"Il n'y a pas de démocratie possible sans honnêteté et loyauté !"
François Bayrou était l'invité de l'émission hebdomadaire d'LCP présentée par Frédéric Haziza avec la collaboration de Françoise Fressoz (Le Monde), Frédéric Dumoulin (AFP) et Marie-Eve Malouines (France-Info) en partenariat avec Dailymotion.
Frédéric Haziza - Bienvenue à Questions d’info. Il avait presque disparu du débat national pour cause d’échec aux élections législatives. Il a voté François Hollande il y a deux ans. Mais la droite et la France peuvent-elles se passer de lui ? L’invité de Questions d’info est aujourd’hui François Bayrou président du MoDem. À mes côtés pour vous interroger : Françoise Fressoz du Monde, Frédéric Dumoulin de l’AFP et Marie-Ève Malouines de France Info.
Peut-être que dans la présentation de Frédéric Haziza, il y a une petite étape qui a été oubliée : il y a eu des élections municipales…
Et vous avez été élu maire de Pau.
En effet, j’ai été élu maire de Pau. Il y a également eu des élections européennes il y a quelques semaines à peine. Le centre dont j’ai voulu la constitution et la reconstitution avec Jean-Louis Borloo a fait 10 % des voix, c’est-à-dire est arrivé quatrième parti national français.
Oui, mes propos étaient un peu réducteurs.
Essayons de faire des présentations justes !
Sur le plan national, la « page Copé » est tournée. Il reste un secrétaire général, Luc Châtel et un trio « Juppé – Raffarin – Fillon ». Comment voyez-vous l’avenir de l’UMP aujourd’hui ?
Il y a deux sujets. Le premier sur lequel je n’ai rien à dire car il s’agit de problèmes internes à l’UMP. C’est un parti politique de plein exercice et sur lequel je n’ai pas à intervenir même par des commentaires. Il y a un deuxième sujet très important qui est lié aux conséquences que ces convulsions et ces dérives ont sur la vie politique française.
Une de ces dérives, c’est l’affaire Bygmalion ?
Entre autres. Je ne sais pas si vous vous rendez compte ce que signifie qu’un grand mouvement politique français soit désormais convaincu d’avoir fait des millions et des millions d’euros de fausses factures, tout cela pour que les règles ne soient pas respectées dans l’élection majeure de notre pays qui est l’élection présidentielle.
Comment expliquez-vous cette dérive ?
Comme vous le savez, j’ai écrit plusieurs livres sur ce sujet. Nous avons un problème d’institutions très lourd. On croit que c’est uniquement la malhonnêteté de quelques uns. Cela ne suffit pas comme explication, parce que des gens malhonnêtes ou tentés par la malhonnêteté, il y en a toujours et partout. Les institutions sont faites pour empêcher que ces personnes, dans leurs tentations, puissent aller jusqu’au bout.
Pourquoi cela ne marche-t-il pas ?
Cela ne marche pas parce que nous avons un système politique qui fait que le pouvoir obéit à la règle du tout ou rien. Au moment d’une élection, si les gens ne sont pas d’une solidité intérieure, s’ils ne sont pas capables de tracer un chemin droit parce qu’ils se sont bâtis comme cela au travers du temps, s’ils n’ont pas cette résistance, alors il leur vient l’idée que la fin justifie les moyens. Pendant cette élection, des réflexions ont été rapportées. L’idée était : « gagnons d’abord, puis on verra après ».
Vous visez Nicolas Sarkozy en disant cela ?
Ce n’est pas que je le vise. Vous m’interrogez sur des dérives désormais publiques, je vous apporte l’explication qui me paraît la plus crédible.
Vous-même, aviez-vous des doutes sur le coût de la campagne de Nicolas Sarkozy au moment où elle a eu lieu ?
Franchement, pour être candidat à cette élection, j’étais en effet fasciné par la mobilisation de moyens sans précédent.
Concrètement, c’était quoi ? L’importance des meetings, leur fréquence ? Qu’est-ce qui vous a alerté à l’époque ?
Tout le monde connaît la débauche de moyens qui ont été utilisés et qui dépassaient visiblement toute règle. Permettez-moi de dire que ce n’était pas la première fois !
2007, aussi ?
2007 et avant ! En 1995, il y a eu aussi des choses de cet ordre. Simplement, le Conseil constitutionnel a passé l’éponge sur toutes ces choses.
