"Lorsque l'on ne veut pas de débat à l’Assemblée, le risque est que le débat soit dans la rue"
Sur Public Sénat et Sud Radio, François Bayrou a estimé que le 49-3 n'était pas "illégitime en soi". "Ce qui est problématique avec la décision de Manuel Valls, c'est que sur cette loi présentée par le gouvernement comme de grande importance, il n'y aura jamais eu de débat à l'Assemblée" a-t-il affirmé.
Bonjour à tous et bienvenue sur ce plateau pour la matinale de Public Sénat/Sud Radio avec la presse quotidienne régionale. Ce matin, notre invité est François Bayrou.
Bonjour.
Vous êtes le président du MoDem et vous êtes le maire de Pau. Pour vous interroger à mes côtés, Véronique Jacquier de Sud Radio et Gilles Leclerc de Public Sénat. François Bayrou, l’actualité ce matin c’est le passage en force de Manuel Valls sur la Loi Travail avec l’utilisation du 49.3, les députés PS frondeurs pourraient déposer une motion de censure. Est-ce une preuve d’autorité ou d’autoritarisme de la part du Premier Ministre ?
Le problème dans la décision de Manuel Valls est que cette loi présentée par le gouvernement est de très grande importance mais il n’y aura jamais eu de débat à l’Assemblée. Le 49.3 n’est pas illégitime, le 49.3 sert quand il y a blocage absolu, on décide de mettre en jeu la vie même du gouvernement et de faire passer son projet. C’est un des outils constitutionnels qui sont à notre disposition en France mais là il n’y aura jamais eu de débat. Ce qui aurait été logique, c’est qu’il y ait un long débat qui aille à son terme lors de la première lecture, là on aurait usé ou épuisé les arguments, chacun aurait pu s’exprimer.
Il y a eu un débat dans le pays quand même pendant des mois…
Les assemblées sont faites pour que tous les arguments utilisés dans le pays, de chacun des grands courants du pays, puissent s’exprimer au Parlement, dans l’enceinte consacrée à cela. C’est une manière de faire éprouver les arguments et les argumentaires dans le cadre solennel de l’Assemblée. Lorsque l'on ne veut pas de débat à l’Assemblée, le risque est que le débat soit dans la rue et de manière moins maîtrisé qu’ailleurs.
C’est la personnalité du Premier ministre qui est en cause aussi ?
Non, je pense que lui et le Président de la République ont décidé d’avoir une séquence sur ce texte la plus courte possible, moyennant quoi, on en est à douze manifestations. Je ne dis pas que le débat aurait dû avoir lieu trois fois, mais au moins une fois. On aurait dû avoir jusqu’à son terme l’échange des arguments, après on prend ses responsabilités. Vous voyez la frustration lorsqu'un texte présenté comme très important n'est jamais examiné par l’Assemblée Nationale.
Vous seriez député, vous voteriez une motion de censure ?
Pour l’instant il n’y en a pas.
Mais trouvez vous normal que la droite, cette fois, ne dépose pas de motion de censure ?
Vous savez pourquoi la droite ne la dépose pas ? Elle ne la dépose pas parce que les députés n’auraient pas été là.
Il n’y a pas assez de votants à cause des matchs de foot ?
On a un Parlement avec 577 membres et l’opposition dit non mais ils ne seront pas là.
Parce qu’ils seront dans leurs circonscriptions ? Vous n’avez pas dit pourquoi il ne seront pas là ?
Parce que paraît-il, il y a l’Euro, que c’est les vacances, que c’est le mois de juillet …
Il y a la demi-finale de l’Euro, France-Allemagne.
