"Il y a une disparition du sens de l’État"
Au micro de BFM TV, François Bayrou a réagi à la menace de l'exécutif d'interdire les manifestations contre la loi El Khomri en cas de risque d'atteinte aux biens et personnes. "La formule de François Hollande est incroyable. Les personnes et les biens sont menacés à chaque heure depuis quelques semaines", a estimé le maire de Pau.
Bonsoir François Bayrou ! Le président François Hollande menace d’interdire les manifestations si les personnes et les biens continuent d’être attaqués. Est-ce que vous considérez que c’est un peu tard ?
Non mais, la formule est incroyable. François Hollande dit "on interdit les manifestations si les personnes et les biens sont menacés". Mais les personnes et les biens sont menacés à chaque heure depuis des semaines. Vous avez vu l’état dans lequel certains quartiers de Paris se trouvent. Vous avez vu l’état d’abandon, de destruction...
Qu’est-ce que vous auriez fait François Bayrou ? Vous seriez Président de la République ou Premier ministre aujourd’hui, auriez-vous interdit depuis quelques temps les manifestations ? Vous savez que c’est un droit constitutionnel ! Vous savez qu’il peut y avoir des recours et que c’est le droit de la liberté d’expression !
Il faut dire des choses simples. C’est un droit constitutionnel mais nous sommes en état d’urgence. Les forces de police sont à bout parce qu’on a accumulé sur leurs épaules des responsabilités, des surveillances, des attaques, des agressions…
Donc vous auriez interdit les manifestations ?
En tous cas, j’aurais dit à l’avance que s'il y avait un débordement nouveau, la manifestation serait interdite. Mais des débordements, nous en voyons depuis des semaines. Vous passez les images sur vos écrans depuis des semaines ! Il y a en réalité avec les manifestations, derrière les manifestations ou à l’intérieur des manifestations, des forces dont le seul but est de détruire. J’ai vu tout à l’heure en passant un slogan sur un mur, il y avait écrit : « Quand tout est en cendres, tout redevient possible ». C’est exactement ce que cela veut dire : leur but n’est pas d’obtenir telle ou telle décision politique ou sociale, leur but est autant que possible de détruire au fond la maison dans laquelle nous habitons tous…
Que peut faire un gouvernement dans ce cas ?
Un pays c'est une maison…
Bien sûr, je le disais il y a un instant : des policiers sont assassinés et l’après-midi même, ils sont attaqués par des casseurs, comme s'il n’y avait pas de communication entre les Français eux-mêmes, que l’on ne traversait pas les mêmes épreuves...
Comme si nous ne vivions pas les mêmes événements et dans le même monde...
Alors que fait-on quand on est responsable politique ?
La raison précise, c’est que pour un certain nombre de gens et de forces, le sens des intérêts particuliers a remplacé le sens de l’intérêt général. Au lieu de penser que nous sommes très durement attaqués, très durement mis en cause, que les attentats menacent notre vie commune, chacun défend ce qu’il croit être ses propres intérêts. Je trouve que c’est absolument détestable et gravement irresponsable.
Mais encore une fois, qu’aurez fait un autre gouvernement ? Vous pensez que ce sont des intérêts politiciens qui dictent cela, qu’il y a eu la faiblesse du gouvernement ou que dans le fond c’était inévitable ?
Non, mais nous sommes dans un moment où plus rien ne répond, en dehors des forces de sécurité, auxquelles il faut que tout le monde soit reconnaissant vu ce qu’ils portent sur leurs épaules. En plus, on leur a ajouté les fan zones au football, on a multiplié les charges qui reposent sur eux, il y a l’Euro, il va y avoir le Tour de France…
Vous ne supprimeriez pas l’Euro quand même ?
Tout cela est extrêmement lourd. La question des fan zones aurait pu se poser.
Aujourd’hui le gouvernement hausse le ton. Pensez-vous que cette loi va passer par un 49-3 ou normalement ?
Normalement, je n’y crois pas. Je ne suis pas sûr que j’aurais mis le 49-3 au premier débat, cependant le 49-3 va bientôt s’imposer. Ce que l’on voit arriver, c’est l’espèce d’impasse et d’enlisement dans laquelle on se trouve. Il y a une disparition du sens de l’État. J’ai été frappé par autre chose – c’est un autre sujet et il parait accessoire – le gouvernement a annoncé la fermeture de Fessenheim et moi je ne suis pas sûr que j’aurais pris cette décision. Je ne discute pas le fond de la décision mais ce matin, EDF a dit : « non, on ne fermera pas Fessenheim ». C’est une entreprise d’État, du moins dans laquelle l’État est lourdement majoritaire et cela passe comme une lettre à la poste. Les formules utilisées par le pouvoir, par le gouvernement, par le Président de la République, sont rapportées sur le ton martial sur lequel elles sont censées avoir été proposées. Finalement, rien ne change dans la réalité. On laisse se dérouler un mécanisme de décomposition interne du pays.
Est-ce que l’opposition aujourd’hui, dont vous faites partie, pourrait changer ce climat ? En quelques mots, qu’est-ce qui changerait si vous étiez au pouvoir ? Les gens se disent peut-être que personne ne peut rien changer…
Il y a une chose qui changerait et serait essentielle : la légitimité des responsables nouveaux du pays. Il va falloir ouvrir un acte nouveau, on ne sait pas vraiment comment cela va se passer car tout cela parait assez confus et mal barré mais il y aura une légitimité nouvelle. C’est celle-ci qui permet de parler et d’agir, qui permet de reconstruire un État. Cela ne pourra pas se faire si l’on ne comprend pas qu’il va falloir changer profondément la manière dont la politique est conduite dans le pays. Notamment cette idée qu’avec une base toute petite, avec un soutien de l’opinion tout petit, on peut mener des changements importants ! Cette idée est une idée ruinée. Ce que l’on voit aujourd’hui, on pourrait le voir en pire. Donc il faut que des responsables publics solides décident que pour reconstruire un État digne de ce nom il faut aussi une base politique large.
Et donc des alliances et des coalitions ?
Un soutien politique large de la part du pays. Il faut donc changer la manière dont nos institutions fonctionnent. Cela fait des décennies que cela se dégrade petit à petit, on descend de marche en marche. Je l’ai dit cent fois mais aujourd’hui on est devant une impasse. Lorsque l’on voit des gens s’attaquer à l’hôpital des enfants, l’idée même que des casseurs dans des manifestations puissent attaquer un hôpital pour enfants - d’ailleurs l’hôpital dans lequel se trouvait le petit garçon du couple de policiers assassinés - franchement lorsqu’on en arrive là, il faut que quelqu’un sache dire stop. Autrement, ce n’est pas la peine de continuer à vivre ensemble. On va être dans une ambiance de décomposition anarchique. Et ceci est impossible.
Merci beaucoup François Bayrou d’être venu sur notre plateau.
Merci à vous.