"L'union nationale est nécessaire pour tirer le pays de l'inacceptable"

François Bayrou, interrogé dimanche sur le plébiscite des Français pour un gouvernement d'union nationale, y a vu le moyen d'en finir avec le sentiment de "spoliation du droit" qu'éprouvent des millions de citoyens non représentés dans les institutions, dans l'émission C Politique sur France 5.

Caroline Roux – Je disais en commençant cette émission que vous choisissiez toujours la face nord de l'Everest à mains nues, c'est un peu comme cela que vous vivez votre carrière ? 

François Bayrou – J'ai trouvé que c'était assez vrai, assez juste. Alors ce n'est le choix de la difficulté pour la difficulté, c'est que la situation est si détériorée qu'il faut bien sortir des routes habituelles, des sentiers battus. Parce que, autrement, les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Le problème c'est qu'il faut être élu pour arriver à changer le monde, à changer la vie. Dans une de vos interventions, vous disiez "changer la forme de [votre] engagement". Qu'est-ce qui a a changé dans votre engagement ? Puisque vous êtes chef de parti mais vous n'avez plus de mandat.

Chef de parti, c'est très important. J'ai un mandat local, humble mais que j'aime, à Pau. Il n'y a donc aucune raison de se plaindre. J'ai choisi ce chemin. Vous dites "la forme de l'engagement". J'entends souvent dire cela mais pour moi ça n'a pas grande signification. En fait il y a deux sortes d'exercice politique, de responsabilité politique. Il y a l'action quand vous êtes au gouvernement, et il y a la conviction – essayer de convaincre les autres – quand vous n'y êtes pas. Il y en a qui sont dans l'opposition officielle, comme le pouvoir est tenu en France jusqu'à maintenant par deux partis qui ont le monopole du pouvoir et qui l'exercent tour à tour. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ces institutions sont condamnées. Il va apparaître en France la nécessité de changer les choses. Au fond, la responsabilité qui est la mienne de m'adresser par votre intermédiaire aux Français est épurée. Je n'ai plus à sacrifier aux rites, à sacrifier aux habitudes...

Mais quand vous dites "Si je n'étais pas là, personne ne tiendrait ces propos-là", ce n'est pas un peu prétentieux ?

Non, c'est même plutôt de l'humilité. Parce que si jamais j'avais réussi parfaitement, il y aurait des centaines de vocations pour tenir ce discours. Je pense que a vie a fait la dégradation de l'esprit public en France, et les habitudes de pensée de la bipolarisation ont fait que, en effet, ce discours est plus difficile à tenir que d'autres. Tant mieux.
Je vais vous faire une confidence. Tant mieux parce que ce qui manque le plus, ce n'est pas le brio, le talent, l'intelligence. Les gens en ont plein, ils savent faire. C'est le caractère. C'est-à-dire être capable d'affronter les tempêtes et les orages quand ils viennent. 

Vous pensez à quelqu'un en particulier ?

Non, je pense à ma vie puisque vous m'interrogez sur ma vie. Être capable, au fond faire la preuve et se faire la preuve, pour soi-même, que l'on est pas de ce métal qui plie. Si je vous disais que c'était facile, vous ne me croiriez pas.

Non.

Si je vous disais que c'était agréable...

Pas toujours.

Pas toujours mais c'est nécessaire.

Est-ce que vous considérez que vous avez raté en 2012 la dernière occasion d'être Président de la République ? 

Je n'ai jamais eu comme ambition exclusive, comme tout le monde le raconte, d'être Président de la République.

Mais vous l'avez toujours cette ambition ? Ou est-ce que vous avez raté la dernière occasion de l'être ? 

Je pense que la présidence de la République, c'est la seule responsabilité où l'on puisse vraiment entraîner, faire naître des mouvements, changer, modeler, comme le sculpteur, le paysage du pays. Donc, vous me dites "Est-ce que c'est fini pour vous ?", je n'en sais rien, vous n'en savez rien et personne n'en sait rien. Parce que je pense que la vie offre toujours des occasions nouvelles et inattendues.

Alors, Président de la République, vous n'en savez rien. Premier ministre, peut-être. En tout cas il y a un sondage, aujourd'hui, que vous avez certainement vu à la Une du JDD. 78% des Français rêvent d'une union nationale et ils sont 47% à vous voir dans ce gouvernement d'union nationale. Est-ce que vous êtes prêt ?