Jérôme Lavrilleux dit que ce n’est pas possible de faire une campagne présidentielle à 22 millions d’euros.
Monsieur Lavrilleux n’a qu’à venir me voir. Je lui donnerai des coûts de campagne sobres. J’ai fait deux campagnes présidentielles, et même une que nous avons failli remporter. En 2007, la campagne a été faite avec moins de 8 millions d’euros et la dernière campagne nous l’avons faite avec un peu plus de 6 millions d’euros.
Cela pose-t-il le problème de l’importance de l’argent dans ce pays ?
Cela pose le problème de l’importance que certains courants d’opinion accordent à l’argent, pour qui l’argent est la mesure de toute chose !
Un courant d’opinion ou un homme ?
Non, c’est une sensibilité, pas un seul homme. Il y a deux projets de société qui sont en confrontation. Le premier de ces projets est celui qui pense que l’argent n’est pas seulement le nerf de la guerre mais la mesure de la valeur de l’action des hommes. « Ceux qui réussissent sont ceux qui gagnent de l’argent », vous reconnaitrez là une phrase célèbre. Il y a une autre sensibilité qui est la mienne et pas seulement. Cette dernière pense que l’argent n’est qu’un outil et qu’il faut le remettre à sa place. Les choses essentielles de la vie, celles pour lesquelles on est capable de donner sa vie ou pour lesquelles on élève ses enfants, ne se mesurent pas en argent !
Est-ce le problème des valeurs en fait ?
C’est le problème de ce qui est précieux, dans la relation entre hommes, femmes, enfants ; dans la transmission et dans l’édification d’une société.
Vous avez mis en doute la sincérité des comptes de campagne de 2007. Cela n’est pourtant pas certain.
Je ne veux pas porter rétrospectivement des accusations. Je veux dire que cela a crevé les yeux de tout le monde. J’évoquais d’ailleurs la sincérité des comptes de plusieurs bords !
Plusieurs bords, cela veut dire quoi ?
Cette habitude s’était répandue au-delà même d’un camp, elle touchait plusieurs courants politiques.
Est-ce que vous avez des doutes sur la campagne de François Hollande en 2012 ?
Non, pas trop. Mais il y a quand même quelques éléments troublants : par exemple celui que vous citiez, Monsieur Lavrilleux, et les propos qu’il a indiqués dans une émission. Mais ce n’est pas mon sujet. Je veux que vous mesuriez ceci : il n’y a pas de démocratie possible s’il n’y a pas d’honnêteté et de loyauté. Montesquieu disait : « la démocratie est impossible sans vertu ». Le mot vertu a changé de sens au travers du temps. Nous avons besoin d’avoir au minimum les règles qui soient respectées par tous de la même manière. Vous avez une société dans laquelle les puissants ne respectent pas les règles qu’ils imposent aux autres. On a les mots les plus durs avec ce qu’il se passe dans les banlieues et on n’utilise pas de mots, on passe la gomme à effacer lorsqu’il s’agit des dérives qui appartiennent aux puissants. L’idée que la loi n’est pas la même pour tous est corruptrice dans la société dans laquelle on vit. C’est exactement ce que pense l’immense majorité de nos concitoyens. C’est précisément pour cela que l’on constate un certain nombre de dérives politiques.
Est-ce que vous pensez que ce discrédit dont vous parlez touche le parti UMP qui doit changer de nom et se transformer ou seulement quelques personnalités ?
Je n’ai aucune indication à donner sur l’UMP. J’ai bâti ma vie politique sur une idée simple qui est la suivante : il faut que la droite soit la droite, le centre soit le centre, que chacun s’assume et que l’idée d’un « parti unique de la droite et du centre » était à mes yeux fausse. Cette idée porte en elle quelque chose qui est très pernicieux : s’il n’y a plus que deux partis qui peuvent exercer le pouvoir, alors tout débat d’idées disparaît puisqu’il suffit d’attendre que le balancier revienne pour avoir le pouvoir. Je le disais déjà avant l’élection présidentielle de 2002 et je le dis devant vous aujourd’hui. C’est une question qui ne cessera pas de se poser. Regardez ce qu’il s’est passé pour le PS : qu’est-ce qui est frappant dans l’alternance que nous avons vécue en 2012 ? C’est qu’ils n’étaient pas prêts du tout ! On nous avait raconté qu’ils ne manquaient pas un bouton de guêtre, que tout était préparé et écrit. Je me souviens qu’il y avait une commission qui était soi-disant dirigée par Monsieur Fabius et chargée de prévoir les 100 premiers jours… En réalité, ils n’avaient aucune idée de ce qui allait se produire.
