"La campagne doit se faire sur l'espoir des Français"
Dans une interview accordée à Jean-Pierre Elkabbach ce matin sur CNews, le président du MoDem a exprimé son optimisme quant à la candidature d'Emmanuel Macron, incarnant selon lui une proposition politique nouvelle et indispensable au pays.
Bonjour François Bayrou.
Bonjour.
Merci d’être avec nous. En vous alliant à Emmanuel Macron, vous avez contribué à accentuer sa dynamique actuelle. Mystère ou ironie de l’histoire ? Vous marquez cette campagne présidentielle car vous n’êtes pas candidat !
L’important, c’est de la marquer ! L’essentiel, par ses choix et ses actes, est de faire que le paysage politique change. Toute ma vie je me suis battu pour qu’il y ait une proposition politique qui permette d’échapper aux deux extrêmes et aux deux partis qui ont le monopole du pouvoir depuis cinquante ans. Nous sommes sur le point d’arriver à cette situation, que je trouve très encourageante. Les Français voient qu’il y a de l’espoir concret pour eux, différent, qu’on sorte de ces miasmes et de ces vapeurs délétères.
Dans le livre que vous publiez, Résolution française, vous parlez d’une « joie sauvage », d’une « envie de livrer la bataille ». Vous ne la livrez pas, mais vous êtes là. Il y a une sorte de sacrifice… cela vous a coûté ?
Que j’aie eu en moi une grande envie de mener cette bataille comme candidat au premier rang, il n’y a pas de secret. C’est un moment de rencontre impressionnant avec les Français. Mais lorsqu’il m’est apparu que c’était la seule décision qui permettait d’offrir aux Français un choix qu’ils n’ont pas eu depuis dix ans… en 2007, on y était presque !
Cela vous a coûté personnellement ?
Non…
C’est un non qui est un oui !
Cela a été un petit effort, un petit sacrifice, un geste d’abnégation. Je n’en regrette rien. Pour moi, c’était pour la clef pour entrer dans ce monde nouveau que nous avons aujourd’hui sous les yeux. Vous voyez combien les Français ont été sensibles par leurs intentions de vote à cette décision.
Seul, vous aurez peut-être moins pesé politiquement qu’associé à Emmanuel Macron. En même temps, vous l’avez boosté et grâce à vous, il a ses parrainages et arrive au coude-à-coude avec Marine le Pen. On dit cependant que vos électeurs sont fragiles, qu’ils peuvent aller voter ailleurs.
Je n’en crois absolument rien. Entre cette date d’alliance et aujourd’hui, les intentions de vote d’Emmanuel Macron ont progressé de sept points. Ce qui fait qu’aujourd’hui, il est non seulement en situation d’être au deuxième tour, mais peut-être de manière extrêmement positive. Je suis très heureux et je ne crois pas que la partie de l’électorat avec laquelle je suis en phase soit fragile. Je crois exactement le contraire.
Un Français sur trois accepte les idées du Front national et pense voter pour Marine le Pen. Elle garde une base solide, mais ne l’augmente pas. Pourquoi toujours faire de l’extrême-droite un épouvantail ?
Je ne me reconnais pas dans ce mot d’épouvantail. Je n’ai jamais prononcé ce mot ni eu ce mot à l’esprit. Ce que je crois, c’est que madame le Pen est servie par une position formidable : elle est devenue l’opposante universelle, à tout le monde. Quelles que soient les difficultés qu’on rencontre, elle est là, car elle n’a aucune responsabilité, elle n’en a exercé aucune. Elle n’est pas présentée au sein des assemblées ou presque. C’est un avantage formidable.
Deuxièmement, il y a quelque chose d’extrêmement grave : les solutions qu’elle propose, qu’elle veut mettre en œuvre – la sortie de l’euro, la recréation d’un franc hypothétique, fragilisation de l’Europe – sont mortelles pour la France. Je ne peux pas le dire autrement. Je le dis à ceux qui sont mes amis, mes proches, mes voisins, je pense à leur vie. Ils ne pourraient pas garder, si des décisions de cet ordre étaient prises, ce qui fait leur vie aujourd’hui : la retraite, la sécurité sociale.
Est-ce qu’elle reste le danger numéro un de la République ?
Je ne veux pas employer les choses comme cela. Je ne crois pas que la campagne doive se faire sur madame Le Pen. Je pense que la campagne doit se faire sur l’espoir des Français. Depuis des années, c’est là que se situe la blessure, la faiblesse. On ne peut plus rien croire parce que le monde politique est délabré et rongé de l’intérieur. Vous le voyez, sur les deux bords.
Vous parliez de miasme. Les centristes de l’UDI sont en pleine déroute et cherchent à rentrer dans le rang. Ils attendent un geste de François Fillon, sans doute un accord électoral donnant-donnant.
Vous voyez bien de quoi il s’agit exactement, c’est-à-dire, d’attitudes mercantiles qui abandonnent l’idéal sans lequel on ne peut pas faire de la politique.
Pourquoi mercantiles ?