Si la ligne choisie est celle à laquelle je crois, si les règles politiques sont celles que j'estime nécessaires, alors j'assumerai mes responsabilités, et je l'ai toujours fait, pour le facile et pour le difficile. Donc, de ce point de vue, je suis un responsable politique prêt, je le suis depuis des années. Vous avez eu la gentillesse et la justesse de rappeler que j'ai mené, au fond, quatre combats essentiels, vous en avez cité trois. Le premier c'est un combat contre la faiblesse extraordinaire qui nous a fait accepter les déficits et la dette qui font que nous sommes plombés et durablement. Le deuxième, c'est le produire en France. Le troisième, c'est le combat contre les affaires. J'ai été souvent seul à refuser ce qu'on était en train de dégrader dans le pays. Le quatrième, c'est l'union nationale. Ces quatre sujets, comme vous l'avez justement rappelé, deviennent les sujets d'actualité les plus forts aujourd'hui.

Maintenant nous y sommes. C'est énorme, 78% des Français qui croient à cette hypothèse. Mais est-ce que c'est une utopie, est-ce que c'est crédible ? Est-ce que vous en avez parlé avec François Hollande ? 

Je ne répète jamais mes conversations avec François Hollande. Mais, franchement, si je disais que, au cours des longues conversations que j'ai eues avec François Hollande – qui est maintenant Président de la République, mais je parlais avec lui avant – je n'avais pas parlé de ce sujet, vous ne me croiriez pas. 

Depuis qu'il est chef de l'Etat ? 

Oui, j'ai sans cesse plaidé pour que nous changions la pratique politique en France. Essayons de reprendre parce que vous avez posé deux questions en une.

La première, si vous le voulez bien, c'est : est-ce que c'est possible en France ? 

Oui, c'est possible, c'est réaliste et cela s'imposera comme ça vient de s'imposer en Italie, comme ça s'est imposé en Allemagne lors du précédent mandat, comme ça s'imposera je crois en Allemagne lors du prochain. Ainsi, les grands pays découvrent cette nécessité.

Vous comparez des pays qui n'ont pas du tout le même mode de fonctionnement. Nous sommes dans un scrutin majoritaire. Aujourd'hui il y a une majorité de gauche à l'Assemblée Nationale. 

Nous aurons ce mode de fonctionnement. Cette loi juste, nous l'aurons.

Pourquoi ?

Laissez-moi juste évoquer une idée parce qu'elle va m'échapper autrement. Je n'ai pas beaucoup de mémoire, comme vous le savez. C'est une manière de dire que je n'aime pas tant lâcher les idées... (rires) En France, notre pays, quel que soit le mode de scrutin, chaque fois que nous avons eu besoin de tirer le pays de l'inacceptable, nous avons fait l'union nationale. Nous l'avons fait pendant la Grande guerre... 

Vous comparez des circonstances qui sont assez éloignées, malgré tout.

Je vais vous dire, pour moi, la patrie est en danger aujourd'hui. Vous avez cinq millions de familles désespérées parce qu'elles ne trouvent pas d'emplois. Je ne fais pas une conférence ces temps-ci sans que jaillisse dix fois la question "Mais Monsieur, les jeunes s'en vont" et les jeunes, quand ils parlent, disent "Nous, on va s'en aller". Vous croyez que c'est acceptable ? Donc oui, la patrie est en danger. On l'a montré à la Libération, on l'a montré en 1958. En 58 c'était d'une certaine manière presque plus facile que ça ne l'est aujourd'hui. Il y avait la guerre d'Algérie qui était terrible pour le sentiment national, pour les familles déchirées, mais on avait la croissance, il n'y avait pas de chômage. Je pense que la patrie est en danger et que cela nécessite que les responsables publics et les citoyens décident de l'attitude exceptionnelle de responsabilité qu'il faut pour l'en sortir

Vous avez parlé de l'Italie. Enrico Letta, du Parti Démocrate, a donc formé un gouvernement avec une large coalition. J'imagine que cela vous fait rêver sur le papier, avec le Parti Démocrate, les amis de Silvio Berlusconi et de Mario Monti. En France, cela ressemblerait à quoi ? Quels sont les partis que l'on mettrait dans un gouvernement d'union nationale ? 

Vous parlez de partis, je parle de responsables. Vous parlez de partis, je parle de personnes.

Là ce sont des partis qui se sont entendus. 

