Emission "Bourdin Direct" sur BFM TV et RMC ce mercredi 24 janvier 2018
Retrouvez l'intégralité de l'interview de François Bayrou, au micro de Jean-Jacques Bourdin, ce matin sur BFM TV et RMC.
Jean-Jacques Bourdin : François Bayrou, bonjour.
François Bayrou : Bonjour.
Maire de Pau, Président du MoDem. François Bayrou, trois gros sujets que nous allons développer : les prisons, l’Éducation, et la réforme constitutionnelle. Je vais commencer avec les prisons. Les blocages se poursuivent. Certains surveillants ont peur. Ils ne sont pas assez nombreux. Ils sont mal payés. Vous avez été un éphémère garde des Sceaux. Que feriez-vous ?
Depuis la première minute, ma certitude est qu’il faut remettre à plat, en profondeur, le sujet des prisons en France. Pas seulement sous l’angle des places de prisons. Vous avez entendu au travers des années, des plans successifs de construction, de places de prison, d’ailleurs jamais complètement accomplis. Et puis, on est devant la situation : il y a 58 000 places de prison, il y a 70 000 personnes en prison avec la question très importante des maisons d’arrêt et la question non moins importante des courtes peines et du mélange de catégories différentes de détenus avec tous les risques de contagion à l’intérieur de ces catégories-là. Vous connaissez bien cette réalité : on entre en prison petit délinquant, on en sort caïd. On entre en prison, on en sort radicalisé.
Cette réalité, on la connaît François Bayrou.
On la connaît et personne n’a fait assez. Je ne veux pas dire n’a rien fait parce qu’il y a eu des essais, mais vous voyez bien qu’on est là, dans le sujet des prisons comme dans bien d’autres sujets qu’aujourd’hui le gouvernement a sur sa table de travail. C’est à dire une accumulation d’inactions ou d’incapacités pendant de longues années – longues : pas seulement l’équipe précédente… Cela vient de bien plus loin. Alors que faut-il faire ? Bien entendu, il faut réfléchir à l’organisation du métier de surveillant parce que vous voyez bien que c’est un métier où on commence extrêmement bas dans les conditions de salaire et c’est un métier dont les conditions d’exercice sont difficiles et il faut bâtir toute une carrière à l’intérieur beaucoup plus progressive. On s’obsède sur les statuts, les lettres : « catégorie C », « catégorie B », etc … Moi je pense que l’essentiel – parce qu’au fond ces statuts–là sont trop anciens aussi comme mode de classement – est de bâtir une progression de carrière offerte aux surveillants de prison pour valoriser leur métier et pour qu’ils sachent qu’au fond, il y a une reconnaissance de leurs conditions de travail et des formations.
Dans l’urgence, vous feriez quoi ? Vous réuniriez les syndicats et vous leur diriez cela : réfléchissons ensemble à votre carrière.
Réfléchir, oui, mais je ne suis pas sûr que les grand-messes soient très efficaces en matière de conflits sociaux… Je sais que toujours on y pousse et je sais que la garde des Sceaux fait son métier parce qu’elle se trouve devant une situation extrêmement difficile.
Bonne technicienne, Nicole Belloubet ? Est-ce que c’est une fine politicienne ? Ce n’est pas elle ? C’est Bercy ?
Bien sûr, c’est Bercy et ce n’est pas seulement Bercy, c’est l’ensemble du gouvernement. Donc c’est quelqu’un qui se trouve aujourd’hui devant une situation absolument prévisible et qui ne dépend pas d’elle, qui ne dépend pas de la période récente. C’est la première chose. Il y a une décision à prendre sur la situation des femmes et des hommes qui sont en prison - plus des hommes que des femmes, parce que vous le savez, il y a beaucoup moins de femmes en prison que d’hommes. Cette situation est la suivante : il y a en prison une majorité de personnes qui ont des problèmes psychiatriques. Qu’est-ce qu’on fait ? Rien. Il y a en prison ce que l’on appelle de la radicalisation, c’est à dire, de la contagion, quelquefois par la persuasion, quelquefois par la force de conduite, qui sont des conduites d’intégrisme religieux et au fond de prise de control de la personnalité. On ne peut pas ne pas bâtir des quartiers ou établissements spécialisés pour ce genre de conduite.
Séparer ces détenus radicalisés des autres.
Et séparer les courtes peines des longues peines pour éviter la contagion de ces choses-là. En tout cas, trouver des réponses adaptées et probablement sortir de la philosophie des très grands établissements pour arriver à des établissements de taille humaine. Qu’on puisse avoir un contact direct, personnel, plus respectueux entre les prisonniers et les agents. Ce qui veut dire un très gros effort planifié dans le temps et sans se laisser arrêter par une idée que je trouve, pour ma part, stupide, qui est qu’il faut dix ans pour construire une prison. Il faut dix ans parce qu’on a pas mis les moyens sur la table pour construire une prison. Mais au moment où nous sommes, où comme vous le savez l’argent, est à presque 0%, on a là évidement un devoir d’anticipation, un devoir de prévision de plans, de planification, pour arriver à une situation nouvelle à partir d’une philosophie nouvelle. Parce que ce que je viens de décrire, c’est une philosophie nouvelle des prisons.
