"La France est un pays qui mérite une République plus solide !"

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Face à la décomposition de la vie politique française, François Bayrou, président du MoDem et maire de Pau, a rappelé ce soir au micro de l'émission "Tous politiques" le cahier des charges à suivre pour s'en sortir.

Roselyne Febvre : Pour commencer, l’actualité : cette arrestation d’un suspect dans la tuerie du musée juif de Bruxelles, un jeune Français de 29 ans, qui se serait radicalisé en prison et aurait séjourné en Syrie. Le parallèle avec l’affaire Merah est assez saisissant. Comment la France peut-elle lutter contre ces phénomènes ?

François Bayrou : D’abord, la France peut et doit lutter contre les causes de ces dérives. J’entendais il y a une minute sur votre antenne le grand rabbin de Bruxelles qui disait « c’est la libération de la parole qui nous conduit là où l’on est ». C’est la parole prétendument libérée qui en réalité s’affranchit de tous les principes, de toutes les réserves et de toutes les règles dont notre temps est si friand. Elle tombe sur des esprits faibles comme une graine, ça germe et ces esprits viennent à des radicalisations et à des terribles crimes faits au nom de « on ne sait quelle idéologie ».  Donc la première chose quand on est une société comme la notre est de lutter contre ces affirmations et de dire « chez nous, nous ne les acceptons pas ».

Est-ce de l’antisémitisme ?

Oui, c’est de l’antisémitisme, qui prend aujourd’hui des visages très différents de ce qu’il était autrefois mais dont vous voyez qu’il prospère. La deuxième chose est policière : suivre et interpeller, si possible préventivement. Il ne suffit pas de repérer, il faut aussi interpeller, avoir l’arsenal juridique nécessaire pour se faire. C’est un devoir à l’égard des victimes, à l’égard des communautés ciblées. La communauté juive est ciblée et c’est aussi un devoir à l’égard des musulmans français parce qu’eux, on les regarde du coin de l’œil avec un soupçon dans le regard. Ils n’en peuvent plus non plus d’être ciblés pour des dérives dans lesquelles ils sont complètement absents.

Marc Fauvelle : François Bayrou, je reviens sur ce que vous venez de dire sur la libération de la parole. Est-ce que vous incluez par exemple le score du Front national aujourd’hui en France ?

Non, je pense qu’il serait tout à fait injuste et infondé de faire des amalgames de cet ordre.

Marc Fauvelle : Le Front national n’est pas antisémite ?

Pour moi en tout cas je n’en vois pas de signe. Je sais bien qu’il y a partout et toujours des relents mais je n’ai aucune envie de faire des amalgames de cet ordre, je les trouve infondés et pas dignes.

Henri Vernet : Il y a ce plan justement anti-jihadiste qui a été lancé il y a quelques semaines par Bernard Cazeneuve. Il n’est pas suffisant ? Que faut-il changer ?

Je n’ai pas dit qu’il n’était pas suffisant : il n’est pas en vigueur donc nous allons voir. Comme vous le savez, je pense qu’il y a plusieurs sujets sur lesquels la situation du pays impose une responsabilité d’union nationale et celui-là en est un au premier chef. Donc tout ce que la justice de notre pays, la police de notre pays, les services de renseignements de notre pays proposeront pour aller dans le sens d’une meilleure sécurité et de la lutte contre ces dérives, il est bien de les examiner avec un esprit positif et de responsabilité.

Roselyne Febvre : Va-t-on voir naitre la même polémique que lors de l’affaire Merah où on a vu qu’il avait été emprisonné cinq fois, condamné sept fois et qu’il n’y a pas eu réellement de suivi ?

Je n’ai pas les éléments du dossier, je n’ai pas envie de faire de procès de cet ordre. Je sais que la puissance de la justice et la puissance des forces de sécurité de renseignements dans notre pays sont entièrement mobilisées. Un des pièges dans lesquels on tombe dans des affaires de cet ordre, c’est qu’on laisse se créer des affrontements dans la société, on crée des divisions, alors que ce qu’il faut est une unité sans faille.

Marc Fauvelle : Est-ce que ce parcours - d’être passé en prison, de s’être radicalisé derrière les barreaux – ne montre pas que la prison, parfois, devient le problème plus que la solution ? Est-ce que ça ne donne pas raison finalement à l’argument de Christiane Taubira dont le texte arrive cette semaine à l’Assemblée qui dit « attention, parfois la prison, on en ressort encore plus dur, encore plus criminel que l’on y rentre » ?

