"La justice n'est pas seulement une institution : elle est aussi une valeur."

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Dans un entretien publié dans le quotidien Le Monde ce mercredi 14 juin, François Bayrou, ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la Justice explicite notamment le projet de loi "Pour la confiance dans notre vie démocratique" qu'il a présenté aujourd'hui en conseil des ministres. Premier texte qui sera discuté au Parlement, la loi de moralisation est l'un des premiers symboles de ce nouveau quinquennat.

INTERVIEW. Votre projet de loi se propose de rétablir la confiance dans la démocratie. Mais n'est-ce-pas le contraire qui se produit quand plus d'un électeur sur deux boude les urnes ?

Ce que je ressens au contraire, c'est une vague de confiance qui est en train de se lever. Le résultat du premier tour de ces élections législatives qui apparaît comme une énigme pour beaucoup, est pour moi transparent : les Français aspirent à sortir d'une longue période de pessimisme et de découragement et à entrer dans une période d'optimisme et de volonté. Au lieu d'être paralysés par la crainte de l'avenir, il s'agit pour notre peuple de saisir les chances qui s'offriront.

L'effondrement de la droite et de la gauche s'explique bien entendu par l'usure due à des décennies de pouvoir. Mais il y a aussi l'exaspération face à cette guerre de tranchées systématique et obsessionnelle camp contre camp, où il n'y a qu'un seul objectif, abattre toute proposition, quelle qu'elle soit, émanant de l'autre camp.

Le fait que l'affaire immobilière impliquant le ministre Richard Ferrand, pour laquelle le parquet de Brest a ouvert une enquête, n'a pas eu d'impact sur les législatives, est-ce cela que vous appelez de l'optimisme ?

Les Français ne veulent pas se laisser détourner de l'enjeu de cette élection qui doit apporter cohérence et logique dans l'action. Ils se rendent parfaitement compte de l'importance de l'événement. Ces moments que nous vivons seront dans les livres d'histoire au même titre que les bouleversements politiques intervenus à la Libération ou en 1958. Ce sont des moments où la banquise se rompt, entraînant la débâcle des partis qui exerçaient depuis des décennies le monopole du pouvoir. Les Français approuvent ce coup de théâtre et sont décidés à le soutenir.

Ce projet de loi s'inscrit dans la continuité des réformes de 2013 et 2016 qui ont créé le Parquet national financier et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. En quoi est-ce radicalement nouveau ?

Des questions qui étaient pendantes depuis des décennies vont trouver une réponse décisive ! Exemple, à l'automne viendra le texte constitutionnel sur la suppression de la Cour de justice de la République. C'était une anomalie démocratique incroyable qu'un ministre soit jugé par ses « pairs » parlementaires, tandis que les collaborateurs qui étaient sous ses ordres sont traduits devant des cours ordinaires. Le fait de trancher crée une situation nouvelle.

Il en est de même pour les emplois familiaux, qui créaient un mélange des genres préjudiciable. Idem pour la limitation des mandats dans le temps. L'obligation de justifier de ses frais de mandat met seulement les parlementaires au niveau des salariés ou cadres d'entreprise pour qui c'est une obligation de présenter leurs notes de frais. Ainsi, des pratiques ou des facilités d'un autre âge vont trouver des règles qui permettront le retour de la confiance.

Pour éviter les conflits d'intérêts, vous instaurez un registre des déports pour les parlementaires, inspiré du Parlement européen. Mais un député représente la nation, pas une profession...

Cette obligation n'a rien à voir avec la profession. Un député médecin pourra toujours intervenir sur notre système de santé, ou un agriculteur sur une loi agricole. Mais si vous avez des intérêts dans une entreprise, ou si vous êtes le conseiller rémunéré d'une branche d'activité, vous ne pourrez ni porter un texte ni participer au vote. Ce qu'il faut éviter, c'est le risque de lobbyistes clandestins parmi les élus.

Donc quelqu'un qui conseille une mutuelle ne pourra pas porter une proposition de loi sur ce secteur ?

Je ne parle pas par allusion. Chaque assemblée sous l'autorité de son comité de déontologie veillera à empêcher les conflits d'intérêts.

Cela ne risque-t-il pas d'entretenir cette idée d'arrangements dans un entre-soi ?

Je respecte la séparation des pouvoirs et donc le droit de l'Assemblée et du Sénat de s'organiser pour faire respecter les principes définis. Mais nous aurons un débat parlementaire et le texte a vocation à être enrichi. Pourquoi ne pas travailler sur les attachés parlementaires, aujourd'hui injustement ciblés ? Ils le vivent mal, à juste titre, et la discussion de ce texte pourra peut-être faire avancer leur situation.

