"Je réclame une politique d'urgence de soutien aux créateurs d'emplois"

François Bayrou a appelé à "une politique d’urgence, pour ceux qui sont en première ligne, ceux qui créent du travail pour les autres", mardi soir sur Public Sénat.

Michel Grossiord - La vérité, toute la vérité, rien que la vérité, c’est évidemment ce que nous attendons de vous puisque c’est votre credo. Avec De la vérité en politique, chez Plon, vous avez décidé de poursuivre le dialogue direct avec les Français. Dans ce dialogue avec les Français, vous fustigez les mauvaises pratiques politiques qui empêchent selon vous le redressement de la France. Le pic du chômage de 1997 heureusement n’a pas été battu avec les derniers chiffres du mois de février. Néanmoins, il y a évidemment une aggravation de la situation avec 3.187.000 plus 26.500 demandeurs d’emploi en France. Il y a le feu ?

François Bayrou - Cela veut dire que 260 familles par département moyen sont atteintes à leur tour par le chômage. Evidemment, c’est une vague, c’est un tsunami qui détruit sur son passage la confiance des gens, l’unité des familles, l’idée que les gens se font d’eux-mêmes, c’est humainement extrêmement dur. Et, ce qui est le plus dur, j’allais dire civiquement, c’est qu’on ne voit pas le chemin pour s’en sortir, on ne voit pas la fin. 

Il y a des mesures qui sont mises en avant encore par le Premier Ministre qui appelle à la « mobilisation générale ». 

Monsieur, quand on vous parle de mesures, cela veut dire que le plan d’ensemble est insuffisant. Les mesures, c’est parcellaire, c’est un kaléidoscope, mais ce n’est rien qui fasse la force d’une action politique.

Mais qu’est-ce qu’il faudrait ? Vous, vous réclamez, mois après mois d’ailleurs, après chaque publication des chiffres du chômage, des mesures radicales. 

Je réclame une politique d’urgence, pour que ceux qui sont en première ligne, et je vais donner leur définition : ceux qui signent des contrats de travail, ceux qui ont du travail, ceux qui créent du travail pour les autres. Pour que ceux-là soient soutenus, au lieu d’être freinés. Surtout pas une mesure parmi d’autres, il y en a plein. On pourrait imaginer une mesure sur les seuils. Vous savez, ces seuils qui vont de 10 à 20, de 50 à au-delà, on pourrait imaginer une mesure qui élève les seuils. Mais il y en a beaucoup d’autres.

Une dérèglementation générale, en quelque sorte. 

Je ne suis pas sûr que ce soit une dérèglementation, je parle de choses qui empêchent des entreprises d’embaucher. 

Les entreprises disent : le carcan, le droit du travail etc. Tout ce que vous dites. Les seuils notamment. 

J’ai dans une émission récente montré le Code du travail suisse et le Code du travail français. L’un pèse 190 grammes et l’autre pèse 2 kilos. Est-ce que les salariés sont mieux protégés dans un cas que dans l’autre ? En tout cas c’est intéressant parce que la Suisse est un pays qui n’a pas de matières premières, qui a des salaires plus élevés que les nôtres et même dans un certain nombre de cas beaucoup plus élevés que les nôtres, et qui exporte, qui produit, qui crée de l’emploi parce qu’il y a 300.000 Français qui traversent la frontière tous les jours. Alors ce n’est pas une fascination pour le modèle helvétique.

On ne peut pas comparer les deux économies non plus. 

Mais pourquoi ?

C’est une question de taille. On se compare généralement plus à l’Allemagne qui a de bons résultats.

Oui, mais c’est pour éviter de toujours rester dans la comparaison avec l’Allemagne. Donc je dis : politique d’urgence, soutien aux créateurs d’emplois et de ressources pour le pays. Comment ? En supprimant tout ce qui les bloque, en mettant les forces du pays, notamment de l’Etat, pour les aider et pas pour les freiner. Cela veut dire une politique fiscale différente, y compris qui leur permette quand ils créent de l’emploi et des richesses de gagner de l’argent.

De s’enrichir. 

