"Je suis triste que le débat sur le mariage pour tous se termine dans la radicalisation"

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Robert Rochefort a dénoncé les "actes inacceptables de violence" qui ponctuent les derniers jours du débat sur le mariage pour tous. Le parlementaire européen appelle au calme et déplore une fois encore les attitudes caricaturales adoptées sur ce sujet par l'UMP et le PS.

Judaïque FM - Comment se situe aujourd'hui le MoDem ?

Robert Rochefort - Il se situe comme une balise, un repère, une formation politique originale qui dit que le jeu politique est dépassé, que l'affrontement entre la droite et la gauche fait la démonstration que ça ne suffit pas à régler les problèmes de notre pays et qu'au contraire ça mène dans des impasses. Nous inspirons, du plus fort de ce que nous sommes, à ce qu'il y ait un renouvellement de la vie politique, une façon de faire de la politique autrement. Évidemment, nous sommes assez punis et pénalisés par le fait que le jeu électoral ne favorise pas les positionnements originaux comme celui que nous avons.

François Bayrou en a payé le prix... 

François Bayrou en a fait la cruelle expérience. Quand vous êtes à dire qu'il faut faire de la politique autrement et lutter contre la bipolarisation excessive, vous risquez de vous retrouver comme le grain de blé, broyé entre la meule et la pierre. Mais ce n'est pas de nature à nous démoraliser et à nous faire perdre nos fondamentaux. Ce n'est pas tellement une question d'obsession - nous ne sommes pas des obsédés, des puristes, des utopistes - nous sommes simplement convaincus que la façon traditionnelle de faire de la politique ne permet pas à notre pays de sortir de ses difficultés. Malheureusement, depuis l'élection de François Hollande, on le constate encore tous les jours.

Quand François Bayrou a dit qu'il voterait à titre personnel pour François Hollande, il semblerait que cela ait été très mal compris par votre électorat.

Cela a été mal compris par ceux qui se considéraient comme centristes mais attachés viscéralement et structurellement à la droite. Mais ça a été plutôt bien compris par ceux qui, ayant rejoint François Bayrou plus récemment, considéraient qu'il fallait faire un choix. En l'occurrence, choisir veut dire éliminer. Pour différentes raisons, le vote pour Nicolas Sarkozy ne paraissait pas possible. À cet égard, nos électeurs ont été assez proches de la position moyenne de l'électorat français. Vous savez bien que certains disent que les difficultés actuelles de François Hollande sont directement liées au fait qu'il a davantage été élu pour en éliminer un autre que pour le choisir lui-même. 

Vous n'avez pas été déçu de voir que François Hollande ne faisait pas appel à vous ? 

Ce n'est pas comme ça que les choses se présentent. Oui, nous avons été déçus par le fait que François Hollande n'a pas saisi, immédiatement après son élection, une perche qui consistait à s'engager dans une restructuration du jeu politique. D'ailleurs, les propositions qu'il a faites, par exemple pour qu'il y ait de la proportionnelle aux prochaines législatives, sont des propositions très minimalistes. Il s'est un peu encore comporté comme un chef de parti, alors que nous aurions espéré qu'il transcende son rôle ancien, pour devenir un président de la République beaucoup plus rassembleur. Je crois qu'il en paye aujourd'hui les conséquences. Quand vous êtes encore un peu dans la posture du chef d'un parti, même quand c'est un parti important et significatif, vous n'avez que 25 à 30% des gens qui vous suivent. C'est ce qui se passe aujourd'hui dans les sondages d'opinion. Diriger un pays avec une base aussi étroite, c'est extrêmement fragile et dangereux. Ça ne vous permet pas de faire les réformes qui s'imposent. Non seulement le pays, mais aussi François Hollande, le payent cash.

Ne croyez-vous pas que François Bayrou a loupé le coche, en ne saisissant pas la main tendue par Ségolène Royal en 2007 ? 

Je ne crois pas. Quand vous dites cela, vous êtes dans une logique de calcul politicien. Nous, nous avons considéré que la crise d'aujourd'hui appelle un leader vraiment puissant. Vous savez peut-être que, dans son dernier livre, François Bayrou se réfère à des personnalités comme Pierre Mendès France, Raymond Barre ou le général De Gaulle. Il se trouve que Ségolène Royal incarnait peut-être un renouveau dans la manière de faire de la politique, mais un renouveau de forme, qui ne paraissait pas à la hauteur des défis de l'époque. Alors que François Hollande l'incarnait un peu plus. Si vous voulez que je vous dise que François Hollande aurait pu avoir l'élégance de ne pas envoyer de candidat dans la circonscription des Pyrénées-Atlantiques de François Bayrou, je vous le dirais bien volontiers. Je pense que c'est le fait que le Parti socialiste n'a pas encore fait son aggiornamento. Vous voyez bien dans le débat actuel qu'un tiers du gouvernement et des députés socialistes disent ostensiblement qu'il faut changer de politique... Si François Hollande pense qu'il peut continuer à diriger le pays avec ce désordre, je lui dis bon courage mais je pense que ce sera difficile. 