Je crois que c’est vrai. Ce n’est pas une raison pour écarter toute peine d’emprisonnement. Il est vrai que la prison est un pourrissoir dans bien des cas. Pas seulement dans des cas de dérive extrémistes, intégristes – et c’est vrai qu’il y en a – mais aussi dans des cas de bandes, de caïds. Les prisons sont des lieux de fermentation. Ce n’est pas une raison pour écarter toutes les peines d’emprisonnement.

Roselyne Febvre : Ce serait quoi la solution ? Une surveillance en prison ?

J’espère que la surveillance existe ! J’espère que les services de renseignements font attention à ce qu’il se passe en prison. Mais c’est évident qu’il y a actuellement dans les prisons françaises des entreprises de radicalisation, c’est-à-dire de prise de contrôle des esprits par des mouvements intégristes.

Henri Vernet : Dans ce contexte extrêmement sensible, est-ce que vous allez approuver et appeler à voter la réforme pénale de Madame Taubira, qui prévoit des peines probatoires pour des détenus - qui certes sont incomparables avec celui-ci - mais qui correspondraient à des peines de prison inférieures à cinq ans ?

D’abord il faut faire attention : délit et crime ce n’est pas la même chose. Ce dont on parle, c’est des délits. Il va y avoir un débat à l’Assemblée nationale. Le Président de la République est intervenu sévèrement contre Madame Taubira pour la rappeler à l’ordre et effacer l’impression de laxisme. Je pense que des peines de substitutions à la prison sont bienvenues dans un certain nombre de cas. Je ne crois pas que la prison soit la solution à tout. Mais il faut en même temps éviter de donner aux Français le sentiment que l’on va vers du laxisme. Il y a dans la société française aujourd’hui une demande de rigueur, une demande même de sévérité en face de dérives. Donc les plus désarmés des Français souffrent, ceux qui n’ont ni relations, ni argent pour les défendre. La société doit être là pour les défendre ! Lorsque vous êtes victime de vols, lorsque vous êtes victime d’incendie de voiture, lorsque l’on vous agresse presque dans votre intimité, vous avez le droit qu’il y ait une société et des puissances qui à votre place poursuivent, saisissent, condamnent ceux qui vous font du mal.

Marc Fauvelle : Donc si vous étiez député, vous la voteriez ?

Je ne sais absolument pas quel est le texte et vous non plus.

Marc Fauvelle : Il va arriver en séance publique à partir de mardi.

Je pense que pour des petits délits c’est justifié. Mais il faut faire très attention à l’impression de laxisme parce que c’est la société toute entière, principalement parmi les plus faibles, qui se sent agressée.

Marc Fauvelle : François Hollande est dans une impopularité que l’on va qualifier d’extrêmement durable. Il est en train de toucher le fond dans les sondages depuis plusieurs semaines. Il y a une petite musique qui monte, y compris à gauche : pourra-t-il être candidat en 2017 ? Ou est-ce qu’il faudra organiser des primaires à gauche ? Est-ce que pour vous aujourd’hui, il y a un « problème Hollande » à la tête du pays ?

Je pense qu’il est impossible que le Président de la République et l’ensemble du gouvernement résistent dans les circonstances d’opinion où nous sommes pendant trois ans. Cela me paraît impossible ! Quand vous êtes au pouvoir, vous rencontrez toujours des accidents ! Vous avez toujours des événements qui se produisent et qui sont des événements déstabilisants. Vous y résistez quand vous avez un matelas de soutien dans l’opinion, vous perdez quelques points puis vous remontez ensuite. Là ce n’est pas le cas, il n’y a pour ainsi dire plus de soutien dans l’opinion pour François Hollande. Le gouvernement et lui ont fait des choix qui sont venus trop tard, qui sont trop tièdes, trop timides, trop illisibles. Aujourd’hui c’est son image même qui se trouve profondément atteinte et pour moi en tout cas il est impossible qu’ils résiste trois ans dans ces circonstances.

Roselyne Febvre : Donc, vous dites que l’on arrive à une crise de régime ?