Ils échangent des soutiens qu’ils rejetaient contre des circonscriptions. Il y a là quelque chose de moche. Je ne peux pas le dire autrement. Je pense à ceux qui ont cru – les militants, les adhérents – qu’il y avait là un mouvement de centre-droit, comme ils disent, ils vérifient aujourd’hui que si le centre n’est pas indépendant, il n’existe pas. Il disparaît. Pour moi, ces attitudes-là, ces contorsions, ce sont des briseurs de rêve.
Vous avez aussi rejoint Alain Juppé…
Je n’ai jamais quitté cette ligne ! Vous avez vu le discours d’Alain Juppé et ce qu’il en a dit. Oui, je me sentais en phase avec Alain Juppé. Aujourd’hui, je vois bien qu’il y a un espoir, abandonné au moment de l’échec d’Alain Juppé à la primaire, que nous faisons revivre. Un espoir de rassemblement, pour qu’on puisse faire sortir la France de la situation dans laquelle est. C’est pourquoi j’ai fait ce choix.
Etes-vous pour récupérer certains centristes de l’UDI ?
Je ne veux pas dire « récupérer ».
Accueillir ?
Non. Travailler avec eux pour faire qu’au choix des Français, ils y participent. Tout le travail que l’on pourra faire ensemble sera bienvenu et heureux.
Les socialistes ne sont pas encore convaincus par Benoît Hamon. Certains hésitent, notamment les progressistes autour de Manuel Valls. Est-ce que vous pouvez les accueillir presqu’à égalité et en bloc, s’ils viennent ?
C’est eux qui diront ce qu’ils vont faire. Moi, je veux m’exprimer avec beaucoup de clarté. Le premier point de l’alliance que nous avons faite avec Emmanuel Macron est justement que cette proposition politique soit une alternance, c’est-à-dire, qu’on ne soit pas dans le recyclage des dernières années, ni par les pratiques, ni par les visages. Il est capital que ce ne soit pas du recyclage, que ce soit une proposition politique nouvelle, avec des pratiques nouvelles et des équipes nouvelles. Sans cela, les Français s’en détourneraient. Après, il est possible que sur tous les bancs – comme on dit à l’Assemblée nationale – de la gauche à la droite, il y ait des personnalités éminentes qui disent : « dans l’état du pays où nous nous trouvons, c’est le seul choix qui nous permette de nous en sortir ».
Bertrand Delanoë, il paraît que c’est aujourd’hui. Vous l’accueillerez ?
C’est quelqu’un qui a une image auprès des Français.
Dominique de Villepin ?
Vous ne m’entraînerez pas dans l’énumération des noms, dans ce qu’on appelle dans votre métier le name droping.
Est-ce que Valls et les siens ont une place chez un ancien ministre d’Hollande ?
Poser la question comme cela, ce serait contrevenir à cette exigence que j’ai formulée que ce soit une vraie alternance. Après, je suis pour le rassemblement large.
J’ai peut-être posé une question maladroite.
Non, vous ne posez jamais de questions maladroites ! Il n’y a pas de questions indiscrètes, il n’y a que les réponses qui le soient.
Si Manuel Valls et ses amis veulent rejoindre Emmanuel Macron, comment seraient-ils accueillis ?
Aujourd’hui, ils ne le disent pas. S’ils le disaient, alors probablement, Emmanuel Macron examinerait la situation. Moi, je tiens infiniment à insister sur ce point : si cette proposition politique apparaissait comme une manière de faire revivre ce avec quoi les Français veulent rompre, ce serait une erreur. Tout rassemblement est bon, mais toute ambiguïté est néfaste.
Avec ou sans négociation ?
Moi, je n’ai pas eu de négociation avec Emmanuel Macron. Je l’ai appelé deux heures avant de faire mon choix et lui ai simplement dit les quatre exigences qui me paraissaient centrales sur le fond.
Cependant, on vous dit : « attention à ce que le macronisme ne soit pas du hollandisme sans Hollande ».
Je n’utilise pas ces adjectifs car ils ne me plaisent pas. Je viens de vous dire à l’instant que la clef de cette élection, c’est que la proposition qu’Emmanuel Macron porte soit une proposition d’alternance, de rupture avec les pratiques qui hélas n’ont pas réussi à la France depuis cinq ans, qu’elle soit franchement nouvelle.
Les sages des Républicains ont déclaré à propos de François Fillon : « le débat est clos ». Pour vous, il l’est ?
Vous voyez bien que non. Moi je n’ai jamais eu de débat avec François Fillon car avant même la sortie des affaires, j’avais indiqué que son programme me paraissait inadapté à la situation du pays et dangereux pour la santé du pays. Cela a été accentué par les affaires car son programme était fondé sur des sacrifices imposés à une très grande partie des Français et notamment à la partie des Français qui est au travail avec de petits salaires.
Il garde un socle de 19%, malgré la crise. Pensez-vous que les révélations faites peuvent empoisonner la campagne que François Fillon est en train de relancer ?
