"La démocratie française a besoin d'une garantie de loyauté"
Ce matin, François Bayrou défendait au micro de France Inter sa vision de la France et du rôle que devrait investir le prochain président de la République : un garant de la loyauté des institutions françaises.
Bonjour François Bayrou.
Bonjour.
En attendant de savoir si vous vous lancez dans une quatrième campagne présidentielle, vous publiez un livre « Résolution française ». Montesquieu disait que « le propre de la République, c’est la vertu ». Cette République est abîmée par l’affaire Fillon ?
C’est une période extrêmement bouleversante pour des millions et des millions de Français, ainsi que pour la démocratie française. C’était rappelé par Bernard Guetta à l’instant. Il y a des millions de Français qui ont cru à la primaire, d’un banc ou de l’autre. Moi, je n’y ai jamais cru. Eux y ont cru, que la primaire permettrait de résoudre cette question d’avoir enfin une représentation qui corresponde aux attentes des citoyens.
Les primaires ne font pas une véritable campagne électorale. Ils ne permettent pas d’aller vers la vérité des personnalités, comme le fait, avec cruauté, une campagne présidentielle. On se trouve aujourd’hui devant des habitudes ou des pratiques qui, en réalité, sont explicables parce que la démocratie française depuis longtemps n’a pas de contrôle. Des habitudes sont prises par les deux partis dominants au travers du temps, dont on a vu qu’elles avaient des pratiques nombreuses.
Au sein de notre Parlement, ce ne sont pas les Français qui sont représentés : plus des 2/3 d’entre eux en sont absents ! Donc on n’a pas à craindre le regard d’un autre parti, d’une autre aspiration, même si elle est parfois un peu plus rude. Donc on ne fait plus attention. Aujourd’hui, la démocratie française, de ce que j’en ressens, a besoin d’avoir une garantie de loyauté. L’élection présidentielle devrait servir à cela. J’explique dans mon livre, qui a été écrit longtemps avant ces histoires, que le président de la République doit être la garant de la loyauté de notre vie publique et de nos institutions. Pas seulement de l’honnêteté, cela va sans dire, mais du fait que par exemple, que les citoyens soient informés des raisons pour lesquelles les décisions sont prises, qu’il n’y a pas des réseaux d’intérêt qui se glissent dans tout cela. C’est le président de la République qui empêche la prise de contrôle par des réseaux d’intérêt de l’organisation de la décision publique par exemple dans les sujets économiques. Il y a mille et mille recoupements entre des influences et des décisions.
Vous plaidez à nouveau pour que le peuple soit représenté de façon proportionnelle, proportionnellement aux opinions ?
C’est la garantie de cette loyauté : si les grands courants du pays sont tous représentés, on ne peut pas tricher. Mais s’il n’y a que deux courants du pays, minoritaires de très loin – aujourd’hui, si vous additionnez ces deux courants, on arrive peut-être au maximum à 35% – et donc les 2/3 des Français ne sont pas représentés.
Vous parlez d’absence de contrôle, mais cela a tout de même progressé. La loi qui a suivi l’affaire Cahuzac, la loi sur la transparence de la vie publique, a instauré des règles qui ont permis de mettre fin apparemment à contrats litigieux.
Excusez-moi de vous rappeler que s’il n’y avait pas la presse et notamment la presse indépendante, aucune de ces pratiques ne serait sortie. Nous avons un problème de loyauté de nos institutions. Je prétends que ce devrait être la première fonction du président de la République que d’apporter une assurance aux citoyens que désormais sur tout cela, la page va se tourner, qu’il n’y aura plus ces abus qu’on constate tous les jours sous toutes les formes. Là, il y a une forme, mais il y en bien d’autres. Je plaide pour que les citoyens français se voient apporter les garanties nécessaires de la loyauté de la vie publique.
François Fillon est disqualifié à vos yeux ?
Vous voyez bien comment les choses tournent. Il va y avoir encore semble-t-il des évènements dans la journée. On entend dans son entourage, chez les principaux responsables de son parti, des jugements dans lesquels une page risque de se tourner.
François Fillon, vous le connaissez depuis longtemps. Vous aviez perçu certaines fragilités ?
Jamais. C’est un responsable public. Je le connais, je l’ai croisé ou côtoyé pendant des années. Jamais je n’avais eu ce sentiment-là.
Puisque vous avez servi d’épouvantail lors de la primaire de la droite en soutenant Alain Juppé, j’imagine que vous ne direz pas un mot de plus en faveur du maire de Bordeaux ?
Alain Juppé l’a dit de la manière la plus explicite possible. Je ne crois pas qu’il veuille se lancer dans cette aventure. Si la question devait se poser, c’est à lui que la décision appartiendrait.
Vous aviez qualifié d’ « hologramme », Emmanuel Macron. Prend-il forme humaine ?
