"Ma conviction profonde est qu’un jour, il va falloir supprimer la totalité de la taxe d’habitation."

François Bayrou était ce matin, dimanche 22 octobre, l’invité du Grand Rendez-vous d'Europe 1, en partenariat avec CNews et Les Echos. Retrouvez l'intégralité de cette interview.

David Doukhan : François Bayrou, Bonjour

Bonjour.

David Doukhan : Et bienvenue. À la fin de l’été, vous disiez, il faut un grand projet social pour Emmanuel Macron. Pour l’instant, on peine à en saisir les contours. Nous évoquerons avec vous cette libération de la parole des femmes : harcèlement, agressions sexuelles, c’est toute la société française qui est secoué et le monde politique ne fait pas exception. Nous vous interrogerons aussi sur votre ami Emmanuel Macron, l’européen, le grand européen mais dont l’enthousiasme semble aujourd’hui se fracasser sur les récifs du réel. On a pu l’observer lors du sommet européen cette semaine. Nous vous interrogerons aussi bien sûr sur la situation en Catalogne. Pour faire tout cela, j’ai réuni les meilleurs, l’équipe du Grand Rendez-vous : Nicolas Barré, directeur de la rédaction des Echos et Laurence Ferrari de CNews. Pour CNews, la première question vous revient.

Laurence Ferrari : Bonjour François Bayrou.

Bonjour.

Laurence Ferrari : On va parler du harcèlement sexuel et des violences faites aux femmes. Depuis l’affaire Harvey Weinstein aux États-Unis, on assiste en France à une explosion des témoignages de femmes de tout milieu, de tout bord, qui racontent le harcèlement qu’elles ont subi ou qu’elles subissent. Sur les réseaux sociaux, le hashtag « balance ton porc » a été débordé par son succès. Monsieur Bayrou, n’est-il pas sain que la parole des femmes émerge enfin ? N’est-il pas temps que les hommes reconnaissent leur comportement et le modifient ? Enfin, y a-t-il une omerta dans la classe politique où les hommes se protègent entre eux ?

Un - c’est un événement de première importance pour la société. Et vous dites la société française. Moi je crois que c’est toute la société occidentale qui est emportée par cette vague qui a été retenue pendant si longtemps, et qui tout à coup, à l’occasion de l’affaire Weinstein, fait exploser les digues. La force et le nombre de celles qui, avec ces hashtags et ces messages, s’expriment, montrent à quel point c’était emprisonné, et à quel point ce sentiment avait besoin de se faire entendre.

David Doukhan : Vous, François Bayrou, par exemple, vous diriez que vous avez combien d’années de vie politique derrière vous ? Est-ce que, dans cette carrière politique, vous avez été témoin de comportements de harcèlement ou d’agressions dans le cadre du monde politique ?

Non.

David Doukhan : Si vous aviez été témoin, est-ce que les auriez dénoncés ?

En tout cas, j’aurais fait ce qu’il fallait. Je ne supporte pas ce genre de comportement. Je trouve que le fait de regarder une femme comme si elle était uniquement un corps ou de la chair, je trouve que c’est indigne et épouvantable.  Et le père de filles nombreuses que je suis, ne supporte pas ça. Mes filles ou pas, ça n’a aucune importance.

Laurence Ferrari :  Mais il y a une omerta dans le monde politique ?

Il y a dans tous les mondes des gens dont on entend dire qu’ils sont lourds avec les femmes, même sans l’avoir jamais vu, avec les jeunes femmes et ça se murmure…

David Doukhan : Juste brièvement, quand vous dites : « j’aurais fait ce qu’il fallait », ça veut dire quoi ?

Cela veut dire que je serais allé voir la personne en question et il aurait entendu parler du pays.

Nicolas Barré : Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, prépare une loi sur le harcèlement de rue. Est-ce que vous croyez à l’efficacité d’un tel texte, sachant justement qu’on se rend compte que la plupart de ces affaires de harcèlement, n’aboutissent jamais et sont classés « sans suite » ?

Oui j’ai vu 95% des plaintes et signalements étaient classés « sans suite ». Si le texte peut faire changer cela, je trouve que c’est très bien. Et la politique pénale, c’est fait pour cela. La politique pénale, dirigée par le Garde des Sceaux, c’est fait pour donner des indications sur ce sujet. Mais quand j’étais Place Vendôme, en effet, j’avais commencé  à préparer un texte sur le délai de prescription pour les viols en particulier. Parce que très souvent ce délai s’oppose à des dénonciations qui ont eu du mal à se frayer un chemin à l’intérieur même de la personne parce qu’il y a un sentiment de honte, de désespoir sur un silence extrêmement lourd.

