"L’adhésion du pays est préalable à toute politique de reconstruction"

François Bayrou a affirmé ce soir sur i-Télé qu'il ne participerait à "aucune manoeuvre d'appareil", quelques heures après que Manuel Valls ait proposé de bâtir une fédération des "progressistes" et ait regretté "de ne pas avoir tendu la main à François Bayrou en 2012".

Laurence Ferrari - Merci beaucoup d’être ce soir sur i>Télé. Vous l’avez vu : depuis hier la majorité se déchire entre les députés frondeurs, ex-ministres et le gouvernement. Vous avez lu l’interview de Manuel Valls dans L’Obs aujourd’hui, il appelle à une refondation du Parti Socialiste voire un changement de nom. On va y revenir évidemment dans le détail mais d’abord une question : est-ce que, ce soir, à votre sens, François Hollande a les moyens de diriger la France ?

François Bayrou - Je ne crois pas que cela puisse durer deux ans et demi comme cela, je ne l’ai jamais cru. Il y a plusieurs mois, j’ai analysé ce qui était en train de se passer. On a là, sous les yeux, la énième crise de nerf avec des convulsions.

Est-ce une crise politique grave ce soir ?

Non, c’en est un symptôme et qui dure depuis des années. Cela veut dire que ce que l’on appelle « gauche » n’existe pas. Il y a un affrontement extrêmement dur, profond, et à mon sens impossible à résoudre entre deux lignes, deux visions, qui sont aujourd’hui incompatibles l’une avec l’autre. L’une veut réformer le pays autant que possible – je ne suis pas sûr qu’ils s’y prennent bien mais c’est leur ligne pour retrouver des équilibres – et l’autre pense que les équilibres n’ont aucune importance, ils veulent distribuer de l’argent public et disent que c’est comme ça que l’on s’en sortira.

D’un côté Manuel Valls, de l’autre côté Martine Aubry ? Ce sont les deux positions, nous sommes d’accord.

Oui, ce sont les deux visages possibles de cet affrontement. Mais celui-ci est en train de prendre une proportion orageuse, convulsive et au bout du compte, cela rend le pays ingouvernable.

Est-ce que vous appelez à la dissolution ce soir ? Quelle marge de manœuvre le Président de la République peut-il encore avoir ?

Ce que je vois se dérouler, c’est la crise terminale d’une ambiguïté qui dure depuis des années et des années mais je ne vais pas le répéter parce que je l’ai dit à de nombreuses reprises. Mais le jour où l’on constatera que cette ambiguïté produit un blocage impossible à dépasser, il n’y aura en effet que le retour devant le peuple d’une manière ou d’une autre qui permettra d’en sortir.

Dans cette interview, très précisément, Manuel Valls souhaite la naissance d’une gauche pragmatique, mais qui sort du sectarisme. Mais il dit « En 2012, nous avons commis l’erreur de ne pas tendre la main à François Bayrou, peut-être l’aurais-t-il refusée mais nous aurions dû le faire alors qu’il avait appelé à voter pour François Hollande. Il n’y a rien de pire que le sectarisme au nom d’une prétendue pureté ». Etait-ce une erreur, effectivement, de ne pas vous avoir tendu la main à ce moment-là ? Et est-ce que vous l’auriez acceptée, Monsieur Bayrou ?

Je ne veux pas réécrire l’histoire. Le choix qui a été celui de François Hollande, c’était de vivre uniquement sur la majorité du Parti Socialiste en croyant que tout cela était éternel. C’était une erreur, peut-être même était-ce une faute. C’était en tout cas une faute à l’égard de la gravité de la situation du pays. Nous avions déjà rencontré une faute du même ordre : c’était en 2002, quand Jacques Chirac a été élu avec 80 % des Français parce qu’il avait Jean-Marie Le Pen en face. À ce moment-là, il a choisi – je proposais le contraire – non pas de faire une majorité d’union du pays pour résoudre les problèmes, mais de se contenter de l’UMP qu’il venait de créer. C’était une faute.

Mais vous-même en 2007, vous avez refusé la main tendue de Ségolène Royal. Aujourd’hui, qu’est-ce que vous répondez à Manuel Valls ?

D’abord, je n’ai pas à répondre. Je dis une chose certaine c’est que le socle avec lequel Manuel Valls essaie de gouverner la France est tellement étroit, insuffisant, qu’il empêche une politique sérieuse d’être menée et conduite. Car il est impossible - dans un pays en crise aussi profonde, qui doit connaître une reconstruction aussi importante – de le faire sans l’adhésion du pays. Et au fond, il y a longtemps, en 1958, le Général de Gaulle disait exactement la même chose : l’adhésion du pays est préalable à une politique de reconstruction. Tant que l’on n’aura pas fait ce travail qui consiste à dire la vérité, à l’affirmer et à retrouver le soutien des Français, il n’y aura pas de possibilité de s’en sortir.

Donc vous dites « non » au Président de la République, François Hollande, parce qu’il n’a pas le soutien des Français. Mais est-ce vous pourriez dire « oui » à Manuel Valls, qui, lui, a un peu plus le soutien des Français et qui propose un grand rassemblement des forces progressistes ?

Laurence Ferrari, je ne participe et ne participerai à aucune manœuvre d’appareil. Le Parti socialiste a fait un choix en 2012 qui était risqué, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais ce choix, il l’a fait, les choses sont là. Il n’y aura de reconstruction du paysage politique que lorsque l’on se retrouvera devant les Français. Il n’y a pas de bricolage dans ces affaires. On ne va pas prendre les décombres de ce paysage politique pour essayer de rebâtir à la va-vite des choses improvisées.

