Candidature de Mme Lagarde au FMI : "Je m'interroge sur la sécurité juridique de sa nomination et l'expérience accumulée"

Image n°136

Invité de Ruth Elkrief, mercredi 25 mai sur BFM TV, François Bayrou a exposé les deux raisons qui l'amènent à ne pas soutenir la candidature de Christine Lagarde à la direction générale du FMI : "la sécurité juridique de sa nomination et l'expérience accumulée".

Ruth Elkrief - Bonsoir François Bayrou, merci d'être l'invité de BFM TV. Christine Lagarde est officiellement candidate à la direction générale du FMI, elle est appuyée par l'ensemble des européens. Timothy Geithner dit qu'elle est une candidate fiable, avec le mexicain toutefois. Est-ce que vous, vous allez jouer les trouble-fêtes ? 

François Bayrou - Je ne suis pas du tout, dans mes réactions, dans l'idée de jouer les trouble-fêtes. Je souligne beaucoup d'interrogations, là où il y a beaucoup d'applaudissements. Des applaudissements presque suspects tant vous avez l'impression que, de la droite à la gauche, tout le monde applaudit, approuve. Moi j'ai deux interrogations, ce sont je crois des interrogations substantielles, lourdes... 

Des interrogations qui l'empêcheraient ? Que vous considérez comme dissuasives, pour accéder au poste de directrice générale du FMI ? 

Première interrogation, Mme Lagarde est sous le coup d'une menace d'enquête sur une affaire, qui sera un jour regardée comme l'affaire la plus grave que la République ait connue, qui est l'affaire Tapie... 

Adidas et CDR... 

...qui est revenue à prendre 270 ou 300 millions d'euros dans la poche du contribuable français, non pas par une décision de justice mais par une décision d'arbitrage privé. Le magistrat le plus important de tout l'échafaudage judiciaire français, il dit... 

Oui, il a reçu un recours et il ouvre une enquête préliminaire... 

Non. À partir de la publication d'un rapport de la Cour des comptes qui est apparu cette semaine, qui était gardé confidentiel et que le site Médiapart a publié, le procureur général auprès de la Cour de cassation a dit qu'il trouvait dans cette affaire beaucoup d'irrégularités et de soupçons d'illégalités. Ce n'est pas tout à fait rien. 

Vous citez Médiapart. Pour vous, c'est une référence ? 

Je trouve que ce qu'ils font pour faire apparaître un certain nombre de documents officiels, mais que l'on garde secret, est bien. Ça, c'est le premier point : il y a une enquête, il y a un soupçon. Quand Mme Lagarde dit "si l'enquête est déclenchée je maintiendrai ma candidature", je trouve ça au moins imprudent. Sur ce point je maintiens mon interrogation. 

Vous, vous dites quoi ? Vous dites "c'est imprudent parce qu'elle risquerait d'être recalée par les américains, parce qu'on se risquerait d'être ridicules après l'affaire DSK" ? Ou bien : "parce qu'elle est incompétente, elle n'est pas capable de tenir ce poste" ? C'est important quand même la distinction. 

Je vais donc aller à la deuxième idée puisque vous m'interrogez sur ce point. Le Fonds monétaire international est devant, à mon sens, deux grandes questions, deux méga questions. La première question c'est la régulation du système financier international. Quand on voit les soutiens que Mme Lagarde a obtenus... Le premier, c'était David Cameron, premier ministre conservateur britannique. 

Mais vous l'Européen vous ne seriez pas fier d'avoir une européenne et une française à la tête du FMI ? 

Oh oui, je suis très fier. Mais je vous dis qu'il ne s'agit pas de fierté. Il s'agit de poser des questions qui sont des questions lourdes, sur l'avenir d'une institution. Je pense que la question de la régulation, que Dominique Strauss-Kahn avait par exemple essayé de mettre sur la table, jusqu'à présent sans succès, est une question très importante. Être soutenu par ceux qui ne veulent pas de régulation, ça ne me paraît pas un signe extrêmement encourageant. Il y a une deuxième question, celle du rapport de force avec la Chine, qui est dans le monde monétaire international vraiment quelque chose de très lourd. Sur ce point là, la question est : "Est-ce que Mme Lagarde porte le bon message ou pas le bon message ? Est-ce qu'elle a l'expérience ou est-ce qu'elle ne l'a pas ?" 

Qui d'autre alors, pour vous, devrait y aller ? 

J'avais cité des noms, par exemple M. Trichet, c'est-à-dire des gens qui ont dans le monde des monnaies... 

Pour vous il a joué un rôle dans la régulation ? (sourire) 

Oui. Je ne sais pas d'où vient votre sourire mais si vous connaissez le dossier, je pense qu'en effet M. Trichet a été un très bon président de la Banque centrale européenne, en tout cas pour la défense de l'euro. 

Vous dites ce soir, il ne faut pas que Christine Lagarde soit directrice générale du FMI ? 