La demi finale on peut la regarder à l’Assemblée Nationale, je vous assure qu’il y a la télévision à l’Assemblée Nationale et même dans chacun des bureaux. Disons une chose très importante, ceci prouve une fois de plus quel est l’épuisement des institutions, qu’on nous présente comme ne devant pas changer, auxquelles personne ne touche et qui sont un théâtre d’ombres. Il y a 50% des français qui ne sont pas représentés au Parlement. Si vous ajoutez l'extrême-droite, l'extrême-gauche, le centre et une partie des écologistes, plus de 50% des français ne sont pas représentés là où le peuple français devrait faire entendre sa voix, tout ceci est à bout de souffle, tout ceci exige que des gens courageux proposent le plus vite possible et en tout cas pour les échéances qui viennent un changement profond.
Vous vous seriez pour la suppression du 49.3 pour qu’il y ait des débats ? C’est une bonne pratique encore ? C’est moderne le 49.3 ?
Je ne prétends pas qu’il faille supprimer tous ces instruments qui permettent au gouvernement d’agir quand il y a des blocages. Mais il y a une chose qu’il faut avoir en tête, un Parlement qui refuse de représenter les grandes familles politiques du pays pour donner la totalité du pouvoir à deux familles épuisées à bout de souffle, en explosion, divisées, ce Parlement là ne peut pas remplir son rôle. Donc il est du devoir de ceux qui ont une vision de l’avenir d’exposer une autre organisation qui fasse que la démocratie française ne soit pas ridiculisée comme elle est. Voulez-vous réfléchir une seconde à la manière dont on a organisé les choses et qui fait que, oui, en effet, nous sommes à dix milles lieux de ce que devrait être un débat qui prend en charge les idées qui sont dans le pays, les jugements qui sont dans le pays et qui, à l’Assemblée Nationale, leur permet de s’exprimer.
C’est compliqué François Bayrou. Justement à propos des familles politiques, selon le baromètre Fiducial/Ifop pour Sud Radio, François Hollande gagne 2 points, il était à 18% d’opinion favorable, Manuel Valls perd 1 point, 27 % d’opinion favorable, mais surtout pour la moitié des personnes interrogées l’opposition ne ferait ni mieux, ni moins bien. Cela vous conforte dans votre analyse d’ouvrir une autre voix ?
C’est évidemment l’analyse que je porte, c’est ce que je vois, c’est ce qui crève les yeux. Il y a pire comme chiffre. J’ai vu, il y a très peu de temps, que si on demande si l’opposition ferait mieux, il n’y a que 19% des français qui répondent oui, 50% ni mieux ni moins bien et 20% à peu près moins bien. C’est dire à quel point on en est de décomposition de tout ce système. C’est pourquoi la grande question qui doit être posée, c’est le renouvellement de notre démocratie française. L’idée qu’il faille à tout prix saisir les prochaines échéances pour que quelque chose de fondamental change dans la manière dont les français puissent jouer leur rôle pour l’avenir du pays, faire entendre leur voix et être considérés.
Ça passe par la démocratie participative par exemple ?
Je ne sais pas très bien ce que cela veut dire. La démocratie est une participation. La démocratie signifie que les citoyens, l’opinion publique, les français considèrent que les décisions qui vont être prises sont des décisions sur lesquelles ils peuvent avoir de l’influence or aujourd’hui ils n’ont aucune influence, il n’y a même pas de débat. Le fond de la loi, peut-être, on va y revenir, mérite une réflexion.
François Bayrou, si on regarde ce sondage, si on suit vos propos, et si on ajoute à cela la non candidature de Nicolas Hulot, la relative embellie dans les sondages de Nicolas Sarkozy, on pourrait se dire ce matin, c’est plutôt des bonnes nouvelles pour François Bayrou, dans votre démarche, dans votre réflexion pour la suite, non ?