S’enrichir, je ne sais pas si c’est le mot, mais de gagner de l’argent. Une politique dans laquelle les PME, les petites entreprises, les artisans se sentiraient en confiance et pas constamment traqués. Avec des règles qui soient des règles simples et de long-terme au lieu d’avoir des règles qui changent tous les jours et qui les menacent. Vous voyez bien que cela c’est une politique complètement différente de ce que nous avons fait depuis vingt ans.

Oui. Quand le chef de l’Etat dit qu’il parie toujours sur une inversion de la courbe du chômage à la fin de l’année, il ment ? 

Non, c’est une profession d’optimisme.

Mais quand l’INSEE ne prévoit pas de reprise, une croissance molle jusqu’à l’été au moins, on sait que la courbe ne va pas s’inverser. 

Nous avons fait une campagne présidentielle. J’avais un débat avec Nicolas Sarkozy et François Hollande sur la croissance. Je vous rappelle les chiffres qu’ils donnaient. François Hollande disait que nous allions avoir une croissance en 2013 de 1,7%. Et Nicolas Sarkozy disait que nous aurions 2%. Nous allons avoir 0%. Il n’est pas d’élections depuis vingt ans où l’on ne dore la pilule aux citoyens. C’est-à-dire qu’on les égare, on leur raconte des histoires, mais au bout du compte…

D’accord. 

Mais, ne dites pas « d’accord », vous devriez dire « pas d’accord » !

Je suis d’accord avec vous pour dire que la réalité finit toujours par rattraper certains mensonges. Quand François Hollande demande aujourd’hui à être jugé à la fin du quinquennat, est-ce que vous pensez que les Français pourront attendre ? 

Je vais vous dire ce que je pense. C’est grave ou en tout cas je le dis avec gravité. Je crois que nous sommes assez prêts d’une crise politique menaçante. Il suffit de voir le score des élections partielles dimanche dans l’Oise, avec une extrême-droite qui fait 49% contre le candidat de l’UMP pour qui le PS avait appelé à voter. 45% des voix de gauche ont voté pour l’extrême-droite.

En germe, vous parlez effectivement d’une crise morale, politique ? 

Je dis que les gens sont très prêts d’attitudes, de choix, de votes, pour rejeter, on dit le « système », cette organisation des pouvoirs et des partis dans laquelle ils ne trouvent aucun espoir

Je reviens sur ce que vous dites concernant le risque de crise majeure dans notre pays. Effectivement, quand il y a une crise économique dont on ne voit pas l’issue, quand il y a un Président de la République et un gouvernement qui sont au plus bas dans les sondages, est-ce que le pouvoir a selon vous d’ores et déjà perdu toute légitimité ? 

Non, je ne dis pas les choses comme cela. Je veux dire une chose précise. Ce n’est même pas l’impopularité qui est la question.

C’est le fait de pouvoir gouverner la France. 

C’est le fait de comprendre où l’on va. La plus grave délégitimation c’est que l’on délégitime l’action politique. Pourquoi ? Parce qu’elle est illisible. Elle est illisible pour une raison extrêmement précise et que vous connaissez, c’est que la campagne qui a été faite et la majorité qui est sortie des urnes sont en contradiction flagrante avec la politique qui doit être suivie. Il y a donc une contradiction, une tenaille, dans laquelle le gouvernement et le Président de la République sont pris.

Vous avez voté pour François Hollande qui assume quand même son positionnement social-démocrate. Qu’est-ce que vous attendez de lui concrètement ? Par exemple jeudi, il va s’adresser aux Français. Qu’est-ce que vous attendez : un nouvel effort de pédagogie ou véritablement de nouvelles annonces ? 

Il y a une chose qui m’agace, c’est que l’on dise qu’il faut rassurer les Français. Tout le monde dit ça. Il ne faut pas rassurer les Français, il faut organiser l’action et la mobilisation du pays, de l’Etat, des collectivités locales…

Mais cela appelle quel type de révision dans la politique et dans les grandes options de cap du chef de l’Etat ? 

J’y viens. Je vous ai expliqué ce qui me paraissait nécessaire pour ceux qui sont en première ligne. Les entreprises, et ceux qui signent les contrats de travail, et les chercheurs, et les innovateurs. Deuxièmement, il y a un enjeu qui n’est pour l’instant pas du tout assumé, c’est la moralisation de la vie publique en France. Tout le monde voit bien les débordements, les promesses qui ont été multipliées : cumul des mandats, simplification de la démocratie locale… On disait « nouvelle étape de décentralisation » mais cela ne peut pas aller en gardant le labyrinthe que nous avons aujourd’hui.

