Discours de Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, à l'Université de rentrée 2018

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Retrouvez l'intégralité du discours de Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, à l'Université de rentrée 2018, ce vendredi 21 septembre.

François BAYROU. - Mes chers amis, il faut que je salue, pour être protocolaire, les membres du gouvernement présents dans la salle, les nôtres si j'ose dire, Geneviève Darrieussecq et Jacqueline Gourault etnosamis si proches, Sophie Cluzel et Jean-Yves Le Drian, amis très proches pour les deux.

Peut-être un certain nombre d'entre nous ne le savent pas, mais le nom Cluzel est un grand nom centriste et la mémoire de celui qui le portait est présente parmi nous. Tu transmettras le message comme il convient.

Quant à Jean-Yves Le Drian, c'est la septième fois que nous venons à Guidelet,les six fois précédentes, nous l'avons invité, quoiqu'à l'époque nous ne fussions pas dans la même alliance politique, mais nous pressentions et nous n'étions pas les seuls. Par exemple, Bruno Joncour savait et nous échangions avec lui autour de cette idée qu'au fond, la nature des choses politiques, si on veut vraiment la prendre au plus profond de l'idée que l'on se fait de l'action à conduire et des rapports entre les hommes, faisait qu'il était naturel que, Jean-Yves Le Drian et nous, nous nous retrouvions un jour attelés à la même œuvre, à la même entreprise.

Sixfois nous l'avons invité et six fois il n'a pas pu. Je soupçonne qu'une ou deux fois, cela devait être en pleine élection et, donc, il n'a pas pu, avec toutes les raisons diplomatiques que cela impose, mais comme dit Victor Hugo, à la septième fois, les murailles tombèrent et Jean-Yves Le Drian est là.

Pasbesoin d'insister sur cette idée, chacun d'entre vous le sait, toute ma vie politique a été placée sous cette conviction : la France changera le jour où les gens qui pensent largement la même chose, qui ont largement les mêmes valeurs, accepteront de travailler ensemble au lieu de s'opposer artificiellement. Et tout le monde sait ici, qu'il fut pour ou contre à l'époque, à quel point cette idée a dirigé nos pas et les risques que nous avons pris pour elle.

Je suis très heureux que Jean-Yves Le Drian soit là et soit là, comme chacun le sait, dans un moment qui est un moment politiquement crucial. Dans cette rentrée, se jouent des choses essentielles dont nous allons avoir l'occasion de parler longuement pendant ces trois journées, des choses essentielles qui tiennent au soutien des Français, à la nécessité du soutien des Français, à l'œuvre qui a été entreprise qui n'est pas seulement pour moi une œuvre de réforme, mais qui est une œuvre de construction d'un projet de société.

C'est ce projet de société qui est peut-être insuffisamment illustré, formulé, mis en place, parce que nous le croyons profondément fédérateur. Si vous regardez l'ordre des interventions du programme, cela n'a pas été fait tout à fait par hasard. Par exemple, la question de la solidarité et des solidarités va être la première question traitée dès que Jean-Yves Le Drian aura fait devant nous le panorama géopolitique que sa mission lui impose de découvrir et d'ordonner, s'il le peut.

Donc c'est un moment crucial et, dans ce moment crucial, je crois pouvoir dire que tout le monde sent que notre mouvement est appelé à jouer un rôle crucial, pas pour des raisons de politique politicienne, pas pour des raisons de partis, ce ne sont pas les étiquettes qui sont en cause, ce ne sont pas les intérêts partisans qui sont en cause. Ce qui est en cause, c'est le regard que la France jette sur son avenir, la volonté qu'elle mobilise pour le changer, la nécessité que nous avons de partager avec nos concitoyens la certitude que, nous France, nous portons un projet qui ne ressemble à aucun autre, que contrairement à ce que tant de gens écrivent, la question n'est pas seulement d'adaptation de la France au monde comme il est, elle est de proposition de la France, de proposition par la France d'un projet pour ce monde si tourmenté, et pour la société telle qu'elle est, et pour les difficultés qu'elle rencontre.

C'est pourquoi il est si important pour nous de consacrer un vrai temps de réflexion.

Comme chacun d'entre vous le sait, y compris Jean-Yves Le Drian, il y a des universités de rentrée, des fêtes de rentrée qui sont uniquement de mobilisation militante. Cela n'a jamais été le cas chez nous. Chez nous, nous avons toujours voulu que la réflexion approfondie, autant que l'on pouvait approfondir, soit le vrai sujet de ces journées.