Ce sont des éléments qui vont dans le sens de ce que je défends depuis longtemps devant les français parce que vous voyez bien que tous les éléments s’emboîtent. Il demeure que pour l’élection présidentielle ma ligne est claire, fixée et affirmée : si Alain Juppé remporte la désignation de cette primaire - sur laquelle j’ai beaucoup de choses à dire vous le savez et avec laquelle je ne suis pas tout à fait en accord - je le soutiendrai. Pourquoi ? Parce que je pense que le pays a besoin de rassemblement, de gens qui disent je ne mets pas mon propre avenir en premier, ma propre satisfaction, je mets en premier ce que nous pouvons faire ensemble pour changer le pays. En revanche, si Alain Juppé n’était pas choisi, je ferai ce qu’il faut faire.
A propos de visages nouveaux, vous avez l’expérience d’une présidentielle, c’est très dur. Comprenez-vous l’attitude de Nicolas Hulot ? Ce type de profil peut-il exister dans une élection présidentielle ?
Mes amis savent que je n’ai jamais cru que Nicolas Hulot pourrait se présenter à cette élection. Il a dit : « je ne suis pas assez expérimenté et aguerri pour occuper cette fonction. »
C’est dommage qu’il n’y ait pas des gens nouveaux qui puissent entrer dans le système, non ?
C’est comme si vous disiez : « c’est dommage que sur une route extrêmement dangereuse il n’y ait pas des gens nouveaux pour conduire le car dans lequel il y a des enfants. »
A ce point-là ? La politique c’est ça ?
Au niveau présidentiel ! La politique dans la fonction de Président de la République exige d’avoir des gens qui renouvellent le système avec une pensée neuve mais qui aient assez d’expérience, de maturité et de capacité de rassemblement.
C’est une question d’âge ?
Non ! Ce n’est pas une question d’âge. C’est une question de capacité à penser l’avenir et une question de vision, et en même temps d’expérience de l’Etat dans toutes ses couches car ce n’est pas tout à fait rien d’avoir la maitrise de l’avenir d’un pays par délégation des citoyens.
François Bayrou, malgré le fait que vous veniez de dire que vous étiez derrière Alain Juppé, on sent que cela vous démange, le fait d’incarner quelque chose de nouveau, l’expérience, d’être aguerri, le challenge, on ne peut pas croire que vous n’ayez pas envie d’y aller. Vous avez l’expérience d’une campagne présidentielle.
Oui et c’est une expérience utile, croyez-moi ! Je vais vous répondre simplement. Est-ce que j’aime cette élection ? Oui ! J’ai vécu ce qu’est la rencontre d’un candidat et d’un peuple de citoyens. Ceci est tout à fait exaltant et enthousiasmant. Cela dit je ne suis pas là pour me faire plaisir. C’est important de montrer, dans un moment où nous sommes, que quelqu’un qui a un socle de voix et d’opinions positives, est capable de dire : « je suis prêt à soutenir quelqu’un d’autre. » Je trouve que ça apporte quelque chose. A la question : « redoutez-vous cette élection ? », ma réponse est non. Et à la question « aimez-vous cette élection ? », ma réponse est oui.
Etes-vous inquiet pour la situation de la France, on apprenait hier soir que François Hollande renonçait à un certain nombre d’économies alors qu’il y a des dépenses nouvelles qui ont été engagées ? Quelque soit le gagnant, est-ce que ça ne va pas être extrêmement périlleux de réformer le pays compte tenu de la situation économique du pays ?