Laurence Ferrari : Donc vous êtes favorable à l’allongement de la prescription en cas de viol d’une dizaine d’années ?

Oui. Et je suis favorable plus encore à ce que les hommes s’en mêlent. Je veux dire, on fait comme si c’était uniquement un problème où l’expression des femmes était en jeu aujourd’hui. Mais ce n’est pas vrai. Les hommes et notamment l’éducation des garçons en particulier. Parce que c’est là que cela se joue. C’est aussi dans l’attitude, dans la solidarité, des hommes entre eux, dans la conduite qu’ils adoptent, dans le regard qui peut être un regard affectueux et attentif mais qui n’a jamais à être ce manquement au respect des femmes. Disons au passage que des harcèlements, il y en a aussi des hommes qui en sont victimes, dont des garçons en particulier.

David Doukhan : Jean Lassalle par exemple est mis en cause récemment.

Je ne sais rien de cette affaire.

Laurence Ferrari : Votre marque de fabrique, François Bayrou, a toujours été la réduction des déficits et de la dette. Hier, les députés ont voté la suppression de la taxe d’habitation pour 80% des Français, ce qui va creuser la dette. D’autre part, Emmanuel Macron prévoit de réduire le nombre de fonctionnaires de 1600 seulement l’an prochain. A-t-il bien pris la mesure du sujet ?

Il a un plan.  Il a une stratégie. Et ce plan et cette stratégie, je les soutiens. Ce plan, c’est que pour réduire la dette de manière efficace un jour, il faut deux choses : réduire les dépenses,  et il faut que l’économie du pays se porte bien. Il faut qu’il y ait de la vitalité, de la créativité, de l’inventivité, de la souplesse, et tout cela c’est la clé pour qu’une renaissance économique s’impose en France. Et c’est la première chose, parce qu’on parle toujours du côté des dépenses, il faut aussi parler du côté des recettes.

David Doukhan : Mais dès lors que l’économie reprend, le réflexe c’est de faire moins d’efforts. C’est le sentiment qu’on peut avoir en matière de réduction de déficit.

Je ne crois pas que ce soit le cas et il ne faut pas que ce soit le cas. On parlera peut-être tout à l’heure de la Sécurité sociale. Il ne faut pas que ce soit le cas.

Laurence Ferrari : Sur la taxe d’habitation ?

C’est une très bonne décision.  Je suis un maire d’une ville formidable mais les maires n’aiment pas beaucoup ça. Mais en vérité, c’est l’impôt le plus injuste qui existe, que tout le monde accepte. C’est l’impôt le plus injuste au bénéfice des privilégiés et au détriment de ceux qui ne le sont pas. Songez que dans un quartier populaire de Pau, le taux de la taxe d’habitation est deux fois supérieur à ce qu’il est au cœur du 7ème arrondissement à Paris.

David Doukhan : Mais nous connaissons l’argument de l’injustice, mais la question de Laurence Ferrari portait sur le coût. Ça coûte très cher.

Excusez-moi mais vous ne pouvez pas dire cela. (rires) Vous allez voir dans une minute que vous retirerez cela. Vous ne pouvez pas dire : « Mais nous connaissons l’argument de l’injustice.

David Doukhan : On l’a entendu cent fois…

Moi en tout cas, je ne l’ai pas entendu cent fois ou je l’ai dit un nombre suffisant de fois pour avoir envie de le défendre de manière déterminée. Ça coûte, eh bien on équilibrera. Ma conviction profonde est qu’un jour, il va falloir supprimer la totalité de la taxe d’habitation. Pour la remplacer par une ressource fiscale nouvelle, qui n’est pas très facile à définir, qui doit être une ressource fiscale garantie sur la population, sur les charges de la ville en question, sur le niveau social de ses habitants, parce que c’est évidemment très important. Mais pour moi, en tout cas, la taxe d’habitation est un impôt absolument injuste. Songez que quand vous êtes une ville centre, capitale de région, vous avez des charges, qu’on appelle « de centralité », qui s’imposent à vous, parce que vous êtes la ville centre, et qui ne sont pas assumées par ceux qui habitent quelques centaines de mètres autour de la ville. C’est totalement injuste. Ce qui fait qu’il y a des déplacements de populations, que des centres-villes se vident, et que ces villes-là sont de plus en plus paupérisées, parce que ne paient la taxe d’habitation que ceux qui sont soumis à l’impôt sur le revenu. Et donc, vous avez des villes dans lesquelles 60% de la population ne paient pas la taxe d’habitation. Et ce sont les classes moyennes qui l’assument. C’est totalement injuste. Et cela empêche d’avoir une visibilité pour le développement des villes.

