Interview de François Bayrou sur RTL
François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, était l'invité de la matinale de RTL ce matin, au micro d'Elizabeth Martichoux. Nous vous invitons à revoir cette interview.
Bonjour François Bayrou.
Bonjour.
Gérard Collomb annonçait son futur départ du gouvernement hier dans L'Express. Honnêtement, peut-il rester, comme il le souhaite, encore huit mois, c’est-à-dire jusqu'après les Européennes, au ministère de l'Intérieur ?
Il assume la fonction. On sous-estime le lien qui existe entre, un élu local à la tête d'une grande collectivité et qui porte son destin - si j'ose dire - et cette collectivité-là, et le fait d'exercer des fonctions nationales. Cela peut être aussi un moment et puis, après, il y a l’envie de revenir à la fonction qui est la sienne.
Donc c'est l'explication de son départ ? Vous connaissez bien Gérard Collomb.
C'est un enracinement. Les fonctions nationales - comme vous le savez puisque vous y participez d'une certaine manière - sont des fonctions ingrates qui exposent, dans lesquelles on a du mal à voir le résultat de ce qu'on a entamé, et qui donnent assez souvent le sentiment que les efforts que l'on déploie ne sont pas des efforts qui changent le monde autant qu'on le voudrait. À la tête d'une grande collectivité locale, ce n’est pas cela. Vous voyez des femmes et des hommes dont vous avez la charge, qui vous ont mis dans cette responsabilité : vous pouvez authentiquement changer leur vie. Et je crois que Gérard Collomb avait au fond, après deux ans puisqu'il se projette à la fin de cette séquence, envie d'envoyer aux Lyonnais, à ses électeurs de Lyon, un message simple qui est : « je reviendrai. » …
… « Je reviendrai. Je choisis le moment où je l’annonce. » Je vous repose ma question : est-ce bien le moment de le faire maintenant ? Est-ce que c'était à lui de dire : « Je m'en vais dans huit mois », et est-ce qu'il peut rester au ministère de l'Intérieur, en ayant la tête ailleurs ?
Je sais bien que le monde politique est un monde dans lequel, l'habitude est de critiquer ses alliés. Je ne partage pas ce sentiment. Je pense que Gérard Collomb, comme ministre de l'Intérieur, a beaucoup profité de son expérience à la tête de la mairie de Lyon, et de sa responsabilité dans cette grande région. Il a notamment découvert des choses qui tiennent par exemple à l'immigration et qui ne sont pas minces. Et il envoie un signal. En tout cas, je trouve qu'il y a quelque chose qui traduit une authenticité.
Et une lassitude de ses fonctions à Beauvau, peut-être, alors qu'il rêve de rester maire de Lyon ? Vous en avez parlé ?
Je parle assez souvent avec les responsables du gouvernement.
Du point de vue du gouvernement justement, est-ce que ça n'ouvre pas une période de pré-remaniement qui risque, de durer des mois et qui peut - vous le savez, vous avez été ministre - créer un climat délétère. On se souvient par exemple de cette lente agonie ministérielle de Jean-Marc Ayrault de l'automne 2013 à avril 2014. Tous les jours, on annonçait qu'il allait partir et qu'effectivement François Hollande, cherchait à le faire partir. Est-ce qu’il ne va pas y avoir ce genre de souci ?
J’espère que non et je crois que non. Tout cela est relié à une question : c'est la puissance de la présence du président de la République, portant son projet, et le portant auprès de l'opinion. Je prends souvent cet exemple : c'est exactement comme un aimant. Vous savez, un électro-aimant : vous envoyez de l'électricité et tout d'un coup, le magnétisme s’exerce. La Vème République, c'est un système politique, qui est centré autour de ce contrat de confiance qui est signé, entre le candidat élu et les Français, à deux. Et autour du candidat élu, s'organise un gouvernement, une majorité, et le président de la République est la clé de cet ordre.
Vous vous en êtes inquiété. Vous vous êtes confié à Elsa Freyssenetdes Echos. Vous avez dit : « Je suis inquiet que la perspective de la politique actuelle, celle que mène Emmanuel Macron, soit uniquement gestionnaire et conservatrice. » Gestionnaire et conservatrice ?
Ces derniers jours, on a eu les deux contre-épreuves. Quelle est mon inquiétude ? Quelle était l'inquiétude que j'ai exprimée là ? Les Français n'ont pas élu, en Emmanuel Macron, un président gestionnaire, ni une technocratie. Ils ont élu, au contraire, un projet. Et ce projet ne peut être qu’un projet de société, pas un projet de gestion, d’économie,… Avec le plan pauvreté et le plan santé, le président de la République a montré - peut-être cela ne s'est pas encore entendu, et peut-être qu’il faut le souligner - que son projet n’était pas un projet gestionnaire. C'était un projet pour remodeler la société française, et pour que trouvent leur place ceux qui ne l'ont pas ou ceux qu’ils ne l'ont pas encore.
