"Le MoDem est présent, écouté, et solide."
Ce matin, François Bayrou était l'invité de Jean-Pierre Elkabbach dans la matinale de CNews. Nous vous invitons à revoir cette émission où il a été question de la rencontre d'Emmanuel Macron avec Donald Trump, et notamment l'accord de 2015 sur le nucléaire iranien. Le président du MoDem est revenu sur les réformes engagées, et l'action du groupe MoDem à l'Assemblée nationale. François Bayrou a également réagi face aux propos de Laurent Wauquiez, exprimés dans Le Figaro. Enfin, il a expliqué son choix de ne pas avoir signé le manifeste "contre le nouvel antisémitisme".
Soyez le bienvenu François Bayrou, merci d'être avec nous. À Washington, jour après jour, votre ami est en train de s'engager à transformer la France en un pays qu'il veut voir actif, fort et juste et incarner ce qu'il appelle « une voix française garante du multiculturalisme. Est-ce qu'il peut, avec les petits moyens de la France, et même s'ils sont grands, y parvenir ?
Moi je ne partage pas l'expression « petits moyens ». Je pense que la France a un poids, qui est un poids historique, politique en raison de par exemple sa place au conseil de sécurité de l'ONU, de sa situation de puissance nucléaire... La France a un poids. Et ce poids, il n'était pas entendu depuis des années. Et ce qui est nouveau, fort dans ce qui se passe aujourd'hui sur la scène du monde et à Washington à cette heure-ci, c'est que l'on entend une voix différente de la part de la France, qui est une voix médiatrice, et c'est la seule qui puisse se faire entendre à l'égal du message entendu aujourd'hui.
Mais avec un Donald Trump qui est impétueux, impulsif, brutal...
Mais vous savez ce qu'il en est. Lorsque vous êtes président de la République Française, vous ne pouvez pas trier parmi vos interlocuteurs. Vous ne pouvez pas considérer que les uns sont acceptables parce qu'ils correspondent davantage à notre style ou à notre vision du monde, et que les autres, au contraire, sont à rejeter, et que l'on ne parle pas avec eux, parce qu'alors vous transformeriez la diplomatie en une multiplication d'impasses. Mais je voudrais insister sur ce point : j'ai dit : « la voix d'une puissance médiatrice ». Il faut peut-être regarder ce qui ce dit : Donald Trump défend les intérêts des Etats-Unis. Poutine défend les intérêts de la Russie. Vous avez le président Chinois qui défend les intérêts de la Chine. Et vous avez une voix qui défend non pas l'intérêt égoïste de la France, non pas une vision de domination de la France, mais une voix qui défend une certaine idée d'un nouvel ordre du monde. Une certaine idée de l'intérêt général du monde.
En rappelant à son tour, et il alerte hier que le nationalisme aujourd'hui, c'est la guerre.
Il suffit de voir où ça mène, à tous égards, également dans la guerre économique mais pas seulement, dans la guerre militaire aussi. J'ajoute un dernier mot : cette voix, qu'Emmanuel Macron fait entendre, est au nom de l'Europe. Aujourd'hui, en raison de tout ce que vous savez, de l'histoire compliquée de la séparation, du Brexit, la Grande-Bretagne qui s’en va, etc … il y a une voix européenne et une seule, qui est la voix française. Alors vous voyez, la voix d'une puissance médiatrice, la seule possible, au monde, est la voix de l'Europe et une voix pour l'Europe et au nom de l'Europe. C'est quand même quelque chose qui mérite qu'on le note, qu'on le salue et qu'on le soutienne.
C'est pas nouveau de votre part, on va le voir, mais ce n'est pas toujours perçu de cette façon-là en France. Mais il faut d'abord revenir au cœur de cette première visite d'Etat aux Etats-Unis, et des entretiens difficiles avec Donald Trump, il y a l'Iran, et avant le tête-à-tête du Bureau ovale, de la Maison Blanche ect … «Gargantua Trump » s'en est pris violemment à l'accord de 2015 sur le nucléaire en Iran, on l'écoute et on le voit. (Reportage) Et ça, ce n'est pas un langage feutré des diplomates.