Voilà pourquoi le monde comme il est, la société française comme elle est, les difficultés avec le choc de cette société avec un projet qui soit à la fois réaliste et généreux en même temps, est pour nous si précieux.

C'est pourquoi je suis très heureux que Jean-Yves Le Drian soit là, car l'expérience qui est la sienne, cinq années ministre de la Défense nationale, on disait cela à l'époque, l'appellation, Geneviève, a légèrement changé, maintenant ce sont les Armées et, depuis l'élection d'Emmanuel Macron, ministre des Affaires étrangères et européennes - question de l'Europe et question du monde et, d'ailleurs, on ne peut pas imaginer, en tout cas dans nos rangs, que l'Europe soit autre chose que la réponse à la question du monde -, c'est dire à quel point cette double expérience ministérielle précédée par une magnifique expérience d'élu local comme président de cette région bretonne, fait qu'évidemment la parole de Jean-Yves Le Drian qui n'est pas répandue aux quatre vents - il a quelque chose de taiseux dans son tempérament ; tout le monde voit bien qu’il n'en pense pas moins derrière ses lunettes, mais il a ce goût de l'expression rare, mesurée et, donc, d'autant plus lourde - est pour nous précieuse.

J'invite tous nos amis à accueillir Jean-Yves Le Drian.

Jean-Yves LE DRIAN. - Chers amis, Monsieur le Maire, cher Jo, cher François, Madame la Présidente de la commission, Monsieur le Président, chers amis parlementaires, chers amis, j'allais dire, chers voisins d'abord, mais vous allez comprendre, nous ne sommes plus voisins. J'allais dire chers voisins, car pour ceux qui ne le savent pas, quelques-uns ici le savent - Jean-Daniel en particulier, puisque j'ai été son administré, un administré convenable ! - j'ai habité jusqu'à l'année dernière à 500 m derrière, ici. Donc chers voisins. J'avais l'occasion de constater que se tenait ici cette assemblée régulière et j'ai une petite affection particulière encore dans ce lieu, puisqu’étant né à Lorient, ayant toujours vécu à Lorient, puis à Guidel, j'ai payé une partie de mes études en étant animateur dans cette salle ; on appelle cela maintenant DJ. J'ai fait cela ! Cela fait longtemps. À l'époque cela ne s'appelait pas DJ, il n'y avait pas de réunions du Modem, le Modem n'existait pas.

C'est donc un double, triple, quadruple plaisir ici d'être avec vous, de retrouver beaucoup d'amis, les députés Modem bretons en particulier, Bruno, Jimmy et Erwan, chers voisins géographiques, mais chers voisins politiques, puisque François avait raison de dire que finalement, si j'avais franchi la frontière entre ici et ma maison pour venir il y a six ans ici, cela aurait été, comme dit le Président de la République aujourd'hui, distructif. Nous n'avons pas convenu ensemble qu'il fallait anticiper sur le distructif.

Ce voisinage géographique était aussi un voisinage politique, singulièrement dans cette région où entre l'histoire du Centre en Bretagne dont Bruno est un peu le témoin, issu de la démocratie chrétienne, et l'histoire de la sociale démocratie bretonne, les frontières étaient comme la frontière qu'il y avait entre ma maison et cette salle. Double voisinage.

Mais l'histoire, les institutions, le processus politique faisaient que ces frontières étaient difficilement franchissables, alors que, finalement, sur les grands enjeux fondamentaux, nous partagions les mêmes orientations, que ce soit sur l'ouverture au monde, la solidarité, l'humanisme, l'enracinement, l'Europe.

La Bretagne que j'ai eu l'honneur de présider pendant plusieurs années a d'abord épousé la République, il y a longtemps, mais elle l’a vraiment épousé, et elle a épousé l'Europe depuis quasiment ses origines, mais c'est une région qui, dans ses épousailles, a une fidélité intransigeante et souhaite que le mouvement de fidélité se fasse dans les deux sens, ce qui amène parfois des exigences perturbatrices de notre part, mais sur le fond qui nous séparait, que des histoires personnelles, peut-être des itinéraires et il a fallu le tsunami Macron pour que nous nous retrouvions et que, finalement, je fasse les pas qui allaient de ma maison jusqu'ici. Mais, depuis j'ai déménagé, il n'y a pas de lien, mais la réalité est celle-là.