Le Conseil d'Etat critique certaines de vos propositions sur le financement des partis, en particulier votre projet de « banque de la démocratie ». Que comptez-vous faire ?

Le Conseil d'Etat souhaite seulement une étude d'impact plus détaillée. Je défendrai bien entendu cette idée novatrice, ouverte et qui constituera pour notre vie démocratique un immense progrès. Je trouve humiliant et sur le fond inacceptable que des banques privées aient droit de vie et de mort sur des mouvements politiques ou des campagnes.

Et la séparation des fonctions d'ordonnateur et de payeur au sein des grands partis ?

Mon idée de départ allait encore plus loin : elle était de placer les partis politiques recevant de l'argent public dans une situation comparable à celle des collectivités locales, libres de leurs choix budgétaires et de leurs dépenses, mais dotées obligatoirement d'un payeur public. Je suis sûr qu'on n'aurait pas osé présenter les « factures » de Bygmalion [affaire de surfacturations de prestations pour le compte de l'UMP lors de la présidentielle de 2012] à un payeur public. Un certain nombre d'administrations ont été en désaccord.

A ce stade, le Conseil d'Etat souligne à juste titre que la séparation ordonnateur-payeur entre en conflit avec la liberté constitutionnelle d'organisation des partis politiques. Peut-être reprendrons-nous cette réflexion pendant les débats, de même que le contrôle que je souhaitais par la Cour des comptes, parce que je suis sûr que l'intervention pour certifier les comptes des partis d'un magistrat de la Cour serait une garantie pour le citoyen.

Les progrès de la France en matière de dispositifs anticorruption, salués par les organismes internationaux, sont contrebalancés par des critiques sur l'indépendance de la justice. Que comptez-vous faire ?

Conformément aux engagements du président de la République, nous sommes décidés à ouvrir le chapitre de l'indépendance du parquet. Un texte a été adopté par les deux Assemblées sous la dernière législature : c'est un point de départ, même si je crois qu'on peut aller plus loin.

Si j'ai accepté cette responsabilité au gouvernement, c'est parce que je crois que l'on doit faire des choses essentielles, et les faire vite. C'est le cas du statut des parquets. C'est le cas de la loi de programmation sur les moyens de fonctionnement de la justice. C'est le cas de l'immense question des prisons. Nous ne pouvons pas nous accommoder de la situation actuelle et du temps qui passe, où discussions et procédures s'enlisent sans fin, sans que jamais rien ne change.

Sur ces sujets, au coeur de votre mission de ministre de la justice, quelles sont vos orientations ?

J'en discuterai avec les intéressés, magistrats, fonctionnaires, responsables budgétaires, et au sein du gouvernement avant toute communication publique.

Quant au projet de loi antiterroriste censé permettre de sortir de l'état d'urgence, comment accepter que de telles mesures issues de l'état d'urgence échappent au contrôle de l'autorité judiciaire ?

Je propose que l'on juge du texte lorsqu'il sera définitivement établi. Il faut bien comprendre la détermination du gouvernement. L'état d'urgence est un état d'exception qui suspend certaines garanties apportées au citoyen dans tous les domaines. C'est donc une obligation d'en sortir, mais certainement pas en désarmant notre Etat face au terrorisme. Il y a des procédures qu'il faudra pouvoir utiliser dans le droit commun, dès lors que la garantie sera apportée qu'elles sont absolument circonscrites au terrorisme, à l'existence d'une menace grave et urgente, à la fréquentation de réseaux, et sous le contrôle d'un juge.

Mais le projet gouvernemental exclut le juge judiciaire et confie ce sujet au juge administratif...

Les mesures de prévention relèvent naturellement du juge administratif, les mesures de privation de liberté, du juge judiciaire. Je ne doute pas que le texte que portera le ministre de l'intérieur respectera ces principes et il aura mon soutien. L'avis rendu par le Conseil d'Etat sera étudié par le gouvernement, qui arrêtera ensuite sa décision définitive. C'est même le rôle précis du Conseil d'Etat.

La philosophie de ce texte revient à appliquer des mesures d'exception à une certaine catégorie de la population, car la notion de terrorisme est floue et large.

Elle n'est pas floue pour les victimes, pour les trois jeunes Français encore tués à Londres et les dizaines de victimes que nous avons pleurés. Je connais et j'apprécie les réflexions principielles. Mais je me sens bien davantage responsable face aux victimes et aux victimes potentielles, comme le ministre de l'intérieur, comme le premier ministre et le gouvernement autour du président de la République se sentent responsables. Prendre les mesures les plus efficaces en cas de menace terroriste identifiée n'est pas selon moi une option théorique, mais un devoir.