Pourquoi cette impréparation ? Pourquoi n’avaient-ils pas les idées claires ? Pourquoi n’avaient-ils pas les yeux en face des trous ? Car il suffisait d’attendre que le parti au pouvoir se casse la figure et ils allaient automatiquement recevoir par effet de balancier le pouvoir à leur tour. Cela est un danger pour le temps que nous vivons. S’il n’y a pas de confrontations d’idées, pas d’émulations, pas plusieurs sources de propositions pour le pays, alors vous êtes certain que nous allons à la catastrophe. Cela s’est passé avec les uns, puis passé avec les autres et doit donner à réfléchir à tous.
Est-ce que Nicolas Sarkozy peut être une source de propositions ? Est-ce qu’il peut revenir dans le paysage politique compte tenu de l’état de son parti et de cette affaire Bygmalion ?
Je ne parlerai pas de Nicolas Sarkozy parce que j’ai une différence avec tous les autres : j’en ai parlé quand il était au pouvoir ! Je lisais l’éditorial d’un de vos confrères dans Le Figaro. Il évoquait ceux qui à l’UMP critiquent aujourd’hui Nicolas Sarkozy et il disait : « s’il était critiquable, pourquoi ne l’ont-ils pas critiqué ? ». La différence pour moi, c’est que j’ai pris le risque pour dire ce que je voyais dériver et même se délabrer dans le système politique français tel qu’il était à cette époque. Ce que je voyais se dérouler sous mes yeux alors que personne ne s’en rendait compte, portait atteinte à ce que je croyais d’essentiel pour mon pays. J’ai donc parlé à cette époque et n’ai par conséquence aucun besoin aujourd’hui d’en rajouter. J’ai parlé quand il le fallait et je ne veux pas être aujourd’hui dans un combat avec Nicolas Sarkozy. Ce n’est pas mon sujet.
La véritable question est la suivante : est-ce qu’il peut y avoir une prise de conscience nationale qui sorte la France de l’impasse dans laquelle elle se trouve ?
Vous parliez de Nicolas Sarkozy. Il y a aussi François Fillon. Est-ce qu’il peut avoir cette prise de conscience ?
L’UMP a mis à sa tête un triumvirat, un collège, qui est composé d’Alain Juppé, François Fillon et Jean-Pierre Raffarin. J’ai pour les trois de l’estime. Il se trouve que ce sont des hommes avec qui j’ai eu des débats au travers du temps, mais jamais un débat qui porte sur l’essentiel. J’ai eu des débats politiques, parce qu’ils avaient fait des choix que je ne trouvais pas excellents y compris en matière d’organisation, pour ce qui est de la constitution de ce parti unique. Mais sur les personnalités et sur le fond j’ai du respect et de l’estime pour les trois. J’ai des liens très forts avec Alain Juppé depuis très longtemps. J’ai des liens avec François Fillon et une complicité avec Jean-Pierre Raffarin depuis longtemps également.
Vous êtes content finalement ?
Je ne dis pas que je suis content car il ne faut pas faire un amalgame de tout ça et penser que toutes ces sensibilités sont les mêmes. Vous allez voir que les « droites fortes », les « sarkozystes » et « copéistes » ne sont pas uniquement affaire de clans ou de courants, mais de sensibilités. Tout cela ne s’effacera pas. Je sais bien que ni Alain Juppé, ni François Fillon, ni Jean-Pierre Raffarin ne seront d’accord avec moi sur ce sujet puisque ça fait 12 ans que l’on a un débat sur ce point. Ce n’est pas la même sensibilité, ce n’est pas le même parti ! Cela peut être la même organisation artificielle, mais ce n’est pas le même parti ! Et plus on dit que c’est la même organisation, moins on a de débats d’idées et plus on est dans l’impasse.
Alain Juppé dont vous êtes proche vous tend la main. Il appelle à la recomposition de la droite en partant de l’UMP et du centre. Vous lui dites non.
