"Le vocabulaire de la peur et de l'angoisse ne devrait pas être le vocabulaire des gouvernants"

Invité du "Grand Jury" sur RTL | Le Figaro | LCI dimanche soir, le président du MoDem a jugé "inadapté" le "vocabulaire" de Manuel Valls sur sa "peur" de la poussée du Front national.

Bonsoir et bienvenue dans le grand studio de RTL pour ce Grand Jury dont vous êtes l’invité, François Bayrou.

Bonsoir.

À mes côtés pour vous interroger Éric Revel de LCI et Yves Thréard du Figaro. À 15 jours des élections départementales, Manuel Valls a donc choisi de dramatiser l’enjeu. « J’ai peur » déclare aujourd’hui Manuel Valls, « peur que mon pays se fracasse contre le Front National ». Cette peur, François Bayrou, est-ce que vous la partagez ?

D’abord je trouve que le vocabulaire de la peur, de l’angoisse, ne devrait pas être le vocabulaire des gouvernants, surtout lorsque ces gouvernants sont directement mis en cause par une poussée de contestations. Donc je trouve que ce vocabulaire est absolument inadapté.

Il dit « Je n’ai pas peur pour moi, j’ai peur pour mon pays ».

La situation dont profite le Front National, aujourd’hui, a été créée par une succession de périodes de gouvernement où les Français n’ont pas trouvé – c’est le moins que l’on puisse dire – leur compte.

Est-ce que vous estimez qu’ils ont les bonnes réponses ? On a l’impression qu’à gauche on réagit idéologiquement en disant : « Le Front national, c’est le fascisme » ; et à droite, Nicolas Sarkozy qui parle de « FNPS » renvoie dos à dos ses adversaires. Est-ce que l’on n’est pas toujours dans le débat qui n’apporte rien ?

Oui, le débat qui n’apporte rien sur fond de leçon de morale.              

Ils sont responsables les deux camps ?

Ce langage est, à mon sens, complètement inadapté. Je ne parle pas de camps : on pourrait beaucoup en dire et peut-être aurons-nous l’occasion de le faire. Mais la succession de gouvernements qui ont été dans l’incapacité de faire changer les choses dans le pays explique la situation dans laquelle on se trouve. Et ils ne veulent rien changer aux causes qui ont produit ces effets. Il y a une phrase formidable de Bossuet qui dit – dans la belle langue du XVIIe siècle – : « Le ciel se rit des prières qu’on lui fait pour écarter de soi des maux dont on persiste à vouloir les causes ». Autrement dit, ne venez pas pleurer sur les conséquences si vous voulez que les causes durent. Si vous ne voulez pas toucher aux causes, ne venez pas pleurer sur les conséquences. Qu’est-ce qui est la cause de la poussée du Front National ? Un système de gouvernement, et un système politique, qui sont tous les deux complètement inadaptés et complètement dans l’impuissance. Et comme on double cela de leçons perpétuelles adressées aux citoyens dans leur réaction, cela fait évidemment le succès du Front National qui devient l’opposant universel. Mais si vous ne voulez pas changer de système de gouvernement, et si vous ne voulez pas changer de pratiques politiques alors ne vous étonnez pas que la marée continue à monter !

François Bayrou, il y a sans doute la responsabilité politique que vous montrez du doigt et puis il y a aussi des thématiques du Front National qui donnent l’impression de prendre corps. Je veux parler, par exemple, de la thématique de l’immigration : cette semaine, Frontex, qui est un peu le policier superviseur des frontières européennes, a annoncé que l’immigration en Europe avait crû de 180 %. 274 000 – ce sont les chiffres – immigrés illégaux supplémentaires seraient entrés en Europe. En 2011, Nicolas Sarkozy avait décidé, provisoirement, de fermer la frontière avec l’Italie au moment des flux migratoires qui arrivaient par Lampedusa. Est-ce que vous estimez que l’Europe doit revoir cette question ? Est-ce que vous estimez que la France devrait, peut-être, interdire certaines de ses frontières ?

Dans les pratiques de gouvernement que j’évoquais, il y a celle-là. Sur plusieurs points. Premier point : les gens qui sont responsables viennent déplorer à la face du peuple les réalités qu’ils auraient dû empêcher. Frontex est un système de surveillance des frontières, c’est un système qui est, par la modicité des moyens qui lui sont affectés, complètement ligoté. Pourquoi la modicité ? Je vais vous dire un chiffre : le budget de Frontex est inférieur au seul budget de fonctionnement de la ville de Pau.

Pardon mais ma question était : est-ce qu’il faut revoir ou pas l’espace Schengen ?

Ce n’est pas la même question. On a un système mutualisé de surveillance des frontières, ce système ne joue pas son rôle parce qu’il n’a pas les moyens de le faire. Vous évoquez le moment où Nicolas Sarkozy a décidé de fermer la frontière italienne parce qu’il y avait des immigrés qui arrivaient à Lampedusa. Franchement c’était scandaleux comme décision : vous laissez les pauvres Italiens tout seuls, pour des raisons géographiques parce qu’ils sont les plus proches des côtes libyennes en particulier, vous les laissez en première ligne ! Vous avez une situation humanitaire, sanitaire à Lampedusa épouvantable, vous avez des milliers de personnes qui meurent parce qu’elles se noient dans le passage et vous fermez la frontière en disant « C’est votre affaire » ?

Quelle est votre réponse, monsieur le président du MoDem, aux flux migratoires que l’on ne contrôle pas en Europe ? C’est cela finalement ma question.