Je pense que Enrico Letta, que je connais bien parce que c'est le courant politique qui est le mien, de même que je connaissais bien Mario Monti, a été choisi en fonction des qualités personnelles qui étaient les siennes et en fonction du positionnement politique qui était le sien. Qu'est-ce que nous avons sous les yeux ? Nous avons un parti centre-gauche, centre et centre-droit.

Le MoDem ? 

Non, je ne veux pas faire de comparaison. C'est l'alliance formée par d'une personnalité qui, à 88 ans, a le statut et la force de s'imposer, de forcer les partis qui ne voulaient pas s'entendre, et nous avons le seul gouvernement possible à mes yeux pour sortir l'Italie de l'imbroglio dans lequel elle se trouve. Mais cela se fera dans d'autres pays, cela vient de se faire dans beaucoup de pays.

Mais en France, cela fait des années que vous défendez cette union nationale, on voit que les Français en font un rêve aujourd'hui, mais techniquement, concrètement, on ne voit pas à quoi cela pourrait ressembler. Vous dites que ce sont des personnalités qui pourraient s'entendre. Comment est-ce que le Président de la République décide aujourd'hui d'un gouvernement d'union nationale ? 

Il est le maître à bord et il nomme un gouvernement, un Premier ministre et les choses s'organisent et se font. Écoutez, je vais prendre des exemples précis. Qui a parlé de ce sujet récemment ? Gérard Collomb, le maire socialiste de Lyon – vous me direz qu'il n'est pas un socialiste des extrêmes, tant mieux ! –, à l'UMP, Benoist Apparu et, on ne s'en est pas aperçu, François Fillon.

François Fillon bien sûr, dans Les Echos. 

Avec beaucoup de force. C'est évident que c'est le souhait de responsables. Jean-Pierre Raffarin a évoqué une idée de cet ordre. C'est l'idée de gens au PS comme Rebsamen. Nous sommes là dans la vraie majorité du pays, qui est une majorité réformiste, avec des personnalités d'expérience qui peuvent assumer la politique qu'il faut suivre à condition qu'on sorte des dérives dans lesquelles nos institutions nous enferment.

Les Français ont fait leur choix pour ce gouvernement d'union nationale. Evidemment, vous y êtes, il y a aussi Martine Aubry, Louis Gallois, personnalité de la société civile qui a conduit le pacte de compétitivité, Bertrand Delanoë, maire de Paris, Claude Bartolone, Président de l'Assemblée Nationale, et Ségolène Royal. Est-ce que toutes ces personnalités-là, selon votre jugement à vous, auraient leur place dans un gouvernement d'union nationale ? 

Je ne suis pas à distribuer des bons et des mauvais points. Mais vous voyez bien que chez quelqu'un comme M. Gallois, il y a cette énergie et cette expérience de la société civile. Donc c'est tout à fait juste. J'ai toujours pensé que Martine Aubry était une femme qui avait de la densité. Je n'ai pas toujours été d'accord avec elle. Je suis de ceux qui pensent que les 35 heures ont été pour la France une erreur et que c'est une erreur que nous n'avons pas fini de payer. Cependant, c'est quelqu'un dont j'estime la structure. Et puis elle ne peut pas être complètement étrangère à ce que je dis, c'est aussi la fille de son père.

Jacques Delors. 

Donc, c'est une femme respectable. La plupart de ceux qui étaient dans ce sondage sont respectables. L'essentiel est de savoir autour de quoi nous bâtissons cela, de savoir quelle est la politique que l'on va suivre. Quand on a défini la politique que l'on va suivre – si vous m'invitez à le faire, je ne sais pas si c'est le moment de l'émission, ...

Nous allons le faire largement. 

C'est la définition de la politique qui fait la majorité. Permettez-moi de dire deux choses. J'avais écrit un livre en 2011 qui s'appelait 2012, État d'urgence dans lequel je disais "il y a quelque chose qui ne peut plus durer, c'est que la coupure de la France en deux empêche qu'il y ait une majorité suffisante pour soutenir une politique". Pourquoi ? Vous coupez en deux, alors il y a 50% du pays qui est contre. Il suffit de regarder les attitudes des classiques caciques, sans faire de jeu de mots, de la majorité. Leur discours c'est "C'est la faute du pouvoir", même pour des décisions qu'ils ont prises eux-mêmes. Donc, vous avez 50% contre vous. De surcroît, chacun des camps est coupé en deux. Vous avez vu l'émission de Jean-Luc Mélenchon cette semaine, c'est une charge contre le gouvernement. Vous avez vu les déclarations de Marine Le Pen, c'est évidemment la moitié de ce qu'on appelle la droite qui est sur une sensibilité comme ça. Donc, qu'est-ce qu'il vous reste ? Au mieux 25%. Je disais dans ce livre qu'en quelques mois on se retrouve avec le quart de l'électorat. Nous y sommes, il reste à François Hollande 25% d'opinions favorables.