Il faut dire les choses précisément. Nous sommes dans une crise de confiance comme il y en a eu peu dans l’histoire de la cinquième République. D’ailleurs je pense que cette crise est si profonde qu’elle va poser des questions à la cinquième République elle-même. Nos institutions sont en cause et ce qui va naitre dans l’opinion c’est l’appel à une République nouvelle, l’appel à des institutions nouvelles pour que l’on ne reste pas dans la situation où l’on se trouve aujourd’hui.

Henri Vernet : Mais avant cela, doit-il dissoudre l’Assemblée ? C’est quand même assez singulier de proposer ainsi une crise de régime. En dehors des sondages, qu’est-ce qui appelle à ça ?

Si vous trouvez que l'on n’est pas dans une crise de régime…

Henri Vernet : Dans une crise politique oui, dans une crise de régime non. En quoi ?

Vous êtes dans une crise de régime parce que le gouvernement ne peut plus avancer, parce que dans sa majorité elle-même le doute est si profond qu’aujourd’hui une vague s’est levée contre le vrai chef de la majorité qui est le Président de la République, parce qu’il y a un déséquilibre très profond de soutien de l’opinion entre le Président de la République et le Premier ministre et parce que la majorité au pouvoir a réalisé dimanche moins de 14 % des voix !

Henri Vernet : C’est déjà arrivé !

Non, ça ne s’est jamais produit de cette manière.

Henri Vernet : En 94, si.

Non, pas du tout, en 94, ce n’est pas ce qui s’est produit. En 94, Michel Rocard était le candidat officiel et François Mitterrand avait « balancé » Bernard Tapie qui était membre de la majorité et même sur le point d’entrer au gouvernement ou en tout cas allait y entrer quelques semaines plus tard. Tout ça était le même ensemble, et cet ensemble était à 25 ou 26 % des voix. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Marc Fauvelle : Vous dites « ça ne va pas durer trois ans », qu’est-ce qui peut se passer ?

Nous n’en savons rien mais nous savons que c’est certain.

Marc Fauvelle : La rue ?

Il y aura des convulsions. Je prends toujours un exemple pour illustrer ce que je pense sur ce sujet. Quand un orage arrive, les physiciens disent que la différence de potentiel augmente entre les nuages et le sol, vous avez une tension électrique. Vous ne savez pas où la foudre tombe mais vous êtes certain d’une chose c’est qu’elle tombe ! Et les événements dont je parle, les mini-crises dont je parle, les accidents dont je parle, habituellement on les surmonte, mais pas quand il y a une perte de confiance dans l’opinion. Il faut mesurer que les démocraties contemporaines : elles sont naturellement dirigées, les choix importants se font au moment des élections mais vous avez besoin tout au long du mandat d’avoir une confiance maintenue. Autrement, ça cale et bientôt ça claque. C’est là qu’on en est ! Pour ma part, vous m’interrogez à titre de citoyen : je ne crois pas que ça puisse durer trois ans comme cela. Je répète ce que je vous ai dit : ce qui va se poser, c’est la question des institutions, parce que dissoudre comme cela n’a aucun sens, ça veut dire qu’on recommence à donner le pouvoir à un seul parti. Je voudrais vous donner un chiffre : les deux partis de pouvoir, l’UMP d’un côté, le PS de l’autre, ils ont eux et leurs satellites plus de 95 % des sièges à l’Assemblée nationale et au Sénat alors qu’ensemble ils n’arrivent pas à 35 % des voix. Vous trouvez que ce n’est pas une crise de régime ? Pour moi c’est une crise de nos institutions gravissime qui fait que nos institutions parlementaires en particulier ne ressemblent plus au pays comme il est. Elles sont désavouées par le pays à chaque occasion et ceci doit entraîner une réflexion positive de la part de ceux qui veulent reconstruire la République et ne pas la laisser s’effondrer.

Roselyne Febvre : Alors cette sixième République, est-ce que ça veut dire de la proportionnelle à l’Assemblée nationale et revenir à un régime parlementaire ? Doit-on changer de République et si oui, vers quoi ? »