Comptez-vous créer, comme le préconisent certains proches d'Emmanuel Macron, un parquet national antiterroriste ?

De fait, il existe ! La section antiterroriste du parquet de Paris est un parquet antiterroriste. Soutenons-le, au lieu d'entamer un bouleversement supplémentaire.

Une enquête préliminaire a été ouverte concernant le travail des assistants parlementaires du MoDem. La craignez-vous ?

Il s'agit de vérifier la teneur d'une dénonciation prétendument « anonyme », mais dont tous les journalistes connaissent l'auteur ! Je n'ai aucun doute sur le travail de la justice et sur les faits qui seront établis. En raison de ma fonction, je n'apporte aucun autre commentaire. Mais je n'en pense pas moins.

Et ce qu'affirme l'ancienne députée européenne du MoDem Corinne Lepage sur le recours à des emplois fictifs d'assistants parlementaires au sein du parti ?

Il n'y a jamais eu de pratique critiquable au sein de notre mouvement. Jamais. Tout cela est facile à établir. Aucune calomnie ne changera rien à cette certitude.

Rien n'a été fait à votre insu ?

Nous étions pendant ces années une toute petite équipe, solidaire, avec très peu de moyens. Je connais chacun des membres de cette équipe. Les parlementaires européens en étaient. Ils avaient à notre siège leurs bureaux de passage et ils y trouvaient des moyens logistiques. Je suis aussi certain d'eux que je le suis de moi-même.

Le premier ministre a estimé, mardi 13 juin, que vous n'auriez pas dû appeler la rédaction de Radio France pour vous plaindre de ses méthodes d'enquête sur cette affaire. Le comprenez-vous ?

Je défends, j'ai toujours défendu et je défendrai toujours la liberté de la presse. Mais je considère qu'il y a symétriquement une liberté de critique de la presse, surtout dans une conversation privée. Je ne suis pas devenu muet en entrant Place Vendôme. Je n'ai pas l'intention de me mettre un bâillon, ni de devenir d'un coup inodore, incolore et sans saveur. Quand j'ai quelque chose à dire à quelqu'un, surtout en privé, je le dis. Je suis ministre de la justice, et pour moi la justice n'est pas seulement une institution : elle est aussi une valeur.

Le président ou le premier ministre vous ont-ils fait part de leur désapprobation ?

Nullement. Ce n'est pas le style de nos rapports. Nous sommes des responsables politiques confirmés, travaillant en équipe et en confiance. Et c'est cela qui est précieux.

La République en marche devrait disposer d'une très large majorité à l'Assemblée nationale. Craignez-vous que l'influence du MoDem dans cette majorité en soit réduite ?

L'idée que le MoDem aurait rêvé d'être un verrou est absurde. Nous ne sommes pas extérieurs à la majorité, nous sommes au coeur de la majorité, et même au centre de cette majorité. En marche ! est un mouvement neuf, en éclosion. Le MoDem est un courant politique qui a une longue histoire et un corpus de valeurs très clairement identifié, une habitude de vie et d'engagement en commun. C'est un grand courant de la vie politique nationale qui connaît une magnifique résurgence. Les deux mouvements sont donc profondément complémentaires, et nous ne serons pas trop de deux pour affronter les défis qui viennent.

Vous n'avez donc pas la crainte d'être moins écouté ?

Si vous croyez qu'on est écouté parce qu'on menacerait de faire sécession, c'est que vous ne comprenez rien à la Ve République. Les frondeurs du PS en ont fait l'amère expérience. On est écouté quand on est en phase, et quand on est créatif et entraînant. Or il se trouve que je me sens en totale confiance avec le président de la République. Je dois même vous avouer que cela ne m'est jamais arrivé de toute ma vie politique. La capacité qui a été la sienne, en quelques heures, d'incarner la fonction et de faire comprendre aux Français la conception qu'il en avait, de leur donner ainsi de la fierté, est une des raisons essentielles du succès des législatives.

L'Assemblée nationale sera composée d'une majorité de députés novices. Est-ce un risque pour son bon fonctionnement ?

Cela ne s'est jamais produit ! C'est donc un défi. Mais ils et elles vont apporter un sang neuf, des expériences inédites. Je considère cela comme une chance.

 

© Jean-baptiste Jacquin et Cédric Pietralunga

 

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