"La laïcité est la séparation fondamentale entre la conviction religieuse et les règles de la vie en commun"

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Face à l'urgence d’apaiser les esprits sur la laïcité, que faire ? François Bayrou livre dans les colonnes du Parisien son analyse, faisant appel à la connaissance de notre histoire, au bon sens et à la sérénité.

Le Parisien - La polémique Ramadan est-elle révélatrice d’un problème sur la place de l’islam dans notre société ?

François Bayrou - Sûrement, oui. Vous connaissez ma position singulière : je suis chrétien, croyant, pratiquant, et en même temps défenseur absolu de la laïcité. Cette polémique me stupéfait. On est parti d’accusations de harcèlement sexuel, de violences ou peut-être même de viol, à l’encontre de Tarik Ramadan, prédicateur et leader musulman, qui se présentait dans le débat public plutôt comme rigoriste. Voilà le point de départ. Il est normal d’être choqué, et de condamner avec sévérité ces attitudes. Mais de là, le sujet a flambé en accusations réciproques, qui ont peu à voir avec les faits : d’un côté mise en accusation de certains, en particulier de Médiapart, pour « complicité avec l’islamisme », de l’autre réplique sur le thème : c’est une « campagne anti-islam » ! Le tout avec une violence sans précédent, déraisonnable. Cette violence est un symptôme : c’est le malaise exaspéré d’une partie de la société française, y compris dans les milieux intellectuels, à l’égard de l’islam. Or la définition même de la laïcité fait que ce malaise ne devrait pas exister.

Pour quelle raison ?

La laïcité, c’est la séparation entre la conviction religieuse et les règles de la vie en commun. Bien que de convictions religieuses différentes, ou sans conviction religieuse, nous appartenons à la même société. Cette séparation entre la conviction religieuse et notre situation de concitoyens est fondamentale. Elle signifie que personne ne peut forcer l’autre à suivre sa propre loi religieuse ou philosophique ! Et ceci est un principe français, mais ce devra être aussi un principe universel. Autrement, il n’y aura au bout du chemin que la guerre de religion, les attentats, la haine et l’horreur.

Mais la laïcité aujourd’hui peut-elle rester la même qu’en 1905 alors qu’il n’y avait que peu de musulmans en France ?

Le principe de laïcité ne change pas selon qu’il y ait plus ou moins de croyants d’une religion ou de non-croyants. Il est vrai que pour les chrétiens cette règle devrait être plus naturelle : la laïcité est préfigurée dans l’Écriture. Tout le monde connaît cette phrase : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Le pouvoir spirituel d’un côté, le pouvoir dans la cité de l’autre. C’est sans doute moins évident pour les religions qui ne font pas cette distinction et pensent que la loi religieuse doit englober toute la vie. Mais le combat doit être mené : cette double exigence de liberté de conscience et de respect de règles communes dans la vie de la cité, c’est la seule clé pour que les sociétés pluralistes aient un avenir.

Manuel Valls a-t-il raison d’accuser certains à gauche de complicité avec l’islam radical ?

Je respecte Manuel Valls, mais sur ce point, je ne le suis pas. Je ne partage pas le sentiment que nous sommes une société assiégée. Nous sommes une société qui a été blessée et meurtrie et accablée par des horreurs commises au nom de l’islam. Cette société a raison de se défendre sans faiblesse. Mais contaminer le débat sur l’islam au nom de l’islamisme, le débat sur la religion du plus grand nombre au nom de l’extrémisme religieux, je ne le partage pas. De même que ni le christianisme ni le judaïsme ne se définissent par les pratiques les plus intégristes et les plus agressives.

Concrètement comment organiser la vie quotidienne autour de la laïcité ?

Le bon sens est une arme puissante. Je suis maire. À Pau, les questions d’alimentation se posaient chez nous comme ailleurs à la cantine à midi. On gâchait des tonnes de nourriture parce que certains enfants, certains jours, ne consommaient pas la viande. J’ai immédiatement mis en place, en option, un menu végétarien. Certaines familles le prennent pour raisons de prescription religieuse, d’autres pour raison de santé. Il n’y a plus de débats et infiniment moins de gaspillage. Cela s’est fait sans drame. Pendant très longtemps, les catholiques ne mangeaient pas de viande le vendredi. Je n’aurais pas aimé que l’on force ces enfants à manquer à leurs principes. La puissance publique n’est pas là pour bouleverser les gens, pour heurter leurs convictions, mais pour garantir que ces convictions n’empiètent pas sur notre vie partagée.

Faut-il un financement public des lieux de prières ?

Les prières de rue sont inacceptables. Et en même temps, le fait qu’il n’y ait aucun lieu de culte pour plusieurs centaines de personnes est inacceptable aussi. Comment le financer ? Sûrement pas par l’étranger ! On a envisagé une contribution sur les aliments certifiés hallal, cela me paraît une voie raisonnable.

Le cadre actuel est suffisant ?

Je suis pour la loi de 1905, toute la loi de 1905 sans avoir besoin de changer. Plus on envisage de changer les textes plus vous faites naître des débats opposant les communautés, les sensibilités les unes aux autres, plus on compromet le principe de laïcité.

Mais le burkini, le voile intégral… ?

Le voile intégral, dans l’espace public, c’est interdit. Nous sommes la société du visage découvert. Nous avons donc voté une loi pour défendre ce principe. Il appartient aux pouvoirs publics de faire respecter cette interdiction. Il m’est arrivé d’en croiser dans ma ville, j’ai abordé celle qui le portait et je lui ai demandé de le retirer. En ayant des principes précis, on fait en sorte de pouvoir vivre ensemble. Quant aux burkinis, qui en a vu, vraiment, sur nos plages ?

Comment faire pour ramener tout le monde à la raison ?

C’est très simple. Le bon sens et la connaissance de notre histoire : il y a une chose à comprendre, c’est que la France et l’Europe, c’est la société du pluralisme. C’est quoi la société française ? Une société de racines judéo-chrétiennes bien sûr, très importantes, mais au moins autant de racines romaines, ne serait-ce que pour la langue et le droit, de racines grecques pour la pensée, du combat des Lumières, pour la liberté de pensée, contre les dogmes étouffants, et aussi des racines du monde arabe et perse quand on pense à nos chiffres, à l’algèbre, ou aux algorithmes. Ces cinq racines au moins, qui n’ont pas toutes la même portée, sont vivantes dans notre société. Par exemple, le nom des jours, mardi, mercredi, jeudi, ce sont des noms de Dieux romains, des Dieux païens, Mars, Mercure, Jupiter ! Est-ce un sujet de clivage ? Non et heureusement ! Il suffit d’accepter qu’il a fallu beaucoup d’affluents pour former le fleuve français.

Le président Macron est-il lui-même travaillé par ces questionnements ?

Je pense que les questions philosophiques et métaphysiques sont importantes pour lui, sans qu’il se confie sur ses choix profonds. Ce sont des sujets sur lesquels il est pudique, et il fait bien.

Vous attendez-vous à des annonces de sa part ?

Plus votre fonction publique est importante, plus il faut de sagesse, de pédagogie, d’équilibre, de compréhension. Ceux qui outrepassent leur fonction pour entrer dans l’incendie ne répondent pas à cet impératif.

Si vous étiez président de la république, iriez-vous à Rome vous faire introniser chanoine du Latran par le pape ?

Non, vraiment. J’apprécierais grandement d’avoir des échanges avec le Pape, comme personne et autorité spirituelle, mais je lui expliquerais avec le sourire que j’ai vocation de responsable politique, pas de chanoine.

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