Élections en Grèce : "il n’y a pas d’issue crédible en-dehors d’une solidarité européenne sérieuse"

Arrivée de l'extrême-gauche au pouvoir en Grèce, loi Macron, clip anti-djihadiste du gouvernement français, affrontement systématique droite/gauche : François Bayrou a analysé mercredi soir l'actualité au micro de Laurence Ferrari sur i>Télé.

Laurence Ferrari – Bonsoir François Bayrou. Vous ne vous êtes pas encore exprimé sur les élections en Grèce, vous êtes un Européen convaincu ; pour vous, l’arrivée de l’extrême-gauche au pouvoir est-elle une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la Grèce et pour l’Europe ?

François Bayrou – C’est l’heure de vérité. Syriza, le mouvement d’extrême-gauche, allié à l’extrême-droite, a la majorité absolue. Des promesses ont été faites, à mes yeux intenables – en tout cas très difficilement tenables –, au peuple grec qui y croit. On rencontre aujourd’hui beaucoup de gens qui disent « Ne vous inquiétez pas,  c’est certain qu’ils ne tiendront pas leurs promesses ». Mais, lorsque vous vous êtes engagés aussi fortement devant un peuple, vous êtes d’une certaine manière obligés de respecter au moins en grande partie ce que vous avez dit. Ce que je crois, c’est qu’ils vont se retrouver devant une impasse, devant un mur. C’est très simple, en tout cas, d’en tirer l’essentiel. Ils se sont engagés sur une rupture de l’austérité…

… dès la semaine prochaine ils vont augmenter les salaires.

On va augmenter les salaires, les retraites, distribuer de l’argent. Ça fait, au minimum, 12 milliards, dont ils n’ont pas, évidemment, le premier centime. Il faut donc qu’ils les empruntent en plus de l’argent qu’ils doivent emprunter tous les jours pour, comme c’est le cas de la France, payer les frais du gouvernement, les fonctionnaires et tout cela. Comment voulez-vous allez-voir un prêteur, une banque, en disant « Il faut que vous me prêtiez 12 milliards mais, je vous préviens, je n’ai pas l’intention de rembourser la dette que j’ai déjà envers vous » ? C’est, me semble-t-il, une réalité que tout le monde rencontre. Les ménages surendettés, les entreprises en difficulté…

Donc c’est une impasse à coup sûr pour le gouvernement d’Alexis Tsipras ?

Je pense qu’il y a deux options possibles. La première, c’est qu’il ne tienne pas ses promesses ; il y aura alors des désillusions terribles en Grèce parmi tous ceux qui ont accordé la confiance à ce gouvernement, et à l’extérieur de la Grèce parce que ça a fait « tâche d’huile », si j’ose dire. Beaucoup de gens se sont exprimés en disant « c’est formidable, c’est la voie à suivre, c’est le premier domino qui tombe, tous les autres vont suivre ». Il y aurait donc des désillusions très importantes. La deuxième option serait qu’ils aillent au bout de la rupture. Et cette rupture est ingérable.

La rupture, c’est-à-dire quitter la zone euro ?

Sortir de l’euro, oui. Cela est ingérable, du moins si l’on veut garder une capacité d’avoir une économie en bonne santé. Des pays ont fait ce chemin et n’en sont toujours pas sortis dix ans après. C’est le cas de l’Argentine, par exemple. Donc pour moi, en effet, les promesses ne peuvent pas être respectées en l’état. Mais c’est intéressant parce que nous sommes là à un rendez-vous : une certaine manière de voir l’avenir et notamment l’avenir européen est en jeu. Je pense qu’il n’y a pas de possibilité, qu’il n’y a pas d’issue, de chemin crédible en-dehors d’une solidarité européenne sérieuse.

Est-ce qu’il faut renégocier ou non la dette, comme le demande M. Tsipras ? Est-ce qu’il faut l’annuler, comme le demandent d’autres ?

Non, je ne crois pas possible de l’annuler, je viens de l’expliquer. Concernant la possibilité d’allonger la dette, comme vous le savez je suis de ceux qui l’ont proposé depuis longtemps sur ce sujet. Je pense que l’on a mal traité les Grecs, au moins dans les attitudes. Le fait qu’il y ait une Troïka – c’est un mot horrible – anonyme qui vienne et dicte ses conditions, des gens qui paraissent indifférents au sort des peuples, cela a beaucoup joué. L’humiliation qu’a ressenti le peuple grec est une humiliation réelle.