Je dis exactement ce que j'ai dit. Ce que j'ai dit à votre micro, c'est des interrogations. J'ai deux interrogations lourdes, l'une qui porte sur l'affaire Tapie, la deuxième qui porte sur la politique que Mme Lagarde a l'attention de suivre au FMI. Sur ce point j'ai en effet des doutes. Ça fera que au moins il y aura une voix en France, qui ne se sera pas jointe, et sur le plan de l'affaire, et sur le point de la politique et de l'expérience accumulée, à l'applaudissement général que je trouve suspect. 

Et une femme à la tête du FMI, ça ne serait pas bien, la première à la tête de l'institution ? 

Ce serait une très bonne nouvelle. 

Dans le climat actuel, où on dénonce... 

Attention vous allez faire des transitions à mon sens périlleuses... Je vous vois venir, vous allez faire des transitions périlleuses... (sourire) 

(rires) Peut-être. En tout cas où certaines féministes disent qu'on est dominé par un discours masculin, machiste, révélé par l'affaire DSK... 

Elles ont raison. 

Elles ont raison. Donc vous pourriez applaudir une femme à la tête du FMI ? 

Ça n'a rien à voir. On n'est pas là dans une attribution de quota. Je pose des questions qui tiennent à la sécurité juridique de la nomination et à l'expérience accumulée. Sur ces deux sujets j'ai des interrogations et je les exprime. 

Autre question, il y a aujourd’hui une enquête préliminaire qui a été ouverte au parquet d’Evry pour vérifier la véracité de plaintes contre Georges Tron. Il est ministre. Si elles étaient établies, le parquet précise qu’elles seraient susceptibles de recevoir la qualification d’agression sexuelle, peut-être même de viol. C’est une conséquence directe de l’affaire DSK ? Ça change les mœurs françaises aujourd’hui ? Est-ce que c’est la libération de la parole des femmes ou est-ce que c’est la boîte de Pandore que l’on ouvre et qui peut donner tout et n’importe quoi ?

D’abord, il faut être extrêmement prudent. Tout le monde a revendiqué pour Dominique Strauss-Kahn la présomption d’innocence, là nous sommes avec des éléments encore moins établis. Mais si c’est la libération de la parole, c’est bien. Je trouve qu’en effet ces dernières semaines ont montré que le fait qu’une femme soit plaignante dans une affaire aussi grave, ça déchaine souvent contre elle quelque chose comme un soupçon, et même plus qu’un soupçon. Une mise en cause, une espèce de manière de regarder les choses comme si elle était responsable de quelque chose.

Du machisme ?

Je ne dis même pas du machisme, je trouve que la manière dont on regarde les femmes est déséquilibré, n’est pas juste. Cela mérite que l’on corrige cela. C’est affaire d’éducation et c’est affaire de propos de responsables. Quand on est à votre place ou à la mienne, on a une responsabilité.

Est-ce que vous voulez que le modèle américain de la transparence totale de la vie privée des hommes publics soit importé ? Est-ce que du coup on doit être plus moral, faire le lien entre la vie privée et la vie publique ?

Ruth Elkrief, si je faisais l’analyse de la question que vous venez de poser, nous aurions des surprises, parce que aucun d’entre nous ici n’a défendu "la transparence totale de". Ces affaires-là, en tout cas l’affaire importante de New-York, ce ne sont pas des affaires de transparence dont il s’agit. Ce sont des affaires d’agression, de violence, contraires à la loi et qui sont qualifiables de crimes. Ce n’est pas de savoir ce qu’il se passe dans la vie privée des uns ou des autres.

D’accord, mais vous avez vu aussi qu’après, on a aussi évoqué un certain nombre de comportements personnels, peut-être à juste raison. Mais, du coup, nous sommes aujourd’hui confrontés, nous journalistes, vous hommes politiques, à cette question : est-ce que, maintenant, on doit changer de fonctionnement ?

Non, c’est une question très facile, dont la réponse est très facile parce qu’elle est dans le Code Pénal, dans la loi. La réponse c’est que tout ce qui est de l’ordre de la vie privée est protégé par la loi, tout ce qui est de l’ordre de l’entorse à la loi, de délit ou de crime, doit être révélé et condamné. C’est même une obligation légale, pour un fonctionnaire par exemple. Donc, tout cela est extrêmement simple et clair, il suffit d’avoir des repères. Dans aucune de ces affaires, il n’a été question de regarder de la vie privée, des relations ou des histoires que les uns ou les autres auraient pu avoir. Ce dont il est question, c’est de délit et de crime, point à la ligne.

Donc nous ne changeons pas notre philosophie à la française ? On ne se dit pas qu’il y a cette forme de donjuanisme des hommes politiques français ? Il y a des électeurs qui sont flattés parce qu’ils ont des politiques qui sont des séducteurs. Ça c’est la culture française. Et puis on passe, on laisse, on ne relève pas, et à force peut-être qu’on en arrive à des choses…

En tout cas pour ma part je n’ai pas du tout le sentiment de participer de cette culture ni de faire des allusions de cet ordre, jamais. Tout le monde sait que braquer les projets sur la vie privée serait malsain pour tout le monde, pour les journalistes, pour les politiques, pour les citoyens, pour ceux qui nous écoutent. C’est, je le rappelle, interdit par la loi. Il y a des articles du Code Pénal qui disent qu’il est interdit de révéler la vie privée et vous savez bien que l’on peut faire des poursuites pour atteinte à la vie privée, des journalistes le font souvent. D’autre part, quand il y a violence, agression, harcèlement, c’est une atteinte à la loi et la loi doit faire son travail.

