"Le principe de la France, c’est que l'on ne mélange pas la religion et la politique"

Laurence Ferrari (i>Télé) - Les candidats de la gauche dévoilent leur programme. Est-ce qu’une idée nouvelle vous intéresse ?

François Bayrou - Il y a une chose qui m‘intéresse et qui n’est pas une idée nouvelle : on annonce des dépenses par centaines de milliards dans un pays dont on sait quelle est la fragilité des comptes. Je vous rappelle que l’engagement de François Hollande était de retrouver la barre des 3 % dès 2013 et d’être à l’équilibre en 2017. Nous en sommes loin. Nous venons à peine d’atteindre la barre des 3 % et encore, les instances de contrôle disent que ce ne sont pas des chiffres sérieux et tout le monde annonce des tombereaux de dépenses… Cela me laisse extrêmement sceptique. On dirait qu’il y a une espèce d’entreprise industrielle de chèques en blanc.

Vous pensez au revenu universel, proposé par Benoît Hamon ?

Reste à savoir si c’est une bonne idée ou pas. Ce qu’on annonce, c’est 300 milliards pour le financer… Tout ceci serait très sympathique si l’on était un pays avec des comptes en pleine forme, une économie rentable où tout le monde donnerait le maximum de lui-même, mais ce n’est pas du tout la situation. Ce type d’annonce présente un risque colossal. Cela va détruire un peu plus la confiance que les Français peuvent avoir dans leur pays et que le reste du monde peut avoir dans la France.

Cela institutionnalise-t-il le fait que l'on va rester dans une société de chômage de masse et que pour s’en sortir il faudra ce revenu minimum universel ?

Je pense qu’il y a cela dans l’esprit des gens qui considèrent que le travail, au fond, c’est fini. Moi, je ne partage pas ce sentiment. Vous me direz que c’est un optimisme idéaliste, mais je suis persuadé que l'on peut beaucoup améliorer la situation du pays par une organisation différente, pas en distribuant de l’argent que nous n’avons pas. Il y a beaucoup de scepticisme de la part des Français sur ce concours de promesses qui paraît ne jamais être achevé entre les uns et les autres, les baisses massives d’impôts pour les uns, les promesses illusoires pour les autres… Je trouve qu’il y a là quelque chose qui porte atteinte à ce que la démocratie doit avoir de vérité. La démocratie, normalement, c’est un contrat de vérité entre les responsables élus et le peuple des citoyens. Normalement, quand on dit quelque chose, cela doit être sérieux, pesé et respecté. Nous en sommes très loin. Non pas que je ne pense pas qu’on puisse faire des choses.

J’ai récemment proposé une idée nouvelle : le droit des jeunes à une première expérience professionnelle. Quand on est jeune et qu’on sort de l’école, il y a deux sortes de situation : soit vous êtes diplômé, vous avez une famille qui a des relations, qui connaît et sait comment faire et vous trouvez un job, soit vous venez d’un milieu qui n’a pas ces relations, vous n’êtes peut-être pas diplômé et vous ne trouvez rien. Chaque fois que vous postulez à un emploi, on vous dit : « vous n’avez pas d’expérience ». Cette idée nouvelle, finançable – il y a des dizaines de milliards destinés à la formation – répond à ce projet que j’essaie de défendre : on peut faire beaucoup mieux dans la situation de la société française sans détruire l’équilibre de nos comptes. C’est une question d’organisation différente, de pensée différente de l’avenir.

Vincent Peillon a provoqué une polémique hier soir avec ses propos sur la laïcité. Cela vous choque-t-il ?

Franchement, je pense qu’il ne faut pas comparer ce qui n’est pas comparable. Beaucoup de musulmans aimeraient être regardés comme on regarde tous les autres Français, croyants ou non croyants. Si l’on pouvait considérer que la question de la religion ne doit pas entraîner de discriminations, les choses iraient mieux. Vraiment, je ne compare pas le Front National avec ce qui s’est passé, hélas, dans la période la plus inquiétante et noire de la guerre de 40. Certains propos ne sont pas acceptables, mais ils ne viennent pas que du côté du Front National. Si l’on regarde le paysage politique, beaucoup de gens essaient d’instrumentaliser cette histoire de religion. Je fais la différence entre les uns et les autres.

Faites-vous allusion à François Fillon et au fait qu’il dise hier soir au journal télévisé de 20 heures : « je suis gaulliste et je suis chrétien » ?

Franchement, qu’est-ce que cela a à voir ? On parlait de la sécurité sociale et il nous dit : « je ne peux pas porter atteinte à la sécurité sociale car je suis chrétien ». Mais, qu’est-ce que cela a à voir ? Je suis croyant, je ne vais pas m’offusquer d’un mouvement de foi. Mais comment peut-on arriver à mélanger la politique et la religion à ce point, de cette manière déplacée ? Le principe de la France, c’est qu’on ne mélange pas la religion et la politique, on considère que les choix politiques sont différents ou indépendants des choix de la religion. Que dirait-on si on déclarait : « je ne porte pas atteinte à la sécurité sociale car je suis athée » ou « rationaliste » ou « juif » ou d’une autre religion ! Moi, je suis pour qu’on ait des principes respectés et que l'on dise : « dans notre pays, on ne mélange pas les questions intimes d’adhésion religieuse, de foi, de conscience, d’athéisme ou de croyance, avec la politique ». Ce sont deux domaines que nous avons séparés depuis plus d’un siècle, parce que c’était le principe de la laïcité française.

Estimez-vous que François Fillon instrumentalise la religion à des fins électoralistes ?