Nicolas Barré : Vous parlez de taxe injuste, Bruno Lemaire à l’Assemblée, cette semaine, disait « il y a une autre taxe injuste, c’est l’ISF, c’est d’ailleurs pour cela qu’on réforme l’ISF ». Est-ce que vous faites partie de ceux qui pensaient que cette réforme de l’ISF va permettre de réinjecter de l’argent dans l’économie ?

Vous savez bien que je suis en désaccord sur le fond,  avec l’orientation qui a été prise sur ce point par le gouvernement. J’étais et je suis en accord profond – et j’en ai parlé très souvent avec lui – avec l’engagement du président de la République. L’engagement du président de la République, c’était de dire : il n’est pas normal que l’argent qui s’investit dans l’économie réelle, dans les entreprises, dans les usines, dans les start up, dans les créations, que cet argent-là soit taxé de la même manière que l’argent qui dort. C’est anormal. Alors même qu’on a extrait depuis très longtemps de l’ISF les œuvres  d’art. Et nous avions dit : « Ecoutez, c’est très simple. On va traiter l’argent qui s’investit dans l’économie réelle comme les œuvres d’art. Et le reste continuera à assumer un impôt de solidarité, qui est un impôt, à mes yeux, juste. Partout dans le monde, il y a une concentration de richesses de plus en plus importante, entre un nombre de possédants de plus en plus réduit. C’est ce que j’ai appelé dans un livre « les inégalités croissantes ». Et que la France dise : « Nous, nous sommes pour la liberté, pour le risque, pour l’initiative, pour la créativité, mais nous résistons aux inégalités croissantes » : cela, c’est un projet de société.

Nicolas Barré : C’est votre plus gros point de désaccord avec Emmanuel Macron la réforme sur l’ISF ?

Sur ce point, oui. Je ne suis pas de cet avis.

David Doukhan : Pourquoi Emmanuel Macron ne vous écoute-t-il plus ?

Non, d’abord ça n’est pas Emmanuel Macron qui est le père de cette mesure. Peut-être, ça paraîtra artificiel, mais c’est le gouvernement. En tout cas, je ne change pas d’avis et j’ai des raisons de penser que lui est aussi sensible à ce sujet.

David Doukhan : Vous en avez parlé tous les deux ?

Très souvent.

Nicolas Barré : Cette mesure vient malgré tout d’être votée…

Il y a le Sénat maintenant. Je pense que quand il y a des débats essentiels pour la société, des débats essentiels pour l’économie, des débats essentiels pour l’idée qu’on se fait de l’avenir du pays, alors le travail parlementaire doit jouer tout son rôle. Et j’aurais trouvé très bien - alors je sais bien qu’il y a eu un vote qui n’est pas allé dans ce sens. Mes amis du groupe du MoDem ont déposé un amendement. On leur a dit : « Ce n’est pas constitutionnel ». Je demande à voir qu’est-ce qui expliquerait que ce qui est  constitutionnel pour les œuvres d’art, ne soit pas constitutionnel  pour l’investissement dans l’entreprise. Pour moi, c’est sain que dans une majorité, il y ait des débats, c’est sain que tout le monde puissent exprimer des sensibilités complémentaires et je pense – j’allais dire je sais -  que la sensibilité que je veux exprimer là, qui est celle de, au fond, du pôle social de la majorité. Je sais que cette sensibilité là, Emmanuel Macron y est sensible et en partage les attentes.

David Doukhan : Il y est sensible mais cependant il a laissé passer cette réforme de l’ISF. Nous y reviendrons.

Nicolas Barré : Je voudrais qu’on revienne sur la réforme de l’ISF. Elle vient d’être votée à l’Assemblée Nationale mais vous nous dites que le président de la République pourrait souhaiter modifier cette réforme.