Je suis ravi d'être là, de vous retrouver, de vous dire aussi, je ne sais pas comment il faudra le formuler un jour, car cela existe vraiment, qu’il y a un progressisme breton qui ne souhaite qu'à s'engager dans ce mouvement que décrivait très bien tout à l'heure François Bayrou.

Je vais aussi beaucoup vous parler de situation internationale en respectant un peu mon horaire, car je dois partir loin après cette rencontre et pour vous faire quelques remarques, peut-être un peu décousues, sur ce que je pense de la situation du monde, en mettant quelques focus sur un certain nombre de points.

D'abord, ce que je constate, il faut que vous en soyez conscients, je pense qu'une partie d'entre vous le sait, il y a au niveau international un moment France. La position que j'occupe au gouvernement me donne un point de vue un peu particulier sur le vaste chantier de transformation lancé par le Président de la République, mais je vois bien que les efforts entrepris à l'intérieur ont des effets considérables à l'extérieur et que, finalement, les ruptures qui se sont produites donnent de la France une image très forte.

Il y a un moment France dans le monde.

C'est sans doute dû au fait de perturbations nombreuses, du fait que l'Europe a les difficultés que l'on connaît, du fait qu'il y a l'épisode Trump, du fait qu'il y a des situations incertaines un peu partout et, donc, on recherche des points fixes et la France est ce point fixe, mais c’est dû aussi à la capacité d’initiative prise par le Président de la République dans tous les domaines. En tout cas, notre activité est forte, notre rayonnement est fort, l'attente est forte et la France est entendue. Il faut que nous gardions cela.

Nous pouvons accompagner ce moment-là, ce moment France, aussi parce que nous nous sommes dotés des moyens essentiels pour notre attractivité. J'en vois quatre qu'il nous faut maintenir avec beaucoup de vigilance et surtout les faire articuler entre eux.

Nous avons entrepris un effort de défense significatif. Geneviève pourra vous en parler plus savamment que moi. J'en ai déjà parlé pendant cinq ans, il faut passer les relais. Mais il n'empêche que le fait d'être aujourd'hui une puissance militaire forte, faisant valoir des preuves, étant en situation de pouvoir le démontrer, est une des quatre cartes de notre action au niveau international.

Deuxièmement, le Président de la République a aussi décidé, avec aussi l'aide et le soutien - cela me concerne directement - des parlementaires, et singulièrement de votre groupe, de faire en sorte que l'aide au développement soit considérablement renforcée. On n'a pas assez dit comment elle avait été considérablement diminuée dans le passé et, aujourd'hui, le fait d'annoncer que l'aide au développement atteindra 0,55 % du PIB à la fin du quinquennat pour atteindre après les 0,70 souhaité par les Nations Unies fait qu'il y a là une nouvelle carte forte dans notre jeu d’action diplomatique et d'attractivité.

Troisièmement, nous avons un réseau diplomatique considérable qui n'est pas uniquement le réseau des ambassadeurs, qui est le réseau de nos présences dans les différents postes du monde, dans 152 ambassades qui font que nous sommes relais, nous sommes porteurs de France en permanence, à la fois dans le domaine diplomatique, mais aussi les domaines économique et culturel.

Quatrièmement, nous avons un président qui prend les initiatives nécessaires, car il a senti aussi que le moment France était là et qu'il peut ne pas durer et que c'est dans cette conjonction-là qu'il faut agir et agir rapidement, ce que nous avons fait, ce qu'il a fait.

C'est la première observation que je voulais faire avec vous sur le contexte. Il y a un moment France et il serait grave de ne pas le fertiliser comme il convient de le faire et nous avons les outils pour mener cette fertilisation.

Deuxièmement, nous sommes à un moment où jamais les risques, les menaces n'avaient été aussi grands depuis la fin de la Guerre Froide. Nous sommes dans une situation de grande conflictualité, de grande volatilité, de risques permanents, de risques de guerre, de risques de terrorisme avec à la fois la puissance des grands acteurs qui n'hésitent pas à faire des démonstrations de force ou à prendre des positions de force et, en même temps, les menaces dues à la fragilité des États faillis et aux formes d'internationalisation du terrorisme.

