"Entre le système Sarkozy-Balkany et moi, il y a une incompatibilité de valeurs"
Le couple Balkany, Christine Lagarde et son rôle dans l’affaire Tapie, accusations de Rachida Dati à l’encontre de Brice Hortefeux… Le président du MoDem s’est posé en défenseur de l’honnêteté dans la vie politique ce matin sur BFM TV et RMC, dénonçant les pratiques honteuses dans l'entourage de Nicolas Sarkozy.
Notre invité ce matin, François Bayrou. Bonjour.
Bonjour.
Merci d’être avec nous. Donald Trump élu, la colère l’a porté au pouvoir. Pourquoi est-ce que les politiciens américains, la presse, les sondeurs n’ont-ils pas vu venir cette rage protestataire ? Pourquoi ?
Ils sous-estiment ce qui se passe aujourd’hui, pas seulement aux États-Unis mais sur la surface de la planète. Que se passe-t-il ? Il se passe deux choses extrêmement profondes : le mouvement de mondialisation – qu’on appelle en anglais de « globalisation » – est un mouvement qui crée à l’intérieur des être humains et dans les sociétés un trouble extrêmement profond. Il est accompagné d’un deuxième phénomène, qui fait que plus on avance, plus on voit se creuser les inégalités entre le haut de la pyramide - ceux qui vivent dans le monde ultra privilégié où la puissance de l’argent domine tout - et ceux qui, au contraire, ont de plus en plus de mal avec les fins de mois et avec l’idée que leurs enfants pourraient avoir un sort meilleur que le leur. Ils voient très bien qu'autrefois, l’ascenseur social fonctionnait ! On est plusieurs à venir de milieux les moins favorisés par l’argent, et à avoir cependant pu avancer, marquer d’une empreinte notre vie et peut-être ceux qui nous entourent. Et ce double mouvement - globalisation et creusement perpétuel des inégalités – est insupportable pour les êtres humains. Il y a un troisième mouvement : on leur dit en même temps « On n'y peut rien » et ils sentent que la vie publique est impuissante.
Vous êtes responsable politique, vous leur montrez que vous ne pouvez rien, ce n’est pas pareil.
Je suis en désaccord avec ce point. La vie démocratique est complètement truquée. Vous prenez la France, c’est très simple : vous avez deux partis LR et le PS qui, à eux tout seuls, sont inférieurs à 40 % des voix et ont 99 % des sièges. Tout le monde considère que ce n'est pas mal après tout et que tout cela fait partie de nos institutions.
Je vais revenir sur ce qui se passe en France. Mais pourquoi non plus ne pas accepter de dire que Donald Trump sera peut-être un bon président ? Aujourd’hui encore je regarde des commentaires...
Arrêtons-nous un instant Jean-Jacques Bourdin. Moi, je veux bien tout ce que l’on veut. Quelqu’un qui n’a pas payé ses impôts depuis 20 ans et qui est milliardaire, vous venez me présenter cet homme en modèle civique ? Alors si j’étais aux responsabilités, naturellement je le saluerais comme le président élu des Etats-Unis, ce que Barack Obama a fait et c’est absolument légitime. Mais que l’on vienne me dire qu’un homme qui est milliardaire, s’est arrangé pour ne pas payer des impôts pendant 20 ans, a fait toute sa campagne avec l’insulte à la bouche, serait le modèle dont il faudrait s’inspirer... Ce n’est pas mon modèle et je considère, moi, que nous avons d’autres valeurs à défendre dans une vie démocratique à réinventer !
J’ai remarqué, parmi toutes les réactions des dirigeants internationaux, celle d’Angela Merkel. Je la lis pour nos téléspectateurs : « L’Allemagne et les Etats-Unis sont liés par des valeurs : la démocratie, la liberté, le respect de l’État de droit, la dignité des personnes quels que soient leurs origines, leur couleur de peau, leur religion, leur genre, leurs orientations sexuelles ou leurs opinions politiques. Sur la base de ces valeurs, je propose de travailler étroitement avec Donald Trump ». C’est Angela Merkel, n’est-ce pas la seule dirigeante internationale qui a osé dire les choses ?
Voilà, nous y sommes. Ce n’est pas la première fois que je suis en accord avec Angela Merkel. Vous voyez bien, sur ce sujet précis, elle dit les choses : ce qui passe en premier ce sont les valeurs qui ont construit notre civilisation, ce qui doit être posé comme la pierre de fondation, ce sur quoi on doit bâtir tout le reste y compris les relations internationales. Ce sont les principes sur lesquels nous avons bâti notre pays, notre société et notre civilisation et nos lois, que Donald Trump a, comme vous le savez, piétinés pendant toute la durée de la campagne électorale. C’est pour cela qu’il a eu son succès ! Je sais très bien quel est le mouvement : ces peuples, avec le sentiment de frustration qui est le leur, quand on leur propose des transgressions, des fixations, des stigmatisations, des injures, d’une certaine manière ils y retrouvent leurs propres difficultés. Cela n’est pas une raison pour le faire, le propre d’un homme d’Etat par rapport à un homme politique ou par rapport à un politicien, c'est qu'il ne transgresse pas ces principes !