Je n’ai pas dit ça. Je ne m’exprime pas - et je n’aurais aucune légitimité pour le faire - à la place du président de la République. Je vous dis ce que je pense, moi. Et j’ai quelques raisons de penser que le président de la République, ce sont des arguments qui ne lui sont pas étrangers. J’en ai discuté avec lui très souvent, depuis des mois.

Nicolas Barré : Il est prêt à revenir sur certains termes de la réforme qui a été votée vendredi ?

Ceci est le débat entre le Parlement et le gouvernement. Ce que je crois que pense le président de la République, c’est, dit-il : j’ai arrêté une ligne – cette ligne, c’est on va réintégrer l’investissement dans l’économie réelle, cet investissement ne sera pas frappé par cette imposition. Pour le reste, que le Parlement et le gouvernement, parlent ensemble. Mais je veux ajouter un argument. Pourquoi je trouve que ce n’est pas le bon équilibre ? Parce qu’on traite de la même manière, l’argent qui agit et l’argent qui dort. Exemple : on a créé cette taxe, cet impôt sur l’immobilier. Pourquoi frapper l’immobilier – ce sont des maisons, des emplois, des entreprises – et pas les lingots d’or, les diamants, ce qui est dans les coffres, et pas les investissements, dans des obligations. Cela n’est pas juste.

David Doukhan : On nous explique que techniquement, c’est très difficile à réaliser.

Oui, c’est ce qu’on m’explique aussi. C’est ce que j’ai entendu. Vous savez la chose que j’aie entendue le plus souvent, soit quand j’ai été ministre, soit président de département, soit maire, c’est « Monsieur le Ministre, Monsieur le Maire, c’est impossible. »

Nicolas Barré : Mais le président de la République, sur l’immobilier par exemple, est sensible à vos arguments ?

Je ne veux pas entrer là dedans. Je ne veux pas m’exprimer à sa place. Je dis simplement, que la logique, c’était de favoriser l’investissement qui prend un risque et qui va dans l’économie réelle. Parce que cela, c’était de l’emploi. Et si on avait fait la différence, alors c’était une puissante incitation pour que l’argent se déplace vers l’activité. Là, il y aurait eu intérêt. Pourquoi voulez-vous qu’il aille dans l’activité l’argent s’il rapporte au moins autant dans les placements sans risque. Voire dans des mises à l’abri, sous toutes les formes que nous connaissons : objets précieux, œuvres d’art, etc,… Je trouve que l’orientation arrêtée par le président de la République était l’orientation juste, qu’elle était fondatrice de sa vision, et que, parce que cela n’est pas possible : Bercy – je ne mets en cause personne, mais vous voyez bien de quel mécanisme il s’agit… On vous explique toujours que c’est impossible. Et la volonté au contraire aurait été d’aller dans ce sens là. Moi, en tout cas, je n’ai pas changé d’avis depuis la campagne présidentielle jusqu’à ce jour.

David Doukhan : On retient, François Bayrou, que le dispositif ne vous satisfait pas en l’état et que vous pensez qu’il peut encore évoluer dans les semaines qui viennent.

Le Parlement va jouer son rôle.

David Doukhan : Autre sujet : la sécurité sociale, la ministre de la Santé : Agnès Buzyn, ce matin, dans une interview au JDD, dit qu’elle assume – je cite : « un budget d’austérité ». Est-ce que cela vous inquiète ?

Il y deux choses que je sais : la première, c’est qu’on ne peut pas vivre toute la vie avec un budget en déséquilibre, en déficit perpétuel. Ce déficit a été légèrement réduit. Il faut qu’il soit supprimé. Je rappelle que normalement on doit rembourser la dette de la sécurité sociale… Que vous avez même une ligne sur votre bulletin de salaire, tous autant que vous êtes, qui est faite pour rembourser la CRDS, la dette de la sécurité sociale.

David Doukhan : Donc c’est bien l’austérité alors ?