Jamais on n’a eu une situation aussi dangereuse. Il y a des crises de sécurité partout. Je ne vais pas faire, Marielle, l'inventaire des crises. Je le dis pour les parlementaires de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée qui ont eu le courage de m'écouter avant-hier où je faisais les différents points des différentes crises. Je ne vais pas vous le faire ici mais uniquement les citer, au moins les principales, le Yémen, l'Irak, la Syrie, l'Iran, la Libye, le Sahel, le Venezuela, la Corée, et on pourrait en rajouter.

Chacune de ces crises peut avoir des répercussions sur notre propre situation sécuritaire et, évidemment, la sécurité est la priorité pour le gouvernement, pour le chef de l'État et pour l'ensemble des acteurs du gouvernement qui ont à charge ce secteur.

Certains avaient prophétisé à un moment donné, à la fin de la guerre froide, la fin de l'histoire, avec une idée qui n'était pas automatiquement saugrenue, certains y ont cru, selon laquelle la croissance allait diluer toutes les résistances étatiques, historiques et toutes les conflictualités et allait apporter avec elle la généralisation de la démocratie.

Relisez les textes de cette époque.

Cette conviction était assez largement partagée par un certain nombre d'acteurs. C'est le contraire qui se produit. Des crises se produisent partout, des stratégies d'intimidation de confrontation se multiplient.

Nous sommes dans une situation dangereuse, dangereuse tous les jours. Geneviève le sait bien, je vais prendre un exemple qui n'est plus secret de la semaine dernière : quand, en Syrie, vous avez cinq armées qui s'observent, se regardent, s'espionnent, se combattent, même partiellement, à quelque kilomètre près, et qu'à un moment donné Israël décide d'aller frapper sur la Syrie des restes d'armes chimiques qui n'avaient pas été dilués lorsqu'il y a eu les engagements d'inspection et d'élimination fin 2013, qu'il s'apprête à les frapper, les batteries antiaériennes syriennes ripostent, pensant riposter sur un avion israélien et touchent un avion russe et les Russes annoncent à la France que c'est la France qui a touché par une frégate qui était en mission dans les environs. Et on a failli avoir une crise diplomatique de grande ampleur, mais c'est l'avion russe qui est tombé.

Cela montre bien que, tous les jours, on est dans une situation de conflictualité et de dangerosité. Je voudrais donc que vous sentiez bien cette situation parce qu'elle est permanente et cela suppose d'abord une grande maîtrise, une grande vigilance dans un monde qui n'est plus régulé, je vais y revenir.

Je voudrais, troisièmement, faire avec vous une réflexion sur ce que j'appelle, moi, la crise de la diplomatie.

Nous sommes dans une crise généralisée de la diplomatie et, ceci, pour trois raisons. D'abord parce que, contrairement à la diplomatie historique, aujourd'hui, le respect de la parole donnée n'a plus cours et, quand vous signez un document, quand vous signez un engagement, il peut être renié très peu de temps après. Il n'y a plus de parole d'État crédible, validée, respectée, y compris même aux Nations Unies.

Vous pensez déjà à des exemples qui sont singuliers, j'imagine que vous pensez à Trump, je vais y revenir.

Mais d'un autre côté, il est opportun de rappeler que la Russie avait signé un accord au moment de la dénucléarisation de l'Ukraine comme quoi elle garantissait l'intégrité, l'autonomie de l'Ukraine. On voit ce qu'il en est advenu.

Il n'y a plus de parole, il n'y a plus d'engagement, il n'y a plus de respect de la parole.

C'est une tendance générale. Quand vous voyez un de vos interlocuteurs, vous vous demandez s'il faut le croire ou pas, mais quand l'État signe, vous vous demandez aussi s'il faut le croire ou pas.

Deuxième élément de la crise de la démocratie, c'est le fait que, dans le passé, on se mettait d'accord sur des faits et on essayait, avec les faits, de trouver les compromis, d'éviter les guerres, de trouver des accords, c'est cela le rôle de la démocratie, de faire des traités. Mais aujourd'hui les faits ne sont plus objectifs, c'est-à-dire que, lorsqu'il y a un événement, personne ne reconnaît l'événement tel qu'il est parce qu'il est sans arrêt interprété, ne serait-ce que par les manipulations, par les fausses informations, par les ingérences dans les fonctionnements démocratiques

Et, si j'ai pris l'exemple tout à l'heure de la Russie qui a dit à la France : « Vous avez vous-même attaqué mon avion » alors que c'était les Syriens avec les propres batteries russes qui ont attaqué l'avion, cette information-là a été diffusée sur les réseaux sociaux, initiée par la Russie y compris les médias télévisés, comme Spoutnik ou RT.