J’ai deux questions, brièvement. L’affaire des radars, est-ce que c’est un cafouillage ou est-ce que, dans le fond, c’est compliqué d’être à la fois ferme et de se soucier des gens fragiles qui n’ont pas les moyens de payer des PV trop élevés ?

Les deux, mon général. C’est un cafouillage, un pas en avant, un pas en arrière, deux pas en avant, deux pas en arrière et on ne s’y retrouve plus. Ce n’est pas simple mais essayons d’y mettre des idées simples. Premièrement, tout le monde sait que la vitesse aggrave les accidents de manière dramatique et souvent mortelle. Donc il faut lutter contre les excès de vitesse. La loi les interdit. La question c’est : est-ce que les panneaux signalant les radars font baisser ou pas la vitesse ? Alors moi je veux bien suivre le gouvernement…

On a du mal parfois.

Oui, on a du mal, enfin je vois bien le raisonnement. Mais alors, ce qui me stupéfie, c’est le gouvernement annonce en même temps le contraire de sa décision de supprimer les panneaux. Ils suppriment les panneaux mais en même temps ils annoncent qu’ils vont mettre en place ce qu’ils appellent joliment des "radars pédagogiques".

Vous, vous dites quoi ? On arrête la signalisation, point final, et on en reste à la première décision ?

Moi je vous dis deux choses nouvelles qui pourraient changer l’attitude des conducteurs. Pourquoi n’y a-t-il pas une alerte dans votre voiture, un "bip bip", quand vous dépassez la vitesse prescrite ?

C’est ce que proposent les ligues de défense pour la sécurité routière.

Ça c’est simple.

Absolument.

Vous mettez un petit capteur dans la voiture, et le petit capteur vous fait "bip bip" quand vous dépassez la vitesse prescrite. Ça serait très utile. Deuxièmement, j’ai proposé souvent que l’on mette ce qu’on appelle des radars sur un tronçon de route long pour qu’on mesure votre vitesse moyenne. Là, vous n’auriez plus d’excès de vitesse. Ce n’est pas si compliqué, n’est-ce pas ?

François Bayrou, dernière question. L’effacement de la scène politique de Dominique Strauss-Kahn pourrait vous bénéficier, parce qu’il était un peu social-démocrate, il mordait un peu au centre, à gauche… Est-ce que c’est ce que vous escomptez parce que, pour le moment, dans les sondages, ni Nicolas Sarkozy ni vous-même n’en bénéficiez, apparemment ?

Rien ne s’est passé dans les sondages depuis cet événement en direction de l’élection présidentielle. Nous en sommes très loin et les esprits n’ont pas encore intégré tout ce qu’il s’est passé et qui est beaucoup plus de l’ordre de la société, des inquiétudes, des valeurs, des rapports aux femmes, que des résultats ou des intentions de vote pour l’élection présidentielle. Ça viendra mais ça n’est pas le sujet. Le sujet est beaucoup plus lourd et beaucoup plus large, il touche au contrat de confiance qui existe entre les citoyens et ceux qui les représentent. Cela c’est, avouez-le, une chose très lourde.

Martine Aubry, François Hollande, lequel est le plus fréquentable pour vous ?

Je n’ai pas à exprimer de préférence. Ils vont avoir une compétition rude, je connais les deux. Vous alliez me poser une question tout à l’heure sur les propos du ministre de l’Intérieur sur l’éducation.

Sur l’intégration des enfants d’immigrés, en un mot. Vous étiez ministre de l’Education nationale. Vous êtes choqué ?

Je voudrais vous dire ceci, vous ne pouvez pas faire de l’immigration l’obsession de la société sur tous les sujets sans avoir des conséquences qui seront des conséquences redoutables. Il y a de l’échec scolaire, c’est vrai, mais vous ne pouvez pas l’affecter à l’immigration. Il y du chômage, c’est vrai, mais vous ne pouvez pas l’affecter à l’immigration. Nous savons très bien que beaucoup d’enfants qui viennent de milieux culturels ou sociaux qui ne sont pas installés dans la société ont plus de mal que les autres à l’école. Occupez-vous de leurs problèmes culturels et sociaux, pas de leur origine. Pour le reste, que ceux qui ont la charge de réguler l’immigration fassent leurs preuves sur ce sujet.

Je reçois la lettre d'information du Mouvement Démocrate

Engagez-vous, soyez volontaires

A nos côtés, vous serez un acteur de nos combats pour les Français, pour la France et pour l'Europe.

Chaque engagement compte !

Votre adhésion / votre don

Valeur :

Coût réel :

20 €

6,80 €

50 €

17 €

100 €

34 €

Autres montants

Qu'est ce que la déclaration fiscale sur les dons ?
Filtrer par