Donc de ce point de vue là, j’approuve les efforts de gestion. Deuxièmement, quand  la ministre de la Santé dit qu’il y a des dépenses qui sont mal organisées, qui ne remplissent pas leur but, elle a raison. C’est très difficile à faire parce qu’il faut une gestion dynamique mais, vous le savez bien, on cite toujours l’exemple de la Mutuelle d’Alsace Moselle : voilà des caisses de sécu qui sont en équilibre et qui coutent assez souvent moins cher. Je suis persuadé qu’il y a des progrès à faire et que – mes compatriotes reconnaitront une phrase qui m’est cher : on peut faire mieux avec moins. Pas moins bien avec moins, pas aussi bien avec moins. On peut faire mieux avec moins. C’est le grand travail de redéfinition, avec les partenaires sociaux, avec les gestionnaires. Je suis certain que cette orientation, elle est juste. Encore faut-il choisir évidemment les bonnes mesures. Permettez-moi de dire au passage, qu’on a pris la décision d’augmenter l’allocation pour adulte handicapé. Et elle va augmenter de 100 euros en deux ans, on a pris la décision d’augmenter le minimum vieillesse, et il va augmenter de 100 euros en trois ans. Cela n’est pas nul. C’est quelque chose qui a un poids, une valeur, dans le projet de société que porte Emmanuel Macron et la majorité, qui est de dire, société vivante et créative, pour l’économie, pour la recherche, et en même temps, société de solidarité.

Laurence Ferrari : Autre sujet d’importance, la réforme d’assurance chômage, Monsieur Bayrou, la promesse de permettre aux démissionnaires  de toucher le chômage avait généré beaucoup d’espoir chez les Français. Si on écoute bien attentivement le président, dimanche dernier, à la télévision, on croit comprendre qu’il s’apprête à abandonner cette promesse. Qu’en pensez-vous ?

Je ne l’ai pas compris comme cela.

David Doukhan : On avait tous compris pendant la campagne, que si on démissionnait, on pourrait toucher le chômage, et en fait, cela n’est pas le cas.

Peut-être on peut se poser la question de savoir à partir de quand ?

David Doukhan : Il dit il faut avoir un projet spécifique, on sent que cela réduit fortement…

Qu’est ce que pense le président de la République sur le sujet ? Il dit : il y a beaucoup de licenciements par accord réciproque qui sont en réalité des démissions déguisées. Cela dépend du bon vouloir de l’entreprise, de l’entrepreneur, du chef d’entreprise, ou des cadres, si on accepte cette transaction ou si on ne l’accepte pas. Et il dit, ça n’est pas juste. Si on a un plan, pour quitter son emploi et par exemple, aller créer une entreprise, ou essayer une autre activité, il est légitime, qu’on ait les mêmes droits que ceux qui réussissent à le négocier, en catimini, avec l’entreprise.

Laurence Ferrari : Donc ce n’est pas abandonné...

Je crois que ce n’est pas abandonné.

Nicolas Barré : Est-ce que vous regrettez ce climat de tensions qu’on perçoit entre les élus locaux et le président ?

Oui. Je pense que c’est beaucoup de quiproquos. Par exemple, tout le monde a dit : « ils vont diminuer les dotations aux communes ou aux départements, ou aux régions. ». Quand vous regardez le projet de loi de finances, il n’y a pas de diminution.

David Doukhan : Pour la première fois depuis de nombreuses années, on peut préciser. 

Pour la première fois depuis sept ou huit ans. Donc cela n’a pas été compris.

Nicolas Barré : Et vos collègues élus locaux se trompent.

Je ne veux pas m’exprimer de cette manière. Je pense qu’il y a un climat d’incompréhension, et que ce climat doit être levé. Et il appartient au président de la République – c’est sa fonction – de trouver les chemins, les voies et les moyens pour le lever. Et je pense que ce chemin, est possible, qu’il est au fond pas si difficile que cela à trouver.

David Doukhan : Il en est responsable de ce climat d’incompréhension ? C’est lui qu’il l’a causé selon vous ?

Je ne sais pas qui est la cause de quoi mais les élus locaux sont extrêmement  sensibles.

David Doukhan : Vous ne voyez pas une récupération politique, par exemple, du parti Les Républicains, au travers de cette fronde ?

Il y a toujours des récupérations politiques. Mais on ne va pas en faire la chronique, ce serait trop long.

Laurence Ferrari : Une question à l’ancien ministre de l’Education Nationale que vous êtes : la sélection à l’entrée des universités, est-elle devenue inévitable ? Le système des prérequis qui sera mis en place, peut-il se transformer – il faudra avoir un certain niveau dans les matières pour pouvoir s’inscrire en fac – Est-ce que cela va faire une poudrière pour les jeunes, est-ce que vous craignez une mobilisation des lycéens et étudiants ?