Non, écoutez bien ce que je dis. Faire de la droite et du centre le même parti, pour ma part, je considère que c’est une erreur. Et je n’y participerai pas. Je m’y suis opposé en 2002, ce n’est pas pour l’accepter en 2014 après que tout cela ait fait la preuve de son échec génétique. Cela ne marchera pas. De ce point de vue, je ne marcherai pas dans une reconstitution d’organisation qui a montré son échec. En revanche, chacun organisé dans sa maison, en se respectant, en ayant des choses précieuses en commun, est-ce qu’on peut travailler ensemble ? Ma réponse est oui. On peut dialoguer, rechercher les idées et notamment faire se confronter des idées pour l’avenir. On peut bâtir ensemble des choses essentielles pour l’avenir du pays à condition qu’il n’y ait pas de confusion.
Quelles formes peut prendre cette collaboration ?
On va voir, j’ai quelques idées. Mais il est un peu tôt puisqu’on ne sait pas ce qui va se passer au sein de l’UMP.
Cela dépendra du chef de l’UMP ?
Je ne sais pas, cela dépendra du courant, de la sensibilité qu’ils choisiront, de l’orientation qu’ils prendront et je ne crois pas que cette différence essentielle s’estompera. Je pense au contraire qu’elle s’accusera. La campagne au sein de l’UMP va naturellement faire apparaître qu’il y a au moins deux grandes sensibilités. Quand vous avez des sensibilités différentes sur le fond, tout raccommodage artificiel conduit à l’échec.
On a l’impression que l’UMP va exploser. Est-ce votre pensée profonde ?
Je ne veux pas faire de prophétie de cet ordre. J’étais allé à Toulouse au congrès constitutif de cet amalgame pour dire : « Vous dites que nous pensons tous la même chose. Si nous pensons tous la même chose, c’est que nous ne pensons plus rien. » C’est ce qui s’est passé. C’est ce dont nous avons la vérification tous les jours. Ce qui s’est passé pendant les cinq années où Nicolas Sarkozy et sa majorité étaient au pouvoir, c’est que l’on n’a pas fait des choses déterminantes pour l’avenir du pays. On était un peu dans le blocage et l’impuissance parce que les questions n’étaient pas traitées. Les questions de la reconfiguration du pays, de la reconstruction du pays, notamment pour avoir entre autres des finances publiques équilibrées et surtout une efficacité de l’action publique n’ont pas été traitées.
Vous êtes au MoDem et il y a l’UDI. Vous vous êtes entendus pendant les européennes, mais après que se passe-t-il ?
On s’entendra je l’espère.
Est-ce que vous pensez tous la même chose ?
C’est une réalité dont il faut prendre la mesure. C’est le courant politique qui a le moins de divergences en son sein et qui est le plus explosé dans son organisation. Il n’y a pas de sujets sur lesquels nous sommes gravement en désaccord. On peut avoir des nuances, et même des nuances assez fortes sur la manière dont on fait la politique et dont on la conçoit. Mais sur le fond il n’y a pas de divergences aussi lourdes qu’il y en a au PS ou à l’UMP. Cependant, le centre est éclaté. Pour moi c’est très simple : la vocation du centre est l’unité. Mais il faut bien constater ces dernières années que cette unité n’a pas été à l’ordre du jour. L’unité signifie que ces organisations différentes se rapprochent, travaillent ensemble, pour un jour adopter une maison commune.
Est-ce l’UDF qui revient ?
Non, ce n’est pas l’UDF qui revient. Le problème de l’UDF était qu’à l’intérieur il y avait beaucoup de divergences et que ces dernières se soldaient par la soumission au grand parti voisin. Chacun jouait sa carte en allant se mettre entre les mains du parti voisin. Et cela, si je peux je l’éviterai.
Je vais le dire encore plus simplement, le centre est indispensable. Il n’existe que s’il est uni. Et le centre est indispensable aujourd’hui parce que c’est la seule force de renouvellement disponible dans le paysage politique français. Les autres forces - le PS qui est dans une crise terrible, l’UMP qui traverse aussi une crise importante - ont tous les pouvoirs entre les mains depuis 20 ans.
Qui voyez-vous à la tête de l’UDI ?