Aucune alliance n’est donc possible avant 2017 avec la gauche.

Il est impossible de mettre des rustines sur quelque chose d’aussi délabré que le Parti Socialiste aujourd’hui. Et si je lis entre les lignes l’interview de Manuel Valls, il dit que le Parti socialiste est fini.

Il peut exploser, le Parti Socialiste, selon vous ?

Je partage ce sentiment. Selon moi, il y a une fatalité qui veut que ce parti, dont la vision et l’idéologie ne correspondent plus en rien à l’intérêt national, se trouve devant son heure de vérité. Et cette heure de vérité, ce sont les Français qui lui infligeront. Je le crois.

Lors des prochaines élections.

Oui.

Que répondez-vous à Jean-Christophe Cambadélis, le patron du PS, qui refuse de vous donner « l’onction socialiste » ?

J’ai fait un jeu de mot qui n’est pas très bon mais je vais le refaire devant vous. J’ai dit que, au point où le Parti Socialiste en est, ce n’est plus l’onction qui est adaptée mais l’extrême-onction. Vous savez, c’est le sacrement que l’on donne en fin de vie aux malades quand ils vont vraiment très mal. Je crois que Monsieur Cambadélis refuse d’assumer l’état de décomposition interne où le Parti Socialiste se trouve. Les Français le sentent très bien, mais ce n’est pas cela la question. La question est qu’un tel état de délabrement ne permet pas d’apporter des réponses qui changent la vie des gens, l’état du pays et donnent l’élan nécessaire, la volonté nécessaire, le courage nécessaire, la cohésion nécessaire pour reconstruire ce qui doit l’être.

On voit la proposition de Manuel Valls de créer un nouveau grand parti à gauche. Il y a aussi la même tentation à droite avec la tentative de Nicolas Sarkozy de fédérer le centre à l’UMP ou à la future UMP puisqu’il en brigue la présidence. Est-ce que vous ne redoutez pas justement qu’un nouveau parti naisse à droite, qui vous exclut ?

Je vais vous dire quelque chose qui ne vous surprendra pas, parce que je dis devant vous en 2014 ce que je disais déjà en 2002 devant Nicolas Sarkozy et quelques autres. Je ne crois pas que le fait de se retrouver perpétuellement avec les deux mêmes partis, qui veulent exercer le monopole du pouvoir, et qui chaque fois essaient de recomposer autour d’eux pour sauver ce qui peut l’être, soit la réponse aux difficultés du pays. Je crois même exactement le contraire. Ce dont nous avons besoin, c’est de dépasser les vieux partis et de faire en sorte qu’une volonté politique crée autour d’elle un rassemblement de gens de bonne volonté.

Pourquoi pas avec Alain Juppé que vous soutenez ?

Dans la personnalité d’Alain Juppé et dans sa manière de prendre les choses et de voir l’avenir, il y a quelque chose qui permet des rassemblements. C’est pour cela que je travaille avec lui et que je lui apporte ma confiance.

Si Alain Juppé n’arrive pas à emporter la primaire en 2016 à droite et que Nicolas Sarkozy est désigné, est-ce que vous serez candidat Monsieur Bayrou ?

Vous connaissez le vieux proverbe français qui dit « avec des si, on mettrait Paris en bouteille ». Nous ne sommes pas dans les « si », nous ne sommes pas dans les hypothèses, le souci est que l’on se trouve dans une situation où aucun des citoyens, femmes et hommes de ce pays, ne retrouve un espoir crédible.

Sommes-nous à côté des préoccupations des Français avec ces préoccupations purement politiques ?

Les Français ne sentent pas qu’il y ait quelque chose qui dépasse la politique dans ce qu’on leur propose. La politique correspond à des jeux, des rapports de force, des appareils, des ambitions qui s’affrontent. Mais ce n’est pas ce que veulent ceux qui sont confrontés aux difficultés. Ce qu’ils veulent, c’est que l’on s’occupe davantage d’eux avec une vision qui soit forte et courageuse. Ils souhaitent que l’on s’occupe un peu moins des politiques, que les politiques s’occupent un peu moins d’eux, de leurs histoires, de leurs querelles et qu’ils essaient de dire les trois ou quatre lignes fortes, nécessaires pour s’en sortir.

Je vais vous dire ce qui moi, m’intéresse : le premier budget de la nation, c’est l’Éducation nationale et nous n’arrivons pas à apprendre à lire aux enfants. François Hollande – un peu par démagogie politique je crois – a dit « on va créer des dizaines de milliers de postes » mais ça ne change rien aux résultats de la lecture ! Nous avons besoin d’une vision nouvelle. On dépense 30 milliards pour la formation professionnelle, il y a tellement de chômeurs et pas un – ou presque pas un – qui reçoive la formation professionnelle. C’est cela l’attente immense des Français à l’égard des hommes politiques qui s’occupent trop de leurs propres histoires.

Merci beaucoup François Bayrou d’être venu ce soir dans Tirs croisés.

Je reçois la lettre d'information du Mouvement Démocrate

Engagez-vous, soyez volontaires

A nos côtés, vous serez un acteur de nos combats pour les Français, pour la France et pour l'Europe.

Chaque engagement compte !

Votre adhésion / votre don

Valeur :

Coût réel :

20 €

6,80 €

50 €

17 €

100 €

34 €

Autres montants

Qu'est ce que la déclaration fiscale sur les dons ?
Filtrer par