Il y a une chose qui est inacceptable, c’est la dérive dans la quelle on s’est laissé aller depuis des années. C’est inacceptable qu’on en soit au tirage au sort dans des disciplines, comme STAPS par exemple. Il n’y a rien de plus anti-républicain que le tirage au sort.

David Doukhan : Puis-je me permettre, Monsieur Bayrou, de rappeler que vous étiez ministre de l’Education Nationale de 1993 à 1997.

Je l’ai été et en suis très heureux. 

David Doukhan : Vous endossez aussi peut-être une part de responsabilité dans la situation qui est celle d’aujourd’hui ?

Pas du tout. D’abord il y a une génération. Et je n’aurais jamais accepté le tirage au sort. Je me serais battu bec et ongles, parce que vous voyez bien à quel point c’est nié à l’idée républicaine.

Laurence Ferrari : Est-ce que c’est bien de faire une sélection avant ?

Je pense que des prérequis, ça vaut mieux que le tirage au sort. Donner à chacun sa chance, faire prendre conscience : c’est pour ça que le travail d’orientation est un travail très important. Faire prendre conscience à chacun des lycéens, des futurs étudiants, qu’il ne suffit pas d’être inscrit pour réussir son entrée à l’université, que cela demande, que cela exige des choses. Je pense qu’il faudrait qu’il y ait une année, qu’on appellerait de propédeutique pour un grand nombre d’étudiants, de préparation à l’université. Après tout, nous avons – et c’est un des joyaux du système français - les classes préparatoires aux grandes écoles. Pour un certain nombre d’étudiants et de lycéens, il faudrait des classes préparatoires à l’université.

David Doukhan : C’est votre proposition.

Parce que le changement, le saut est énorme. D’une certaine manière, quand vous êtes au lycée, vous apprenez ce qu’on vous apprend. Tandis que quand vous entrez à l’université, vous apprenez ce que vous découvrez vous-même. Le travail de l’université est un travail que les étudiants doivent mener très largement à leur initiative, ce qu’on oublie. On veut toujours transférer à l’université, le rapport pédagogique de l’enseignement secondaire. Et d’ailleurs, tout le monde y participe. Y compris parfois, des organisations syndicales. Or le travail à l’université, est un travail d’initiative, pour lequel il faut être très autonome. C’est la raison pour laquelle, je trouve que cette année propédeutique serait bien. J’avais d’ailleurs imaginé qu’on pourrait même réinventé toute la classe terminale, en pensant que cette classe pourrait être reconstruite ou refondue comme une année de préparation à l’université.  Mais vous voyez que le tirage au sort et ne rien changer, c’est de la non-assistance à étudiants en danger.

David Doukhan : Il y a plusieurs sujets de société fondamentaux sur lesquels on a envie de vous entendre, à commencer par la politique familiale : êtes-vous,  François Bayrou, favorable à l’abandon du principe d’universalité des allocations familiales ?

Non, je suis un défenseur du principe d’universalité.

David Doukhan : En un mot, pourquoi ?

Parce qu’il faut dire que la démographie, c’est la richesse d’un pays. On ne s’en rend pas compte mais mon dernier livre commence sur cette réalité là. D’ici trente ans, la France sera le pays le plus peuplé d’Europe. On sera plus nombreux que les Allemands. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle - même si ça a été présenté pour d’autres types de raisons – Madame Merkel a accepté un million de réfugiés pour essayer de remonter un peu le taux de natalité de son pays, qui est extrêmement bas. Cette dernière année, le taux de natalité français a fléchi. Et il a fléchi en partie parce que les signaux qui ont été envoyés étaient des signaux négatifs. C’est pour moi l’universalité des prestations familiales est une clé. Cela veut dire simplement que quelque soit le milieu auquel vous appartenez, on considère que les enfants ne sont pas un luxe. Reprenez l’idée de ceux qui disent : « Mais à partir d’un certain seuil de revenu, plus d’allocations. » Cela veut dire, vous pouvez bien vous les payer, c’est un luxe. Or, pour moi, il n’est pas vrai que les enfants soient un luxe.

Laurence Ferrari : Il y a aussi le pessimisme des Français. Il pense que ça ira plus mal pour leurs enfants que pour eux –mêmes.