Sans nouveau transfert de compétence pour les collectivités. 

On a parlé de règle électorale plus juste. Rien de tout cela n’est pris en compte.

Pour être clair, est-ce que ces questions-là doivent passer par un référendum ? 

Si le Président de la République estime, et il y a des raisons de le penser, que le Parlement actuel, avec les députés et les sénateurs, ne lui permettra pas d’obtenir satisfaction, il faut qu’il fasse appel au peuple. Cela lui permettrait peut-être d’ailleurs d’avoir un nouveau rapport avec le peuple, d’accepter de prendre ces problèmes bille en tête.

Quelles questions faudrait-il poser sachant que vous aviez déjà fait ces suggestions lorsque vous étiez candidats aux élections présidentielles ? 

Absolument. Je l’aurais fait si j’avais été élu, dès en arrivant. Il y a pour moi trois choses à mettre dans le référendum. Le cumul des mandats. La diminution du nombre de parlementaires. Et, entre nous, ce n’est pas à mettre dans le référendum, mais vous ne pouvez pas conserver un gouvernement avec 39 ou 38 ministres, des cabinets pléthoriques, tout ce qu’on avait promis de changer. Troisième question, la règle électorale. Vous avez vu les résultats. Vous avez trois courants principaux qui depuis une décennie animent la vie du pays. Ils ne sont pas d’accord et je ne suis pas d’accord avec tous mais regardons. L’extrême-droite – le Front National –, l’extrême-gauche et le centre. Ces trois courants, lors des dernières élections présidentielles ont fait 40% des voix chaque fois, ensemble. Ils n’ont pas de représentants à l’Assemblée, vous trouvez cela juste ? Je dis qu’il n’y a aucune raison que la loi organise en France des sous-citoyens. Moi qui suis du centre ou d’autres qui font d’autres choix, nous ne sommes pas moins citoyens que les électeurs du Parti Socialiste ou de l’UMP. Et même, entre nous, ils le sont un peu plus parce qu’ils ont beaucoup plus de voix par représentant que ceux-là n’en ont aujourd’hui.

Il faut être clair François Bayrou sur cette question. 

C’est d’une clarté absolue

C’est très clair. Néanmoins je vous pose encore une question. Pour vous, ce référendum serait la seule condition aujourd’hui pour que le chef de l’Etat soit relégitimé ? 

Je ne dis pas que c’est la seule. Mais on doit faire la moralisation de la vie publique, et la mise en action de toutes les forces du pays pour soutenir les producteurs, les artisans, les entreprises, les PME, les chercheurs, les innovateurs… Si vous ne faites pas ces deux choses-là : organisation du pays pour livrer la guerre et moralisation de la vie publique, en tout cas, vous ne risquez pas de réussir.

Pourquoi pas une dissolution de l’Assemblée Nationale ? Certains l’évoquent dans l’opposition. 

Parce que dissoudre l’Assemblée Nationale sans avoir changé la règle du jeu ne sert à rien.

Vous en avez parlé à François Hollande ? 

Oui.

Vous avez des échanges avec lui. Le dernier remonte à quand ? Quelques mois ?

Quelques semaines. 

Il est ouvert à ce que vous lui proposez ? 

J’ai l’impression qu’il voit bien l’enjeu. Après, il y a une grande question : est-ce qu’il va franchir le pas ? Est-ce qu’il a l’audace de le faire ? Ceci, nous verrons dans quelques jours.

Je voudrais vous soumettre la couverture de l’Express cette semaine qui montre François Hollande qui serre les dents avec le titre « La débâcle ». Est-ce que nous en sommes là selon vous ? 

En tout cas, nous sommes dans une situation de décomposition politique très importante. La débacle vous savez, c’est quand les glaces se fracturent. C’est généralement au printemps d’ailleurs. Je ne dis pas que nous en soyons là mais nous sommes à un moment où le peuple en arrive à un tel degré d’interrogation, de doutes, et même de perte de confiance, que les responsables politiques devraient s’en inquiéter.

Quand Marine Le Pen voit le Front National en centre de gravité de la vie politique aujourd’hui, est-ce qu’elle finit par dire vrai ? 