Et bien, je viens de le dire, deux axes au moins. Le premier : si nous avons un outil commun pour surveiller les frontières de l’Europe – et Dieu sait qu’il y en a besoin – qu’on lui donne les moyens de son action, que cela ne soit pas maintenu dans une précarité, dans une incapacité qui est, à mes yeux, coupable. Et la deuxième chose, c’est la solidarité. Non, je ne suis pas d’accord pour que l’on laisse les Italiens tout seuls en face du flot d’arrivée de Lampedusa. Et ensuite, il y a une politique à arrêter, je pense qu’elle passe par une politique de quotas européens.

Mais est-ce que cela ne passe pas aussi par une révision des conditions d’accès à certaines prestations sociales ? Notamment à l’UMP, on parle beaucoup de la suppression de l’Aide médicale d’État dont je rappelle qu’elle coûte à peu près un milliard d’euros par an.

Monsieur Thréard, c’est vrai le chiffre est immense et l’on peut réfléchir naturellement aux choses. Est-ce que vous croyez que les immigrés viennent pour bénéficier de l’Aide médicale d’État ? Sauf peut-être 1 % ou 2 %... Ils viennent parce qu’ils meurent chez eux. Si nous ne sommes pas capables de regarder cette réalité en face, d’unir les moyens qui sont les nôtres, pour que dans ces pays – qui sont des pays d’émigration – on ne meurt plus, alors cela ne sert à rien, c’est toujours la même idée on pleure sur les conséquences, on ne touche pas aux causes.

Vous savez, nous avons été des pays d’émigration. Si je suis là, c’est parce que j’avais, dans mon village, là où je suis né dans les Pyrénées, un jeune garçon parti en Amérique et qui est est mort en Amérique. Alors sa femme s’est retrouvée veuve très jeune, elle a été mon arrière grand-mère. Ils partaient tous, les Basques, les Béarnais, les Bretons, parce que l’on mourrait de faim. Ce n’était pas des gens qui n’avaient pas de civilisation, ce n’était pas des gens qui n’avaient pas de culture, ils partaient parce qu’ils mourraient. Alors bien sûr il faut une meilleure surveillance, bien sûr il faut être sévère a fortiori si ce sont des fraudeurs, bien sûr il ne faut pas qu’il y ait des appels d’air trop importants mais cependant si vous êtes un homme digne de ce nom – je ne dis même pas un homme d’État, un homme digne de ce nom – vous devez examiner les causes.

Alors la question qui se pose, je voudrais que nous revenions à la thématique du débat de cette émission, c’est : est-ce que le discours que vous tenez là est audible ? Et pour reprendre les termes de Manuel Valls tout à l’heure, la situation politique, selon lui, rend possible la victoire du Front National non pas en 2022 mais dès 2017. Est-ce que vous pensez comme Manuel Valls, que cette victoire de Marine Le Pen aux présidentielles de 2017 est possible ?

Je pense que l’extrémisme, l’extrême-droite, le Front National peut l’emporter à une élection prochaine d’autant que l’on fait tout pour que cette victoire devienne possible en effet.

Y compris à la présidentielle ?

On vit avec un système qui est un système électoral – à qui tout le monde a tressé des lauriers pendant des décennies – et dont je vous dis à l’avance qu’il comporte le risque de multiplier l’effet de la montée des votes pour le Front National.

Jusqu’à présent, François Bayrou, c’était plutôt le contraire, on disait que ce système préservait la France des extrêmes.

C’était le contraire, mais si vous avez étudié cela, le scrutin majoritaire, à un moment, multiplie l’effet des votes et ces majorités deviennent absolues. C’est comme cela le système majoritaire. Je vais vous dire pourquoi, en effet, je défends un autre mode de scrutin, qui est - je le dis au passage - celui de tous les pays européens d’Europe continentale à notre exception.

Intégrale.

Non, pas tous la proportionnelle intégrale.

Pas la Grande-Bretagne.

D’Europe continentale. La différence est qu’il y a la Manche entre les deux. Tous les autres pays d’Europe continentale, sans exception, ont ce système qui garantit à chacun une représentation juste dès l’instant qu’il atteint 5 % des voix. C’est le système. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne. L’Italie est en train vaguement d’y toucher, mais tous les pays scandinaves ont cela. Alors, pourquoi je défends cette idée ? Pour 3 raisons. La première est une raison de justice : je ne vois pas ce qui légitime le fait que le Parti Socialiste et l’UMP ont le monopole de la représentation même s’ils n’ont que 20 % des voix chacun. Je ne vois ce qui légitime cela. Les autres ont des représentants quand ils acceptent d’aller faire allégeance, d’aller baiser la babouche, de dire « Nous sommes vos alliés inconditionnels pour aujourd’hui, pour demain ».

Vous parlez de l’UDI là ?

Entre autres. Pour aujourd’hui, demain, matin, midi et soir, comme dit Nicolas Sarkozy puisque c’est la formule qu’il a choisie. Premier point : justice, nous sommes tous des Français à égalité de droit y compris les électeurs du Front National dont je combats les thèses. Mais pour moi, ce sont des électeurs qui ont le droit d’être représentés.

Deuxièmement : je défends cette règle électorale parce que c’est la seule qui permette d’avoir des majorités d’idées, c’est-à-dire de faire que l’on puisse créer, pour soutenir des réformes, des majorités plus larges que les majorités de parti.

C’est le système aussi dont on a dit, notamment à la fin de la IVème République, qu’il rendait la France ingouvernable. La République des partis, etc...