Ma réponse est oui et j’ai proposé depuis longtemps ce qui est pour moi le cahier des charges de ce changement. Je le propose à nouveau aujourd’hui. On a besoin de montrer aux citoyens que ceux qui ont le pouvoir entre les mains comprennent les frustrations et les attentes. Cela signifie que le sommet fasse et accepte lui aussi les sacrifices qu’il demande aux citoyens. J’ai suggéré que l’on divise par deux le nombre de députés, par deux le nombre de sénateurs, que l’on s’interroge sur cette institution qui s’appelle le Conseil économique et social, que l’on traite fiscalement de la même manière le monde des élus et le monde des citoyens ordinaires afin que l’on ait une règle stable pour tous. Je veux que l’on ait une lisibilité des collectivités locales supérieure à ce que l’on a aujourd’hui. Il faut qu’on règle la question du financement des partis politiques qui est aujourd’hui une honte civique. Il faut naturellement une loi électorale juste parce que c’est le seul moyen de mettre un peu de souplesse dans les forces politiques. Tous les pays qui nous entourent en Europe ont une loi électorale juste qui fait que l’on peut toujours avoir une adéquation entre le peuple et ceux qui le gouvernent. Tout ceci, c’est un cahier des charges de refondation, de rénovation et de moralisation de la vie politique française. J’ajoute que je ne crois pas que le monde politique classique acceptera ces changements et il n’y a pour moi que le peuple français consulté par referendum dans un moment de prise de conscience très important qui pourra faire ce choix. Il faut regretter que ce n’ait pas été fait avant, je l’ai proposé à François Hollande précisément et longuement parce que quand les choses viennent tard, c’est souvent trop tard.

Roselyne Febvre : On est au bout d’un système ?

On est totalement au bout d’un système. Cette manière de vivre notre pauvre République complètement dévitalisée, vidée de son sens que vous décrivez tous les jours dans vos journaux est indigne de la France. La France est un pays qui mérite une République plus solide, plus constructive que celle que nous avons aujourd’hui. Aujourd’hui, le pouvoir vit en défense, complètement enfermée dans sa forteresse. François Hollande ne peut souvent même plus sortir à cause des sifflets. Il est obligé, comme Nicolas Sarkozy l’était, d’être protégé par des haies de policiers. Tout ça n’est pas la France.

Henri Vernet : Monsieur Bayrou, vous dites « cahier des charges », ça ressemble à un programme pour 2017, mais là ce que vous nous annoncez c’est un chaos imminent. Du coup cela veut dire quoi ? Est-ce que vous êtes prêt à y aller d’ici-là ? Est-ce que vous êtes prêt par exemple à aller à Matignon ?

Premièrement, vous dites c’est un programme pour 2017. Non, ce sont des propositions pour aujourd’hui. La plupart de ceux qui nous écoutent à l’instant, ce qu’ils pensent toute la journée c’est « il n’y a rien à faire » et c’est pourquoi ils ont des votes de protestation, une manière de dire « zut » - et encore les mots que je choisis sont faibles - à tout le système politique français, parce qu’ils ne voient aucune possibilité de s’en sortir. Ce que je veux vous faire sentir, c’est que le chemin pour s’en sortir existe. Il n’est ni compliqué, ni difficile à  atteindre, ni complètement philosophique ou conceptuel. Il est extrêmement simple comme toutes les décisions qui engagent l’avenir d’un pays. Ce sont des décisions simples. On peut les mettre en application demain matin. Il faut du courage politique et de la lucidité de la part des responsables et des gouvernants. Pour ma part je suis certain que c’est le seul message à adresser aux Français qui puisse leur rendre un tout petit peu de verticalité : se tenir debout et ne pas passer son temps à courber les épaules et à être dans une situation de désespérance civique. Il existe des voies politiques qui permettent aux citoyens de faire entendre leurs voix et de reconstruire la France. Ce n’est pas si compliqué ! Regardez l’état dans lequel nous sommes en Europe. Tout le monde nous regarde avec un regard de commisération, en se poussant du coude, vous croyez que l’on va accepter que cela reste comme ça pendant des années ?

Marc Fauvelle : Un mot François Bayrou sur la ligne économique de François Hollande si vous voulez bien. On sent bien qu’il y a des gestes ces dernières semaines sur l’impôt sur le revenu, sur les fonctionnaires, sur les emplois à domicile. Manuel Valls finalement redistribue un peu d’argent que l’on n’a d’ailleurs sans doute pas. Est-ce qu’il faut s’affranchir aujourd’hui du dogme des 3 % et dire « ça suffit, le résultat, on l’a eu dimanche dernier dans les urnes, c’était le FN à 25 % » ? 

Cette affirmation me fait rire tristement.

Marc Fauvelle : Laquelle ? S’affranchir des 3 % ?