Vous pouvez encore présider avec 25% d'opinions favorables ?

Non, vous ne pouvez pas conduire un pays de manière valable, entraîner ce pays, décider de réformes importantes et difficiles si vous n'avez que 25% d'opinion pour vous soutenir. 

Pourquoi ? Il a une majorité à l'Assemblée. 

Vous devriez savoir, vous qui êtes une experte des médias et qui l'animez, que l'opinion publique est beaucoup plus forte que les parlementaires. J'ai entendu ça cent fois dans le passé ! Quand c'était la droite qui était au pouvoir elle disait "Ce n'est pas la rue qui décide", et puis on vient de voir qu'elle pensait le contraire dès qu'elle était dans l'opposition. Ce n'est pas la rue qui décide sauf que, souvenez-vous de Villepin et du CPE, il l'avait fait voter et on n'a pas pu le mettre en application. Parce que, un peuple, pour son propre destin, dans une démocratie, a d'une certaine manière les pleins pouvoirs.

Cela veut dire qu'aujourd'hui il doit prendre cette décision de gouvernement d'union nationale ? 

En tout cas, vous voyez bien que la question qui se pose à François Hollande, c'est la question de la clarification de son cap et de ses orientations. S'il ne prend pas ces orientations, vitales pour moi, je ne parle pas de la forme du gouvernement....

Non, sur le fond.

Sur le fond, s'il ne prend pas ces orientations assez vite, si la clarification n'intervient pas de manière drastique, il sera tard et quand il est tard en politique, il est souvent trop tard.  

Le député MoDem Jean Lassalle est parti depuis le 10 avril avec son sac à dos, à la rencontre des Français, tout simplement pour les entendre, pour trouver des solutions. Vous avez dit de lui "Il marche comme Gandhi pour vaincre l'indifférence du monde". Vous commentez cette marche sur votre page Facebook. A quoi sert cette initiative ?

J'ai trouvé que c'était pour moi le moyen de prendre une petite part de cette démarche, si je veux employer le bon adjectif, je dirais plutôt "héroïque" que "politique". Ce n'est pas de la politique politicienne, cela. Qu'est-ce qu'il s'est passé dans l'esprit et dans le cœur de Jean Lassalle ? Il s'est passé la découverte insupportable que les femmes et les hommes, les familles, les citoyens, ne croyaient plus un mot de ce que la politique leur disait. 

Est-ce que ce n'est pas aussi ce que l'on retrouve dans ce sondage ? 

Oui, c'est la même chose. Je suis très fier d'être à la tête de cette formation politique qui, certes n'a pas beaucoup de députés, mais le Parti de gauche n'en a aucun et le Front National en a comme moi deux. Si vous additionnez les voix de Mélenchon, Marine Le Pen et moi, qui n'avons pas les mêmes idées comme chacun sait, si vous prenez le sondage d'intention de vote de cette semaine, à nous trois nous faisons 44% des intentions de vote. Ceux qui font ensemble 50%, l'UMP et le PS, qui sont en désaccord mais qui font à peine 50, ils ont tous les sièges, à quelques bribes près. Est-ce que vous croyez que c'est normal ? En raison de notre vote et de notre refus d'accepter la soumission, est-ce que nous sommes des sous-citoyens ? Est-ce que nous sommes des gens qui ne sommes pas Français ? Nous sommes treize millions à avoir exprimé ce vote-là, à cette élection, à l'élection précédente et à l'élection encore avant. Les uns tantôt à vingt, les autres tantôt à dix.

Ça veut dire qu'il faut faire rentrer des députés Front National à l'Assemblée Nationale ? 

Bien sûr qu'il faut des députés du Front National, du Front de gauche et du centre. 

Ça changerait quoi ? 