Écoutez, je n’arrive pas à comprendre. Franchement, si vous m’interrogez, je connais François Fillon depuis longtemps. Je ne l’ai jamais vu faire des déclarations de cet ordre. Cela doit être lié aux élections d’une manière ou d’une autre, à ce qu’on croit être un corps électoral. Moi, je me refuse à voir les croyants, les agnostiques ou les athées comme un corps électoral. Je ne comprends pas qu’on se laisse aller à ce type de dérive. Il faut mettre un terme à ces mélanges déplacés.

Vous êtes dur avec François Fillon et avez démenti tout pacte secret avec lui, selon ce que disait la presse...

Tous les jours, vous aurez observé qu’il y a des articles qui disent : « ça y est, François Bayrou va s’allier avec François Fillon », « François Bayrou va s’allier avec Emmanuel Macron », « François Bayrou va se présenter »… 

Aucune des trois hypothèses n’est juste pour l’instant ?

Probablement, une des trois est-elle juste ! La vérité m’oblige à vous dire que j’ai décidé de prendre le temps de cette décision, d’avoir mon propre rythme. Comme tous les Français, j’observe que tout cela est un bazar absolument incroyable, sans précédent. On a l’impression que d’un jour à l’autre, des vocations naissent, d’autres meurent. Je préfère attendre que les choses se décantent. À ce moment-là, je ne cesserai de me poser une question : est-ce que les choix proposés aux Français vont dans le bon sens ? S’ils vont dans le bon sens, alors j’en tiendrai compte. S’ils ne vont pas dans le bon sens, je prendrai ma décision en toute conscience. 

Votre décision dépend-t-il du choix des candidats de la gauche ?

Ma décision dépend de la situation dans laquelle on place le pays au moment de choisir son avenir. Je trouve qu’en France, cela ne va pas bien. Je pense que cela pourrait aller beaucoup mieux dans le respect des équilibres, avec une autre pratique politique et un autre type de présidence de la République. La clef de voûte, c’est l’exercice du pouvoir, qui est désaxé en France. Alors je souhaite le ré-axer.

On connaît le programme de François Fillon. Ne vous convient-il pas ?

Vous savez bien les points sur lesquels je suis en désaccord avec lui. François Fillon dit qu’il s’inscrit dans la ligne de Madame Thatcher. Moi, je suis persuadé que ce n’est pas Madame Thatcher qu’il faut à la France aujourd’hui. Je pense que la France aujourd’hui a besoin d’être soutenue, rassemblée et que l’activité reprenne. Les choix de Madame Thatcher ont fait 1,5 million de chômeurs nouveaux la première année. Je ne dis pas qu’elle n’a rien fait de bien, mais moi, je n’ai pas aimé qu’elle laisse mourir des gens de grève de la faim. Chacun a ses choix. Moi je pense que la démocratie est faite pour discuter et empêcher qu’on ait des glissements de cet ordre. Oui, je ne me sens pas représenté par la ligne Thatcher.

Donc, pas non plus par la ligne Fillon.

Excusez-moi de dire que j’ai connu François Fillon proche de Philippe Seguin, proche du gaullisme social, de la « fracture sociale » : c’est le mot qu’il avait inventé. C’était le contraire du thatchérisme. Aujourd’hui, la France a besoin de gens qui aient de la cohérence au fil du temps.

Emmanuel Macron ne répond-t-il pas aux vœux que vous formez ?

Si vous comprenez ce que propose Emmanuel Macron, alors vous êtes plus forte que moi ! J’écouterai et puis je regarderai si la question si importante de la personnalité et de l’expérience est remplie. Tout cela est une question ouverte. Il n’y a que des incertitudes… On va adopter une ligne assez simple : réduire les incertitudes. Après cette réduction, des décisions devront être prises et c’est normal qu’elles interviennent dans ce délai de quelques semaines, jusqu’à la mi-février.

Vous travaillez à un livre-programme, un livre-testament ? J’ouvre toutes les hypothèses.

Vous avez une vision un peu noire de la situation ! C’est un livre qui traduira une vision de ce que la France est et de ce que la France attend pour trouver son nouvel équilibre. Je pense qu’il y a de grands changements à apporter et pas nécessairement ceux que l’on propose.

Une élection présidentielle ne serait-elle pas une aventure surhumaine ?

Non… L’élection présidentielle est un moment formidable de rencontres avec les gens. En fait, c’est le seul moment en politique où l’on vous écoute vraiment. C’est le moment où des millions de gens viennent dans le secret de l’isoloir - ayant réfléchi en conscience et interrogé leurs idées et attentes, peut-être même le côté affectif de ce qu’ils sont - mettre votre nom dans une urne. Il y a eu 12 millions de personnes qui ont voté pour moi dans ces échéances ! C’est un moment de rencontre extraordinaire avec la France, quelque chose de profondément passionnant. Pour autant, c’est une décision qu’il faut prendre en responsabilité. On ne fait pas cela pour soi-même, pour sa préférence, ses goûts, ses passions. On fait cela parce qu’on a l’impression ou la certitude que ce qu’on doit dire, personne ne le dit de manière crédible.

Ne redoutez-vous pas que les Français disent : « on sort les sortants » ?

Cela tombe bien, je ne suis pas sortant ! Je ne l’étais pas la fois précédente non plus. Il m’est arrivé d’approcher le seuil de l’élection, mais je n’ai jamais été choisi. Si vous faites dans votre mémoire le bilan des problèmes que j’ai soulevés et des idées que j’ai défendues dans ces dernières années, vous allez voir que le jugement de l’histoire ou même parfois le jugement de la justice ont donné raison à la plupart des positions que j’avais prises. Ce n’est pas un découragement, cela. C’est un encouragement.

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