"L'intelligence du consommateur est un acquis précieux, à faire fructifier dans le temps"
Dans une tribune publiée par Les Échos, Robert Rochefort détaille "la nouvelle révolution de la consommation" : alors que la conjoncture est morose et que la crise perdure, "l'usage des produits devient préférable à leur possession".
"Jamais nous n'avions vu de telles promotions dans les boutiques quelques semaines seulement avant les fêtes de fin d'année. Loin de s'améliorer, la conjoncture du commerce reste morose. Les Français ne croient pas à la reprise ni à une inversion de la courbe du chômage. Quant au pouvoir d'achat, personne n'entrevoit d'amélioration de sa situation personnelle dans les mois à venir. Quelles conséquences tout cela peut-il avoir sur les modes de consommation ?
Regardons la période avec un peu de recul, cela réserve quelques surprises. Sur les six dernières années, le pouvoir d'achat individuel enregistre une diminution légère mais significative : de 2007 à 2008, et 2013 confirmera ce constat, il a reculé de 0,4 % ; il a baissé de 0,6 % par unité de consommation (c'est-à-dire en tenant compte du nombre de personnes qui vivent ensemble en réalisant des économies d'échelle) et même de 2,6 % par ménage. Autrement dit, nous ne disposons pas, en moyenne, de revenus plus élevés en valeur réelle aujourd'hui qu'il y a six ans. Une telle situation est inédite depuis que nous sommes entrés dans la société de consommation, il y a plus de cinq décennies.
Toute période de crise du pouvoir d'achat est propice à l'émergence de changements sous-jacents dans les modes de consommation. Les études de l'ObSoCo (Observatoire société et consommation) ont mis en évidence les nouvelles stratégies qu'adoptent désormais les consommateurs : achat d'occasion et revente de ce dont on n'a plus l'utilisation, troc, achat groupé, mutualisation entre voisins pour l'acquisition d'un même produit, location entre particuliers, retour du « fabriqué à la maison », approvisionnement par les circuits courts, vélo partage et covoiturage. Il y a une idée-force dans ces pratiques en plein développement : l'usage des produits est préférable à leur possession. Se développe aussi le choix du produit local, fabriqué à proximité, et même du made in France lorsque cela est disponible. En agissant ainsi, le consommateur gagne en « pouvoir de consommer effectif » tout en se sentant davantage citoyen.
Ce qui rend cette transition intéressante, c'est qu'elle conjugue une remise en cause de l'hyperconsommation sans pour autant rejeter le plaisir de consommer lui-même. Cela ne s'accompagne donc pas d'une critique en règle des fondements du capitalisme - comme cela avait été le cas avec la crise du début des années 1970 -, mais exprime la volonté que les modalités de satisfaire les besoins se transforment radicalement tout en restant dans le champ de l'économie marchande.
Cela donne aussi un nouveau rôle au consommateur : celui de s'impliquer personnellement, d'être coproducteur de sa consommation, voire de s'associer à sa commercialisation. C'est pour cela qu'il convient de parler de l'émergence de pratiques coopératives. La consommation est en train d'inventer une nouvelle phase de son histoire combinant l'aspiration à des choix toujours individuels conjugués avec la construction de réseaux plus collectifs voire parfois communautaires que les technologies numériques rendent aisés à bâtir.
Ces évolutions des modes de consommation sont-elles temporaires ou dessinent-elles un nouveau paysage durable ? Tout porte à opter pour la seconde option parce que la progression du pouvoir d'achat - même si elle est possible et souhaitable - restera modeste. Mais aussi parce que cette intelligence du consommateur devient un acquis précieux, qu'il saura faire fructifier dans les temps à venir. Reste à tous les acteurs à comprendre ces évolutions et à en tirer les conséquences : pour les entreprises, qu'elles adaptent leurs marchés, pour les pouvoirs politiques qu'ils les soutiennent, car elles sont vertueuses, bien plus en tout cas que le développement du hard discount et de toutes les formules de low cost largement encouragées dans les années récentes."
Robert Rochefort, eurodéputé du Sud-Ouest et vice-président du MoDem.