Je prends grand soin d’essayer désormais dans ma vie d’éviter des querelles inutiles. Je ne mettrai pas le petit doigt dans ces affrontements. Cela n’est pas mon affaire. Le choix que j’ai fait, en particulier cette dernière période, c’est d’être le moins politicien possible et davantage dans la réflexion de l’avenir du pays.
Qui voulez-vous voir à la tête de l’UDI ?
Le plus unitaire sera pour moi le meilleur.
Affaires de fausses adhésions qui concernent le parti radical, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cela m’inspire la phrase par laquelle je suis rentrée en début d’émission : s’il n’y a pas de loyauté, d’honnêteté, la vie politique est tout simplement ruinée. Et c’est d’ailleurs pour ça qu’il y a des lois, des tribunaux, des instances… Ce dont la vie politique française souffre est que depuis des années, cette question de l’honnêteté en politique a été soigneusement écartée. Je vais prendre un exemple. Nous sommes en 2014, il est insupportable que depuis des années se déroulent des manquements à la loi sur le financement des partis politiques au vu et au su de tout le monde. Il y a des lois sur le financement des partis qui ont l’air impeccables, en tout cas convenables. Et derrière tout ça, il y a une myriade de micros partis qui échappent à la loi et qui permettent à tous ou un grand nombre de responsables politiques majeurs de financer eux-mêmes leur propre action politique au mépris de la loi. Personne ne dit rien. Le Monde, LCP, l’AFP, France Info ne disent pas grand chose. Lorsque le prochain scandale éclatera, vous direz tous à ce micro, « mais Monsieur Bayrou, on le savait ! ». Vous vous accommodez comme tout le monde d’une situation qui est inacceptable. Le jour où va venir l’impératif de la moralisation de la vie publique française ; les questions du financement des partis, du nombre de parlementaires, de la sobriété de la vie publique et des mêmes règles fiscales pour tous vont s’insérer dans le débat. Or, le monde politique tel qu’il est organisé ne résoudra pas ces questions. Seule l’intervention des Français pourra le changer.
Quelle analyse portez-vous sur la montée du FN ?
C’est une poussée de protestation, la volonté d’envoyer un message d’exaspération qui ne s’accompagne d’aucune proposition crédible pour l’avenir de la France, au contraire. Si les solutions que proposent le FN étaient adoptées, ne serait-ce qu’une partie, ce serait un malheur pour le pays. Donc je n’ai aucun état d’âme devant les sondages ou même les scores, après tout, il y a eu 60 % d’abstention à la dernière élection européenne et le FN a fait un quart des 40 % qui ont voté. Cela veut dire 10 % des inscrits et c’est le courant le plus mobilisé. Je ne suis pas hypnotisé par la question du FN.
Marine Le Pen est en train de rompre avec son père. Cela veut dire qu’elle rentre dans le camp des partis respectables ?
S’il y a bien une chose que je souhaite ne pas faire dans la politique française, c’est commenter ce qu’il se passe au FN. Vous êtes hypnotisés. La génétique du parti est évidemment l’extrême droite mais ce n’est pas ma question. Ma question est : y a-t-il du bien pour l’avenir du pays ou du dangereux ? Pour moi, il y a du dangereux pour l’avenir du pays. Dans les querelles internes, je refuse de perdre de vue l’essentiel, qui est le risque que ces idées ou ces propositions font prendre à notre pays. C’est une manière pour notre pays de ne pas affronter les questions vitales qui se posent à lui et, au contraire, de les éluder. Je suis là comme un combattant qui a des idées, une manière de voir l’avenir et peut-être même des réponses à la situation du pays qui pour l’instant ne sont pas retenues par les gouvernants. Donc je suis là pour me battre et pour les imposer mais pas pour être fasciné ou hypnotisé par tel ou tel acteur du jeu politique actuel.
Marine Le Pen veut bloquer l’Europe. Que dites-vous à ses électeurs ?