J’ai dit dans ce livre que je ne savais pas si on allait pouvoir éviter une poussée extrémiste. C’est la première fois de ma vie que je le pense ou que je le dis. Toute ma vie je me suis battu contre ce risque. Cette fois-ci le risque existe vraiment. Mais il faut avoir une chose en tête : si les extrêmes réussissaient à l’emporter, vous aurez un accident grave pour le pays. Un chaos, une décomposition qui sera infiniment dommageable et dangereuse pour les plus fragiles du pays. Parce que chaque fois que vous avez une décomposition, ce sont les plus fragiles qui trinquent. Je vois bien que le risque n’est pas seulement dans le fait de brandir des attitudes et des mots qui sont excessifs. Le risque est dans les solutions proposées qui ne peuvent nous conduire qu’à de graves accidents. 

Vous dites que vous avez quand même anticipé bien des vérités lors de votre précédente campagne.

Oui, c’est vrai cela. Le livre dit une chose simple : il n’est pas de réformes possibles si les citoyens et les gouvernants n’ont pas entre eux un contrat de vérité. C’est pourquoi le titre n’est pas « La vérité en politique », parce que « François Bayrou, La vérité en politique », cela aurait fait un peu distributeur de leçons. Il dit : je vais parler de la vérité en politique, au sujet de la vérité en politique, pour faire un peu de latin. C’est la première chose.

Deuxièmement, on vient de voir un exercice très intéressant par des gens que j’aime bien par ailleurs. Mais c’est très simple, ils sont contents de la manière dont cela se passe. Ce qu’ils ont défendu, c’est que l’on continue comme cela. C’est-à-dire qu’ils disent qu’il n’est pas possible de faire autrement, qu’on ne peut pas s’accorder sur des vérités, d’ailleurs la vérité de l’un n’est pas la vérité de l’autre… Cela veut dire qu’on continue comme on est. Or, si on pense que l’on peut continuer comme on est, alors cette émission n’a aucun sens. A ce moment c’est : « Recommençons l’UMP-PS. On n’est pas content de l’UMP ? Alors on met le PS ! Et si on n’est pas content du PS alors on met l’UMP et puis on va recommencer dans six mois puisque de toute façon les citoyens vont être grugés au bout du chemin. Tout le ressort de ce livre, c’est que précisément je suis de ceux, nombreux, qui n’acceptent pas que cela continue comme ça.

Pierre Rochiccioli – Cette vérité, cela a été quand même le thème fort de votre dernière campagne présidentielle. Vous êtes arrivés en 5e position avec moins de 10% des voix. 

Avec pas loin de 10% des voix.

Pas loin, je vous l’accorde. La vérité c’est aussi que vous vous êtes prononcés et que vous avez assumé votre vote en faveur de François Hollande. Cela vous a valu aux législatives d’être battu par une candidate socialiste.

Tout cela est vrai. Je vais vous dire un secret. Si vous ne voulez pas prendre de risques, ne faites pas de la politique. D’ailleurs, si vous ne voulez pas prendre de risques, choisissez tout simplement de ne pas vivre. Parce que la vie, c’est le risque. Il y avait un humoriste qui disait que la vie était une maladie sexuellement transmissible et mortelle dans tous les cas. Ce qui est probablement assez vrai. En tout cas pour la première partie je suis sûr que c’est vrai, la dernière partie nous vérifierons ensemble dans quelques temps, le plus tard possible. 

A l’aube de votre exemple, est-ce que l’on peut dire que la vérité paie en politique ?

Non, probablement pas. Mais est-ce que vous faites de la politique pour que cela paye ? C’est cela la question. Alors il y a beaucoup de gens qui font de la politique pour que cela paye. Pour que cela paye en termes de carrières, en termes d’honneur, pour que cela paye en termes 

Vous avez connu tout cela, vous le racontez vous-mêmes d’ailleurs. Vous avez été bien servi jeune. 

Oui, disons que je me suis bien servi…

Vous vous êtes bien défendu. 