Cela changerait les débats, aujourd'hui désespérément conformistes, désespérément attendus, au point que vous-mêmes, vous ne les écoutez même plus. Pourquoi ? Parce que vous savez très bien que si c'est un député de la majorité qui montre à la tribune, c'est pour dire que c'est formidable, si c'est un député de l'opposition, c'est pour dire que c'est intolérable. Même quand les discours sont les mêmes. Il y a une forme d'escroquerie, une forme de spoliation du droit du citoyen à être représenté.

Vous pensez que c'est cela aussi qui s'exprime dans le sondage du JDD ? 

Dans ce sondage aussi, il y a cette perte de confiance pour les faux antagonismes. Et puis il y a autre chose qu'il faut quand même dire parce que c'est important, cela fait vingt ans que l'on passe de l'un à l'autre et de l'autre à l'un, et le résultat que nous avons sous les yeux est déplorable. Plus que déplorable, il est inacceptable, intolérable. Il faut changer le système, d'une manière ou d'une autre, pour voir, comme cela se fait autour de nous, qu'une responsabilité nouvelle s'exprime et que des gens qui hier se disputaient sont capables d'assumer ensemble les décisions du pays.

Vous savez bien sûr qui est-ce qui tient ce discours, c'est Marine Le Pen qui parle de gouvernement UMPS. Dans cette enquête, presque un Français sur deux, 47%, imaginent le Front National dans ce gouvernement d'union nationale. Marine Le Pen dit qu'elle pourrait faire un gouvernement d'union nationale, mais sans le PS et sans l'UMP. Quelle peut être la place du Front National dans cette équation-là ? 

Vous voyez que tout cela est brouillé. Moi je ne veux pas brouiller les choses, je veux dire des choses compréhensibles. Evidemment, l'unité nationale que j'appelle de mes vœux n'est pas pour le désordre des esprits, elle est pour l'ordre, que nous sachions où nous allons. Il y a dans le programme du Front National, pour moi, de l'inacceptable. Ce n'est pas nouveau, je me suis battu depuis très longtemps sur ce sujet. Sur deux sujets, sur la focalisation de l'immigré comme responsable de nos problèmes, et sur la sortie de l'euro.

Oui mais vous avez 47% des Français qui voient le Front National dans ce gouvernement d'union nationale. 

Je pense que, ce que veulent dire ces Français, c'est qu'ils veulent que le Front National soit représenté comme les autres. Comme nous devons être représentés, comme l'extrême-gauche doit être représenté. Parce que c'est un droit. C'est, au fond, ce qu'ils ont à l'esprit, que la France est l'affaire de tout le monde, même de ceux qui sont sur de violents désaccords. Donc, ils ont leur place et moi je plaide pour leur place. J'ai combattu et Dieu sait que je n'ai pas donné ma place quand il fallait se battre. J'ai combattu et cependant je trouve insupportable qu'ils ne soient pas représentés. Donc, il faut faire ce pas. Est-ce que François Hollande en aura le courage ? C'est une autre histoire. Ou y sera-t-il obligé, et quand ? 

Je voudrais insister sur ce point. Vous dites que la patrie est en danger, 25% des Français seulement soutiennent le Président de la République et sa politique. On a entendu ces derniers jours parlé de remaniement, de gouvernement resserré. Dans quel moment sommes-nous, François Bayrou ? Est-ce qu'il y a une urgence institutionnelle qui fait qu'à un moment, il va devoir changer ? 

Il y a une urgence nationale. Vous avez mélangé deux sujets. Vous avez dit "la patrie est en danger et il n'y a que 25% des gens à soutenir François Hollande". Ces deux sujets n'ont rien à voir l'un avec l'autre.

C'est vous qui avez dit que la patrie est en danger.

La patrie est en danger, je vous le répète. Pour moi, la patrie est en danger dans ses fondations, dans le plus profond de ce sur quoi elle est bâtie. Elle est en danger dans ses valeurs, dans sa foi civique, dans son activité économique, dans son projet social, dans son éducation, elle est en danger partout. Mais cela n'a rien à voir avec les 25%. S'il faisait une bonne politique et qu'il n'avait que 25%, je serais le premier à venir devant vous pour soutenir cette idée. Donc, la question c'est bien : quelle est la politique conduite pour le pays ? Ce n'est pas de réunir des gens en désaccord sur tout, il faut réunir des gens en accord sur l'essentiel. 