Emmanuel Macron a annoncé qu’il reportait l’annonce de son projet à plusieurs semaines. Il y a une grande question que la France se pose, la France comme société, comme pays, comme nation, se rallie-t-elle au modèle dominant dans le monde, celui de l’hypercapitalisme, ou est-ce qu’au contraire, tout en prenant absolument conscience des enjeux, est-elle une forme de résistance à ce modèle-là ? Ce modèle qui a pris le contrôle de tous les instruments de pouvoir. Regardez comment s’est jouée l’élection présidentielle américaine.
On a vu sortir une enquête cette semaine : huit personnes dans le monde, même pas les doigts des deux mains, possèdent à elles-seules autant que trois milliards et demi d’êtres humains sur la Terre, la moitié de l’humanité. Un pourcent possède plus que les quatre-vingt dix-neuf autres. Le modèle dans lequel nous sommes est un modèle d’inégalités devenues système, inégalités toujours plus grandes et toujours croissantes. On a cru pendant longtemps que ce modèle allait effacer les inégalités. Ce modèle ne sert pas l’égalité, il les creuse.
Pour moi, la vocation de la France est d’apparaître face à ce modèle dominant dans le monde comme une force de résistance ou en tout cas d’indépendance, et que chez nous, nous imposions le fait que la logique de notre politique est une logique civique, dans laquelle les valeurs auxquelles nous croyons, notamment le fait que nous avons une sensibilité sociale plus grande que les autres, tout cela soit défendu.
Vous ne trouvez pas dans le discours d’Emmanuel Macron une réponse à cette question ou un alignement avec l’hypercapitalisme ?
Membre du gouvernement, Emmanuel Macron s’est battu pour supprimer la prime qui salarie les heures supplémentaires. C’est Manuel Valls qui a défendu cette prime, qui avait été baissée de 25% à 10%. Je suis pour qu’elle soit remise à 25%. C’est une manière de signaler que le travail doit être payé. Peut-être Emmanuel Macron dans les jours qui viennent va-t-il donner des signes d’indépendance vis-à-vis de ce modèle-là. Pour l’instant, cette question se pose et pour moi, c’est une question déterminante.
J’ai noté que vous voulez un gouvernement d’unité nationale qui aille au-delà des clivages droite/gauche, lui aussi… Vous voulez, maintenir l’ISF mais en exonérant le capital investi dans l’appareil productif, lui aussi…
Il fait mouvement sur des points significatifs dans la direction de ce que je défends depuis longtemps. Vous avez le sourire. Ce sont des questions très sérieuses, ce ne sont pas des questions de programme : c’est un projet de société qui est ainsi annoncé. Celui que j’expose dans ce livre, Résolution française, est un projet de société qui incarne ce qu’est l’âme du pays, à mes yeux, dans son histoire et dans son avenir.
Votre envie à vous, François Bayrou, c’est plutôt d’aller à la bagarre, de défendre vos propres idées dans cette campagne ?
J’ai toujours eu cette envie, ce désir-là, depuis que je suis engagé. C’est évidemment dans les campagnes majeures que cela se joue. Mais ce n’est pas une envie personnelle et je ne me décide pas en fonction de mes avis personnels.
Pourquoi la mi-février ? Il se passera quelque chose de particulier ?
Dans les deux semaines qui viennent, beaucoup de choses vont bouger. Plus encore, on évoquait ceux qui ont par millions voté dans cette primaire. Imaginez leur déception et leur rancœur aujourd’hui. Ils n’ont pas toujours été d’accord avec moi, on a eu des débats, je me suis confronté… mais ce sont des citoyens de bonne foi qui croyaient que c’était une démarche de bon aloi et qu’elle allait leur permettre de s’engager, de croire à quelque chose. Aujourd’hui, ils sont écœurés. Ils disent : « je ne voterai plus, monsieur ! ». Au contraire, notre responsabilité est de leur fournir la garantie que cet engagement n’est pas à jeter et qu’ils avaient raison de vouloir un engagement de bon aloi, que c’est le système ou les institutions dans lesquelles nous vivons qui depuis longtemps ont rendu glissantes les pratiques que nous y avons.
PAROLE AUX AUDITEURS
Auditeur : « J’aimerai vous voir rallier à Emmanuel Macron, votre tandem serait excellent ».
Monsieur, dans votre phrase, le mot qui me gêne me plus, ce n’est pas le nom d’Emmanuel Macron, mais c’est le verbe « rallier ». Je trouve qu’en politique, dans une démocratie normale, ce qui vaut ce sont les alliances, ce qui ne vaut pas, ce sont les allégeances. Je ne vois pas de raison ni de justification pour lesquelles un citoyen ou un homme politique ou le responsable d’un courant politique devrait renoncer à ce qu’il est pour s’en remettre à quelqu’un d’autre.