Comme dit Cyrano « Je me le sers moi-même, avec assez de verve, Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve. » Oui, bien entendu, si c’est cela que vous cherchez, alors il ne faut pas prendre le chemin que je suis. Mais, si vous êtes non pas un homme politique mais, d’abord, sans vouloir employer de grand mot, un homme tout court. C’est-à-dire quelqu’un qui cherche à rendre sa vie justifiée. Un père de famille, c’est très important, moi j’ai été père de famille très jeune et cela m’a marqué pour toute la vie. C’est-à-dire quelqu’un qui se sent une responsabilité de transmission. Alors vous ne cherchez ni les honneurs, ni la gloriole, ni l’argent, ni le succès, vous cherchez l’essentiel pour l’avenir. Et c’est précisément là que se situe mon choix. Alors je reconnais qu’il est minoritaire pour l’instant…

Votre rôle, tel que vous le voyez, c’est celui d’une sorte d’autorité morale. Vous citez souvent dans votre livre Raymond Barre, Mendès-France, vous voulez vous situer dans cette lignée ? 

D’abord, « autorité morale », ce n’est pas nul. Mais ce n’est pas mon rôle. D’abord je n’ai pas cette prétention. Il y a un rôle qui est le mien, j’appelle cela le rôle ou la responsabilité de conviction. Il y a deux rôles : l’action, pour les très rares qui sont vraiment au pouvoir, et puis la conviction pour ceux qui sont dans l’opposition ou dans l’indépendance comme moi. Ceux-là, leur boulot, leur mission, c’est de s’adresser au peuple des citoyens et de leur proposer des issues, des solutions. Pour qu’ils y voient un peu plus clair pour leur avenir, pour qu’ils soient convaincus, pour que peut-être ils s’engagent et qu’un jour ils aillent dans la direction que l’on croit être la plus juste et la meilleure.

Cela veut dire que vous avez renoncé à l’action ?

Je n’ai pas renoncé à l’action mais pour l’instant, l’issue des élections ne m’a pas porté au pouvoir. 

Michel Grossiord – Vous attendez un électrochoc, si j’ai compris. Dans l’hebdomadaire Marianne cette semaine, on imagine un remaniement qui créerait un électrochoc et on voit votre nom apparaître. François Bayrou, soyons fous, aux affaires européennes. Je vous mets cette proposition sur la table.

Il y a des gens qui croient que le but de la vie politique c’est d’entrer dans un gouvernement. Et bien ce n’est pas le but de la mienne. Vous me demandez « est-ce que vous avez l’arrière-pensée d’entrer au gouvernement ? ». Non ! C’est clair, comme ça il n’y aura pas d’hésitation. Ce que j’attends et ce pour quoi je travaille de toutes mes forces c’est que le gouvernement, comme la société et l’opinion publique, change ses lignes directrices qui l’ont amené où il est aujourd’hui. Par exemple, je pense que le fond des idées qui ont été celles de la gauche des dernières années étaient erronées. Et je pense que l’exercice du pouvoir va les obliger à chercher des attitudes qui soient des attitudes plus justes. 

Pierre Rochiccioli – Vous avez dit justement sur ce point « Le jour où le peuple français aura choisi la voie courageuse de son redressement je serai prêt à l’aider. A l’aider comment ? 

Bien sûr. Dans n’importe quelle situation. Je ne marchande pas, vous comprenez. Enfin vous le savez, parce que vous avez, par votre responsabilité de journaliste participé à beaucoup d’événements de la vie politique ces dernières années. Je ne marchande pas, je ne cherche pas des chapeaux à plumes, des galons sur mes épaules ou du doré sur les boiseries de mon bureau. Rien de tout cela. Je sais bien qu’il y a beaucoup de gens que cette attitude pourrait étonner, c’est la mienne. C’est un choix de vie. Je n’ai pas envie de consacrer les années qui sont les miennes et les forces qui sont les miennes à des choses qui ne valent rien.

Michel Grossiord – Du coup cet entretien se transforme un peu en confession… 

C’est vous qui l’avez cherché ! Le faux pouvoir, celui qu’on étale, qu’on raconte, avec des photos, des gardes du corps, des chauffeurs, des limousines… Ce faux pouvoir ne m’intéresse pas. S’il n’y en a qu’un dans la vie politique française qui n’est pas intéressé par ce pouvoir-là, s’il n’en reste qu’un, ce sera moi. Cela ne m’intéresse pas.