J'imagine que les iraniens répondraient que les Etats-Unis aussi testent beaucoup de missiles... Mais ce n'est pas exactement le sujet. La faiblesse de l'accord iranien pour moi, c'est qu'il est limité à 2025. 2025 c'est demain matin. Et quand Emmanuel Macron ouvre la perspective avec le président américain d'un accord plus large, c'est sur ce point précisément que doit porter une des inflexions de l'accord : c'est qu'on aille, dans cette interdiction des armes nucléaires que les iraniens ont accepté, pour une certaine période, à une interdiction des armes nucléaires de plus longue durée.
On voit bien qu'Emmanuel Macron est d'abord surpris, sonné par ce qu'il entend dans le bureau de la Maison Blanche, et au milieu de marques d'affections, d'embrassades etc, on voit qu'il est en train d'essayer de sauver l'accord sur le nucléaire en disant sur quoi il peut reposer et en empêchant Donald Trump de le déchirer comme il avait promis de le faire. On les écoute tous les deux. (Reportage) Encore des menaces sur l'Iran. Mais des négociations pourraient donc s'engager pour renforcer cet accord nucléaire dont vous avez parlé et dont parlait Emmanuel Macron, qui amènerait peut-être la paix dans la région, y compris la Syrie, à condition que les signataires acceptent de renégocier et d'abord les iraniens, mais rien n'est moins sûr ce matin?
Rien n'est moins sûr mais vous voyez bien la situation : on était, avant le déplacement du Président de la République, dans une situation où Donald Trump avait dit : « Cet accord est fini. On va l'effacer, on va le déchirer. » Et voilà qu'on est entré - c'est un petit pas, mais c'est un pas en avant - dans une situation nouvelle dans laquelle Donald Trump accepte de dire : « On va chercher l'aval d'un nouvel accord » . Emmanuel Macron a dit quels étaient les quatre piliers de cet accord. Donc vous voyez bien que d'une certaine manière la voix de la puissance médiatrice a compté au moins dans cet épisode.
Et on peut prévoir dans le discours qu'il va faire aujourd'hui au Congrès Américain Emmanuel Macron va peut-être durcir le ton lui aussi, mais on voit bien que c'est une épreuve de force qui est en train de se jouer, de force, d'image et d'influence. Est-ce que, quand il va rentrer en France, Emmanuel Macron sera renforcé ou bien affaibli par ce qu'il se passe ?
Je pense qu'il sera renforcé. À supposer qu'il doive l'être parce qu'il n'est pas là-bas pour des raisons de politique intérieures. Vous voyez bien que c'est sur l'opinion publique, un sujet qui n'est pas un sujet brûlant. Il est là-bas parce qu'il remplit la mission qui doit être celle d'un président de la République Française.
Alors entre vous, Emmanuel Macron et François Bayrou, ça a commencé comme une étrange histoire d'amitié. En février 2017 à la surprise générale vous affichez votre soutien au candidat Emmanuel Macron. Un an après, est-ce que vous avez pris la bonne décision, est-ce que vous vous dites le matin en vous rasant : « J'ai bien fait » ?
Est-ce que vous mesurez quelle aurait été l'histoire autrement ? On ne va pas refaire le scénario...
Sans votre soutien il n'aurait pas été élu ?
Je ne veux pas parler de ça. On a créé un mouvement d'adhésion. Nous avons créé par cette alliance un mouvement d'adhésion qui a renversé ce que j'appelle parfois « les tours jumelles » de la politique française, c'est-à-dire les deux puissances politiques qui se partageaient le pouvoir.
Il fait ce dont vous aviez rêvé ?
Oui, mais nous le faisons ensemble. On est entré - je crois que c'est indéniable aux yeux de tout le monde - dans une nouvelle époque de la politique française. Cette phrase avait souvent été prononcée, parfois par moi...
Vous le voyez en tant que Président de la République Française, est-ce que vous vous dites : « J'ai bien fait, je fais bien de le soutenir » ?