C’est le plus grand malheur qui pourrait arriver à la France, pour son rayonnement et pour son histoire. Par exemple, si quelqu’un à l’extrême droite vient vous dire demain : « on va refermer les frontières » alors il portera un coup mortel à l’économie du pays parce que désormais la France est un appareil de production plongé dans l’ensemble européen et même dans la mondialisation. Désormais, tous les jours autour des frontières passent des camions qui exportent des marchandises françaises ou qui nous apportent des marchandises que nous achetons en provenance des pays qui nous entourent. Celui qui prétendrait fermer les frontières, remettre des postes-frontières fait courir à notre pays, à chacune de nos entreprises, les plus gros risques. Dès l’instant où vous fermez les frontières, est-ce que vous croyez que les autres vont rester inertes ? Est-ce que nos concurrents vont laisser leurs frontières ouvertes ? Vous porteriez atteinte directement à la partie la plus précieuse de notre économie : les entreprises exportatrices, celles qui ont réussi à développer des produits, des procédés qu’elles exportent à l’étranger. La pointe de diamant de l’industrie française, vous la condamneriez à mort et vous voulez que j’aie de l’indulgence pour ceux qui proposent ça ? Vous souhaitez que je dise qu’après tout, ils ont un tout petit peu raison ? Ils n’ont pas un tout petit peu raison. Et il revient aux hommes politiques qui ont un peu de vision et d’honneur de le dire. En tout cas, c’est le chemin que je suivrai.
Grève à la SNCF, est-ce que l’on a affaire à une France bloquée qui ne veut pas se réformer ?
Lorsque l’on a séparé la SNCF de RFF en 1997, il y a eu des grèves et une protestation sociale considérable qui disait que c’était scandaleux de séparer ce qui ne devrait jamais l’être : les trains et les rails. Aujourd’hui, le gouvernement propose au contraire de les rapprocher et de nouveaux il y a une grève. L’esprit humain refuse le changement. C’est pourquoi il faut parler, convaincre, entrainer, avoir des responsables publics qui aient du leadership. Ce qui manque à la tête de l’Etat, c’est de la cohérence, de la décision et du leadership. Leadership cela veut dire capacité d’entrainement.
Va-t-on vers un gros conflit social en France ?
Je ne sais pas. On va vers quelque chose de dangereux. Je ne sais pas exactement quelle forme cela va prendre, personne ne le sait. Mais nous sommes dans une société qui porte avec elle d’importantes frustrations parce qu’elle ne voit pas où on la conduit.
Le pacte de responsabilité, j’ai beaucoup de mal à y voir clair parce que ce sont de grandes annonces et de toutes petites décisions, des décisions qui sont de surcroit contradictoires entre elles. Le gouvernement présente comme une grande victoire le fait que l’on va diminuer les impôts, de sorte que 1,6 million de foyers fiscaux vont sortir de l’impôt, et dans le même temps, on dit qu’il faut faire des économies. Les gens ont du mal à y penser. Et pour moi, la vision est fausse. Ce que je voudrais, c’est que tous les foyers français soient en situation de payer un impôt même symbolique, que tout le monde soit associé. La proposition que j’avais faite est que l’on demande un impôt minime, peut-être de 5 euros par mois, à tous les foyers français et que l’on augmente le SMIC et les minimas sociaux. De cette manière, cela ne coûtera pas et chacun y participera. Cela ne coûtera pas à chaque foyer car il aura un revenu supplémentaire mais au moins pour l’avenir, il n’y aura pas de foyer français que l’on poussera sur le côté en disant « vous, vous ne payez pas d’impôt ». Comme tout le monde participe au service public et reçoit des services publics, tout le monde doit participer à l’impôt même symboliquement et même sans que cela coûte aux foyers. La différence sera la suivante : la question ne sera plus celle des classes moyennes, mais celle de tous les Français.
Réforme territoriale : les politiques disent qu’il faut réformer et quand François Hollande réforme, on n’est pas d’accord ?
Le mot réforme est un des mots les plus piégés. Ce qui m’intéresse, c’est que les réformes soient bien faites et qu’elles aillent dans le bon sens. Celle-ci est mal faite, elle est prise en dépit du bon sens et elle aboutira à un échec ou à zéro. Il y a une question principale et une question secondaire, et on a mis la question secondaire naturellement avant la question principale. La question principale est celle du millefeuille, je préfère dire labyrinthe des collectivités locales en France qui coûte extrêmement cher et qui est redondant. On se marche sur les pieds. Personne n’y voit clair, personne ne comprend comment ça marche donc la question principale à poser devant les Français était au minimum la question de la fusion des départements et des régions et l’attribution des compétences actuellement dévolues aux conseils généraux : vers le haut aux régions pour faire de l’aménagement du territoire et vers le bas aux intercommunalités pour faire du social. Ce n’était pas compliqué, cela s’explique en trois phrases, je suis absolument certain que les citoyens peuvent le comprendre. Et il y a une question accessoire, secondaire, peut-être même sans intérêt, qui est celle de la diminution du nombres des régions parce que ça n’économisera pas un centime.
