres on les représente. Toutes les communes de France sont gérées de cette manière. 

Je vais ajouter un mot très simple : on nous dit : « la quatrième République », qui est un régime qui a redressé la France, en ayant beaucoup réfléchi au sujet de la « cinquième République », la quatrième était un régime instable. Il se trouve que l'antidote à ce poison a été trouvé par le Général de Gaulle et s'appelle « fonction présidentielle ». Elu au suffrage universel, le président ne dépend pas de l'assemblée, des manœuvres d'appareil. Il forme le gouvernement comme il l'entend, donc il ne peut y avoir d'instabilité. Et s'il y a une instabilité le président a toutes les armes : droit de véto etc...

Apolline de Malherbe :  Vous dites ça - on a le sentiment - afin de rassurer Emmanuel Macron et de dire « vous avez du pouvoir, lâchez un peu de lest »...

François Bayrou :  Il sait ce que je pense. Le président a un droit de véto sur toutes les décisions du gouvernement, la possibilité d'obliger à un vote au 49.3, le référendum, dissoudre l'assemblée...

Apolline de Malherbe : Concrètement, maintenant qu'Edouard Philippe a fait cette présentation, est-ce que vous avez de la marge de manœuvre avant la présentation au conseil, que cette dose de proportionnelle peut évoluer et comment ?

François Bayrou : Les députés et sénateurs - ils sont beaucoup derrière moi - ont toute les possibilités de mener une œuvre de conviction, pour ne pas dire une bataille de conviction, à l'Assemblée et au Sénat. De dire : « vous voyez que ça ne va pas », et donc on va modifier cet équilibre là. Parce que ce que je crois et pense c'est que ce n'est pas par hasard que cette promesse a été faite. Il y avait un mouvement de l'opinion publique. Nicolas Sarkozy lui-même avait promis qu'il mettrait la proportionnelle...

Apolline de Malherbe :  Vous refusiez le mot de « pacte » mais on voit bien qu'il y a discussion entre Emmanuel Macron et vous, et qu'il s'était au moins « engagé » auprès de vous sur un certain nombre de points. On a l'impression quand même qu'il vous refait le coup à chaque fois, sur le nombre de parlementaires, vous aviez obtenu nettement moins, là aussi le compte n’y est pas. Est-ce que vous n’êtes pas un peu la dernière roue du carrosse quand même ?

François Bayrou : On va le voir. Si c’était le cas, j’imagine que vous ne m’inviteriez pas deux heures, le dimanche… Il se trouve que j’ai une grande confiance en le président de République. Et comme vous savez, je n’utilise pas cette expression très souvent… Quand j’exprime un mouvement de confiance, c’est que je le ressens profondément. C’est un homme qui a un profil, un visage, une manière de voir les choses, qui sort de l’ordinaire. Et on avait un immense besoin de sortir de l’ordinaire. Il n’est pas prisonnier des moules habituels et des influences. Ici, cela paraît assez clair : le gouvernement lui a dit : « On va essayer de trouver un accord avec le sénat ». Il a dit : « Ok, essayez de trouver un accord avec le sénat ». Mais il a ajouté une chose qui ne vous aura pas échappée : « On votera ce texte en 2019. » Presque un an, donc on a tout le temps d’y réfléchir, d’entendre les mouvements profonds, et de prendre les décisions, ou les orientations qui…

Apolline de Malherbe :   Mais vous n’avez pas peur du référendum ?

François Bayrou : Le référendum est une possibilité si on se trouve en situation de blocage. Si vous lisez attentivement Le Parisien de ce matin, il y a une grande interview du Premier ministre. Il va plus que ce que je n’ai jamais dit moi-même. Il dit à peine entre les lignes que si le Sénat n’écoute pas, on peut changer le mode d’élection des sénateurs.

Apolline de Malherbe :  Ce n’est pas un peu du chantage ?

François Bayrou : Je ne sais pas ce que c’est. Je n’ai pas prononcé cette phrase… Je suis un maire et donc j’ai une idée de ce qu’est la représentation des collectivités locales dans la République. Edouard Philippe va plus loin que ce que je n’ai jamais dit.  Il dit entre les lignes que si on ne s’entend pas, on peut changer le mode d’élection du Sénat et faire comme dans beaucoup d’autres pays, une élection au suffrage universel. Vous voyez bien que ceci créée une tension qui peut être bienvenue. On a un an : 2019.  Si le président de la République a dit 2019, c’est que probablement, il anticipe des évolutions.

Apolline de Malherbe :  Donc vous estimez que ce laps de temps permettra que la discussion évolue, et espérez-vous que ce point sur le non cumul dans le temps et l’autre point sur la proportionnelle puisse évoluer ?

François Bayrou : Je pense que ça doit évoluer, que c’est l’engagement du président de la République, que nous sommes là pour le respecter, et que nous sommes quelques uns à être « porte-parole » de ceux qui ont mis leur espoir dans le président de la République.

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