Il n'y a plus d'éléments objectifs sur lesquels peut s'appuyer la diplomatie.

Puis, le troisième élément que je voulais souligner, qui est sans doute le plus important, c'est le fait que le multilatéralisme est combattu.

Qu'est-ce que le multilatéralisme dont vous entendez parler ? Ce sont quatre choses en même temps. C'est d'abord le fait que les États se reconnaissent sur un principe d'égalité juridique entre eux et qu'ils se donnent entre eux, à égalité, les moyens de vivre ensemble et d'organiser le dialogue dans la recherche de l'intérêt général.

Cela, c'est le premier point.

Le multilatéralisme, c'est aussi le grand idéal qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, a permis de donner naissance aux Nations Unies et de bâtir un ordre de paix et de prospérité.

Le multilatéralisme, c'est le fait que l'on se refuse à régler les rapports entre les États par le biais de la confrontation et du rapport de force bilatéral. Et le multilatéralisme, c'est aussi le fait que l'on a tous conscience que l'intérêt général rapporte plus à chacun que ne pourrait rapporter à chacun le bilatéralisme conflictuel.

Donc, c'est du gagnant/gagnant.

Nous vivons surtout cela avec la conception morale qu'il y a derrière depuis la fin de la dernière guerre.

Singulièrement depuis l'arrivée du président Trump, ce multilatéralisme est systématiquement, méthodiquement, aujourd'hui, déconstruit.

Tout acte collectif faisant l'objet d'un accord est renié, à l'initiative des Américains, que ce soit, on en a beaucoup parlé, l'accord sur le climat, que ce soit l'accord sur l'Iran, que ce soit les engagements pris à l'égard de la crise du Proche-Orient, que ce soit dans le domaine du commerce, les accords que l'on appelle de l'OMC pour engager des procédures conflictuelles à la fois avec l'Europe et avec la Chine.

Et, dans ces initiatives de détricotage, il y a une grande cohérence. Je suis de ceux qui pensent que Trump, il est flamboyant, il est perturbateur, il est ce qu'il est, spectaculaire, mais il est cohérent. Il est cohérent car son principe, c'est que les rapports entre les Nations, entre les États sont des rapports bilatéraux sur la base du rapport de force et à somme nulle.

Regardez, il engage avec chacun des États une discussion, une négociation sur le rapport de force qui aboutit à ce que l'Amérique, « America First », l'Amérique d'abord, l'Amérique en tête, devienne finalement l'Amérique isolée, mais l'Amérique isolée ne le gêne pas.

Donc nous ne sommes pas dans le côté moral, mais dans le côté rapport de force et je ne suis pas de ceux qui pensent que sa période s'achèvera à la fin de ce mandat-ci. Il est susceptible d'avoir un second mandat puisque cette posture, à la fois démagogique mais qui revêt une certaine efficacité, peut avoir des résultats positifs, en tout cas c'est comme cela qu’une partie des Américains peut se représenter ces enjeux.

Le multilatéralisme, c'est ce que porte la France et il va y avoir la semaine prochaine, à partir de lundi à New York, l'Assemblée générale des Nations Unies, le grand sujet sera la refondation du multilatéralisme.

La France doit être, avec ses outils diplomatiques que j'ai évoqués tout à l'heure, à la tête de ce combat pour revitaliser, refonder le multilatéralisme.

Cela, on peut le faire de différentes manières qui doivent se conjuguer impérativement. On peut le faire d'abord en essayant de sauver ce qui doit l'être dans le multilatéralisme sortant, c'est-à-dire rénover le Conseil de sécurité des Nations Unies. C'est vrai que les fondements du fonctionnement des Nations Unies date d'il y a longtemps maintenant et que le monde a changé, il faut l'adapter, faire entrer d'autres partenaires ; tout cela nécessite une réflexion, de l’initiative, de l'agilité mais il faut agir pour préserver cet outil qui est au moins le seul outil de régulation qui existe aujourd'hui.