J'allais vous dire "rapidement", mais c'est difficile d'être rapide sur la question que je vais vous poser. Vous avez commencé en disant "Si la politique est conforme à celle que je souhaite voir mise en œuvre, je pourrais être à la tête d'un gouvernement d'union nationale". Les cent jours de François Bayrou, à quoi est-ce que cela ressemblerait ? Quelles devraient être les quatre priorités, les quatre grandes réformes qui pourraient mettre tout le monde d'accord ? UMP, PS, MoDem, UDI... 

Il faut expliquer une vision politique qui soit assez claire pour que les choses avancent. On sait que je me suis souvent battu contre la dette et il y a aujourd'hui des débats sur l'austérité. 

Nous allons y venir. 

Je souhaite sur ce point mettre les choses en ordre. Pour moi, étant donné l'état de la France, j'allais presque dire l'état du malade, ce qu'il faut convoquer en premier, ce n'est pas le docteur austérité, c'est le docteur activité. Le mal de la France, bien sûr c'est qu'il y a du gaspillage dans l'argent public, bien sûr c'est que l'Etat ne fait pas ce qu'il devrait faire pour être à la hauteur de ce qu'on attend de lui, bien sûr qu'il y a des économies, mais le principal mal de la France...

C'est la compétitivité ? 

Je n'aime pas ce mot. On assène des mots à l'oreille du citoyen, croissance, compétitivité, qui n'ont pas de sens. Moi je parle de l'activité, de ceux qui créent de l'emploi, des ressources pour le pays, des biens que l'on va pouvoir vendre, de ceux qui font de la recherche, de l'innovation, de ceux qui créent des entreprises. Autrement dit, si je devais prendre une définition, ceux qui signent des contrats de travail.

Les patrons ? 

Les patrons, les cadres, les artisans, les commerçants, ceux qui prennent des risques. Vous voyez, l'un des maux français, ce n'est pas pour vous mettre en cause mais vous venez de dire "Les patrons ?" avec un petit air...

Pas du tout. Ce n'est pas péjoratif. 

En France, très souvent quand on dit "les patrons", quand les journalistes le disent, c'est une manière de dire "Monsieur, vous vous intéressez aux privilégiés". Je veux vous dire qu'il ne s'agit pas de privilégiés, il s'agit de combattants. Le mal de la France, c'est qu'il n'y a pas assez de jeunes ou de plus âgés qui soient enclins à prendre des risques, à créer quelque chose.

Je pense qu'il n'y a pas une personne qui vous regarde ce soir et qui se dit que vous avez tort. Bien sûr qu'il faut de l'activité. Mais comme dirait de Gaulle, il ne suffit pas de sauter sur son tabouret en disant "De l'activité, de l'activité, de l'activité", comment vous faites ? 

C'est très simple. Je détermine avec eux tout ce qui les empêche d'avancer. Une fiscalité excessive pour les entreprises par rapport aux pays qui nous entourent. Quelquefois une fiscalité excessive s'ils réussissent. Une réglementation absurde par son côté labyrinthe.

Cela, François Hollande le dit aussi. 

Il le dit aussi mais il ne le fait pas, il fait le contraire. Ecoutez-moi bien, j'ai apporté sur le plateau de Laurent Ruquier le Code du travail suisse et le Code du travail français.

Le Code du travail français est impressionnant. 

Le Code du travail suisse, c'est cent pages en petit format. Le Code du travail français, il pèse deux kilos et fait je crois 2.900 pages. Vous êtes une PME, vous êtes un artisan, c'est votre femme qui s'occupe des contrats de travail et de la comptabilité, vous croyez qu'elle peut s'y reconnaître ? En fait c'est fait pour favoriser les privilégiés. Ceux qui ont accès à des avocats en droit social, ceux qui ont des DRH très puissantes et très nombreuses. 

Oui, les grosses entreprises. 

Les syndicats aussi. Parce que, évidemment, eux maîtrisent, d'ailleurs à juste titre, tout ce labyrinthe. Donc, pour moi, la simplification est une chose très importante. Ensuite, le soutien. On leur demande de remplir des centaines de formulaires par an, toujours les mêmes. On leur demande dix fois, vingt fois la même chose. 

Vous savez comment ça s'appelle ça ? Le "choc de simplification". 