"LE MARIAGE POUR TOUS N'EST PAS UNE ÉVOLUTION BANALE"

Puisqu'on est dans le désordre... Est-ce que vous croyez que les manifestations contre le mariage homosexuel peuvent durer encore longtemps ? 

Je suis très triste, qu'à 48h du vote au Parlement, cela se termine comme ça. Cette exacerbation, cette radicalisation et cette violence - puisque cela passe même par des actes de violence absolument inacceptables - je trouve cela d'une très grande tristesse. Je crois que le mariage pour tous est inscrit dans l'Histoire. Je pense que le droit reconnu aux homosexuels de pouvoir s'unir dans des conditions identiques aux hétérosexuels est une évolution inéluctable qui se fera dans tous les pays démocratiques. Lutter contre cela est une façon d'être rétrograde. En revanche, sous prétexte que c'est moderne, dire que c'est une évolution banale, est une erreur. Nous vivons aujourd'hui d'importantes crises d'identité. Dans la période de globalisation et de mondialisation dans laquelle nous sommes, beaucoup de personnes ont perdu la compréhension des racines. C'est vrai pour les racines géographiques, mais aussi pour les racines philosophiques et religieuses, pour les racines qui nous constituent en tant que femme et homme. La question du mariage pour tous pose, pour certaines personnes parfaitement honnêtes, cette question de l'identité. Il faut donc prendre au sérieux les gens qui sont déstabilisés. C'est pour ça d'ailleurs que François Bayrou proposait une étape supplémentaire, celle de reconnaître l'égalité des droits aujourd'hui, mais de ne pas donner tout de suite l’appellation mariage aux couples homosexuels. Notre société ne s'en sortira pas si les évolutions fortes et vives que nous vivons aujourd'hui, qui remettent en cause les identités, provoquent un jeu politicien caricatural, dans lequel certains disent qu'être moderne c'est les accepter sans problème et que d'autres disent que les accepter conduit à la fin du monde.

Que pensez-vous de l'attitude de l'UMP, qui s'est engouffrée dans cette affaire du mariage pour tous et appelle, comme le fait Jean-François Copé, à manifester en masse ?

Je la regrette, de même que je regrette la position officielle du Parti socialiste disant qu'il n'y a pas de problème sur cette question. C'est l'illustration de ce que je vous disais à l'instant : les deux sont des menteurs. Je connais beaucoup de responsables socialistes, on le dit même parfois du président de la République, qui ne sont pas à titre personnel aussi convaincus et favorables à cette évolution. Je connais aussi beaucoup de responsables UMP qui sont favorables à cette évolution mais, parce qu'il faut la voix d'un parti, qu'il faut réutiliser et récupérer les choses, se précipitent dans l'opposition. Si vous vous souvenez de la manifestation autour de l'Arc de Triomphe, à Paris, il y avait même une certaine irresponsabilité à avoir envoyé des familles avec de jeunes enfants dans une logique d'affrontement avec les forces de l'ordre. C'est l'illustration vraiment de ce que je n'aime pas dans la politique et je trouve déplorable ces tentatives de récupération.

"BEAUCOUP À L'UMP DÉSAPPROUVAIENT LA CAMPAGNE DE NICOLAS SARKOZY"

N'y-a-t-il pas du côté de la droite le sentiment que la gauche est illégitime pour gouverner ? 

Si, un peu. C'est peut-être quelque chose qui explique une certaine agressivité de la droite par rapport au MoDem et à François Bayrou : cette idée que la gauche par elle-même ne pouvait pas gagner et qu'elle a gagné soit par un accident, qui était l'antisarkozysme primaire mais qui ne renvoyait pas à un désaccord politique de fond, soit par une pichenette d’appoint significative, qu'aurait été la position de François Bayrou. La vérité, c'est qu'à l'intérieur de l'UMP, beaucoup de gens désapprouvaient complètement l'orientation de la campagne de Nicolas Sarkozy, l'influence de Patrick Buisson, la radicalisation, le fait de flirter avec certaines idées du Front national, qui ont d'ailleurs été à la base de notre choix pour François Hollande. Dans ce procès en non-légitimé de François Hollande, il y a en fait une sorte de regret, de désaccord à l'intérieur de l'UMP. Pour n'en citer qu'un, regardez le livre de Roselyne Bachelot, qui l'a fait avec d'autant plus de liberté qu'elle a quitté la politique ensuite.

Que pensez-vous du problème de moralisation de la vie politique ? Le patrimoine des députés, le problème des revenus, … Tout ce qui est sur la table aujourd'hui. 

Lorsque le président de la République a fait ses propositions, il y en avait deux qui étaient excellentes : la création d'un parquet spécifique sur les malversations financières que l'affaire Cahuzac a mis en évidence, et la question de la lutte contre les paradis fiscaux, reprise par Pierre Moscovici lors de la réunion du G20. Je regrette que le débat se soit enflammé sur une proposition bien moins importante : la publicité du patrimoine des élus. 

Les médias ne sont-ils pas un peu responsables de ce buzz sur les patrimoines ? 