Il y a plusieurs façons de s’adresser aux Français. Par exemple, Jean-Luc Mélenchon estime que le peuple a besoin de dirigeants « qui parlent dru et cru », pas « prout-prout ». Qu’est-ce que vous pensez de cette approche ? 

Je pense que parler dru, c’est bien, manier l’insulte, c’est plus discutable. Quand Jean-Luc Mélenchon dit que Moscovici est un salopard, à la tribune…

Il le fait dire par François Delapierre (en réalité le journaliste ne dit pas son nom mais emploie un mot que je ne comprends pas), en l’espèce.

Pas du tout. Je l’ai entendu de mes oreilles. Il a dit « J’ai bien le droit d’appeler un chat un chat, et mon camarade un salopard un salopard. » C’est exactement la citation. Appeler un chat un chat, qu’est-ce que c’est ? C’est qu’un chat étant un chat, je lui donne le nom de chat. Donc cela veut dire qu’un salopard étant un salopard, je lui donne le nom de salopard. Pour moi, en tout cas, cela mérite qu’on réfléchisse à là où l’on veut entrainer le débat. Je vois bien ce que Mélenchon essaie de faire. C’était la pratique de Jean-Marie Le Pen, il a réfléchi à cela. Il s’est rendu compte qu’à chaque fois que Jean-Marie Le Pen passait les bornes, d’une certaine manière, il captait des votes. Je pense que la responsabilité d’un citoyen, même pas d’un homme politique ou d’un homme d’Etat, c’est précisément de ne pas aller dans ce sens-là. Parce qu’il est très facile de mettre le feu à une société. Je l’ai reproché hier à d’autres qui étaient au pouvoir, je continue à dire que ce n’est pas la direction à suivre, qu’elle est périlleuse pour un pays en crise 

Pierre Rochiccioli – Pour rebondir sur ce que vous venez de dire sur Jean-Luc Mélenchon, vous aviez prédit un possible éclatement de la gauche confrontée à la réalité du pays. Est-ce que vous avez le sentiment des attaques de Jean-Luc Mélenchon vis-à-vis de Pierre Moscovici vont dans le sens de cet éclatement ? 

Franchement, il est difficile de ne pas voir que cet éclatement est en cours. Quand on en est, à l’intérieur du prétendu même camp, à se traiter de salopard à la tribune, il y a peut-être un peu qui est franchi. Oui, il y a une fracture en cours. Cette fracture est entre la gauche idéologique et celle qui accepte le réel comme il est. Donc, de ce point de vue, la vérité c’est le réel.

Est-ce que cette fracture va, selon vous, enclencher l’ouverture vers le centre ?

C’est mal poser la question. Le jour où il y aura une vraie politique réformiste dans notre pays, il faudra une majorité réformiste. Mais elle va plus loin que le centre. Il y a, dans la droite républicaine, des responsables politiques qui sont tout à fait, sur le fond, sur la même ligne. C’est cette majorité-là qui est absente et dont l’absence affaiblit toute possibilité de politique réformiste. 

Cet éclatement est imminent ? 

C’est en termes de mois. Cela veut que l’année qui vient jusqu’aux municipales et aux européennes va être extrêmement perturbée et périlleuse.

Perrine Tarneaud – Vous être confronté à une certaine solitude, en termes de réseaux, de nombre de parlementaires… 

« Solitude parlementaire », j’accepte le terme. Encore que j’ai autour de moi des députés, nous venons de voir Jean Lassalle, des sénateurs, vous le savez dans la haute assemblée, et des parlementaires européens. Par ailleurs, je n’ai jamais vécu la solitude. Parce que j’ai toujours eu des millions de Français avec moi et j’ai toujours eu autour de moi une équipe qui est solide, forte et courageuse.

Michel Grossiord – Cela vous aide aussi de vous entourer de figures tutélaires, quand vous parlez de Barre, de de Gaulle, de Mendès-France ? 

Il vaut mieux avoir des grands comme exemples que des médiocres.

Perrine Tarneaud – En même temps, vous soulignez dans votre ligne que ce sont aussi tous des perdants en terme électoral. 

Oui, ils sont perdants par moment, mais ce n’est pas déshonorant. J’ai été frappé par quelque chose en écrivant ce livre. J’ai cherché qui étaient les gagnants au temps de Mendès-France.