Pas du tout Monsieur Chapuis, pour une raison extrêmement simple, c’est que maintenant nous avons l’élection du Président de la République, ce qui est une chose qui – c’est comme la Grande-Bretagne et la Manche – a singulièrement changé.

Et troisième point : c’est le seul système qui garantisse que des partis extrêmes n’exercent pas le pouvoir parce que les autres peuvent se mettre alors en situation de jouer leur rôle de solidarité pour défendre l’essentiel s’ils considèrent que l’essentiel est en jeu.

La proportionnelle garantit le fait que le Front National n’arriverait pas au pouvoir selon vous ?

Mais la proportionnelle garantit le fait que des extrêmes, qui atteignent quelque chose d’essentiel pour un pays, poussent les autres formations politiques à prendre leurs responsabilités et à se rassembler.

Il y a un tempérament à cela, c’est que l’élection présidentielle ne peut pas avoir lieu à la proportionnelle. Ou alors on supprime le chef de l’État.

Alors, vous avez tout à fait raison, l’élection présidentielle est une élection au scrutin majoritaire et il ne peut pas en être autrement. Et heureusement, j’ai toujours été défenseur de l’élection présidentielle parce que c’est la seule qui garantisse au citoyen qu'il peut changer le paysage. Autrement vous êtes éternellement dans le même monopole du pouvoir.

Une question concernant encore des propos de Manuel Valls : le Premier Ministre a dit ce matin qu’il revendiquait la stigmatisation du Front National. « Je revendique la stigmatisation du Front national », est-ce que c’est la bonne stratégie ?

Et bien, si vous voulez apporter des voix au Front National, vous faites cela. C’est-à-dire, vous allez à la télévision et vous dites « Mesdames et Messieurs, je vous stigmatise », et vous employez le mot, « Je vous cible », « Je considère que… ». Je ne suis pas du tout dans cette vision-là. Je pense que l’on a en face de nous un peuple de citoyens qui est conscient des choses et je pense que l’on peut, à ce peuple de citoyens, s’adresser à la fois avec la raison et avec la chaleur humaine pour conclure avec lui que les thèses du Front National sont des thèses mortelles. Mortelles. Si vous décidez, dans un pays comme la France, de sortir par exemple de l’Union européenne, de sortir de l’euro, de sortir des règles commerciales habituelles, vous tuez ce qu’il y a de plus fort dans le pays, les exportateurs. C’est aussi simple que cela.

Si on vous entend bien, François Bayrou, vous considérez que Manuel Valls, ce matin, d’une certaine manière, s’est conduit en agent électoral du Front National ?

Je pense que les deux partis qui détiennent le monopole du pouvoir, l'UMP et le PS, utilisent la même technique. Quand Nicolas Sarkozy dit « FNPS », qui est un démarquage de la formule « UMPS » du Front National – c'est jamais bon signe lorsqu'on prend les mots des autres, c'est révélateur d'un point de faiblesse – quand vous en êtes là, quand vous placez le Front National au centre du débat, vous lui apportez des contingents de voix. Il n'y a pas de meilleur argument électoral que d'être celui dont tout le monde parle ! Vos adversaires parlent de vous en continu, et font donc votre publicité. Marine Le Pen n'a pas grand chose à faire, n'est-ce pas ? Tout le monde parle d'elle à chacune des émissions et les plus hautes autorités de l'Etat, la majorité et l'opposition, la désignent comme étant l'opposant universel. Quel meilleur service peut-on lui rendre ?

Manuel Valls parle aussi aux socialistes. Il va y avoir un congrès important dans quelques mois. Pour vous, le fait que Manuel Valls déporte son argumentaire sur le Front National, est-ce aussi le fait que le Premier Ministre est conscient qu'il va être jugé sur sa politique et que les résultats des élections départementales seront pour lui un juge de paix sur la politique qu'il incarne au sein du Parti Socialiste ?

Ces affaires de partis ne m’intéressent pas et ne sont pas pour moi à la hauteur des responsabilités qui sont celles du Premier Ministre de la France. Qu'il ait des problèmes de congrès c'est possible, mais franchement, cela ne doit pas interférer sur la manière dont il s'adresse au pays. Il est le Premier Ministre d'un État, d'un pays, d'une nation, les affaires de courants à l'intérieur du PS ne sont pas à la hauteur.

Dans la bouche de Manuel Valls, n'est-ce pas l'aveu qu'il est en difficulté à Matignon ? Quel est l'avenir de Manuel Valls si le Parti Socialiste prend une claque comme les sondages l'indiquent pour les prochaines élections départementales ?

Si c'était cela qui gouvernait ses intentions, je m'en inquiéterais. Vous voyez bien que ce n'est pas Manuel Valls qui est jugé dans cette élection, c'est évidemment l'ensemble de la politique conduite par le Président de la République. La sévérité des Français sur cette politique est, sur le plus grand nombre de chapitres, parfaitement justifiée.

Manuel Valls peut-il rester, compte tenu de son implication très importante dans ces élections départementales, si le résultat pour le Parti Socialiste est négatif ?

Le résultat pour le Parti Socialiste sera négatif. Mais, il restera parce que le Président de la République sait bien que Manuel Valls conduit la politique qu'il définit lui-même et donc ce serait se mettre lui-même en cause.

Dans la plupart des chapitres de l'action que le gouvernement mène, il y a toutes les raisons d'être sévère.