C'est le même comportement que nous devons avoir à l'égard de l’Organisation Mondiale du Commerce que les Américains bafouent, mais qui est indispensable pour assurer notre propre sécurité des échanges, régulation des échanges.

Donc, premièrement, il faut agir pour rénover ce qui doit l'être dans les outils qui existent déjà.

Deuxièmement, il nous faut aussi parallèlement engager des initiatives pour recréer un multilatéralisme d'opportunité sur chacune des nécessités du moment, prendre l'initiative pour dire : on ne peut plus faire cela là où on le faisait auparavant, mais on va le faire autrement.

Par exemple, lorsque l'arme chimique était déployée en Syrie, c'est la France qui prend l'initiative de créer un partenariat international contre l'utilisation de l'arme chimique, car cela ne peut plus se faire au sein des organismes internationaux parce que la Russie, je n'en ai pas parlé pour l'instant, bloque le dispositif, car il n'y a pas que l'Amérique qui soit en opposition et en détricotage du multilatéralisme.

Créons des outils d'opportunité sur chaque événement qui nous permet nous, à la France, à l'Europe aussi, j'y reviendrai de faire en sorte qu'il existe des creusets, des lieux, des espaces où l’on puisse parler ensemble des sujets lourds. C'est ce que nous avons fait au Sahel en créant le G5 Sahel, je vais m'y rendre tout à l'heure. C'est aussi ce que nous avons fait par l'initiative du Forum de Paris pour la Paix qui va se tenir le 11 novembre et, cela, c'est à l'initiative du Président de la République. Il importe que nous soyons en permanence à l'initiative sur ces sujets. Cela, c'est de la diplomatie active.

Le troisième point, c'est une idée un peu personnelle, mais je pense qu'elle mérite d'être approfondie, nous ne pouvons pas compter, pour refonder le multilatéralisme, sur les deux autres grandes puissances.

On peut éventuellement les banaliser dans nos initiatives, mais face à la manière d'agir des États-Unis, la Chine a développé sa propre logique, elle nous fait un discours tout à fait louangeur de ce que doit être le multilatéralisme, elle se prétend défenseur du multilatéralisme, mais en réalité elle prépare un autre multilatéralisme dans lequel elle aurait elle-même l'hégémonie.

C'est ce que l'on appelle les routes de la soie. Je dis deux mots sur les routes de la soie parce qu'il y a deux interprétations possibles sur les routes de la soie.

Si c'est la première, la France et partenaires, l'Europe aussi doit et peut l'être ; si c'est la deuxième, il faut alors prendre des précautions.

La première, c'est un concept lancé par Xi Jinping disant : le monde doit renforcer ses connectivités, il faut faire un effort considérable pour développer les infrastructures que ce soit ferroviaires, aérienne, routière, maritimes et nous proposons au monde de refaire les routes de la soie et nous investissons en partenariat avec ceux qui voudront pour agir ainsi.

Si c'est cela, pourquoi pas.

Mais j'ai eu une fois un doute car, parlant de Bretagne, cela m'arrive encore, avec un partenaire chinois important, je lui faisais observer que je me réjouissais qu'il y ait des capitaux chinois qui s'étaient investis à Brest dans une école de commerce et il me dit : « Cela, c'est les routes de la soie. »

Je me suis dit, si, cela, c'est les routes de la soie, car, Brest, je connais un peu mon histoire de Bretagne, n'a jamais été sur les trafics de la route de la soie et, par ailleurs, une école de commerce, ce n’est pas obligatoirement une infrastructure de connectivité. C'est qu'il y a autre chose derrière et, quand vous lisez les orientations du XIXèmecongrès du parti communiste, vous voyez que l'horizon que trace Xi Jinping, c'est qu'en 2049 soit, 100 ans après la fondation de la Chine communiste, 1949, la Chine sera la première puissance du monde, c'est-à-dire que l'Empire du Milieu sera à ce moment-là vraiment au milieu.

Donc ne nous épargnons pas ces interrogations même si nous devons avoir, avec la Chine, une discussion franche en mettant nos principes en avant. C'est ce que nous faisons.

Mais je reviens au multilatéralisme et à cette idée sur laquelle je souhaiterais que l'on puisse avancer.