Oui, parce que les 3 % ce n’est pas une règle qui nous est imposée de l’extérieur. Notre obligation est de remettre de l’ordre dans nos affaires à nous ! Ce n’est pas Bruxelles la question ! C’est exactement la question qui se pose à un ménage surendetté. L’économie, vous savez, ce n’est pas des concepts lointains. Ce sont des choses très simples. Nous sommes une maison, la France, qui est comme un ménage, comme une entreprise. Depuis des années, malgré les avertissements que j’ai répétés et portés, nous avons choisi de nous affranchir complètement de toute préoccupation de l’équilibre de nos comptes et bien cela nous rattrape ! Ce n’est pas pour Bruxelles qu’il faut que l’on remette de l’ordre, c’est pour nous-mêmes ! Parce que ça va nous exploser à la figure comme une grenade dégoupillée.

Marc Fauvelle : Et trois millions et demi de chômeurs, ça ne risque pas de nous exploser aussi à la figure ?

Mais on en aura encore plus si on continue comme ça ! Simplement il faut dire une chose qui n’est pas dite aujourd’hui : le retour à l’équilibre des comptes ne doit pas être un retour uniquement punitif dans lequel on se promène avec une serpe, un faux ou une hache en prétendant que l’on coupe tout. Le retour à l’équilibre des comptes doit avoir une obsession : comment fait-on pour que les entreprises, les inventeurs, les créateurs, les artisans, les commerçants soient libérés d’un grand nombre de contraintes qui ne servent à rien et qui nous paralysent ? Comment fait-on pour qu’ils retrouvent confiance ? Comment fait-on pour que les salariés soient assurés que ce qu’ils touchent, ils peuvent l’épargner ou le dépenser et qu’ils vivent en dehors de la crainte de la fiscalité excessive ? Ce sont des choses très simples. La plupart des règlements que nous nous sommes imposés et qui font des volumes épais comme des dictionnaires, pour la plupart ils ne servent à rien qu’à embêter le monde ! Ils ne servent à rien qu’à paralyser le sentiment de confiance qui devrait être celui de tous ceux qui sont à la tête de l’activité en France. Et si vous ne faites pas ça, vous aurez beau couper à la hache toutes les dépenses, vous n’y arriverez pas ! La question n’est pas seulement celle des comptes, la question est celle de la créativité du pays, de la création du pays.

Roselyne Febvre : Simplification, vous le disiez, coupée à la hache. François Hollande devrait l’annoncer ce mardi dans la presse régionale, c’est la réforme territoriale : douze régions, est-ce là une vraie révolution ?

Premièrement, je crois qu’il n’y arrivera pas et deuxièmement, je pense que l’on pose mal la question.

Roselyne Febvre : Pourquoi ?

Il n’y arrivera pas parce que l’on est embarqué dans un système dans lequel je ne vois pas de logique. Plus exactement, on fait des nœuds avec des logiques différentes ! Pour moi, il n’y avait pas trop de régions en France – alors peut-être que l’on pouvait réunir les deux Normandie ensemble, j’ai plaidé cela depuis longtemps, et puis trouver des accommodements pour un certain nombre d’autres régions – mais je ne crois pas que l’on fera plus d’économies avec douze régions que si l’on avait gardé les équilibres actuels. En revanche, cela va nous empêcher de traiter de la vraie question qui est celle de la fusion des départements avec les régions. Il est pour moi impossible d’accepter dans les temps où nous vivons que deux institutions, deux assemblées, deux types d’élu différents gèrent la même chose. Je prétends que régions et départements, ce sont les mêmes responsabilités, que les collèges chez les uns et les lycées chez les autres c’est absurde, parce que c’est le même travail ! Je suis donc pour la fusion des départements et des régions et je mets en garde contre cette manie que l’on a de vouloir imposer des fusions artificielles. Une région, ça doit avoir une identité : une identité culturelle et géographique. Cela doit être homogène. Je regardais la carte qui a été publiée par vos confrères du Journal du dimanche ce matin : on veut mettre l’Aquitaine avec le Limousin, c’est-à-dire la partie occidentale des Pyrénées avec la partie méridionale du Massif central. Quelle unité y a-t-il entre Limoges et Bayonne ou Pau ? Franchement, vous allez chercher ! Il faut cinq heures pour aller de l’un à l’autre. Ce n’est pas l’idée que je me fais d’une région. A la limite, si l’on voulait réunir les régions, il y a une façon très simple de faire, on réunit Aquitaine et Midi-Pyrénées. Là au moins, on a la même culture, celle du sud-ouest, la culture rugby, on a la même langue, la même manière de voir et d’envisager les choses. Après tout, que les villes de Bordeaux et Toulouse soient réunies, c’est suffisamment proche pour que cela ne choque pas.