Parlons de la radicalisation parce qu’il y a débat : faut-il juger en France les djihadistes français ou françaises arrêté(e)s en Syrie ou en Irak ?
Si on peut les juger en Syrie et en Irak, c’est mieux.
Même s’ils risquent la peine de mort ?
Ceci dépend du gouvernement et des contacts entre gouvernements.
Mais un Français ou une Française condamné(e) à mort en Irak, faut-il le ou la laisser être exécuté(e) ?
Vous voyez bien qu’on touche là à des domaines extrêmement brulants et brutaux. En tout état de cause, qu’il faille un jugement : à coup sûr. On peut imaginer que ce jugement ait lieu chez nous ou on peut imaginer que ce jugement ait lieu dans les pays d’origine, dans les pays où ils sont arrêtés ou où ils se rendent. J’imagine qu’un dialogue d’État à État peut réfléchir à cette question.
Si un Français est condamné à mort en Irak, on demande à l’État irakien de ne pas appliquer la sentence ?
La France est contre la peine de mort donc il est légitime qu’elle s’entretienne avec ces interlocuteurs.
Auprès du gouvernement irakien ? Pour éviter l’exécution ?
Il s’agit de lutter contre la barbarie et on ne lutte pas contre la barbarie par la barbarie. En tout cas, c’est notre vision à nous. C’est notre modèle de civilisation. Donc jugement à coup sûr avec une idée de protection de la société et en même temps, les principes qui sont les nôtres.
Réforme constitutionnelle. On va beaucoup en parler dans les semaines qui viennent. Que veut le président de la République ? Il veut réduire le nombre de députés et sénateurs d’un tiers, il ne veut pas plus de trois mandats consécutifs pour les grandes fonctions, ce qui serait un symbole fort d’ailleurs. Il va falloir obtenir une majorité des trois cinquièmes au Parlement : pas évident à obtenir…
C’est le moins qu’on puisse dire. Mais je vais reprendre le raisonnement qui est le vôtre. Sur quoi le président de la République Emmanuel Macron a-t-il été élu ? Il a été élu sur une proposition faite aux citoyens français de renouvellement en profondeur de la vie politique du pays. Et pour cela, il a dit : il faut prendre un certain nombre de décisions qui sont extrêmement claires. La première de ces décisions : pour que les parlementaires aient plus de poids, pour que la vie parlementaire aux yeux des français soit valorisée, alors il faut moins de parlementaires. Deuxièmement, pour que le renouvellement existe, il faut qu’au bout de trois mandats par exemple quinze ans pour les parlementaires, dix-huit ans pour les élus de grande collectivité, on soit obligé de passer la main, quitte à revenir plus tard. Troisièmement, pour qu’il y ait enfin un peu de pluralisme dans la vie politique française, que tous les grands courants d’opinion, ceux qui font plus de 5% (au moins un million de voix) il faut qu’ils aient une représentation, il faut qu’ils aient une voix à l’Assemblée nationale. Ces trois principes sont indissolublement liés. Il y a une partie du monde politique en place qui est bien décidée à empêcher Emmanuel Macron d’imposer ce renouvellement.
Doit-il céder ?
Le jugement qui est le mien, c’est qu’il ne doit pas céder. Le président de la République a été élu sur cette proposition faite aux Français - il a été élu principalement sur cette proposition-là - et l’avenir du mandat qui lui a été confié par les Français se joue évidemment sur sa détermination à aller jusqu’au bout de ces réformes simples, qui sont évoquées depuis des décennies, bloquées depuis des décennies et qu’un grand nombre de Français attendent, non pas techniquement, mais ils sentent bien qu’il y a besoin de renouveler tout cela, et de mettre de l’oxygène dans tout ça. Ce n’est pas facile.
Donc si la majorité des trois cinquièmes est très difficile à obtenir – même impossible - : référendum ?
La décision du président de la République, elle lui appartient, à personne d’autre. Et cependant, c’est une décision – à mon avis – très importante pour cet avenir. Je ne vais pas lui donner des conseils par micros interposés. Si j’avais quelque chose à lui dire, je lui dirais. Mais pour moi, il y a des moments-clés dans un quinquennat, dans une période politique. Et ces moments-clés sont habituellement des moments que les gouvernances sont obligées de vivre en marche arrière. On fait une campagne, on propose, on promet, et puis devant la difficulté des temps, les entourages vous disent que ce n’est pas le moment, c’est trop risqué. Je pense qu’Emmanuel Macron n’est pas de cette trempe-là.
Donc un référendum marquerait sa présidence.
