"L'Europe est faite non pour estomper l'identité de ses membres, mais pour affirmer un choix historique"

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Comment saisir la chance que constitue le Brexit? Comment imposer une vision française de l'Europe? Que changer dans les institutions? Quelle Union proposer à nos voisins? Faut-il rallumer le rêve fédéral? Pour L'Express, François Bayrou, le plus europhile des présidentiables, propose sa "feuille de route".

Pourquoi, alors qu'on en parle depuis des mois, l'Europe est-elle à ce point étonnée par le Brexit? 

"L'événement est sur nous. Il a le poil et le pas d'une bête quaternaire." C'est de Jules Romains, dans un recueil intitulé justementEurope, publié en 1916 et consacré à la Grande Guerre. L'Histoire nous prend toujours au dépourvu. Une des grandes faiblesses de l'espèce humaine, c'est de croire que ce qui est durera toujours. En août 1914, quand la guerre arrive, il y a un incroyable effet de surprise. Et nous, en 2016, nous imaginions que l'Europe était établie pour toujours. Elle ne l'était pas. 

Faut-il s'attendre à des guerres en Europe? 

J'espère bien que non. Mais nous avions bâti, par grâce, un ensemble d'équilibre, de prospérité pacifique dont nous avions banni la volonté de domination. Cela ne s'est jamais produit dans l'Histoire, c'était un miracle qui laisse admiratifs et émus tous ceux qui en mesurent la dimension. On a cru que c'était stable, mais les miracles le sont rarement... 

Il a pourtant survécu à nombre d'événements depuis 1957... 

Il a bien résisté à la réunification de l'Allemagne, très mal à l'élargissement à marche forcée et n'a pas été à la hauteur de la crise grecque. Et pas davantage de la crise migratoire. 

Qu'est-ce qui a cloché? 

Le plus grave a été qu'on se focalise sur le marché au lieu de mettre en valeur les grands choix politiques. Ensuite, ce qui a détruit l'équilibre, c'est l'opacité de l'Europe institutionnelle. La méthode Monnet voulait placer aux responsabilités réelles dans la Communauté des gens très capables, très formés, sans préoccupation électorale, débarrassés du souci immédiat des opinions publiques. Or, au XXIe siècle, au temps de l'information en continu et d'Internet, il est impossible de dérober au citoyen les enjeux de son avenir. Il n'y a pas un Français sur 10000 qui sache ce qui se prépare à Bruxelles, ce qu'on va y décider en son nom, où et quand la décision sera prise. Seuls sont au courant les initiés, gouvernants, fonctionnaires ou parlementaires. Les citoyens sont tenus à l'écart.  

Enfin, c'est la prolifération réglementaire, avec des normes sur tout sujet. On donne l'impression que l'Europe ne se préoccupe que de l'accessoire, tout ce qu'on peut caricaturer, les moteurs de tondeuse à gazon, les produits chimiques, la limitation du bruit des aspirateurs... 

Est-ce pour en finir avec cette "prolifération administrative" que vous proposez un référendum en France? 

Précisons. J'ai été en désaccord profond, pendant la présidentielle de 2007, avec l'idée que défendait Nicolas Sarkozy de court-circuiter le "non" au référendum de la Constitution européenne, en mai 2005, par un traité adopté par le seul Parlement - qui deviendra le traité de Lisbonne. Pour moi, quand on a demandé au peuple de trancher une question par référendum, seule sa décision, dans les mêmes formes, peut légitimer un autre chemin. Nicolas Sarkozy a choisi le traité, la voie diplomatique et parlementaire, et les citoyens qui s'étaient passionnés pour le débat de 2005 se sont sentis méprisés, floués, trompés. C'est une blessure qui demeure dans les esprits.  

Aujourd'hui, on ne peut demander aux Français s'il faut rester ou partir, parce qu'on n'a jamais défini ce que "rester" signifiait. Je propose que l'on rédige un texte d'orientation clair, la feuille de route, le mandat qui sera celui du nouveau gouvernement français, et que l'on soumette ce mandat au vote des citoyens. 

Qu'écririez-vous? 