Je pense que prendre la question par le nombre de régions, c’est se condamner à l’échec. Cela va conduire à un échec parlementaire qui va empêcher de faire les réformes utiles. Je pense que l’on a pris la question par le mauvais bout de la lorgnette et si on l’avait prise à partir d’une logique politique qui aurait consisté à d’abord simplifier les échelons puis à traiter après les frontières, on aurait beaucoup mieux fait. Là encore, le gouvernement s’est trompé.

Marc Fauvelle : On en vient à l’UMP : la vie sans Jean-François Copé, poussé vers la sortie cette semaine. Le départ de Jean-François Copé, c’est un bien ou un mal pour l’UMP ?

Ne me demandez pas mon avis sur ce sujet. Tout le monde connaît mes relations avec Jean-François Copé qui ont été tourmentées dans le temps pour des raisons diverses. Donc je ne veux pas me prononcer sur ce point. Je veux dire une chose : ce dont la vie politique française a besoin aujourd’hui, c’est une force de renouvellement. L’éternel enfermement de la vie politique à l’intérieur des frontières du PS et de l’UMP qui vous fournissent matière à éditoriaux et à reportages incessants est pour moi l’enfermement dans l’échec ! Parce que la PS et l’UMP ont échoué pour la même raison, qui nous ramène à la question des institutions. Nous avons des institutions qui font que quand un parti gagne le pouvoir, il a tout le pouvoir entre les mains sans exception. Pour les partis la question, ce n’est plus les idées, ce n’est plus les attitudes politiques, ce n’est plus le courage, c’est uniquement la prise du pouvoir et le contrôle du pouvoir et qu’importent les idées. Quand on a crée l’UMP, vous savez que je m’y suis opposé…

Marc Fauvelle : C’était à Toulouse au début des années 2000, vous étiez venu dire devant les forces de droite « si nous pensons tous la même chose, c’est que nous ne pensons plus rien »…

C’est exactement ce que je pense aujourd’hui. Quand on a crée une force en disant « au fond, la droite et le centre c’est la même chose », on s’est condamné une fois pour toutes à évacuer le débat d’idées nécessaire, sain et vivifiant à l’intérieur de l’opposition. On en est là ! Vous avez dans le même parti des gens qui pensent des choses radicalement différentes ! Vous avez des pro-européens et des anti-européens. Vous avez des libéraux et des anti-libéraux. Le phénomène est le même au PS et à l’UMP ! Car au PS non plus, il n’y a pas de débat d’idées et d’unité.

Roselyne Febvre : Après la chute de Jean-François Copé, trois hommes sont à l’UMP aujourd’hui en attendant le mois d’octobre pour un congrès, c’est le triumvirat Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et François Fillon. Ecoutez ce que disait Alain Juppé, cette semaine : il vous a lancé un appel :

[Alain Juppé : « C’est aux fondamentaux de l’UMP qu’il faut revenir. Et l’UMP c’est quoi ? C’est la droite et le centre. Je pense qu’il est impératif que nous reprenions un dialogue constructif et confiant avec les formations du centre. »]

Roselyne Febvre : Alain Juppé vous tend la main. C’est lui qui, je le rappelle, vous a remis sur l’échiquier à droite, parce que vous avez appelé à voter François Hollande. Vous avez une dette peut-être envers lui ?

Je ne prends pas cette expression. J’ai pour Alain Juppé de l’amitié depuis longtemps, de la considération depuis longtemps et de l’estime depuis longtemps. J’ai toujours pensé que nous pouvions travailler ensemble. Je fais seulement un distinguo dont il faut qu’il soit clair et entendu : pour moi, tout dialogue est possible, toute entente est possible, tout travail en commun est possible à condition que chacun soit ce qu’il est. Je suis un défenseur acharné de l’idée qu’il faut, pour que la politique française se porte mieux, un centre en France. Il faut que ce centre soit complet, costaud, du point de vue des idées ; qu’il ait des convictions structurées, qu’il soit proposant dans la vie politique française, qu’il apporte à la vie politique française des visages et des générations qui pour l’instant lui manquent.