Un des acquis de l’année électorale que nous venons de vivre, c’est que le pessimisme français a cédé du terrain, il a reculé. Un grande partie des Français aujourd’hui, est prête - je ne dis pas que c’est fait – à regarder l’avenir avec optimisme. Et il y a une deuxième chose qui a changé, c’est que tous ceux qui nous entourent regardent la France, non pas comme un pays qui est en train de se refermer sur lui-même, ce qu’on a cru, affirmé pendant des années, mais au contraire, comme un pays, qui est en train de relever les défis, et qui considère que les défis qui sont devant lui sont une chance.

Laurence Ferrari : Monsieur Bayrou, La Catalogne est toujours sous extrême tension, des centaines de milliers de personnes étaient hier dans les rues, à Barcelone. Mariano Rajoy qui suspend les dirigeants catalans, qui mène un bras de fer rude, est–il un homme d’État qui siffle la fin de la récréation ou bien un irresponsable qui met de l’huile sur le feu ?

Je trouve que la situation est très dangereuse, pour l’Europe toute entière, pas seulement pour la Catalogne, l’Espagne. Et j’en parle comme quelqu’un qui sait très bien ce que c’est que l’identité catalane, et l’Espagne, sa force et sa volonté historique. Je pense que la seule chance d’en sortir, ce sont des élections, dans lesquelles un débat, cette fois-ci sera mené à son terme si tout le monde accepte d’y participer, ce dont je ne suis pas sûr du tout. Mais si tout le monde accepte d’y participer, c’est un débat qui permettra au moins de donner une orientation. Vous voyez bien que les départs de plus de mille entreprises dont certaines majeures de la Catalogne, le fait que la fréquentation touristique ait beaucoup fléchi ces derniers mois – pour une région, un peuple qui vit beaucoup du tourisme - tout cela ce sont des signes extrêmement négatifs. Le conflit le plus profond, que l’on vit aujourd’hui sur ces questions en Europe, c’est identité ou bien division. Est-ce qu’on peut affirmer l’identité sans choisir la division ? C’est ce que je souhaite. C’est ce que je plaide pour l’Union Européenne toute entière. C’est ce que je plaide pour les partis politiques. Je pense qu’un pays, une société, une communauté a besoin de reconnaître l’identité de chacun de ceux qui la forment et en même temps, de les pousser à vivre ensemble avec leur identité. Les deux chemins catastrophiques, c’est : je nie l’identité, je nie votre identité si vous êtes d’un courant, d’une culture, d’une sensibilité, ou bien je fais de cette identité un facteur de division définitif. Ceci, c’est le double piège, dans lequel, la Catalogne et l’Espagne sont aujourd’hui pris.

Nicolas Barré : Emmanuel Macron a prononcé des discours remarqués sur l’Europe justement à Athènes, à la Sorbonne. Simplement on a l’impression qu’on bute sur les faits : la taxation des GAFA par exemple, c’est un dossier qui avance peu. Le dossier des travailleurs détachés est également plus ou moins bloqué. Est-ce qu’il n’y a pas un décalage entre ces discours, cette volonté exprimée et puis la réalité qui marquerait une sorte d’impuissance française ?

Emmanuel Macron a fait une chose formidable et que beaucoup ne croyaient pas imaginable.  Voir un chef d’Etat d’un des pays les plus importants de l’Europe, qui monte à la tribune, et qui au lieu de se plaindre de l’Europe, de l’Etat des choses, de passer la marche arrière, de dire qu’il faut amputer, corriger, etc. Au lieu de cela, il présente un projet entraînant, positif, et fédérateur.

David Doukhan : On a tous entendu l’Ode à la Joie, mais la réalité est têtue. Vous l’avez constaté comme nous tous jeudi et vendredi, à Bruxelles.

Monsieur Dukhan, la réalité ne se change pas s’il n y a pas de volonté.

David Doukhan : La volonté est là. Mais l’efficacité...

Le rôle du président de la République, comme leader, comme premier de cordée de l’Europe – si j’ose dire – parmi ceux qui veulent être les premiers de cordée. Ce rôle là, c’est de fédérer autour de lui, tous ceux qui veulent  que l’Europe prenne ce visage là, visage uni et visage entraînant, sans porter atteinte à l’identité de chacun des pays. C’est une formidable nouvelle qui a fait dresser l’oreille à tous les dirigeants, et tous les acteurs politiques de l’Europe.