Si j'enlève les trois, je ne vais pas vous dire avec la Russie l'inventaire - j'ai dit deux mots sur la Chine, n'oublions pas la Russie - des éléments de conflictualité que nous avons avec cette puissance, il y a la question de l'Ukraine il y a la question de l’arme chimique, il y a la question de la Syrie, il y a la question des manipulations, il y a la question des ingérences sur nos propres médias, il y a des sujets, mais en même temps ne nous résignons pas à ce que la Russie soit isolée, soit affaiblie, mais il faut avoir avec elle un dialogue franc et de loyauté et vraiment de rigueur, et de vigueur si c'est nécessaire.

J'enlève les trois et que se passe-t-il ?

On voit aujourd'hui d'autres puissances que j'appelle dans mon langage un peu cato-historiquement, pour l'instant je ne trouve pas d'autres mots que ceux que je vais vous dire, les puissances de bonne volonté.

Quand on regarde derrière, on voit qu'il y a le Canada, l'Australie, l'Inde, le Japon, le Mexique, des nations, j’en évoque quelques-unes comme cela, qui sont toutes pour le multilatéralisme, toutes avec une certaine capacité économique et politique et toutes des démocraties.

Est-ce que le moment n’est pas venu de parler avec ceux-là et est-ce que le moment n’est pas venu que la France, et l’Europe, puissent engager avec ceux-là une réflexion, une action sur le multilatéralisme de demain ? Je laisse cela à votre réflexion, en tout cas, c’est une des hypothèses sur laquelle je souhaite que l’on puisse travailler.

Je sais que le Président de la République a des recherches un peu du même genre pour sortir, à la fois des angoisses, des impossibilités et de l’incantation à l’égard du comportement à la fois des États-Unis d’Amérique, de la Chine et de la Russie.

Je voudrais enfin vous parler un peu de l’Europe car, évidemment, la réponse aussi, c’est le renforcement de l’Europe dans l’ensemble de cet univers complètement déstabilisé.

Là, je voudrais vous faire part de ce que j’appelle le double paradoxe de l’Europe en ce moment.

Le premier, il y a une musique, en partie justifiée, sur l’Europe qui doute, l’Europe qui s’inquiète, l’Europe qui se disloque, la Grande-Bretagne qui s’en va, l’Europe qui ne pourra pas se relever, l’Europe qui s’éparpille, l’Europe qui ne protège plus, l’Europe des technocrates, l’Europe qui est en recherche d’un destin, l’Europe qui n’avance pas.

C’est sur cette musique-là que toutes les émissions, tous les débats se déroulent. Je ne vais pas dire que ce ne soit pas en partie vrai, mais qu’est-ce que l’on constate ?

Depuis l’année dernière, discours de la Sorbonne du Président de la République, jamais l’Europe n’avait autant avancé sur beaucoup de sujets en même temps. Depuis l’année dernière, il y a eu la reconnaissance au sommet de Göteborg du socle des droits sociaux que le Président Junker veut désormais mettre dans les fondamentaux de l’Union Européenne.

Depuis l’année dernière, il y a eu le règlement de la question des travailleurs détachés que personne ne croyait pouvoir possible de régler. Cela l’a été.

Depuis l’année dernière, alors que nous avons une crise majeure avec les États-Unis sur les enjeux commerciaux, l’Europe non seulement prend des contre-mesures contre les Américains, mais reste totalement unie pour mettre en œuvre ces mesures et engage un bras de fer avec les États-Unis sur les enjeux commerciaux. Ce n’est jamais arrivé.

Depuis l’année dernière, l’Europe lance les Universités européennes.

Depuis l’année dernière, l’Europe a enfin commencé à parler de défense, sérieusement. Je dis quelques mots sur ce point car il est, à mon avis, essentiel.

La première fois que j’ai moi-même utilisé le terme de souveraineté européenne et d’autonomie stratégique européenne, c’était il y a quatre ans avec, à l’époque, ma collègue allemande qui est toujours, Geneviève, ministre de la Défense, dans une réunion à Bratislava, je m’en souviens très bien, nous nous étions fait houspiller par l’ensemble des acteurs présents : « Ce n’est pas possible, vous allez créer une armée européenne, mais vous n’y pensez pas. »

Et, aujourd’hui, l’Europe a créé un fonds européen de défense, multipliant par 22 les engagements financiers que l’Europe fera pour sa propre sécurité. L’Europe vient de créer la coopération structurée permanente renforçant les relations d’opérabilité entre les pays européens, l’Europe vient de créer l’initiative européenne d’intervention permettant de développer une culture stratégique commune.