Récupération de la classe politique française ou pas, vous allez me dire ce que vous en pensez : Marine Le Pen la première a réagi, est-ce que cela veut dire que Marine Le Pen peut devenir présidente de la République ?
Cela dépend des électeurs français. La question sur laquelle le monde des sondages…
Mais pourquoi tant de mal à l’envisager ?
Parce que les principes avec lesquels Madame Le Pen fait campagne sont le contraire des principes que nous évoquions à l’instant. Les voix, le succès électoral sont une chose, mais le fond de cette affaire c’est que les remèdes que Marine Le Pen propose pour la société française sont des remèdes qui sont mortels, qui sont des poisons ! Quelqu’un qui vient dans l’état du monde où nous sommes et qui dit « il faut sortir de l’Union européenne », celui-là propose quelque chose qui est mortel pour la France ! Pas seulement pour la France historiquement, mais pour vos enfants, pour les miens et encore davantage pour les enfants qui n’ont pas accès au pouvoir et à l’argent.
Marine Le Pen dit que ce n’est pas la fin du monde, c’est la fin d’un monde.
Il y a un monde qui s’écroule et il est normal qu’il s’écroule. Après il faut s’avoir quel est le monde qui va se reconstruire. Je ne suis pas simplement pour que l’on fasse, que l’on chante la gloire du chaos. Je ne suis pas pour le chaos, je suis pour que l’on ait une vision, des gens qui veulent construire quelque chose et qui aient le courage de le faire.
Nicolas Sarkozy dit « On combat mieux Marine Le Pen en allant sur son terrain ». Que lui répondez-vous ? Est-ce efficace ou pas ?
C’est une discussion qui, à mon sens, n’est pas fondée. Qu’il faille entendre et exprimer ce qu’un très grand nombre de Français entendent et expriment, je suis non seulement d’accord avec ça mais je crois que c’est le devoir du politique. Mais qu’il faille pour leur plaire proposer des remèdes qui sont mortels, je ne le ferai jamais. Donc je ne suis pas dans la perpétuelle condamnation morale : je n'ai jamais voulu mener le combat sur ce terrain ou en tout cas je ne le retiens pas comme le terrain principal. Le terrain principal, c’est qu’il y a des gens qui veulent amener mon pays, notre pays, à la mort et je ne les laisserai pas faire !
Pourquoi dites-vous que Nicolas Sarkozy a choisi une stratégie exactement parallèle à celle de Donald Trump ? Pourquoi dites-vous cela ?
Vous le savez bien, vous l’avez vu tous les jours et il l’a encore dit hier. Mais encore une fois, ne nous arrêtons pas à cela, ce sont des affaires électorales, on va y revenir j’imagine dans une seconde. Ce qui compte, c’est de savoir si l’on conduit le pays sur le bon chemin ou pas, s’il y a des gens qui sont bienfaisants dans la manière dont ils envisagent l’avenir et la manière dont ils parlent de leurs compatriotes, de leurs concitoyens, de la société que l’on a à faire ensemble... Ou si au contraire - c’est un des principaux sujets d’affrontement que j’ai avec Nicolas Sarkozy - ils passent par le choix perpétuel de la division du pays. Celui qui divise son pays est pour moi malfaisant pour son pays.
Alors pensez-vous qu’en cas de second tour présidentiel entre Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen peut l’emporter ?
Je pense que ce ne serait pas joué, en raison de la violence que Nicolas Sarkozy tous les jours exprime. Mais je ferai tout ce que je peux pour que cette hypothèse désastreuse ne se réalise pas.
Voteriez-vous Nicolas Sarkozy ?
En tout cas, je ne voterais jamais pour Marine Le Pen et je prendrais mes responsabilités comme je les ai toujours prises !
À propos de Nicolas Sarkozy, que répondez-vous ce matin aux attaques récentes dont vous faites l’objet ? Une seule tribune puis vous vous êtes tu. Plus rien depuis, aucune intervention médiatique. C'est la première ce matin sur RMC et BFM TV ! Que répondez-vous ?
Il y a deux choses ! D’abord, je n’aime pas le pugilat. J’aime le combat quand il faut le mener car il a une noblesse, surtout si c’est un combat sur le fond ! Mais je n’aime pas le pugilat ! Je n’aime pas ces affrontements qui donnent à la politique un tour systématiquement méprisable ! Il y a des raisons sur le fond : si Nicolas Sarkozy et ceux qui le suivent attaquent avec cette assiduité, c’est pour une raison profonde, c’est parce qu’ils ont peur de quelque chose !
Peur de quoi ?
Ils ne sont pas rassurés parce qu’ils savent que mon principal combat est l’honnêteté dans la vie politique. Je ne laisserai jamais passer un certain nombre de leurs pratiques et de leurs habitudes.
Que voulez-vous dire par honnêteté ?