Roselyne Febvre : Vous voulez refaire l’UDF en fait ?

Je pense que ça a été une très grave faute de faire croire que droite et centre étaient la même chose ! Si l’idée est de recommencer l’UMP comme en 2002, on va aboutir aux mêmes échecs. Pour ma part en tout cas, je défends l’identité, la solidité et le caractère offensif d’un centre dont la vie politique française a le plus grand besoin en 2014 pour la renouveler. Je dis que ce centre, autonome, indépendant, peut avoir les dialogues et les alliances que l’on souhaite dès l’instant que l’on découvre une compatibilité, une manière d’être respectueuse des idées entre deux formations qui dialogueront ensemble.

Henri Vernet : Et il doit avoir son candidat à la présidence de la République, ou est-ce qu’il doit faire alliance ?

C’est 2017, nous n’en savons rien. Les circonstances de l’élection présidentielle, nous n’en savons rien. On peut imaginer toutes les combinaisons possibles, ce n’est pas mon objet. Il y a une maxime philosophique que vous connaissez depuis longtemps, de Jean-Paul Sartre et qui disait : « l’existence précède l’essence ». Exister d’abord et vous allez peu à peu construire qui vous êtes ! Et bien pour moi c’est la même chose : on a besoin que l’existence du centre ne soit plus une question perpétuellement mise en doute !

Roselyne Febvre : Mais il y a une différence aujourd’hui entre le centre et l’UMP ? Elle est où ?

Vous êtes une des journalistes aujourd’hui les plus avisées du paysage politique français. Vous voyez bien qu’il y a à l’intérieur de l’UMP deux sensibilités en affrontement assez lourd. Il y a par exemple sur la question européenne ou sur la question de l’économie un besoin absolu de débats et de clarifications.

Vous savez quelle est la malédiction du centre ? Le centre est le courant politique le plus uni du point de vue des idées et le plus divisé du point de vue des structures. Il est éclaté en six ou sept structures politiques différentes, et le combat de ma vie depuis le début est de dire « soyez ce que vous êtes ! ». Nous avons besoin de vous comme vous êtes ! N’allez pas vous définir par rapport aux autres ! N’allez pas vous définir comme des suiveurs ! Soyez des prescripteurs ! Soyez des proposants ! Nous avons besoin de vous aujourd’hui, notamment pour renouveler ces institutions qui sont dans un état désastreux.

François Bayrou, vous citiez Jean-Paul Sartre à l’instant, je voulais vous parler des mains sales : l’affaire Bygmalion, soupçon de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy par de l’argent de l’UMP. On a eu le droit à un grand déballage à la télévision. Je pense notamment à l’ancien bras droit de Jean-François Copé, Jérôme Lavrilleux, qui est venu dire finalement que tous les partis politiques faisaient ça, qu’aujourd’hui les règles de campagne ne tenaient pas, et que tous les partis prenaient dans la caisse au moment de la campagne présidentielle. Il n’y a pas d’enrichissement personnel, mais on ne peut pas faire campagne autrement. C’est vrai ou pas ?

C’est absolument, intégralement et définitivement faux. Et moi qui me suis présenté à l’élection présidentielle, je peux l’attester : jamais nous n’avons manqué aux règles ! J’ai fait la dernière campagne présidentielle, qui a tout de même recueilli 10 % des voix, j’avais fait la précédente en recueillant presque 20 % des voix et en étant au bord du deuxième tour. Lors de ces deux élections, non seulement nous n’avons pas débordé des règles mais nous les avons respectées scrupuleusement. J’ai fait celle de 2007 avec huit millions et j’ai fait la dernière avec six ou sept millions. Point !  Il n’y a pas eu un centime d’euro utilisé à autre chose, pas un centime d’euro utilisé à de fausses factures.

Roselyne Febvre : Mais il y a moins de militants qu’à l’UMP, où l’on paie les cars, les déplacements…

Voyez ce que vous êtes en train de dire Roselyne Febvre ! Vous êtes en train de dire « Quand on est beaucoup de militants, il faut beaucoup tricher ! »

Roselyne Febvre : Non, je dis qu’il faut beaucoup d’argent !