Aujourd’hui toutes les études convergent dans ce sens, le gouvernement donne des chiffres mirobolants qui ne servent qu’à convaincre ceux qui les écrivent mais auxquels personne ne croit. Les régions c’est peu de fonctionnement et plus vous faites des régions grandes et plus il faudra de fonctionnaires pour servir de relais entre la décision publique et le terrain donc cela va coûter la même chose ou plus cher. Cela ne fera pas d’économies mais créera des crispations énormes. Donc cette réforme va être vouée à l’échec, si on avait voulu traiter cette question, on serait parti des cultures communes et de l’histoire. Par exemple si on veut diminuer le nombre de régions chez moi dans le sud-ouest : qui serait naturellement voué à vivre ensemble ? C’est l’Aquitaine et Midi-Pyrénées. C’est la même culture, c’est la même langue, c’est une manière de voir les choses. S’il fallait trancher entre Toulouse et Bordeaux, on aurait pu choisir Pau comme capitale. La pointe du triangle. On a pris le problème à l’envers donc la réforme va échouer.
Désillusion de François Hollande que vous avez soutenu, qu’est-ce qui lui a manqué durant ces deux ans ?
C’est une désillusion profonde, celle que beaucoup de Français éprouvent. Il lui a manqué la vision. Il a été pendant trop longtemps dans ses habits d’homme politique du PS avec des habitudes ou des attitudes d’homme politique du PS et c’est cette désillusion que tant de Français éprouvent. Je lui ai dit un jour qu’il fallait qu’il comprenne que son rôle n’était pas un rôle politique mais un rôle historique. Je ne vois pas de chemin pour sortir aisément, je pense plutôt que ça ne peut pas durer 3 ans. Je ne sais pas quelle forme prendra la crise que nous allons vivre, je ne sais pas vers quoi elle ira mais je pense que la situation est très dégradée. Quand vous avez à construire une politique forte et courageuse, que vous n’avez pas su l’exposer et qu’il n’y a pas de soutien de l’opinion alors vous êtes en grande difficulté. Pas de soutien de l’opinion, plus de soutien dans votre camp et un système institutionnel qui fait que l’opposition non plus n’est pas en forme : nous sommes dans cette situation, qui doit déboucher vers la prise de conscience de tous les Français de la nécessité de reconstruire avec des idées courageuses et simples.
Tout citoyen a un rôle à jouer, et je suis un citoyen de plein exercice. Je suis même responsable d’un courant politique français et élu local d’une importante collectivité locale, d’une ville importante qui a une histoire à nulle autre pareille et j’ai tout à fait l’intention d’exercer la plénitude de ces responsabilités.
Qu’est-ce qui vous empêcherait d’être candidat en 2017 ?
Je ne me pose pas la question de 2017. J’ai une différence avec votre jugement, avec le jugement des observateurs. Vous croyez que l’on va arriver à 2017 sans accident. Moi je ne crois pas que l’on arrivera à 2017 dans le même cadre qu’est le notre aujourd’hui. Je sens venir les orages. Peut-être me direz-vous dans trois ans que je me suis trompé. Et bien je serai ravi de m’être trompé, car les orages généralement ne sont pas faciles à affronter. Il y a une telle déconnexion, un tel délabrement de notre système politique, de nos institutions, une telle fragilité de notre économie, un tel chahut dans la société française et personne pour donner des repères, personne qui au travers du temps ait donné la preuve qu’il voyait clair. Nous sommes dans un monde politique où ce sont les partis qui comptent, or ces partis sont aujourd’hui délabrés et donc nous allons aller – je ne sais pas quand – vers une période qui ressemblera à ce qui s’est passé dans notre pays en 1958. En quelques semaines, naitra tout d’un coup dans l’opinion la certitude que ça ne peut pas continuer comme ça et qu’il faut cette fois-ci prendre les choses courageusement face-à-face en sachant où l’on va.
Le Général de Gaulle, est-ce François Bayrou ?
Contrairement à ce que vous croyez, je n’écris pas l’histoire à la première personne.
Merci François Bayrou.