C’est la France qui l’a infligée ? Comme l’Union européenne ?

Non, ce n’est pas la France, pas seulement. Il y a des responsables politiques qui ne font pas attention à l’âme des peuples.

Vous pensez à qui ?

Il y a des attitudes technocratiques qui ne regardent que les chiffres. Je ne dis pas que les chiffres ne sont pas importants…

Vous pensez à Mme Merkel ? Aux dirigeants européens ?

Non, je pense que l’ensemble de ceux qui dialoguaient avec le peuple grec n’ont pas fait attention aux gestes qu’il faut avoir, aux attitudes qui sont nécessaires quand on parle à un peuple. Deuxièmement, les responsables grecs, ceux qui au cours des années, droite ou gauche, se sont succédés à la tête des gouvernements grecs ont été d’une irresponsabilité absolue. Ils ont conduit à des choses qui sont extrêmement lourdes. Mais je ne crois pas du tout qu’un gouvernement comme le gouvernement français puisse annuler cette dette. Excusez-moi de rappeler que la dette de la Grèce à l’égard de la France, ce que nous avons prêté pour aider, équivaut à 40 milliards d’euros. C’est la moitié du déficit annuel du pays ! Il me semble qu’il y a beaucoup de légèreté dans la manière dont on a pris et dont on prend cette question.

Lundi, M. Sapin reçoit M. Varoufakis, ministre des finances grec, qu’est-ce qu’il doit lui dire ? « Soyez raisonnable, on ne peut pas annuler votre dette, on peut envisager de la renégocier en partie » ?

Je pense qu’il y a une chose à lui dire. C’est lui dire, au nom de la France – parce que Michel Sapin ne s’exprime pas en son propre nom – quelles sont les conséquences des engagements qui ont été pris, pour nous, non seulement les banques françaises mais les contribuables français, le peuple français. Nous sommes engagés dans la solidarité avec la Grèce. Nous avons concrètement assumé les conséquences de cet engagement. Je crois que nous avons bien fait de le faire, mais il y a évidemment de la part de la Grèce un engagement à l’égard de la France. Donc je souhaite que Michel Sapin exprime cela parce que le peuple français est partie prenante du redressement de la Grèce en ayant avancé des sommes très importantes pour que la Grèce se redresse. Et je ne lui reproche pas de l’avoir fait, bien entendu !

En France, les voyants économiques sont loin d’être au vert. Les chiffres du chômage, hier, étaient catastrophiques. Michel Sapin estime que c’est la croissance qui va permettre de lutter contre le chômage. Il table sur une croissance à 1,5 à 2%. Est-ce complètement utopique, selon vous ?

Cette phrase, si on l’analyse un tout petit peu, c’est exactement comme si on disait que ce qui supprime la maladie, c’est la bonne santé. Oui, c’est la croissance qui permet de réduire le chômage, on le sait. La question c’est : comment obtenir la croissance ?

Est-ce que la loi Macron permettra de ramener la croissance, selon vous ?

Sur la loi Macron, je crois que, globalement, il faut dire qu’elle va dans le bon sens. On peut, chapitre par chapitre, discuter ou s’opposer. Par exemple, le fait que l’on cible un certain nombre de professions, juridiques ou financières, qui contribuent à l’équilibre de la société française. Je ne suis pas sûr que ce soit bien inspiré mais le Parlement est là pour se faire entendre. Mais, dans l’ensemble, ça va dans le bon sens.

On s’arrache les cheveux en se demandant comment en France il faut une loi pour que l’on ait le droit de transporter des passagers en autocars ! Il y a un certain nombre d’archaïsmes qui, je l’espère, vont être levés. Globalement, il est juste de dire que c’est une loi qui va dans le bon sens, en tout cas pour tous ceux qui se déclarent attachés à un certain libéralisme de l’économie qui est le climat normal dans lequel peuvent se développer les entreprises. Donc le jugement doit être positif et il y aura des votes qui le diront je pense.