D'abord une philosophie différente. Le rôle de l'Union, c'est de s'occuper de l'essentiel, pas de l'accessoire, et de le faire avec les peuples et pas sans eux. D'où un plan en trois points, simple et pratique: d'abord recentrer, puis clarifier, enfin informer. 

Recentrer? 

Recentrer, c'est rappeler que l'Europe politique doit se concentrer sur les grands choix, à commencer par la sécurité, la protection de ses frontières, les grands choix d'avenir, la stratégie commerciale vis-à-vis du monde. La Chine se défend, les Etats-Unis se prémunissent, il est légitime que nous nous posions la question de la protection de nos intérêts vitaux, par exemple que nous osions parler de politique industrielle; que nous organisions notre défense, dans un monde si dangereux; que nous traitions des questions monétaires. La Banque centrale travaille très bien, mais elle doit des comptes aux Européens. De même pour les grands sujets d'environnement, que nous ne pouvons traiter qu'ensemble vis-à-vis du reste du monde. 

Clarifier? 

Clarifions le champ d'action de l'Union. Je suis pour séparer nettement ce qui est politique et ce qui est réglementaire. Quand Europe signifie "normes", elle perd son sens et permet à Boris Johnson de dire n'importe quoi sur Bruxelles qui fixerait la courbure des bananes. Pour faire du commerce, il faut respecter les mêmes règles, bien sûr, mais ces questions doivent être séparées des compétences politiques majeures de l'Union. Créons donc une agence de normalisation, installée ailleurs qu'à Bruxelles, pour que les choses soient clairement distinctes, comme on a installé la Banque centrale à Francfort. 

Informer? 

Le plus crucial, et le plus facile, immédiatement réalisable, c'est l'information des peuples: j'ai proposé que les institutions européennes achètent chaque mois une page dans les journaux pour exposer aux citoyens les sujets en débat, qu'ils sachent ce qui est sur la table, où en sont les décisions, qui va les prendre et à quelle date, et que les citoyens puissent interpeller leurs représentants, comme ils le font dans leur pays. Pas besoin de changer les traités pour cela.  

Ensuite, les Conseils de chefs d'Etat et de gouvernement, véritables lieux de décision, doivent tenir une partie de leur travail, la plus solennelle et importante, au grand jour, en public, à la télévision, pour qu'on sache vraiment ce que défendent le chancelier allemand, le président de la République française, le Premier ministre italien, et que le débat quitte les murs des bunkers officiels. Si les questions d'harmonisation fiscale étaient ainsi exposées, les buralistes se passionneraient pour l'Europe! 

Et le social? Et l'éducation? 

Le social mérite harmonisation progressive. Mais l'éducation relève des nations, car elle concerne leur identité, leur manière originale d'envisager la culture et l'avenir. 

Que dire à ceux qui croient que la nation, c'est l'avenir? 

Je n'ai jamais compris l'opposition entre nation et Europe. Notre nation, c'est notre communauté de destin. C'est le cadre dans lequel nous nous déterminons. Mais le monde est tel que si nous nous y lançons seuls, face aux géants planétaires, nous sommes condamnés à nous noyer. Les grands ensembles sont une nécessité pour survivre, et le Royaume-Uni va s'en apercevoir... Pour un pays comme la France, appartenir à l'Union est une condition sine qua non de l'influence et même de l'existence. 

Y a-t-il en Europe des alliés pour votre vision? 

Je suis persuadé que les partenaires seront là, à condition que la vision existe! Depuis des années, la France est à la rue sur la question européenne. Nicolas Sarkozy avait une grande énergie, parfois désordonnée, mais il voulait diriger l'Europe lui-même, commander et que les autres obéissent. Qui peut accepter d'être mené par un voisin? Au mieux, pour lui, l'Europe était un condominium franco-allemand, et il le faisait sentir, ce qui était insupportable pour les autres pays. L'Europe, c'est une coopérative, pas une féodalité. 

Et François Hollande? 