Prenez cette affaire de collectivités locales. Nous allons voter pour les élections départementales avec un mode de scrutin que ne connaissent pas les Français, dans des découpages que les Français n'identifient pas et sur une liste de compétences qui n'est toujours pas établie, ce qui vous l’avouerez, est un peu singulier. Le plus grand échec du gouvernement, c'est d'avoir été incapable de rebâtir la carte des collectivités locales de manière à faire des économies et à ce que ce soit plus simple et plus compréhensible. On nous a dit « on va supprimer les conseils généraux, les départements », mais je pense moi qu'on devait fusionner départements et régions…

Comme ce qu'avait fait Nicolas Sarkozy alors ?

Ce n'était pas tout à fait pareil. Pour moi, il fallait fusionner les deux administrations et les deux collectivités locales, de manière à ce que ce soit les mêmes élus qui les administrent – proposition comme vous le savez que je défends depuis 2002.

À vous entendre, le scrutin qui a lieu dans 15 jours est inutile d'une certaine manière ?

Ce n'est pas qu'il soit inutile. On a annoncé que les conseils généraux disparaîtraient, puis on a annoncé que l'on en garderait que quelques-uns, puis maintenant on sait qu'ils resteront tous, tout en ignorant les compétences qu'ils vont avoir – compétences probablement agrandies dans un certain nombre de domaines –. Autrement dit, on a fait tout et le contraire de tout ! Comment voulez-vous que les gens s'y retrouvent ? Aucun d'entre nous présents dans cette salle ne sait qu'elle sera la liste des compétences des élus que l'on va élire dans 15 jours. Comment voulez-vous que les gens qui n'ont pas scruté la chaine parlementaire pour savoir ce qu'il se dit au Sénat, arrivent à suivre ?

Les compétences d'un conseil général sont parfois très précises, le conseil général du Tarn a décidé cette semaine de reformater le barrage de Sivens, de réduire de moitié le projet contesté et, dans la foulée, le gouvernement par le ministre de l'Intérieur a demandé aux gendarmes d'évacuer le site. Sur ce point précis donnez-vous raison au gouvernement ?

Oui. Je pense que le gouvernement a eu raison de faire évacuer le site, occupé à mon sens de manière infondée. Il faut voir que c'était une petite retenue d'eau, inférieure à la surface moyenne d'une petite exploitation agricole, d'une trentaine d'hectares si j'ai bien lu. Hélas un jeune garçon y a laissé la vie. Le gouvernement a eu raison d'y mettre un terme. Quant à la décision de faire un plus petit barrage, c'est un échappatoire. Ce n'est pas comme si l'on avait réuni des commissions, fait des études ou des rapports. C'était uniquement pour trouver une porte de sortie.

Il y a une question qui se pose. Parmi ceux qui étaient opposés au barrage, il y avait un grand nombre d'« écolo-guerriers », soutenus par une partie des écologistes. Finalement le Président de la République et sa majorité ne sont-ils pas prisonniers des écologistes ?

La majorité socialiste est sous la pression d'une partie de courants au sein du mouvement des Verts qui ne représente pas du tout la sensibilité dominante des gens qui, je le crois, sont sensibles à l'écologie.

En deux phrases sur cette affaire de retenue d'eau : depuis que l'humanité est humanité, elle est devenue humanité puisqu'elle a essayé de maîtriser les chutes d'eau erratiques. Il y a des saisons où il pleut terriblement alors vous avez des coulées d'eau et de boue qui ravinent le sol et qui l'emportent. Vous avez aussi des moments de sécheresse. Depuis l'Égypte, les êtres humains se sont dits « si on se servait de l'eau qui tombe à une certaine période, en l'empêchant de raviner, et si on s'en servait pour irriguer quand les terres sont sèches, ce serait une bonne idée ». On l'a fait et cela a produit la civilisation et a permis de nourrir des milliards d'Hommes sur la planète.

Allez en Inde, vous n'avez pas un champ au bord duquel il n'y ait pas de canaux d'irrigation. L'Inde réussit à nourrir 1, 3000 000 milliard de personnes avec des propriétés agricoles dont la surface moyenne est de un hectare. Cela parce qu'ils font tous leurs efforts pour maitriser l'irrigation et c'est fantastique. Il est vrai aussi qu'ils sont végétariens, pour 60 %, et que cela joue un très grand rôle car évidemment, l'avenir va être à accroitre la part végétarienne de l'alimentation humaine.

Passons des campagnes à la ville. Vous êtes maire de Pau, le gouvernement a fait des annonces qui concernent les maires – je crois que votre ville de Pau respecte la loi SRU qui prévoit un minimum de 20 % de logements sociaux, bientôt 25 %. Faut-il contraindre les villes en demandant aux préfets de se substituer éventuellement aux maires dans les communes qui n'appliquent pas cette loi SRU sur le logement social ?

Oui il faut pousser. J'ai l'impression d'avoir entendu toute ma vie depuis quinze ans l'idée que les préfets allaient intervenir sur les plans d'urbanisme, le fait qu'il y aurait une contrainte, et des amendes. Vous n'avez pas l'impression – vous êtes très jeune Jérôme Chapuis, vous avez cependant une petite expérience - d'avoir entendu cela dix fois ?

Cela veut dire que c'est un échec total de la politique de la ville ? Moi je suis un petit peu plus vieux.

Vous êtes très jeune Yves Thréard ! Éric Revel aussi naturellement ! Je ne voudrais pas faire de particularisme.

Est-ce un échec ? On dit que l'on a dépensé des milliards d'euros pour finalement aucun effet.