Ce n’est pas sur ce plan que je me place. Je me place sur un plan extrêmement précis. Demander des sacrifices aux Français dans la fonction publique ou dans l’entreprise privée pour qu’ils travaillent plus pour gagner moins, ceci est incompatible avec l’accumulation de privilèges pour soi-même. Je ne suis pas dans les affaires, je ne les exploite pas et je n’en sais rien, mais c’est dans cette contradiction-là éclatante aux yeux de tous que se situe l’impossibilité pour le programme de François Fillon. Cela rend son projet indéfendable.
On nous a annoncé hier un sommet de la concorde : Sarkozy, Juppé, Fillon. Il n’aura pas lieu, car Alain Juppé ne voulait pas être à un contre deux.
Il ne voulait pas être instrumentalisé.
Est-ce que vous lui donnez raison ?
J’ai trouvé son intervention, son discours, un texte très beau, très grave, lourd, où il disait des choses très importantes sur son camp et sur le refus de son camp de voir naître une vie politique qui autorise des gens de sensibilités différentes à travailler ensemble. C’est ce qu’Alain Juppé a dit avec force, élégance et efficacité. Je vois bien qu’il refuse d’être instrumentalisé par les manœuvres des uns et des autres.
Vous refusez les clivages. En marche n’est ni de droite, ni de gauche donc et de droite, et de gauche, et même au-dessus. Mais pour gouverner, il faudra une coalition.
Je n’aime pas le mot « coalition », cela fait politicien. Je préfère le mot « entente ». On a besoin d’une entente entre des courants compatibles qui sur l’essentiel se rejoignent et qui organisent une vie politique différente. C’est cette entente dont la page va être ouverte par l’élection présidentielle.
Pour le MoDem, vous voulez un groupe de combien de députés ?
Je ne veux pas entrer dans ce débat. Il y aura un équilibre entre les forces différentes. Ce qu’Emmanuel Macron a accepté dans notre accord, c’est qu’il y ait en France un pluralisme organisé. Aujourd’hui, 70% des Français, soit 7 Français sur 10, n’ont pas de représentation à l’Assemblée nationale. Vous trouvez cela normal ? Vous prenez ceux de l’extrême droite, ceux de l’extrême gauche, les écologistes et le centre indépendant, ils n’ont pas de représentants.
Si on a cette entente, on peut gouverner et faire accepter aux Français des réformes difficiles ?
C’est parce qu’il y aura une telle entente que l’on pourra faire avec les Français des réformes non pas difficiles mais vitales. Ce n’est pas de douleur qu’il s’agit. Mon livre Résolution française dit : « on peut s’en sortir et il y a des solutions simples pour tous les problèmes de la France ».
On a envie de dire « amen ».
Il n’y a pas besoin de dire « amen », mais que si c’est possible, c’est formidable.
Vous dites : « le Président est élu non pas sur une liste détaillée de mesures secondaires, mais d’abord sur sa personnalité, sur quelques grands objectifs, sur son expérience, sur sa sensibilité qui sont la garantie de l’engagement qu’il prend devant le pays ». Est-ce que cela peut être le portrait d’un Emmanuel Macron ? Il y a sa sensibilité, mais son expérience ?
Vous avez interviewé Trudeau, qui est le Premier-ministre canadien. Il a 42 ou 43 ans, c’est-à-dire deux ou trois ans de plus qu’Emmanuel Macron. Il est arrivé au pouvoir au Canada sans expérience. Au moins, Emmanuel Macron a été ministre de l’Economie pendant quelques années, ce qui n’est pas tout-à-fait rien. Mais ce qui compte, c’est que se constitue avec lui une équipe dans laquelle il y ait de l’expérience et du renouvellement. C’est cette rencontre, cette alchimie qui fera l’avenir du pays.
Quel est votre rôle auprès de lui ? Vous êtes dans la stratégie ? Allez-vous faire des meetings avec ou pour lui ?
Je pense que nous en ferons quelques-uns, sans en faire du systématisme. Mon rôle dans cette campagne est d’aider au succès de cette proposition politique nouvelle. J’en ai par-dessus la tête qu’on soit bloqué avec des forces politiques qui donnent le spectacle désespérant qu’on a sous les yeux. Pour une fois qu’on peut avoir autre chose, moi je veux aider, point.
Dépêchez-vous, les politiques car…
Je ne suis pas « les politiques » ! C’est comme si je vous disais : « dépêchez-vous les journalistes » !
Il y a la guerre à Mossoul, les chinois ont déposé 25% de brevets d’innovation de plus qu’en Europe, il y a ce que fait Trump. Il faudrait peut-être qu’on sorte de notre petite querelle.
C’est exactement cela. Vous venez de nous faire une profession de foi que je signe. C’est au fond cela que l’idée de Macron a avancé : le monde oblige la France à sortir des murailles qu’elle a construites autour d’elle. Je suis un patriote, j’aime mon pays, sa culture et sa langue, plus que tout. C’est le patriotisme qui arme un pays. Ceux qui trahissent le pays, c’est ceux qui le désarment.