Laurence Ferrari : Justement, à propos de l’Europe, Jean-Luc Mélenchon demande le retrait du drapeau européen de l’hémicycle,  tandis qu’Emmanuel Macron, au contraire, non seulement le brandit, mais le reconnais officiellement, par la France. Qu’est-ce qui est en jeu dans cette bataille entre Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ? C’est la « France du non » contre la « France du oui » ? C’est l’idéal européen contre le repli ?

Il y a d’abord, quelque chose d’un délire absolument infondé. Quand Mélenchon, qui est quelqu’un qui portant a une culture, affirme qu’il s’agit d’un emblème religieux et que personne ne le relève. Personne ne dit : « Mais attendez, vous êtes sûr de ne pas avoir perdu l’équilibre… ? Qu’est ce que vous avez bu hier soir ? Enfin, des questions qu’on serait tenté de poser.

David Doukhan : Il fait référence au créateur de l’emblème, qui a fait effectivement fait référence à la Vierge Marie.

Excusez-moi, c’est une blague incroyable. Je ne sais pas ce qu’a dit le créateur de l’emblème mais que le chiffre douze soit depuis longtemps dans l’histoire de l’humanité, culturellement comme marquant une unité… Combien y a-t-il de signes du zodiaque ? Combien de mois dans l’année ? Ce ne sont pas les étoiles de la Vierge Marie qui ont créé les signes du zodiaque et les mois de l’année, et les constellations que les anciens avaient choisies comme repère pour le cycle des saisons. Tout cela n’a, au sens propre, aucun sens. C’est comme si l’on disait que les étoiles sur le drapeau américain, c’est aussi des étoiles de la Vierge Marie. C’est idiot. Excusez-moi, je ne peux pas le dire autrement… En revanche, que depuis des décennies, depuis François Mitterrand, que je crois, vénéré par Monsieur Mélenchon, depuis Giscard, et tous les présidents précédents, tous les chefs d’Etat français se sont exprimés devant la double bannière pour montrer, la double vocation de la France. Affirmer ce que nous sommes comme patrimoine, comme histoire, comme projet, et en même temps dire : « Nous appartenons à cet ensemble-là », qui est le seul qui peut nous permettre de nous en sortir. Pour moi, c’est une reconnaissance qui vaut autant que celle dans les textes.

Nicolas Barré : Les locaux du MoDem ont été perquisitionnés il y a quelques jours.

Comme ça se produit dans toutes les enquêtes de cet ordre.

Nicolas Barré : Vous étiez présent au moment de cette perquisition ? Que vous on dit les enquêteurs ?

Oui. C’était tout à fait convenable comme rapports humains.

Nicolas Barré : Que cherchaient-ils ?

Ils cherchaient des documents pour se faire une idée sur cette accusation que nous aurions eu des emplois fictifs. Nous n’avons jamais eu d’emplois fictifs. C’est simple, je vous le dis.

David Doukhan : Et donc par conséquent, on peut imaginé que vous avez vécu votre démission comme une terrible injustice ?

Je vais vous dire quelque chose qui va vous surprendre : il y a très longtemps que le but de ma vie n’est plus d’être au gouvernement. Le but de ma vie est d’être utile, et d’être un point de repère pour des millions de français qui croient que la politique est quelque chose en laquelle on peut croire, et quelque chose que l’on peut comprendre. Dans l’émission, on a essayé de dire ce à quoi l’on croit, et ce que l’on comprend. Et c’est beaucoup plus important pour moi qu’une place au gouvernement.

Laurence Ferrari : Mais on peut être utile au gouvernement…

Oui, on peut être utile au gouvernement. On peut être utile ailleurs. Je suis très utile à la tête de ma ville. Je suis très utile comme quelqu’un qui a, avec sa famille politique, des relations de confiance. D’ailleurs, il y a des députés nouveaux et brillants et sympathiques dans la salle. La politique ce n’est pas une carrière, c’est un engagement. Le cœur de cet engagement, c’est le civisme. Que chacun de nous se sente co-responsable de la situation du pays, qu’il soit dans la majorité, qu’il soit dans l’opposition, qu’il soit un citoyen sans responsabilité, ou qu’il soit, au contraire, un responsable. Nous sommes responsables et c’est de très loin, pour moi, ce qui est le plus important.

David Doukhan : Merci François Bayrou.

 

 

 

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