On a dépensé des milliards d'euros et ils ont sans doute été utiles, en améliorant considérablement le visage des quartiers. C'est le cas chez nous, nous avons deux quartiers sensibles à Pau, de la liste des quartiers français, qui se sont améliorés. Pour autant, s'occuper des murs, ce n'est pas s'occuper des personnes. Le problème principal de la politique de la ville ce sont les femmes, les hommes, les jeunes garçons, les jeunes filles, les personnes plus âgées qui y vivent. Ils ont eux, le sentiment, à bien des égards justifié, que tout cet argent n'a pas été dirigé vers les vraies questions.

L'une des questions posées par Manuel Valls et le gouvernement, c'est la possibilité de faire venir ses personnes dont vous nous parlez, dans des quartiers qui ne sont pas les quartiers dits « politique de la ville », c'est-à-dire les quartiers sensibles.

La clef d'un urbanisme équilibré, c'est la mixité. Je n'aime pas utiliser les mots des autres mais j'étais autrefois très ami avec quelqu'un qui était un peu plus âgé que moi, qui s'appelait Eugène Claudius Petit et qui était le plus jeune membre du Conseil National de la Résistance et ministre de la reconstruction à la Libération. C'était quelqu'un de formidable dont je salue la mémoire. Claudius disait, « ce qui a tué la mixité c'est l’ascenseur ». Avant, dans les immeubles, vous aviez la concierge au rez-de-chaussée, les familles bourgeoises au premier étage et les chambres de bonnes au septième étage. On se croisait dans l'escalier et cela faisait une vie en commun. Aujourd'hui on se retrouve avec l’ascenseur qui fait que les mêmes milieux sociaux sont concentrés dans les mêmes immeubles. C'est pourquoi Claudius était - et je le suis à ma place – défenseur de l'aide à la personne et non pas de l'aide à la pierre.

Il faut qu’on parle de l’actualité économique et notamment de cette déclaration ces derniers jours. On est frappé par l’optimisme du couple exécutif. Cette semaine, on a encore entendu le Président de la République dire : « la reprise est là ». Alors est-ce que vous François Bayrou, de là où vous êtes, vous la voyez la reprise ?

Mais le Président de la République a dit cela dans chacune de ses déclarations sans exception depuis 2012. Je peux en citer sept ou huit, et ses prédécesseurs avant lui avaient dit la même chose.

Mais il y a des facteurs encourageants quand même : l’euro, le prix du baril…

Il y a des facteurs externes. La baisse de l’euro : ce qui prouve qu’il peut y avoir une politique active de l’euro contrairement à ce qu’un certain nombre de gens disaient. Ce qui prouve que Monsieur Draghi n’est pas un idéologue fermé contrairement à ce qu’un certain nombre de gens disaient. La baisse du pétrole, tout cela est vrai parce que l’Arabie Saoudite veut rendre exsangues les investissements américains sur le pétrole de schiste et le gaz de schiste. Tout cela est assez clair. Donc il y a ces facteurs externes.

Simplement, il n’y a pas de bon vent pour les bateaux qui n’ont pas de voile. Or nous n’avons pas de voile ou, en tout cas, nos voiles sont déchirées. Alors tout le monde dit c’est formidable on va y arriver. Moi je vois bien l’Allemagne en profiter à l’excès. Elle vient de publier ses chiffres, c’est 217 milliards d’euros d’excédent commercial pour la seule année 2014.

Elle a un taux de chômage inférieur à 5 %.

Nous, nous sommes à 60 milliards de déficit et encore les bonnes années, les meilleures années. Donc tout cela va aller dans le même sens. Les gens qui sont prêts, qui ont la réactivité, qui ont la capacité, qui ont bâti un appareil de production qui tient la route, qui ont monté les circuits commerciaux, toutes ces choses, ces pays là vont profiter de la reprise. Pour eux les alizés vont être porteurs.

Donc nous, on a dormi ?

Ce n’est pas qu’on a dormi. On s’est évertué à choisir systématiquement l’immobilisme, l’impuissance et l’absence de lucidité. Il nous manque trois choses essentielles, et vous allez voir qu’elles ne sont pas minces : il nous manque – un – la vision, la lucidité en face des choses ; il nous manque – deux – de savoir gouverner comme un État comme le nôtre devrait être gouverné aujourd’hui ; et il nous manque – trois – le système politique, les pratiques politiques qui permettent de soutenir une politique comme ça.

On sait depuis longtemps que c’est vrai, parce que le Général de Gaulle ne disait pas autre chose.  

Monsieur Macron ?

Bon, ce n’est pas le pire : la loi Macron est une loi dans laquelle il n’y avait franchement pas de quoi trouver un bouleversement, mais elle arrangeait un certain nombre de petites choses. Ça allait dans le bon sens, et c’est la seule loi sur laquelle l’opposition a voté une motion de censure. Alors évidemment il ne vous reste plus qu’à vous arracher les cheveux.

Michel Sapin était à votre place la semaine dernière, le ministre des Finances. Il s’est dit confiant sur la possibilité pour la France de revenir aux 3 % c’est-à-dire dans les critères de Maastricht en 2017. Et pour l’année 2015, il nous a dit que pour boucler le budget, on pouvait prévoir des privatisations. D’ailleurs le lendemain, l’État a annoncé la vente d’une partie du capital de Safran, on nous parle aussi de privatisation d’aéroports. Vous, de quel œil vous voyez ça ?

Pas d’un très bon œil. Car ceci n’est rien d’autre que le symptôme de notre complet échec. On privatise parce qu’on est au bord du pire. Alors on va chercher…

Tous les anciens Premiers ministres l’ont fait. Lionel Jospin est celui qui a le plus privatisé, mais Alain Juppé que vous soutenez, lorsqu’il était Premier ministre, a privatisé, a vendu des pourcentages…

Je ne suis pas par principe hostile aux privatisations.