Qu'il le fasse et j'applaudirai, car je ne change pas d'avis selon les circonstances. Malheureusement, on en parle mais on ne le fait pas. Par exemple, l'organisation des PME dit "Franchement, au lieu de nous demander constamment de remplir les mêmes formulaires dix fois, faites ce qu'ils appellent je crois une armoire à documents numérique, mettez tous les renseignements sur nous dans le même ordinateur et débrouillez-vous pour remplir les papiers". Ceci, c'est un principe que j'avais défendu autrefois, que ce soit l'administration qui remplisse les papiers, et non plus ceux à qui on les demande. 

C'est curieux parce que nous avons l'impression à des enjeux qui nous dépassent, la mondialisation, la délocalisation, et vous nous parlez choc de simplification 

Non, c'est vous qui reprenez une expression qui a été tournée en dérision et qui, si elle était réalisée, serait bienfaisante. Donc je ne tourne pas cela en dérision. Je pense qu'en France, tous ceux qui voudraient avancer, créer, sont bloqués. Je pense que l'Etat en France est bloquant et même auto-bloquant. Je pense que les collectivités locales sont tellement compliquées, tellement incompréhensibles. Qu'a fait François Hollande ? Il ne les a pas simplifiées, il les a compliquées. Moi, je veux au contraire que tout ce qui est public, l'Etat, les collectivités locales, soutiennent au lieu de freiner. Rien que ça, je vous assure que c'est une révolution formidable. Pour le reste, l'Europe, on va y venir.

On y vient, vous êtes parfait. Vous êtes encore un Européen convaincu. Je dis "encore" parce que les critiques sont de plus en plus sévères contre l'Allemagne qui met l'Europe en mode rigueur. Le Parti socialiste et quelques grandes voix de la gauche ont ouvert une fronde contre Angela Merkel. Les populismes de droite et de gauche se nourrissent d'un rejet de tout ce qui vient de Bruxelles. L'Europe souvent lointaine, froide et distante est un bouc-émissaire consentant. Est-ce que l'absence de lisibilité des institutions européennes n'est pas une partie du problème ? 

Vous voyez que vous plaidez à votre tour pour ce que je considère nécessaire et vital. Rien ne peut fonctionner en notre siècle, et même un peu avant, si les gens ne comprennent pas. Or, ce que nous venons de voir et qui a été fait avec beaucoup de précision, de volonté, de talent, de graphismes, c'était incompréhensible. On en est arrivé à un moment où tout ce qui est de l'ordre de la décision en Europe est labyrinthique à un point tel que pas un citoyen, même informé, même passionné, ne peut y comprendre quelque chose. Pour moi qui suis dans ce projet européen, quelqu'un qui y croit...

Encore. 

Pas encore. Quelqu'un qui y croit définitivement et pour le futur. Je dis qu'il est de notre responsabilité de faire en sorte que les citoyens y comprennent quelque chose. Alors, il y a des choses très simples à faire que je vais défendre simplement. Par exemple, que toutes ces boutiques, ces institutions européennes, veulent bien acheter une page de journal par mois pour expliquer quelles sont les décisions qu'elles préparent. Vous voyez, c'est simple. Ça coûtera beaucoup moins cher que les trucs technocratiques compliqués, que faire appel aux agences de publicité pour faire des campagnes de communication. Qu'on veuille bien nous dire, à nous citoyens, ce que l'on prépare, qui va décider et quand. C'est simple, cela. Et qu'il y ait un jour prochain un lien direct entre le vote des citoyens et la ou les personnalités qui vont diriger l'Union. C'est pourquoi les élections européennes de 2014 vont avoir évidemment une importance très grande. Il y aura un enjeu de foi pédagogique d'exigence pour ceux qui porteront la parole des citoyens en disant "Arrêtez de nous dire que ça va bien, arrêtez même de nous dire que vous faites tous les huit jours le sommet de la dernière chance. Dites-nous ce que vous préparez et assumez vos décisions devant les peuples européens." Moi je voudrais que les dirigeants européens soient mis dans la situation que l'on aille manifester sous leurs fenêtres. Mais personne ne peut aller manifester sous leurs fenêtres, on ne les connaît pas.

On parle dans un contexte particulier, vous le savez très bien, avec des propos au vitriol de la part de personnalités de gauche et du Parti socialiste qui ciblent désormais Angela Merkel et la politique d'austérité soi-disant conduite par l'Allemagne. Voici les phrases que vous avez lues ou entendues dans la presse "L'intransigeance égoïste de Merkel qui ne songe à rien d'autre qu'à l'épargne des déposants Outre-Rhin", ça c'est une phrase signée du Parti socialiste. Claude Bartolone, Président de l'Assemblée Nationale, a estimé qu'il faut maintenant une "confrontation", le mot est bien choisi, avec l'Allemagne. Est-ce que ce discours-là vous inquiète ? 