Je vous dit avec certitude que cet homme-là est à la hauteur de la fonction et de la mission historique qui est la sienne, aujourd'hui. La fonction présidentielle : conduire un peuple, une société, un pays, l'Europe, et mission historique en France parce que l'on ne pouvait pas rester dans cette espèce d'impuissance généralisée que tout le monde constatait et sur laquelle tout le monde pleurait et devant laquelle tout le monde baissait les bras. Et mission historique à l'égard du monde.
Les réformes Macron – Philippe : leur ampleur, leur rythme, on voit bien qu'elles provoquent des mécontentements catégoriels, corporatistes. Comment vous expliquez que ça n'ait pas créé une vraie crise sociale ?
Parce qu'il y a dans les tréfonds de la société française, cette conscience du moment que nous sommes en train de vivre et de l'impasse dans laquelle on s'était enlisé depuis des années.
Mais il n'y a pas une coupure entre ce président et ce gouvernement qui se comporteraient comme le disent les critiques avec une forme d'arrogance, une coupure des élites avec les classes moyennes ?
Je ne vois aucune arrogance de la part du président de la République et du gouvernement qui conduit son action, il y a une volonté d'aller au bout de questions qui étaient sans réponse depuis des années. Mais il y a une chose qui doit être pour le gouvernement une exigence de tous les jours, c'est que cet ensemble de décisions, cet ensemble de décisions, de changements, de réformes, portent en même temps un projet social, et le mot social est très large, un projet pour ceux qui n'ont pas la chance d'être du bon côté de la barrière.
On prend des exemples, on va aller vite : est-ce que vous êtes favorable à la réforme de la SNCF ?
Oui, je suis favorable à la réforme de la SNCF. Je rappelle que la réforme qui est en train de se dérouler, c'est le retour au statut de 1937, négocié sous le Front Populaire, et qu’à l'époque tout le monde voulait défendre à l'intérieur de la SNCF.
C'est un conflit long, dur, qui commence à avoir des conséquences pour les usagers, les cheminots, les secteurs économiques...
Il y a des conséquences économiques sur le secteur du tourisme, par exemple, ou des affaires, qui sont non négligeables. Mais imaginez ce qui ce passerait si tout d'un coup on disait : « On renonce ». Cela serait un désespoir pour l'ensemble du pays. Il y a ensuite la question de la dette de la SNCF.
Mais le premier ministre en parlera le 7 mai, on recevra les syndicats avec Madame Borne...
Ce qui laisse peut-être présager qu'il y a une petite lumière au bout du tunnel.
Le premier ministre intervient justement sur la SNCF, sur Notre-Dame-des-Landes cette après-midi, les dossiers arrivent à Matignon : le premier ministre est sur le front, la première ligne.
Vous voyez bien qu'il y a dans le rôle de chef du gouvernement cette nécessité qu'à un moment on peut intervenir pour dénouer les nœuds gordiens. Je n'ai pas dit trancher, j'ai dit dénouer.
Les nœuds gordiens, c'est une formule de Georges Pompidou. Selon un sondage IFOP, trois français sur quatre sont favorables à un référendum sur la politique migratoire de la France. Est-ce que vous êtes un des trois ou le quatrième ?
Non, le référendum n'est pas adapté à des sujets aussi brûlants, passionnels. Répondre : « On est contre une immigration immaîtrisée », oui, vous, moi, tous ceux qui nous écoutent voudraient une régulation. La seule question c'est comment organise t-on cette maîtrise de l'immigration, comment traite t-on les gens qui sont là, comment faire pour que l'on puisse obtenir la vraie réponse à la vraie question qui se pose, comment développer les pays d'origine et les pacifier de manière que tous ceux qui y vivent aient envie d'y rester ?
Votre MoDem, il est suffisamment écouté dans l'élaboration de la loi et de la réforme de Gérard Collomb ?
Il est présent, il est écouté et il est solide. Et quand vous avez ces trois qualificatifs, vous pouvez faire du chemin.
Le rythme des réformes, Laurent Wauquiez le dénonce dans le Figaro, on va le citer : « Le bougisme sert d'écran de fumée, la montagne accouche d'une souris ». Il répète qu'Emmanuel Macron ne comprend pas l'inquiétude des Français, et que le Macronisme est un aveuglement qui repose sur beaucoup d'illusions.