Qui ? 

Ils s’appelaient Guy Mollet, Laniel, Félix Gaillard… Nous sommes cinquante ou soixante ans après, de qui parle-t-on ? Ce sont des noms complètement oubliés. Peut-être pas parce qu’ils manquaient de talent, simplement parce qu’ils ont accepté de ne pas marquer l’histoire.

Qu’est-ce qu’il vaut mieux ? Marquer l’histoire ou marquer peut-être simplement la vie quotidienne des gens en étant utile dans un gouvernement ? Cela c’est vraie question pour un politique. 

S’il s’agissait d’être utile dans un gouvernement, la question ne se poserait pas. Mais pour la plupart de ceux que nous évoquons, il s’agit d’être inutile dans un gouvernement inutile.

Vous dites dans votre livre, effectivement, qu’un ministre sur dix ne sert à rien. Donc, à un moment dans votre vie, vous, vous n’avez servi à rien ? 

Si, parce que j’étais à la tête d’un département ministériel qui a la chance d’être complètement autonome si j’ose dire, l’Education Nationale. Heureusement, je n’ai pas eu besoin de mettre en scène tous les jours le faux pouvoir. Mais je dis en effet, l’essentiel de ce qu’on croit être le pouvoir est une duperie, c’est une mise en scène. Si vous leur parlez en vérité, en-dehors des caméras et des micros, ceux qui l’exercent, ou encore plus ceux qui l’ont exercé, vous diront bien sûr que cela ne marquait pas en profondeur les choses. Ce que je voudrais moi, c’est que l’on en revienne à du vrai pouvoir. C’est-à-dire pas faire semblant que l’on a une baguette magique qui change tout mais la capacité d’entrainer les gens.

Quand Jean Lassalle dit « Il faut qu’il recrée un chemin », quelle est votre stratégie de reconquête ? Il parle dans le sujet du « petit chemin » vers peut-être la ville de Pau qui mènera après au « grand chemin », la présidentielle ? 

Je n’ai aucune envie de parler d’échéance locale ici, ni même de parler d’échéance électorale. C’est dans douze mois pour les municipales, quatorze mois pour les Européennes. Franchement, dans l’année qui vient il va se passer tellement de choses que je recommande à ceux qui font des plans sur la comète d’être prudents. 

Mais là c’est un de vos proches, il fait des plans sur la comète pour vous. 

Oui mais les gens qui m’aiment ont bien entendu envie de succès et de bonheur pour moi mais là n’est vraiment pas l’essentiel.

Quelques questions d’actualité. Nous parlions d’éducation à l’instant. Sur la réforme des rythmes scolaires qui va donc s’appliquer en ordre dispersé à partir de la rentrée 2013, est-ce que finalement il n’y a plus une école publique nationale mais autant de particularités locales, municipales ?

Je vais dire quelque chose qui va me faire mal voir. Les rythmes scolaire c’est, je ne veux pas dire secondaire, mais second. Ce n’est pas là que se joue l’avenir de l’école. Il suffirait d’ajouter deux semaines de classe pour que se trouve régler la plupart des problèmes qui se posent ? Ce n’est pas là que cela se joue. J’ai lu le texte du projet de loi adopté par l’Assemblée de prétendument « refondation de l’Ecole ». 80 pages et je ne sais pas combien de pages d’annexes, peut-être une centaine. En tout cas à mon sens ce n’est pas une refondation. 

Donc Vincent Peillon est à côté de la plaque ? 

Non, il a essayé de mettre dans un texte qui n’est pas lisible la plupart des revendications ou des obsessions des uns et des autres. Au bout du compte, qu’est-ce qu’il reste ? Les 60.000 postes. Il y a des gens qui croient que c’est avec 60.000 postes que nous allons changer l’école, je ne le crois pas. Je ne crois pas que ce soit une question de moyens. Il reste les rythmes scolaires, je vous ai dit ce que j’en pensais. Et il reste toute une série de suppressions, de règles d’organisation de l’école que l’on ne remplace par rien. J’en cite deux. On a supprimé les cycles. Ceux qui ont des enfants savent qu’à l’école primaire et au collège il y a des cycles qui comprenaient deux années où l’on essayait de faire aller plus vite les uns, on les supprime. Et l’on supprime une disposition qui était utile, qui était que des élèves qui n’aiment pas l’abstrait puissent choisir l’apprentissage tôt. On la supprime et on ne la remplace par rien.