Vous avez dit que c’est la pire des choses.

Non pas du tout. On est au bord du pire : manque de confiance, défauts de paiement, faillites, menaces de l’Union européenne dans ses comptes... C’est tout cela qui fait que l’on essaie de trouver de l’argent comme on peut, à la va-vite, de manière complètement aventurée. La vérité est celle-ci. Depuis 15 ans – comme vous me l’avez entendu dire à chaque émission depuis 15 ans –, on a choisi de perdre notre indépendance, parce qu’on a choisi le déficit et la dette. Le déficit et la dette, c’est la perte de l’indépendance, comme Monsieur Tsipras est en train de s’en apercevoir. Il n’a pas fallu plus de trois semaines pour qu’il soit obligé de renoncer à toutes les promesses, ou à l’essentiel des promesses qu’il avait faites, pour qu’il soit obligé d’en rabattre dans l’engagement qu’il avait pris devant les Grecs de faire reculer l’Union européenne, le FMI, d'annuler la dette...

Ce que vit la Grèce menace la France selon vous ?

À un degré moindre, et donc par chance nous sommes protégés par le fait que nous avons une monnaie attrayante qui fait que les taux d’intérêt sont très bas. Autrement nous le paierions lourd. Mais lorsque vous avez accepté d’accumuler les déficits au cours des décennies, vous avez amassé sur votre tête un stock de dette tel que, si vous voulez continuer à emprunter, alors vous êtes obligé de prendre un certain nombre de décisions douloureuses.

Monsieur Tsipras a été obligé d’en rabattre, mais n’y a-t-il pas un problème démocratique tout de même en Europe face à la rigidité des structures financières européennes ? Est-ce qu’il est normal qu’un peuple qui a voté pour des promesses, qui a porté au pouvoir un homme, voit le résultat de ce vote démocratique foulé au pied par la rigidité financière et structurelle de l’Europe ?

Mais il n’y a rien de vrai, pardonnez-moi de le dire, dans cette thèse. Ce n’est absolument pas ça. La bonne question devrait être : est-ce qu’il est normal que des gouvernants aient amené ce peuple dans ce gouffre ? Par légèreté, par mensonge ?

Parce que vous trouvez que c’est la première fois qu’on fait des promesses électorales en Europe, en Grèce et ailleurs, qu’on ne tient pas ?

Non, vous ne m’avez pas entendu. La situation de la Grèce, ce n’est pas Monsieur Tsipras qui la crée, c’est Monsieur Tsipras qui l’a trouvée. Parce que les gouvernements précédents, antécédents, lointainement antécédents, ont truqué les comptes de la Grèce.

Est-ce que la politique en Europe est bonne pour venir justement sauver ces pays ? Est-ce qu’elle est bonne ? Par exemple prenez la France : Monsieur Hollande dit que la reprise, il la sent. Il la sent tellement qu’on va faire 50 milliards d’économie au titre du programme de Monsieur Valls et qu’à ces 50 milliards, cela est passé complètement inaperçu dans l’actualité cette semaine, l’Europe nous dit : vous faites 30 milliards de plus d’ici à 2017, donc ce n’est pas 50 milliards qu’on doit faire, c’est 80 milliards qu’on doit faire. Pas très loin de ce que dit d’ailleurs la droite. Est-ce que la politique européenne, exigeante comme elle est, est la bonne politique pour venir à bout de nos problèmes ?

Ce n’est pas la politique européenne qui est en cause, c’est la politique de la France. Les problèmes qui sont les nôtres, les problèmes de la vie de tous les jours, les problèmes d’impuissance, les problèmes de montée de l’extrémisme, ils ne viennent pas d’ailleurs. Ils ne viennent pas de l’Europe, ils ne viennent pas de l’euro, ils ne viennent pas du monde. Ils viennent de chez nous.

C’est chez nous que nous avons décidé de mettre en oeuvre une politique irresponsable que – vous m’accorderez – je combats depuis 15 ans, gouvernement après gouvernement, et orientation politique après orientation politique.

Une politique irresponsable a fait que nous n’avons traité aucun des problèmes – enfin aucun, j’espère quelques-uns, enfin pas l’essentiel –, qui font que nous sommes en panne. On n’a absolument pas traité les problèmes d’éducation, on n’a absolument pas traité les problèmes de formation professionnelle, on n’a pas traité les problèmes de statut de l’entreprise, on n’a pas traité les problèmes de sécurité fiscale, on n’a pas traité les problèmes de droit du travail illisible.

On n’a traité aucun des problèmes que tout le monde sait bien être sous la pierre.

On n’en a traité aucun et on s’est contenté de prendre une seule décision : on va emprunter tant qu’on pourra, pour que nos systèmes sociaux, l’ensemble de l’équilibre de la société, ne soient pas trop mis en cause. Aucune décision courageuse, aucune clarté dans l’expression. On s’est contenté de dire "on fait des réformes et on fait des plans". Et bien, les réformes et les plans nous ont conduits où nous en sommes.

C’est de notre faute et c’est la responsabilité des gouvernants successifs du pays et de personne d’autre.