Laurent Wauquiez est dans une situation politique qui est difficile. Il croyait s'imposer à la tête de sa famille politique. Ce n'est pas vraiment le cas - on l'a vu y compris dans des sondages d'intentions de vote - donc il s'essaie à la surenchère. Mais ça ne le servira pas lui, mais d'autres. Quand on prend le langage de ses adversaires, forcément ce sont ses adversaires que l'on favorise. Quand vous cultivez des thèmes et des sentiments et des passions qui alimentent par exemple l'extrême droite...
Laurent Wauquiez et son état major disent : « Pas d'alliance, pas de complaisance avec le Front National », mais vous voyez qu'il y a des discussions au niveau local et vous dites que ça ne peut pas ne pas déboucher sur des accords électoraux un jour ?
Je sais avec certitude que lorsque vous avez des forces politiques qui adoptent le même langage, qui choisissent les mêmes thèmes, qui appuient aux mêmes endroits, vous voyez bien ce qui se passe. Les voix, l'attention des français, des électeurs, va vers les plus radicaux, les plus durs.
Autrement dit, quand vous écoutez Laurent Wauquiez parler comme dans le Figaro, matraquer le Président de la République, vous vous dites que c'est la preuve de son malaise ?
En tout cas il fait ça pour servir sa propre image, sa propre stature.
Et pourquoi il ne s'impose pas ?
C'est assez mystérieux, les climats politiques, les images des uns et des autres... Il y a un sentiment que recherchent les spectateurs qui sont aussi des électeurs, c'est « est-ce que celui qui me parle est authentique, est-ce qu'il dit ce qu'il pense ? Est-ce que je peux avoir confiance en lui ? » Il faut certes un peu de temps pour arriver à ce genre de contrat de confiance.
Un dernier thème avec vous, qui je sais vous touche : le manifeste contre un « nouvel antisémitisme islamiste » qui provoque des remous ou des divisions dans la société française. Vous ne l'avez pas signé. Pour des raisons de fond ?
Pour une raison d'abord précise c'est que je ne signe jamais de pétition. Parce que quand vous signez une pétition, vous n'êtes pas maître de l'expression. Vous ne pouvez pas apporter les nuances qui sont les vôtres. On vous propose un texte, vous ajoutez votre signature... Je me prononce sur l'intérêt : est-ce que ça va faire reculer ce genre de sentiment sous-terrains, je n'en suis pas sûr.
Les auteurs du manifeste, par exemple, continuent leur prospection pour allonger la liste des signataires, c'est normal. Jean-Claude Gayssot, qui est l'auteur de la loi Gayssot, ils sont allés le chercher, il était contre les racismes, la xénophobie et il refuse de signer. Avec lui les protestants, beaucoup de musulmans, des mélenchonistes et d'autres encore, vous...
Ne me classez pas dans ces catégories.
Est-ce que ce manifeste ne prend pas en otage les musulmans, ne peut pas aboutir à l'effet inverse de son objectif ?
Je pense qu'il part de bons sentiments, c'est un sentiment vrai qu'un bon nombre de familles juives se sentent très souvent agressées ou au moins dans un malaise profond. Et ils ont des raisons, l'actualité en fournit tous les jours.
Pas seulement dans la région parisienne mais à Pau, dans votre ville, et dans la région, il y a aussi des signes de communautarisme et de montée d'un islamisme radical.
Non, je ne partage pas ce sentiment. Alors il y a ici ou là toujours des individualités, mais j'ai l'impression que dans les quartiers concernés - en tout cas j'essaie comme maire de faire tout ce que je peux dans ce sens là - il y a aussi une progression de la compréhension mutuelle. Qui n'est pas toujours facile. Mais qui est visible chez les enfants : quand vous visitez une classe et que vous découvrez le fait que les enfants vivent ensemble, il n'y a pas ces agressions, et il n'y a pas ces mots.
C’est peut être le cas à Pau, mais ce n'est pas exemplaire de l'ensemble du territoire national. Merci d'être venu François Bayrou, vous revenez quand vous voulez.
Merci à vous.