Ce n’était jamais arrivé.

Je pense que le président Trump a un peu aidé puisque, pour notre propre sécurité, lorsqu’il y a eu le Sommet de l’OTAN au mois de juillet dernier, il a laissé entendre que ce n’était peut-être pas obligatoire, que si un pays européen était agressé, les États-Unis, dans le cadre de l’article 5 du traité de l’OTAN, seraient à même d’assurer la sécurité et de riposter. Et donc il y a, maintenant, un doute et, le doute, c’est du poison.

Il y a maintenant un doute sur le fait que, demain, la solidarité atlantique pourrait se manifester si, par exemple, l’Estonie ou la Lituanie se faisait agresser par la Russie ou qu’un groupe terroriste attaque le Monténégro et, si l’Europe ne prend pas en charge elle-même sa défense, alors, nous serons dans un grand affaiblissement.

Mais, depuis un an, oui, cette question, maintenant, ce n’est plus, comment dire, cochon de dire : autonomie stratégique, dans les propos. Depuis un an, cela a beaucoup bougé et c’est cela le paradoxe.

Le paradoxe, c’est, à la fois cela avance comme cela n’a jamais sans doute avancé, qui aurait cru d’ailleurs qu’il y ait eu ce vote du Conseil Européen aussi net sur les droits d’auteur, même sur l’affaire hongroise la semaine dernière ?

Puis, en même temps, le discours ambiant, c’est : l’Europe ne va pas bien. Or, elle avance. Paradoxe.

Le deuxième paradoxe, c’est que ceux qui sont pour la solution nationale, je pense aux Italiens, aux Hongrois en particulier ; ceux qui sont dans ce que j’appelle, moi, le national populisme car, sans doute, l’Europe a-t-elle à un moment donné trop oublié les peuples, mais, là, il ne s’agit pas de cela, il s’agit du repli national pour aboutir à des solutions. Et le discours tenu par les uns et les autres, c’est de dire : La mondialisation vous broie, la mondialisation va vous appauvrir, la mondialisation nous détruit, donc refermons-nous sur nous-mêmes pour nous protéger, or, ce repli-là accroît la mondialisation sauvage.

Nous sommes donc dans l’autre paradoxe, c’est-à-dire ceux qui veulent se protéger de la mondialisation par le national populisme ne peuvent se mettre d’accord sur un schéma car l’addition de plusieurs replis ne fait pas une politique et, au contraire, sur les grands enjeux de la mondialisation de demain, ils provoquent la dérégulation puisqu’ils ne se donnent pas les outils nécessaires pour s’en protéger, je pense au climat, aux migrations, au numérique et à tous les grands enjeux que l’on ne peut pas régler à un seul État.

Voilà la situation dans laquelle nous sommes.

Il nous faut maintenant aborder ce grand enjeu qu’est l’élection européenne avec toute cette donne que je viens rapidement d’évoquer en m’excusant d’avoir été un peu long sur l’ensemble des sujets du monde : la sécurité, le renouveau du multilatéralisme et la force de l’Europe pour se protéger à la tête d’un nouveau multilatéralisme pour refonder la manière de vivre ensemble dans le monde et faire alliance avec tous ceux qui, démocraties et puissances partenaires, pourraient s’y associer.

C’est cela, notre enjeu. Et jamais sans doute une élection européenne n’aura été aussi importante. Je le dis ici avec des Européens convaincus. Mais jamais aussi notre responsabilité n’aura été aussi grande d’expliquer cela et de faire en sorte que l’Europe, pas seulement l’Europe qui protège, je sais que le Président de la République redit sans arrêt « l’Europe qui protège », il faut le dire, mais l’Europe qui s’assume, l’Europe puissance, l’Europe qui n’hésite pas aux rapports de force, l’Europe qui est sûre de sa force ; elle est d’ailleurs réelle car, si les Chinois d’un côté, les Russes de l’autre, les Américains par ailleurs essaient de nous déstructurer en organisant, dans certains États des moyens de déstructuration de l’Union Européenne, c’est parce qu’ils se rendent bien compte qu’il y a, là, une force qu’il convient d’enrayer pour éviter qu’elle soit justement à la pointe de la refondation d’un nouveau monde.

Merci de votre attention.

 

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