Moi, ce que j’aime, c’est le dialogue et les discussions. J’ai eu ce débat avec l’UMP, le « parti unique »… toutes ces choses-là, cela ne ressemble pas à l’attitude de citoyens libres qui défendent leurs idées et qui sont prêts à dialoguer, débattre sur ces idées, à avancer des propositions, à chercher des compromis. (…)
J’ai dit ici à l’instant que la question c’était le modèle de société auquel on voulait adhérer. Que ce modèle de société, c’est celui dans lequel de grands intérêts industriels, financiers, cherchent à imposer leur loi. Est-ce que monsieur Macron a la même vision que ces forces-là ? Vous savez bien qu’il y a autour de lui beaucoup de ceux qui défendent ce modèle-là. Ou bien est-ce qu’il partage avec moi le sentiment que la France doit être une force de résistance ? Pour l’instant, ce que j’ai entendu d’Emmanuel Macron, c’est qu’il faut adapter la France à ce monde-là. (…)
Deuxième question : est-ce qu’on accepte le pluralisme de la vie politique ou est-ce qu’on considère que c’est un parti qui a tous les pouvoirs ? En l’occurrence, ici, un parti qui n’existe pas encore. Moi, je pense qu’il ne faut pas qu’un parti ait tous les pouvoirs, mais qu’on reconnaisse la légitimité des quatre, cinq, six forces politiques françaises et qu’on soit capable de les réunir et les fédérer pour faire avancer les choses. C’est extrêmement différent de ce qu’Emmanuel Macron propose aujourd’hui. (…)
Le renouvellement est une chose naturelle. La politique, c’est darwinien. Des gens s’avancent, exercent des responsabilités puis les quittent. Il arrive parfois que des gens qui ont l’expérience réussissent à s’imposer devant d’autres qui paraissent plus frais… Par exemple, la finale du tournoi de l’Open d’Australie, c’était Federer-Nadal. J’ai l’impression que depuis de longues années ces deux-là dominent ce sport ? Pourquoi ? Peut-être parce qu’ils frappent la balle plus fort et la placent mieux que les autres.
Auditeur : « Est-ce que monsieur Bayrou peut me dire si une affaire comme l’affaire Fillon pourrait arriver dans les pays scandinaves, où les élus paient leur repas de cantine facture à l’appui ? Ce n’est plus possible, je suis un enseignant et je travaille : je suis loin d’avoir un emploi fictif. »
Mon cher collègue, bonjour. Vous avez mille fois raison et ce n’est même pas la peine d’aller chercher les pays scandinaves. Par exemple, j’ai demandé depuis longtemps et même proposé cela à François Hollande dans une prise de position publique, soutenue par une pétition signée par des dizaines de milliers de personnes, qu’on ait des règles qui imposent à tous les parlementaires de payer l’impôt sur la totalité de leurs indemnités, avec des notes de frais, comme tout le monde. Qu’on n’ait pas des systèmes dérobés dans lesquels une partie est apparente et l’autre est souterraine. C’est une règle simple. Une deuxième règle, que le Parlement européen a adopté depuis longtemps, c’est qu’on n’ait pas le droit d’employer les membres de sa famille. L’idée de ce livre, c’est qu’on peut obtenir des résultats importants en prenant des décisions simples. Je suis pour que dans ces sujets-là, les règles deviennent impératives.
Dans votre livre, vous préconisez « l’incorporation », en matière d’immigration, plutôt que l’ « intégration » ou l’ « assimilation ».
L’ « assimilation » que préconisait Nicolas Sarkozy, cela signifiait renoncer à son histoire. « Je viens d’ailleurs et je suis obligé d’oublier d’où je viens ». D’abord, c’est impossible. Qui voudrait renoncer à son histoire ? Nous avons été nous, France, nous, Béarn, et la Bretagne, l’Auvergne, l’Alsace, des pays d’émigration. On partait de chez nous. Je raconte une histoire familiale, dans laquelle il y a eu des victimes de cette émigration. « Intégration », cela veut dire qu’on ouvre la porte. « Incorporation », cela va plus loin : c’est qu’on entre avec tout ce qu’on est dans le corps que la nation, la France, la société, représente. On y entre. On devient un membre de cette société et de cette nation-là. (…) Cette idée est riche car respectueuse des deux attentes : l’attente qu’on ne renie pas son histoire, d’où l’on vient, et l’attente qu’on ait désormais pleinement engagé dans la nation qu’on forme ensemble.
Peut-on encore défendre le centre à l’heure où de plus en plus de candidats se disent de droite et de gauche ou ni de gauche, ni de droite ?
Le centre ne se résume pas à un ni-ni ou à un et-et. C’est une famille politique qui a une très grande histoire française. C’est une famille politique qui philosophiquement remonte à Montaigne, à Pascal. C’est une famille politique qui a fait la résistance - je rappelle que c’était une part essentielle du conseil de résistance. C’est une famille politique qui a reconstruit la France à la Libération. C’est une famille politique qui a construit le projet européen. C’est donc quelque chose qui est enraciné. Je trouve que dans les temps désordonnés et troublés où nous vivons, la question de l’enracinement d’une pensée, d’une action, ce n’est pas seulement médiatique, notre affaire. (…) On ne peut valablement fédérer un pays que si on a des racines profondes. C’est pour les familles politiques enracinées que je plaide.