Quant à la question sur les déficits qui était sous-jacente, c’est très simple, nous sommes comme la Grèce, un pays qui ne peut pas vivre sans emprunter. Nous sommes obligés d’aller tous les jours ouvrables emprunter un milliard d’euros. Mille millions d’euros, tous les jours, nous Français, pour pouvoir faire face à nos frais généraux. Et bien, quand vous êtes obligés d’aller à la banque tous les jours pour emprunter, le banquier, naturellement, vous demande des garanties. Ces garanties, nous promettons de les apporter et nous ne les apportons pas. Voilà pourquoi notre crédit baisse au sein de l’Union européenne et voilà pourquoi nous n’en sortirons pas sans qu’il y ait une offre politique nouvelle.

Alors François Bayrou, il y a un point sur lequel, certains, notamment à droite, estiment qu’on pourrait faire des économies en luttant contre l’absentéisme dans la fonction publique. Comme maire de la ville de Pau, est-ce que vous êtes favorable à une proposition qui a été faite par le Président de l’Association des Maires de France, François Baroin, cette semaine, à savoir la suppression d’une journée de carence pour les fonctionnaires territoriaux ?

Oui, je suis favorable à cette décision et je suis désolé que le gouvernement Hollande-Ayrault ait, par démagogie pure, agi en sens inverse. Parce qu’il n’y avait aucune demande, personne ne vous a rencontré dans la rue en campagne électorale, à aucun des meetings auxquels vous avez assisté, en disant : Monsieur Bayrou, vous vous présentez à cette élection présidentielle mais est-ce que vous nous garantissez que vous allez supprimer le jour de carence pour les fonctionnaires ? Parce que la réponse était tellement évidente... Écoutez, le privé, lui, est obligé de faire face à l’obligation de prendre à sa charge, peut-être par mutuelle interposée, des jours quand vous êtes absent. Il n’y a aucune raison que les fonctionnaires n’aient pas à le faire.

Chez vous, à Pau, l’absentéisme a-t-elle augmenté ?

Cela a augmenté sous le mandat précédent, énormément, puisqu’on était - écoutez bien le chiffre - au début du mandat à 9 % d’absentéisme, et on était quand j’ai été élu à 16 %. 1 % par an d’augmentation de l’absentéisme ! Et il y a des services publics où les conditions de travail sont rudes, où l’absentéisme dépasse 20 %. C’est le cas par exemple des CCAS, des aides à la personne, des aides aux personnes âgées par exemple. Alors c’est vrai que c’est difficile parce que quand vous devez soulever une personne âgée, ça demande un effort physique très lourd. Ce sont des conditions de travail y compris psychologiques. Mais l’absentéisme est - et il faut en parler en particulier dans les services qui ne sont pas des services risqués comme cela - une plaie et j’ai moi-même lancé un programme avec l’ensemble des salariés pour baisser l’absentéisme et revenir à des niveaux comme ceux qui existaient ces dernières années.

J’aimerais parler de la situation du leader du nucléaire français Areva, qui a annoncé cinq milliards d’euros de pertes, c’est-à-dire l’équivalent de ses fonds propres. Cette entreprise est en faillite sur les quatre derniers exercices. Areva a accumulé huit milliards d’euros de pertes, l’État est le principal actionnaire de cette entreprise, l’État va devoir recapitaliser sans doute, c’est-à-dire que le contribuable français va devoir mettre à la poche… Est-ce que pour vous ce fiasco industriel - et peut-être plus encore - va se transformer en scandale d’État auprès duquel finalement l’affaire du Crédit Lyonnais apparaîtra comme une douce plaisanterie ?

J’espère que non parce qu’on parle là de sujets qui sont extraordinairement sensibles pour l’avenir industriel du pays. Qu’est-ce qui est frappant dans cette affaire ? Areva est victime de trois éléments, de trois facteurs de dégradation de la situation, de trois accidents. Le premier accident, ils n’y peuvent rien : c’est ce qui s’est passé au Japon, le tsunami - Fukushima - et cela a entraîné un arrêt au Japon de la production nucléaire, cela a entraîné des difficultés pour le marché du nucléaire sur un tiers de la planète. Deuxièmement, il y a deux choses sur lesquelles l’État, actionnaire à 85 % donc portant une responsabilité majeure, aurait dû être en situation d’alerte, de dialogue avec les dirigeants de l’entreprise et donner des orientations au moins de prudence. Ces deux éléments sont :

  • premièrement l’EPR, la rocambolesque aventure de l’EPR notamment en Finlande avec une multiplication par trois du prix annoncé ;
  • deuxièmement l’affaire des mines : l’achat par Areva à des conditions non compréhensibles, à des niveaux de prix excessivement élevés qui se sont effondrés par la suite, des mines d’uranium.

On entend assez régulièrement évoquer des interventions dans tout ça dont on ne peut pas dire qu’elles soient d’une clarté absolue.

François Hollande propose de rapprocher EDF et Areva. Est-ce que, pour vous, il y a la sauvegarde du secteur nucléaire français ? Ou est-ce qu’il y aura la possibilité pour EDF d’augmenter ses tarifs et de faire payer au contribuable le fiasco d’Areva ?

Ce n’est pas au contribuable, c’est au consommateur, à l’abonné. Je crois qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à faire aujourd’hui que de rapprocher EDF et Areva. Vous ne pouvez pas laisser Areva tout seul. Il va falloir intervenir à coups de milliards pour recapitaliser. Il faut donc qu’il y ait un rapprochement des deux entreprises qui permette d’avoir un plan industriel de long terme dans – je le répète – un secteur absolument crucial pour notre avenir.

La gestion de Madame Lauvergeon qui était l’ancienne responsable d’Areva est-elle en cause ?

