"Il est exclu que le centre serve de bouée de sauvetage"

François_Bayrou-FB

Dans un entretien accordé aux Échos, le président du MoDem estime que la majorité ne tiendra pas jusqu’en 2017. Selon lui, les institutions de la Vè République n’offrent que deux façons de sortir de la crise : la dissolution ou le référendum.

Pensez-vous comme Manuel Valls qu’il faut « en finir avec la gauche passéiste » ?

La guerre au sein de la gauche ne fait que commencer et ces guerres idéologiques sont les plus dures. L’ADN de la gauche, depuis Epinay, c’est moins la lutte des classes que la distribution d’argent public : un reste de Marx et une foi aveugle dans Keynes. Or le recours à toujours plus d’argent public est inconciliable avec la situation du pays. Le choc entre les « réalistes », forcés de rechercher des économies, et les « croyants de la dépense » est donc inéluctable. Et cet affrontement est appelé à durer et à s’amplifier.

Le Premier ministre dit regretter que votre main tendue en 2012 n’ait pas été saisie par son camp. Et vous ?

Si François Hollande avait pris une orientation différente, décidant de dire tout de suite la vérité au pays, d’abandonner la partie démagogique de son projet, de changer la pratique institutionnelle, de rechercher une forme d’union nationale, la trajectoire du pays en aurait été profondément changée. Cela aurait été un choix historique, et il a préféré un choix banalement politique. Ce qui est fait est fait. La chance qui aurait pu être ouverte a été manquée. Il est exclu que le centre serve aujourd’hui de bouée de sauvetage.

Pourtant, il mène la politique de l’offre que vous défendiez…

Il n’y a pas d’autre voie pour la renaissance économique du pays, même si sa campagne en 2012 laissait entendre le contraire. Aujourd’hui, les mots vont parfois dans le bon sens, mais les actes sont embrouillés et la réalité ne change pas. Le Cice était censé créer 300.000 emplois dans l’année mais le dispositif a été ruiné par sa complexité. De même, on nous a annoncé une grande oeuvre de simplification. Pourtant le code du travail est toujours aussi illisible. Rien n’a été fait pour rendre efficace le code des marchés. Le mal est parfaitement défini : l’exercice du pouvoir a perdu toute efficacité réelle et pratique, les mots n’entraînent plus les actes. L’action politique et la France sont donc dans l’impuissance.

Ne contribuez-vous pas à ce blocage quand tout en défendant la rigueur budgétaire, vous dénoncez les économies sur les allocations familiales ?

Calculer les allocations familiales en fonction du revenu est une faute intellectuelle et politique. C’est une faute de confondre politique sociale et politique familiale. La politique familiale n’est pas faite pour aider les personnes en difficulté, elle est faite pour l’avenir de la nation. Les enfants ne sont pas un luxe, ils sont notre sève. Où conduit cette logique des revenus ? À rendre payant l’accès à l’école pour les enfants des familles aisées ? À ne plus rembourser pour les mêmes les feuilles de Sécu ? À faire payer différemment les transports en commun ? Cette décision est d’un illogisme consternant et coûtera en fait très cher. On va mobiliser des fonctionnaires et faire de la paperasse pour déterminer le montant des allocations en fonction de la situation de chaque famille. Les économies ne seront pas au rendez-vous, la déstabilisation, oui. En vérité, ce qui doit assurer la redistribution, ce n’est ni les allocations familiales, ni les services publics, c’est l’impôt. Et chacun sait combien il est lourd, notamment sur les classes moyennes.

Où feriez-vous les économies?

Économies réelles signifie profonde réorganisation. Notre problème n’est pas seulement que nous dépensons trop. Mais que ces dépenses se perdent dans une action publique qui ne marche pas bien, qui ne sert pas le pays. Et même, trop souvent, qui le freine et le bloque. Nous dépensons 20 % de plus d’argent public que nos voisins sans résultats meilleurs. Prenez l’Education nationale : je trouve normal qu’il s’agisse du premier budget, du principal effort de la nation. Mais avec un tel effort, il est insupportable que 30% ou 40 % des enfants ne sachent pas bien lire en entrant en 6e ! La principale question est que soient remplies effectivement les missions que la nation assigne à l’action publique. Nous devons dépenser moins, et en même temps surtout et avant tout faire mieux ! Et c’est vrai dans tous les domaines : formation professionnelle, aide aux chômeurs, urgence des hôpitaux.

La relance économique peut-elle venir de l’Europe ?

Croire à une relance de Bruxelles qui résoudrait tous nos problèmes, cela aussi, c’est un leurre ! On nous parle de 300 milliards d’euros sur cinq ans pour toute l’Union. Si vous faites la division, cela reviendrait à une enveloppe annuelle d’une dizaine de milliards pour la France. Or notre PIB est de 2.000 milliards ! Ce n’est pas rien, mais ne changera rien de fondamental. Il est vain d’aller chercher ailleurs, à Bruxelles ou en Allemagne, des réponses à la crise que traverse le pays.

Que feriez-vous tout de suite pour relancer le moteur de la France ?

Trois réformes. D’abord la formation professionnelle, pour faire reculer le chômage. Ensuite une simplification drastique du code du travail et une réforme du contrat de travail pour aller vers un contrat unique afin de débloquer le marché du travail. Enfin une réforme de la fiscalité : impôt sur le revenu repensé, retenu à la source, universel même s’il doit être compensé pour les revenus bas. Mais ces réformes, dont les plus difficiles méritent le référendum, ne peuvent l’être que par un gouvernement qui a la confiance du peuple.

C’est-à-dire que vous attendez 2017 ?

Je ne pense pas -hélas !- qu’il faudra attendre jusque-là. On vit un tel désordre politique que les choses risquent de ne pas durer. Revenir devant le peuple, c’est peut-être une question de quelques mois. Les institutions de la Vè République n’offrent que deux façons de sortir de la crise : la dissolution ou le référendum.

Que feriez-vous en cas de dissolution ?

Nous serions présents avec un projet pour la France.

Et vous-même ?

Je n’ambitionne pas de redevenir parlementaire. Un maire de grande ville a la chance de pouvoir explorer des chemins nouveaux.

Au vu des scores électoraux du Front national, n’est-il pas dangereux de souhaiter, comme vous, une dissolution ?

Je ne partage pas la catalepsie dans laquelle le monde politique est plongé à la vue de Marine Le Pen. Cette attitude du lapin pris dans les phares de la voiture n’est pas la mienne. Je n’ai pas peur du Front national, je suis en confrontation radicale avec les choix qu’il propose et qui nous conduiraient au gouffre. Et donc je me bats et me battrai.

 

 

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