C'est le côté sombre des médias. Ce que nous redoutions s'est passé : certains journaux de la presse quotidienne nationale ont publié de manière malsaine et exhibitionniste le patrimoine des uns et des autres. J'ai apprécié les propos de Claude Bartolone, qui a rappelé que ce n'est pas comme ça qu'on fait de la politique. Pourquoi ? Parce que, compte tenu de la question complexe du rapport des Français à l'argent, nous avons eu pendant quelques jours l'éloge de la pauvreté pour faire de la politique. Cet éloge de la pauvreté était un éloge de la médiocrité. Je trouve entendable, la position des démocraties comme les États-Unis et l'Angleterre, qui partent du principe que si vous entrez en politique après 40 ans et n'avez pas fait fructifier vos avoirs, c'est que vous n'êtes pas très doué pour gérer les affaires du pays.

"LA MORALISATION DE LA VIE POLITIQUE DÉPASSE LES SEULS PATRIMOINES"  

Attention, nous ne sommes pas loin du "Si vous n'avez pas de Rolex avant 50 ans..." 

Vous avez raison, et il ne faut pas tomber dans ces travers. D'ailleurs, Barack Obama n'est pas quelqu'un qui a fait fortune avant d'entrer en politique. Il ne faut donc pas avoir une vision univoque de cela. Mais vous avez bien vu que ceux qui se sont précipités pour dévoiler leur patrimoine, comme par hasard étaient ceux qui en avaient le moins. Et que ceux qui ont a eu des réticences étaient ceux qui en avaient le plus. Ce n'est pas ça la politique. Je vais vous faire une proposition concrète : oui à une déclaration de patrimoine publique pour chaque élu, mais inutile de préciser si c'est avez des bijoux, une maison à Marrakech ou ailleurs.

C'est-à-dire que vous souhaiteriez une haute autorité qui ait le détail ? 

Exactement. Et que l'on veille que l'enrichissement entre le début et la fin du mandat ne soit pas anormal. C'est cela qui compte, et non pas le niveau du patrimoine.

Vous êtes pour un référendum ? 

Oui et nous avons lancé une pétition, qui continue à circuler, sur le site moralisation.fr. Parce que nous pensons qu'il ne faut pas laisser aux politiques le fait de voir entre eux les mesures à prendre. Vous voyez bien qu'il y a une suspicion, que l'on pense qu'ils résonnent en fonction de leurs intérêts personnels. Et, surtout, parce que nous pensons que la moralisation de la vie politique est plus large que la question des patrimoines. Nous pensons qu'il faut une vraie dose de proportionnelle, qui fait que les députés soient vraiment représentatifs de l'ensemble des citoyens. Nous proposons aussi qu'il y ait moins de députés, de sénateurs, de ministres, car tout ceci fabrique un mode de fonctionnement qui tourne en rond et coûte de l'argent.

"FAISONS LE MÉNAGE DES GASPILLAGES"

Rapidement, pour finir, rigueur ou austérité ? 

Il faut de la rigueur. La rigueur n'est pas l'austérité. Là dessus, nous pouvons reconnaître à François Bayrou d'être celui qui l'a dit le premier et il avait raison. Il faut de la rigueur dans les dépenses publiques de façon à retrouver des marges de manœuvre, susceptibles de relancer de l'investissement. De ce point de vue, j'articule avec mon mandat européen. Pour que l'on sorte de ce drame du chômage, il faut relancer de grandes industries, produire en Europe, une industrie automobile rénovée pour faire des voitures du XXIe siècle, qu'Alstom et Siemens s'allient pour fabriquer le TGV dont le monde a besoin. Et pour cela, il faut de l'argent. Or, ces marges financières, nous ne pouvons pas les dégager en créant un impôt de plus. Nous devons d'abord faire le ménage, chacun dans notre pays, avec les dépenses inutiles et les gaspillages. Et Dieu sait qu'il y en des gaspillages ! Le reproche que je fais au gouvernement, c'est de ne pas donner le mode d'emploi pour cela...

Malgré la boîte à outils ? 

Elle n'est pas suffisante, voire pas là. Il faut moins d'étages dans l’empilement des structures administratives. Fusionnons les départements et les régions ! Je prends l'exemple d'un collège et d'un lycée qui partagent le même bâtiment : arrêtons que l'un soit géré par le Conseil général et l'autre par le Conseil régional et que lorsqu'il faut refaire le chauffage, on doive combiner les dossiers de deux collectivités.

Vous avez été déçu par ce qui s'est passé en Alsace ? 

Nous n'avons pas le temps d'expliquer pourquoi ce référendum a été un échec, mais effectivement j'ai été déçu. Je pense que c'était une bonne maquette de ce qu'on pourrait faire ailleurs, notamment en Normandie. Il faut aussi faire, comme dans les entreprises privées, du benchmarking, de la comparaison. Nous devons comprendre pourquoi les dépenses de santé, à même service rendu, peuvent être 30% plus élevées d'une région à l'autre. Et s'inspirer de là où cela fonctionne bien, pour l'appliquer où cela fonctionne mal. Donc non, la boîte à outils n'est pas suffisante.

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