Je vais prendre un exemple très simple. Je vais reprendre cette question de l’honnêteté en politique qui a joué un très grand rôle aux États-Unis ! L’attaque de D. Trump contre la corruption du système que représentait Madame Clinton a joué un très grand rôle. Il y avait un meeting à Neuilly dans lequel Nicolas Sarkozy a multiplié pendant 20 minutes les avanies contre moi. Qui étaient au premier rang du meeting ? Monsieur et Madame Balkany ! Applaudissant frénétiquement ! Entourés des honneurs et des sourires généraux ! Je me suis battu et je me battrai contre ces pratiques ! Je vais prendre un deuxième exemple : Madame Lagarde, directrice générale du FMI, va être traduite le 12 décembre devant la Cour de justice de la République à propos de l’affaire dite "Tapie", que l’on appelle ainsi en partie à tort parce qu’il en a été le bénéficiaire mais ce n’est pas le coupable. Est-ce que quelqu’un a posé la question de savoir sous les ordres de qui ou sous l’injonction de qui Madame Lagarde a participé à cette affaire que la justice qualifie "d’escroquerie en bande organisée" ? Il y a un troisième sujet, bien que la question n’ait jamais fait l’objet d’une interrogation dans les débats des primaires... Je ne connais pas d’autres pays où ces questions ne seraient pas venues sur la table. La garde des Sceaux, Rachida Dati, accuse l’ancien ministre de l’Intérieur, Monsieur Hortefeux, de s’être fait payer en liquide pour organiser des entrevues avec le président de la République. Et inversement, Madame Dati accuse - à la télévision, chez vous, à votre antenne - le directeur du renseignement intérieur, Monsieur Squarcini, d’avoir monté un complot pour la liquider, elle ! Est-ce vous croyez que ça va ? Quatrième sujet : on a des annonces de valises d’argent liquide provenant de pays du Moyen-Orient qui se sont déversées sur ces milieux là. À telle enseigne qu’un ambassadeur proche du pouvoir se fait appréhender à la gare du Nord avec 350.000€ en liquide dans une valise !
Cela veut-il dire que c’est une République malhonnête ? Une République corrompue ?
Cela veut dire quelque chose : ils savent que si j’ai la moindre influence, la moindre possibilité de me faire entendre dans la nouvelle époque qui va s’ouvrir à partir des élections présidentielles, je n’accepterai pas que ces pratiques qui sont honteuses se perpétuent. Voilà pourquoi il y a cet affrontement de fond. Je suis le défenseur de valeurs civiques élémentaires. J’ai été responsable de l’éducation civique des jeunes Français ! La première chose que l’on doit avoir en tête lorsque l’on pense à la vie publique, à la démocratie, aux valeurs civiques, c’est qu’il faut que les gouvernants soient honnêtes, qu’ils ne trempent pas dans des trafics. Ce que je dis là, je l’ai écrit dans un livre qui s’appelle Abus de pouvoir qui n’a jamais fait l’objet de la moindre plainte. Tout était établi ! Voilà pourquoi il y a entre le système N. Sarkozy / P. Balkany et moi, une incompatibilité de valeurs !
Les sarkozystes vous reprochent une malhonnêteté intellectuelle après votre vote en faveur de François Hollande. Est-ce que vous gouvernerez avec Alain Juppé si Alain Juppé est président de la République ?
Je l’aiderai, je ferai ce que je dois faire. Mais je m’arrête une seconde sur la phrase que vous avez dite : « vous avez voté pour François Hollande ». J’ai exercé le droit le plus élémentaire du citoyen ! Lorsqu’un président de la République se représente, chaque citoyen a un droit de veto ! Il a un bulletin pour dire « oui, je souhaite que cela continue » ou « non, cela ne va pas continuer ». Inversons le miroir ! Vous avez aujourd’hui des millions de citoyens de gauche qui sont décidés à ne pas re-voter pour François Hollande. Non pas parce qu’ils ont cessé d’être de gauche - comme je n’ai jamais cessé d’être du centre - mais parce qu’ils disent « la manière dont François Hollande a exercé le pouvoir contrevient à mes valeurs ». Cessent-ils d’être de gauche pour autant ? Vont-ils en devenir pestiférés pour autant ? Vont-ils être mis au ban de la société politique pur autant ? Ils exercent leur droit de citoyen ! J’ai exercé le mien et je trouve que ce droit est le moins que l’on puisse concéder ou demander aux Français lorsqu’ils font l’acte démocratique majeur.
Je brandis un tee-shirt « Je soutiens i>Télé ». Hier soir, vous étiez à la soirée d’i>Télé au cours de laquelle les salariés, hommes et femmes de cette grande chaîne de télévision, sont venus se soutenir. Ils n’en peuvent plus ! Est-ce un gâchis, un gâchis moral, un gâchis social, un gâchis économique ?
C’est pourquoi j’y étais. Et nous n’étions pas nombreux ! Je considère que le combat pour le respect de l’honnêteté, de la liberté et de l'indépendance des rédactions, par rapport à l’actionnariat d’une entreprise, est un combat fondateur ! Lorsque le Conseil National de la Résistance a défini ce que devait être la presse de la société nouvelle d’après la libération, il a dit « il faut la protéger des influences étrangères et des puissances de l’argent ». Ce combat là n’a jamais cessé d’être le mien ! Je l’ai montré à beaucoup de reprises.