Des votes à droite vous pensez ? L’UMP n’est pas en ordre de bataille sur cette loi Macron…

Il y a ceux qui disent « comme c’est une loi du gouvernement, il faut être contre ». Moi je pense qu’avant de dire si on est pour ou contre, il faut mieux lire le texte ! C’est plus équilibré. J’ai l’air de sourire en disant cela mais en fait c’est assez sérieux parce que la question du pays est la guerre de tranchées systématique, qui fait qu’aucune décision - fut-elle de bon sens - n’est prise en compte si l’on se trouve dans des camps différents.

Comme vous le savez, pour moi, cette guerre de tranchées d’un camp contre l’autre est un ennemi personnel. C’est un ennemi historique du pays. C’est pour cette raison que nous nous sommes enlisés, enferrés depuis des années et des années sans pouvoir prendre en compte la réalité élémentaire.

Par exemple, si on veut retrouver la croissance, c’est-à-dire la bonne santé, il y a une chose évidente à faire, un devoir impérieux : simplifier le labyrinthe social, fiscal, juridique dans lequel tous ceux qui veulent entreprendre quelque chose du plus petit artisan ou de la société individuelle jusqu’aux grandes entreprises se retrouvent… C’est impérieux ! Et pourquoi ne le fait-on pas ? Simplement parce que cela prend des tournures religieuses ! Ces textes sont invivables, incompréhensibles par qui que ce soit. Cela est une condition nécessaire : la simplicité, la capacité de comprendre est nécessaire pour créer quelque chose, prendre un risque, développer, investir.

Vous n’incarnez pas visiblement la même opposition que celle de l’UMP de Nicolas Sarkozy. Comment jugez-vous justement l’UMP et les propositions qui sont faites du côté de ce parti ?

Vous avez compris depuis quelques mois que je n’ai aucune envie de perpétuer des guerres. Tout le monde sait que je n’ai pas été dans la période récente très convaincu par Nicolas Sarkozy. Moi, ce que je souhaiterais, c’est que l’opposition dans son ensemble change d’attitude.

Je suis persuadé que dans les difficultés que rencontre le pays, il y a justement les habitudes qui ont été prises à l’intérieur des principaux partis de gouvernement : le caractère caricatural des positions qui sont les leurs. La bonne foi ne peut jamais s’établir. Il y a des habitudes qui font que ce sont des responsables politiques qui n’ont pas d’expérience professionnelle pour la plupart d’entre eux et qui prennent davantage en compte ce qui a de l’importance à l’intérieur du parti que la réalité extérieure car c’est le parti qui distribue les investitures, les sièges.

En Union soviétique autrefois, on appelait ça « nomenclatura ». C’est une attitude nomenclaturiste dont la France souffre parce que s’il y a des élus qui ne sont pas en lien profond avec la réalité des villes, des communautés, des villages, des vies professionnelles, alors ils ne comprennent rien. Et comme ils ne comprennent rien, ils sont entraînés à des langages que personne n’entend plus, dont les mots, dont les sens, dont l’émotion échappent complètement au dialogue qu’il doit y avoir entre citoyens et élus.

Et cette opposition positive que vous appelez de vos vœux, elle sera plus facile à créer avec Alain Juppé qu’avec Nicolas Sarkozy selon vous ?

J’ai comme vous le savez de l’estime pour Alain Juppé et je partage le jugement de beaucoup de Français qui le mettent en premier dans leurs préférences. C’est quelqu’un qui a une expérience et une manière d’être positives. Oui, je crois que c’est un autre style.

Aujourd’hui le gouvernement a mis en ligne un clip anti-djihadiste pour lutter contre les départs en Syrie et en Irak. Cela fait-il partie des premières mesures qu’il fallait mettre en place ?

Je ne l’ai pas vu mais ça ne me convainc pas vraiment. C’est une manière d’asséner une vérité comme ça qui risque de ne pas être entendue. Ne l’ayant pas vu, je ne veux pas le juger. Je dis simplement un mot : cette attitude qui consiste à aller prendre les armes de ses adversaires, en utilisant les mêmes, et en croyant qu’on va le faire de manière efficace, ne me convainc pas. Un clip pour dissuader est plus difficile qu’un clip pour faire adhérer.

Merci beaucoup François Bayrou d’être venu ce soir sur i>Télé.

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