Un référendum, c’est l’instrument absolu d’une démocratie, parce qu’on s’en remet aux citoyens. Il y a des gens qui croient que ces problèmes sont des problèmes secondaires et dérangeants pour eux. Moi je pense qu’ils sont essentiels.
Il ne doit pas renoncer devant l’obstacle.
Il ne doit pas, ni lui, ni personne d’autre, chaque fois qu’on est en situation de responsabilité, on ne doit pas éviter l’obstacle. C’est ainsi qu’on marque l’exercice de la responsabilité qui est la sienne.
Vous êtes favorable au référendum ?
Vous savez bien que j’étais favorable depuis le premier jour, depuis l’origine. Mon idée c’était qu’il fallait faire cela en même temps que les élections législatives pour que les Français se prononcent en même temps sur leurs élus et sur les nouvelles règles qui allaient être celles qui organisaient la vie politique. Et je connais le président de la République : je pense que ce n’est pas quelqu’un qui a envie de renoncer mais c’est une décision très importante à prendre et il y a beaucoup de gens qui lui proposeront de ne pas prendre ce risque ou ceux qui le verront comme un risque. Pour moi, il n’y a pas de risque. Mais c’est parce que s’en remettre aux Français, sur une question d’organisation, de la vie publique, ce n’est pas un risque. Et interrompre l’élan, ce serait un risque important.
François Bayrou, réforme du baccalauréat des propositions vont être faites aujourd’hui au ministre de l’Éducation nationale. Par exemple : la suppression des filières. Vous connaissez bien les filières.
Oui, c’est moi qui les aie mises en place.
Que pensez-vous de la suppression des filières ? Vous avez vu les premières pistes de travail. Nous verrons ce que proposera le ministre.
Je ne sais pas quel sera le texte exact. Et je ne sais pas ce que sera la décision du ministre de l’Éducation nationale. Je veux dire ceci : au fond, ce qu’on est en train de dire, c’est qu’il y aura un tronc commun et c’est bien. Pourquoi ? Parce que pour moi, l’enseignement secondaire est un enseignement fondé sur la culture générale. Que l’idée d’une spécialisation précoce est de moins en moins une bonne idée parce que le monde est tellement en renouvellement que ça n’est pas par une spécialisation qu’on l’affronte, c’est avec un solide bagage de culture générale. Après, il y aura des options à l’intérieur – au fond, on a fait cela depuis longtemps. Il y a une proposition qui vise à instituer un grand oral, qui représentera à peu près 15% des coefficients. Ce n’est pas une mauvaise idée à condition qu’on le prépare très tôt. Parce que la maîtrise de la langue orale que vous pratiquez, que j’essaie de pratiquer avec toutes les difficultés du monde, cette maîtrise de la langue orale, c’est une des clés de la reconnaissance qu’on obtient dans la société dans laquelle on vit. Si vous avez la parole, la capacité d’exprimer, alors vous êtes respecté et vous pouvez par exemple mettre un terme aux situations de violence. Si vous n’avez pas cette capacité–là, alors vous êtes relégué. C’est très injuste mais c’est comme cela. Cela dépend beaucoup du milieu d’où on vient – social et culturel. C’est pourquoi l’école doit prendre ce relais, par une formation à la langue orale très tôt. C’est là où je voulais en venir parce qu’on ne dote pas les élèves de cette instrument en quelques mois, donc il faudra une période d’adaptation de la formation d’adaptation des programmes, d’adaptation de l’école, à la langue écrite, et à langue orale. Alors on aura une progression. Il y a aussi des élèves qui ont du mal à s’exprimer oralement. Il faut en tenir compte.
François Bayrou, je vais terminer avec les élections européennes, premier grand rendez-vous électoral 2019. Une liste MoDem ?
Non. Sauf événement. Mais la logique c’est que ce grand courant central que nous avons voulu et auquel nous participons, qui voit l’Europe non pas comme un problème mais comme une solution pour les problèmes du pays, doit se présenter uni. Ou alors, c’est qu’il s’est passé entre temps des choses qui sont des alarmes.
Derrière Emmanuel Macron, derrière la République en marche, avec Emmanuel Macron, avec vous le MoDem et avec Alain Juppé ?
Si Alain Juppé le souhaitez, je pense que ce serait une très bonne nouvelle mais il est à la tête d’une ville très importante et très belle et donc c’est à lui de prendre cette décision-là. Je ne suis pas sûr que ce soit son envie. Comme ce n’est pas la mienne.
Vous ne conduirez pas la liste.
Je ne conduirai pas la liste aux élections européennes parce que je pense qu’il est très important de trouver des visages nouveaux pour porter un combat fondateur. C’est un combat qui vient de loin. Il faut des visages nouveaux pour le porter. En tout cas, je plaiderai en ce sens-là.
Merci François Bayrou.
Merci à vous.
Seul le prononcé fait foi.