Cela veut dire que ces deux contre-exemples comme vous dites, viennent vous rassurer parce que ce qui a précédé, pouvait être une gestion trois gestionnaire, trop « techno » ? Vous allez d’ailleurs faire un livre là-dessus.
Je ne veux pas être déplaisant mais je suis d'une franchise absolue. La preuve, vous venez de citer une phrase. Je pense que le moment où nous sommes, dans l'histoire de notre pays, sans vouloir employer de grands mots, c'est le moment où l’on a besoin de réaffirmer que le projet français n'est pas seulement un projet d'adaptation au monde comme il va, c'est-à-dire, au monde des rapports de force, au monde du plus fort et au monde du plus riche. Le projet français, c'est autre chose. C'est le monde du plus juste, ou en tout cas c'est la recherche du monde du plus juste. Ce qui se passe à l'Education nationale, pour moi, qui ai exercé cette responsabilité, c'est une renaissance. On a vécu des années précédentes dans lesquelles, l'Education nationale était peu à peu vidée de sa mission essentielle, la mission de transmission des fondamentaux et des humanités : au fond la culture générale, donner à chaque enfant la boussole pour se retrouver dans la jungle dans laquelle nous vivons, la jungle d’internet, etc. On avait le sentiment cruel que c'était en train de disparaître. Et j'avais, comme beaucoup - mais peut-être parce que mon histoire personnelle est celle d'un parent et d'un professeur quand j'étais jeune - j'avais le sentiment que l’on était en train de perdre l'essentiel. Cela se reconstruit et cela se reconstruit de manière absolument tangible : la preuve c'est le dédoublement des classes au cours élémentaire dans les milieux difficiles.
Cela manque un peu d'explications ? C'est un peu la tarte à la crème : quand un gouvernement est en difficulté, c’est qu’il n’explique pas suffisamment, qu’on ne voit pas sa vision…
L'action du gouvernement ne peut pas se résumer à des réformes successives. Car les réformes, on ne sait pas exactement dans quel sens elles vont. Et il peut y avoir des réformes qui vont dans un très bon sens et des réformes qui vont dans un moins bon sens. Ce n'est pas la réforme pour la réforme. On a besoin de replacer dans un cadre, qui soit le cadre d'un projet d'une nation pour elle-même.
Et c’est au président de la République de le faire ?
Et c’est au président de la République de le faire, en donnant la dimension des objectifs à atteindre. C'est au président de la République de le faire, et je crois que personne ne peut le faire à sa place.
J'ai deux questions rapides : vous aviez dit pendant la campagne, à Emmanuel Macron, de mémoire : « Vous n'avez pas l'âge qu'il faut pour être président. Mais ce n’est pas grave. » Bref, vous manquez peut-être un peu d'expérience. Est-ce que c'est un souci ? Est-ce qu’il y a un peu un manque d'expérience dans ce qui se passe en ce moment ?
Je pense que le problème est davantage, ou au moins, le problème des équipes qui l’entourent que le sien propre. Parce que lui, l’expérience, il va l’acquérir vite. En tout cas, les tempêtes, les orages, les difficultés, ça forme. En revanche, il est arrivé aux responsabilités avec autour de lui des équipes qui, elles, n'avaient pas toute cette expérience de grandes responsabilités.
À l'Élysée, à Matignon ?
Autour de lui, dans le système de l'exécutif. Et d'ailleurs, c'est vrai aussi dans le législatif, c'est vrai dans les assemblées.
Un dernier mot encore. L'affaire Benalla. Vous ne comprenez pas que le président lui-même conteste le droit du Sénat d'investiguer, d'auditionner par exemple son ex-collaborateur, ce matin.
Ce n'est pas exactement ce que j'ai dit. Je ne crains pas du tout cette audition, et je ne vois pas ce qu'on pourrait trouver. C'est une affaire, à mes yeux, transparente. C'est -à-dire celle d’un jeune homme plongé dans l'univers du pouvoir, nimbé de ce pouvoir, et qui tout d'un coup perd le sens des réalités, et se met à avoir des attitudes de cow-boy pour simplifier. Donc pour moi, c'est très simple. Et je pense que le Sénat va aller exactement dans le sens de ce qu'il a dit, c'est-à-dire comprendre l'organisation de l'Élysée. Il n’y a pas grand-chose à essayer de comprendre, il y a pas de secret dans tout ça, il n’y a pas de secret d'État, profond, dissimulé. Tout cela, c'est un fantasme. En revanche, le président de la République a la responsabilité - c'est la Constitution elle-même qui le dit, de veiller à l'équilibre des pouvoirs. Chacun doit être dans son rôle. Je ne veux pas dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce n’est pas ma manière de voir, mais je pense que chacun doit être dans son rôle, et qu'il n'y a rien à craindre dès lors que chacun est dans son rôle, parce qu’au fond, c'est cet équilibre que les Français veulent : ils veulent du pouvoir, de l'autorité, et ils veulent des contre-pouvoirs qui sont un bienfait pour cet équilibre démocratique.
François Bayrou qui dit à l'Élysée et aux sénateurs : n'ayez pas peur. Cela rappelle quelqu'un. Merci à vous.