C'est une grande déception, car pour moi il était un Européen convaincu, dans la lignée de Jacques Delors. Or, depuis quatre ans et demi, il ne s'exprime pas sur la question. Je ne dis pas qu'il ne fait rien, mais il n'expose jamais clairement une vision française. Comme la France est absente, Angela Merkel, avec des raisons nobles et d'autres moins, agit le plus souvent pour son propre compte. Quand elle décide seule d'accueillir les migrants, quand elle négocie seule la gestion de leurs flux avec la Turquie, elle manque à la solidarité. C'est pourquoi il faut une capacité d'entraînement, donc une vision française. 

En réveillant le rêve fédéral? 

Attention aux mots! Quand on dit "fédéral", les Français entendent "effacement des nations", ce qui pour nous tous et d'abord pour moi est inacceptable. Je préfère dire "coopératif", comme en agriculture: chaque paysan garde son exploitation et son identité, mais pour acheter des semences ou en produire, pour attaquer le marché chinois, il faut se mettre ensemble. C'est la coopérative. L'Europe est faite non pour estomper l'identité de ses membres, mais pour affirmer un choix historique et même prophétique: que les volontés nationales s'associent pour traiter des questions planétaires - immigration, terrorisme, réchauffement climatique, mondialisation... 

Faut-il changer les institutions européennes? 

Disons la vérité: la Commission pose problème. Dans l'esprit de Monnet, elle réunissait des spécialistes très informés, animés par le sens de l'intérêt général, qui proposaient des idées. Or elle est devenue un mélange d'hommes et de femmes politiques choisis arbitrairement, qui entrent dans un collège aux compétences inconnues des citoyens. Le plus souvent, leur nomination est pour les commissaires un lot de consolation par rapport à leur carrière nationale. 

N'y a-t-il pas un problème aussi avec le Conseil européen? 

Oui. Le Conseil devrait être un lieu central de la décision, l'interlocuteur du Parlement européen. Encore faut-il que ce rôle soit identifié par les citoyens. Or c'est le domaine du secret et de la langue de bois. C'est insupportable! 

Pour reconfigurer l'Europe, ne faut-il pas en modifier le périmètre? 

L'Europe doit demeurer une unité, mais le temps est venu de distinguer ceux qui veulent partager les grands choix politiques et ceux qui sont là seulement pour faire du commerce. A ces derniers, il faut dire: "Ce projet n'est pas le nôtre." Il y a un espace pour le commerce, mais ce n'est pas la mission première de l'Union, surtout pas avec une monnaie commune. 

La zone euro, périmètre idéal? 

C'est le plus évident. Et le plus disponible. 

Combien de chances accordez-vous à cette nouvelle Europe de voir le jour? 

Cela dépend de la présidentielle française. Elle sera le moment crucial, aussi important que le référendum sur le Brexit. Car dans l'Histoire, échecs ou succès, Communauté européenne de défense, traité de Rome, Conseil, Parlement européen, serpent monétaire, écu, marché unique, euro: le magistère de proposition a toujours été exercé par les dirigeants de la France. 

La présidentielle ou la primaire des Républicains? 

Si le vainqueur de cette compétition, dont je n'approuve pas le principe, est en mesure de fédérer les énergies françaises, ce sera oui. Sinon, la présidentielle elle-même tranchera le noeud gordien. Je ne laisserai pas enfermer ce choix vital entre trois impasses: celle de l'extrême droite, mais aussi la double impasse à laquelle veulent les ramener, contre l'avis des Français, François Hollande et Nicolas Sarkozy. Ils sont d'ailleurs, on le voit, dans l'incapacité de rassembler. 

L'absence de vision française de l'Europe vient aussi de l'affaiblissement des centristes. Cette famille existe-t-elle encore? 

Je n'en doute pas. Elle a été victime de deux démons: le démon de la division et le démon de la soumission. Mais elle existe, s'unira forcément, et le plus tôt sera le mieux. Son influence se mesure autour de 15%. Mais unifier ce grand courant ne suffira pas: il faut aussi l'élargir, le rendre porteur de renouvellement civique, faire surgir une génération nouvelle. 

L'Express, AFP PHOTO/JOEL SAGET

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