Cela, vous le regrettez ? Ségolène Royal s’est beaucoup élevée contre cette suppression. 

Elle a raison. Il se trouve que nous sommes du même avis sur ce point. Parce qu’il y a des élèves que l’organisation de l’école et l’abstraction…

Ils ne sont pas faits pour cela ? 

Ce n’est pas qu’ils ne sont pas faits. Peut-être qu’ils auraient été faits mais en tout cas, à un moment donné, il y a un blocage. C’est une idée qui est depuis longtemps refusée par un certain nombre d’organisations. Je pense que ce n’est pas bien de la supprimer sans la remplacer par rien.

Est-ce que selon vous Nicolas Sarkozy peut rester membre du Conseil Constitutionnel depuis sa mise en examen dans l’affaire Bettencourt ? 

Cela n’a rien à voir. Je pense que la difficulté pour Nicolas Sarkozy au Conseil Constitutionnel comme elle l’est pour les autres Présidents, c’est qu’ils ont à prendre des décisions qui concernent des lois qu’ils ont eux-mêmes fait voter.

Donc ils ne devraient tous plus siéger ? 

Donc, je suis pour que nous trouvions un autre statut aux anciens Présidents de la République que membres du Conseil Constitutionnel. Il est légitime que nous leur garantissions un statut. Tous les pays du monde, aux anciens chefs de l’Etat, garantissent un statut. Une équipe de collaborateurs, peut-être des bureaux, un statut, cela, c’est légitime. Mais, en faire des membres du Conseil Constitutionnel, dans sa nouvelle définition, c’est-à-dire devenue une juridiction, une Cour suprême, cela me paraît inadapté.

Michel Grossiord – Est-ce qu’il faudrait que les anciens Présidents partent tout de suite, comme le propose M. Urvoas ? 

Oui, je pense que c’est ce qu’il faudrait faire. Je pense qu’il n’est pas sain que des hommes qui ont eu la responsabilité de proposer et de faire voter des lois aient ensuite à juger de leur constitutionnalité.

Sans attendre, ils partent ? 

Oui, je le répète. Mais il faut leur faire un statut. Je lisais l’autre jour que, l’un d’entre eux, parce qu’il avait des difficultés, n’avait plus d’indemnités. Il n’y a aucune raison. 

Perrine Tarneaud – Jacques Chirac, oui. 

Tout cela n’est pas sérieux, n’est pas responsable. Un ancien chef de l’Etat en France doit se voir assurer un statut pour la suite.

Deux questions très rapides pour finir. On reparle beaucoup de laïcité après la décision de la Cour de Cassation dans l’affaire de la crèche Baby-loup. Est-ce que vous êtes favorable à une loi contre le port du voile dans les entreprises privées, qui accueillent notamment des enfants ?

Je pense que nous avons des lois. Elles sont déjà suffisamment difficiles à appliquer, appliquons-les et faisons le bilan après.

Contre le rejet du texte sur le mariage gay, qu’est-ce que vous attendez des sénateurs centristes et notamment du MoDem au Sénat ? Le texte arrive la semaine prochaine en discussion. 

De la part de tous les sénateurs, j’attends qu’ils réfléchissent attentivement à la double attente que ce texte aurait dû satisfaire. L’attente de ceux qui espèrent une reconnaissance et des droits, et c’est légitime. Et l’attente de ceux qui s’inquiètent de voir un des piliers de la société fragilisé.

Michel Grossiord – Est-ce que le texte peut être encore amendé selon vous et voté avec le soutien des centristes ? 

Autrement, à quoi le Sénat servirait-il ?

Quel est votre vote à vous ?

Moi, j’ai déjà exprimé ce vote, je vais reprendre. On dit que le Sénat c’est la chambre de la sagesse, de recul par rapport à l’actualité, qui peut entendre plus de choses que le reste du Parlement.

Perrine Tarneaud – Mais il y a un moment où il va falloir voter. 

Non, il y a un moment où l’on peut réfléchir à la manière dont ce texte pourrait répondre des attentes des uns et ne pas ignorer les inquiétudes des autres, par exemple sur la filiation.

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