Pas du tout ! Quand on a beaucoup de militants, on devrait au contraire dépenser moins parce que les militants sont généreux ! Je ne sais d’ailleurs pas au passage ce que pensent les dizaines de milliers de militants qui ont donné onze millions d’euros…

J’ai entendu à plusieurs reprises dire « au moins cette campagne, à cause de cet événement et du Sarkothon, n’aura pas coûté un euro aux Français ». Excusez-moi de le dire, mais c’est complètement faux ! Les deux tiers de l’argent que l’on donne aux partis politiques est payé par le contribuable !

Henri Vernet : Justement, Nicolas Sarkozy, est-ce qu’il pouvait ne pas savoir ce qui se passait avec les caisses de la campagne comme le prétend Jérôme Lavrilleux ou est-ce qu’il savait et est donc discrédité ? Doit-il parler ?

C’est à lui de le voir. Je ne sais pas ce qu’il savait et je n’ai pas envie de faire des accusations gratuites. Je peux dire une seule chose : nous, nous avions des problèmes parce que nous ne sommes pas riches et c’est parce que nous ne sommes pas riches que nous sommes inventifs et que nous faisons attention à la bonne gestion de l’argent. Je considère que c’est un bienfait et non une malédiction.

Henri Vernet : C’est une vertu.

Non, je ne parle pas de vertu, je parle de respect des règles, ce n’est pas la même chose. Il ne s’agit pas de donner une leçon de vertu. Pour moi en tout cas, je sais que tous les deux ou trois jours je demandais à mon équipe où nous en étions des dépenses, parce que c’est un grand souci : vous êtes garant– même quand vous empruntez l’argent d’une campagne à la banque - donc c’est un grand risque !

Marc Fauvelle : Vous pensez que Nicolas Sarkozy aurait pu ne pas poser les questions que vous posiez, vous, à vos collaborateurs ?

Vous savez, l’Elysée, c’est un endroit où l’on s’enferme...

Marc Fauvelle : On ne s’intéresse plus à l’argent, l’intendance suivra…

Je n’ai pas dit tout à fait ça, mais je vais répondre car c’est intéressant ce que vous dites. A l’Elysée, on n’a plus les contingences des familles moyennes, des chefs d’entreprises moyens ou des citoyens moyens. On est préservé par tous les entourages, épargnés, et d’une certaine manière isolés, donc je ne sais pas ce qui est arrivé. Je sais une chose : il y a un certain nombre de forces politiques en France qui ont une fascination pour l’argent, pour la caractère démonstratif des campagnes, pour dépenser sans compter.

Roselyne Febvre : La folie des grandeurs ?

Oui, c’est une sorte de matérialisme ! On pense que plus on dépensera, plus on convaincra les gens. C’est pour ça qu’il y a des règles et c’est pour ça qu’il est gravissime, impardonnable que ceux qui sont chargés de défendre la loi ne se l’appliquent pas à eux-mêmes, s’en affranchissent dans des conditions et des proportions qui sont sans précédent.

Roselyne Febvre : Vous pensez que Nicolas Sarkozy aurait dû regarder ses comptes et demander à ses collaborateurs « maintenant, on en est où ? » ? Et vous, est-ce que vous le faisiez ?

Je viens de le dire, moi je le faisais tous les deux ou trois jours.

Est-ce que Nicolas Sarkozy aurait dû le faire ?

Je pense que tous les candidats doivent respecter la loi et s’assurer que leurs équipes respectent la loi ! S’il arrive que des équipes ne la respectent pas, c’est aussi qu’ils pensent quelque chose de très simple et de très condamnable à mes yeux : ils pensent que la fin justifie les moyens. Moi, je pense le contraire ! Quand on veut atteindre un but civique, alors il faut avoir une attitude civique. Ce n’est pas de la vertu, ce n’est pas de leçon de morale dont il s’agit, c’est de la loi que tous les Français sont obligés de respecter  aujourd’hui. Quand vous manquez de mensualités de versements de votre impôt, on vous poursuit ! Et quand vous ne payez pas vos dettes, on vous oblige à vendre votre maison ! Et il y a des gens qui nous écoutent et qui savent que ça leur est arrivé dans leur propre vie ! Ils sont poursuivis pour quelques centaines d’euros qu’ils doivent aux caisses d’allocations familiales ou aux Urssaf. Il est insupportable - je le dis comme citoyen, et non comme responsable politique - que ceux qui ont le plus de puissance aient le moins de respect pour la loi !

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