La situation du pays est comme vous le savez terriblement inquiétante, les changements promis - on emploie le mot réforme, c’est un mot sur lequel je mets des guillemets – n’ont pas été réalisés. Je veux vous rappeler que François Hollande s’était engagé, à partir des 4% de déficit que nous avions, à repartir à 0% en 2017, évidemment nous seront très loin d’obtenir même le résultat qu’il avait promis pour la première année, pour 2013. Vous voyez bien à quel point la situation du pays est inquiétante mais l’état d’esprit du pays n’est pas bon. C’est l’état d’esprit du pays qui est au fond le plus bouleversé et qui nous met dans une situation difficile. Il n’y a plus d’optimisme, il n’y a plus de volonté, il n’y a plus d’esprit de rassemblement, et il n’y a plus de sentiment national et d’unité de la Nation. Tout cela est grave. Je voulais dire un mot sur le fond de la loi El Khomri. Ce qui est pour moi le plus pénalisant dans ce texte est la décision ouverte sur les heures supplémentaires, c’est-à-dire que l’on pourra les payer moins que l’on ne les paye aujourd’hui. Je trouve que cela ne va pas dans le bon sens et que c’est profondément choquant. Pourquoi ? Parce que les gens qui travaillent n’arrivent pas à gagner leur vie. Le problème le plus important que nous avons devant nous, c’est des millions de personnes qui travaillent qui sont en situation économiques difficiles. Les heures supplémentaires c’est un moyen d’améliorer les fins de mois, or on décide de rabattre les heures supplémentaires et cela va à l’encontre de ce que l’on devrait faire. On pourrait trouver un système, que je propose depuis longtemps, qui est que la prime pour une heure supplémentaire vienne en diminution des charges sociales. Donc pour l’entreprise cela aurait été un coût supplémentaire de zéro.
Je m’adresse à l’européen convaincu que vous êtes. Le Brexit peut-il influencer votre décision personnelle pour porter encore ces valeurs de l’Europe lors de la bataille présidentielle ?
Je vous ai déjà dit ce qui a influencé ma décision.
Le Brexit va tout de même peser sur la campagne.
C’est une nécessité de plus d’apporter une vision pour l’avenir. Regardez ce qui se passe en Grande-Bretagne et qui est incroyable. Madame Le Pen a dit que si elle était élue elle organiserait un référendum pour la sortie de l’Union Européenne et que si elle le perdait, elle démissionnerait.
Vous n’êtes-pas contre un référendum ?
Je pense au contraire qu’il faudrait associer le peuple à ce choix. Regardez en Grande-Bretagne, tous les leaders qui ont milité pour la sortie de la Grande-Bretagne démissionnent car ils ne veulent pas affronter les difficultés. Ils ont créé une situation dommageable pour leur pays et ils s’échappent parce qu’ils ne veulent pas en assumer la responsabilité. Cela devrait suffire à dire ce que sont les conséquences d’un choix qui fait bon marché de l’avenir des jeunes dont je rappelle qu’ils ont voté pour le maintien à 75%. Un pays qui vote contre ses jeunes à des questions devant lui.
Vous êtes un aquitain, maire de Pau, vous êtes proche d’Alain Juppé et vous l’appréciez à titre personnel, quel conseil pourriez-vous lui donner, à la fois d’ami mais aussi d’expert de campagnes électorales, afin de rebooster sa campagne pour qu’il fasse la différence avec Nicolas Sarkozy ?
Je vais vous dire quelque chose qui va peut-être vous surprendre. J’ai toujours appliqué dans ma vie une règle simple : quand j’ai un conseil à donner à quelqu’un que j’aime bien, je le fais en privé et non pas à la télévision car lorsque l’on donne des conseils à la télévision c’est en général dans l’idée de ne pas rendre service à la personne en question.
Deuxième chose, on dit que vous avez rencontré très récemment Nicolas Sarkozy – peut-être à sa demande d’ailleurs – est-ce vrai ?
J’ai lu cela avec un certain amusement, je n’ai pas vu Nicolas Sarkozy depuis des années. Si cela avait été le cas je vous l’aurais dit – même si dans le milieu politique ceux qui disent la vérité sont rares – il n’y a aucune honte, si je le croise dans la rue, je lui serre la main. Je n’ai pas de débat personnel avec lui, je suis en désaccord avec sa manière d’envisager la politique et la fonction présidentielle. Mais si je le croise je n’ai aucune difficulté à parler avec lui, lorsque je suis avec des proches de Nicolas Sarkozy je leur parle évidemment, nous ne sommes pas sauvages. Le petit bruit dont vous venez de vous faire le relai n’est pas fondé.
Merci François Bayrou.
Merci.