Je ne connais pas suffisamment les plus et les moins, le détail des dossiers, notamment dans ces affaires minières pour faire une affaire de personne. Je dis qu'en tout cas l’État est en cause, parce que Madame Lauvergeon était aux commandes, elle n’était pas toute seule, elle avait un actionnaire qui était l’Etat. L’Etat est en cause pour moi. La manière dont les choses se sont passées font que l’Etat est en cause.

Je dois ajouter autre chose : les mœurs de ce secteur sont insupportables. Les guerres de personnes, les guerres d’egos, entre les présidents des grandes sociétés, entre ceux qui veulent prendre le contrôle de l’autre, ceux qui font des guerres de communication pour dézinguer leur voisin qui est parfois leur fournisseur, ou parfois leur client, pour se faire des empires personnels... Tout cela est le pire de la gouvernance française, car vous voyez bien, ceci est extrêmement lié à ce que nous évoquions ensemble il y a une minute : tout cela, ce sont les mêmes filières, les mêmes grandes écoles, les mêmes corps, les mêmes répartitions de rôle, les mêmes avantages indus, les mêmes publicités égoÎstes. Et je pense, pour moi, que c’est une très grave faiblesse de notre État qui est intimement liée à la manière dont il est – mal – gouverné depuis des années. Et si vous ne renouvelez pas la gouvernance, sensément ou clairement, si vous continuez à faire l’alternance entre les deux partis qui ont les mêmes mœurs, les mêmes pratiques, alors...

Vous parlez de mœurs mafieuses ?

Je suis absolument opposé à la pratique des partis politiques dominants en France. Nous avons des pratiques qui sont entièrement contrôlées. Ce ne sont jamais des gens qui viennent de la base qui se retrouvent au sommet de ces partis politiques-là. Par exemple, au Parti Socialiste, si vous regardez, vous vous retrouvez au MJS puis vous allez à SOS Racisme, puis vous devenez assistant parlementaire…

Qu’est-ce qu’il y a de mal à cela ? Parce que l’on est parti de l’affaire Areva…

Ce sont des pratiques de gouvernement, parce qu’ils n’ont pas de métier, pas d’expérience professionnelle.

Mais nous sommes partis d’Areva avec la filière nucléaire et des spécialistes qui seraient consanguins d’après vous.

Il faut que vous voyez que tout cela est la gouvernance dans l’entre soi à la française. Par exemple, lorsqu’il s’agit de nommer le patron d’une grande entreprise, il est rarissime que l’on prenne quelqu’un du rang, quelqu’un qui est numéro 2, 3 ou 4 qui est monté du rang, qui a occupé des responsabilités.

Ce n’est pas l’exemple de Christophe de Margerie.

Oui, Total fait exception. Et c’est pourquoi leur siège est à Pau. De ce point de vue là, Total est le contre-exemple, parce que ce n’est pas l’État. Du temps où c’était l’Etat, je n’en suis pas sûr. Mais quand vous avez l’Etat qui intervient, alors ce sont les pratiques de l’État, l’entre soi dont nous parlions, qui se répand dans les entreprises avec l’arrière-pensée que tout cela permet des services mutuels, l’installation de réseaux. Vous prenez une grande banque française, vous installez quelqu’un à la tête qui vient du bon entourage tant qu’il a le pouvoir. Mais tout le monde le sait, il n’y a pas un observateur qui l’ignore. Simplement personne ne le dit parce que, évidemment, vous n’affrontez pas seulement les puissants du moment mais les puissants du lendemain - qui étaient d’ailleurs les puissants de la veille.

Je pense que ce constat, on a entendu parfois ici même Marine Le Pen le faire, elle aussi.

Il se trouve que je le fais et depuis plus longtemps que Marine Le Pen. Ce n’est pas seulement de le faire verbalement, j’ai écrit des livres, qui ont été assez entendus sur ce genre de sujet parce que je considère que nous avons là, la faiblesse de notre pays. Toutes ces mœurs – qui ne sont pas des mœurs diaboliques -  ce sont des ententes entre gens de bonne compagnie, vous n’avez pas là des capi mafiosi comme l’on dirait en Italie. Ce ne sont pas des mafieux au départ, ça le devient. Pas dans le fait qu’ils ont des réseaux de revente de drogues mais simplement parce que l’intérêt général disparaît derrière les intérêts particuliers – intérêts de clan, de groupe, de tendance, de personne.

On voit que cela vous tient à cœur.

C’est très important pour moi. Mais un mot personnel : il y a 20 ans, j’étais dans le monde politique français un sympathique et assez bien aimé animateur, jeune responsable à l’âge de Jérôme Chapuis, ministre très jeune, député très jeune, et chef de parti très jeune. Pourquoi vous croyez que je me suis séparé de tout cela ? Est-ce que vous imaginez que cela a été facile ? D’entrer dans cette dissidence-là, d’accepter les accusations, les sifflets, pourquoi croyez-vous que j’ai fait cela ? J’ai fait cela uniquement parce que j’ai considéré que, auprès de ce que j’avais de plus cher - mes concitoyens et mes enfants -  je ne pouvais pas continuer à défendre ce système. Donc quand vous êtes un homme et un père de famille, vous dites « Tu ne peux pas continuer ». Et c’est exactement cela l’histoire de mes 15 dernières années.

François Bayrou, nous devons terminer cette émission, on aurait pu vous demander de préciser ce que vous entendiez en utilisant ce terme de mafia…

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Ce sont des pratiques qui en effet sont, à mes yeux, insupportables dans l’entre soi du monde l’administration, de la politique et de l’entreprise, et qui débouchent sur des réseaux et je trouve que cela est inacceptable.

 

 

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