C'est un discours profondément inquiétant. J'allais employer des mots encore plus durs...

Pourquoi vous ne le faites pas ? 

J'essaie d'avoir une gamme d'expressions qui ne soient pas choquantes. Pourquoi sont-ce des discours si graves ? Parce que ce sont des discours de démobilisation. Je disais "la patrie est en danger", nous avons au nom de ce peuple français à conduire une politique courageuse, et voilà des gens qui viennent nous expliquer qu'en fait, il n'y a pas d'effort à faire. Parce que ce qu'il y a derrière tout ça, c'est un brin de germanophobie, de vieux sentiments qui consistent à dire que les Allemands sont des égoïstes. Moi je crois que les Allemands ne sont pas plus égoïstes que les Français, que les Italiens ou que les Espagnols. Les peuples ont légitimement à défendre leurs intérêts nationaux. En plus, il y a un ciblage de Angela Merkel à titre personnel comme si elle était responsable de la situation de la France. 

Mais est-ce que cela pourrait avoir des conséquences dans les relations franco-allemandes ? 

Laissez-moi juste aller jusqu'à bout de cette idée parce que je la crois centrale. D'abord, cela a un côté ridicule, c'est comme une équipe de foot qui irait voir son équipe concurrente en disant "S'il vous plaît, essayez de jouer moins bien pour que nous puissions marquer quelques buts". C'est comme ça. Evidemment, ce n'est pas ça. Mais, surtout, c'est démobilisateur parce que ça tend à faire croire que les problèmes de notre pays viennent de l'extérieur. Or, les problèmes de notre pays viennent de chez nous. S'il n'y avait qu'une phrase dans ma vie que j'ai sans cesse défendue, c'est que c'est chez nous que sont les difficultés, c'est chez nous que sont les racines des problèmes que nous rencontrons. C'est parce que nous n'avons pas su faire l'Etat fort et léger que la France devrait avoir que nous sommes dans la situation dans laquelle nous sommes. Ce n'est pas la faute de l'Allemagne... 

François Bayrou, il y a un débat en Europe, vous le savez...

Laissez-moi finir. Ce n'est pas de la faute de l'Allemagne si nous n'apprenons pas à lire à nos enfants, vous comprenez ?

Nous comprenons ce que vous voulez dire. Les problèmes sont en France et il ne faut pas faire porter la responsabilité sur l'Allemagne, c'est une chose. 

Parce que cela nous empêche de les identifier et de les traiter.

Mais il y a un débat, ces personnalités de gauche qui s'expriment comme elles le font sont aussi les porte-parole en France d'un débat qui existe, et vous le savez bien au niveau européen. José Manuel Barroso a dit "Tout ce que nous avons fait n'était pas juste", il reconnaît que la politique d'austérité a atteint ses limites en Europe. 

La politique d'austérité a atteint ses limites dans de nombreux pays. En Grèce, peut-être en Italie, peut-être en Espagne, ces pays ont beaucoup fait. Mais, excusez-moi de le dire, ce n'est pas la question française.

Pourquoi ? 

Parce qu'en France, un très grand nombre des efforts que les autres ont conduits n'ont pas été faits. La preuve, c'est que chez nous les déficits ne baissent pas. Lorsque François Hollande est arrivé, on avait un engagement de baisse des déficits à 3% pour 2013. Evidemment, nous serons à combien ? Quatre...

Mais les déficits ont baissé. 

Non, ils n'ont pas baissé, nous sommes à 4,8, c'est-à-dire presque 5.

Ils ne sont pas à 3 mais ils ont baissé par rapport à l'arrivée de François Hollande au pouvoir. 

Non, nous sommes dans l'incantation, nous ne sommes pas dans la réalisation. Je veux répéter cette phrase que j'ai dite devant vous. Ce n'est pas du docteur austérité dont nous avons besoin d'abord, c'est du docteur activité. Parce que tant que nous n'aurons pas l'activité ré-oxygénée...

Relancée ? 

Je ne veux pas employer le mot "relance" parce qu'il est ambigu. 

Oui, il est ambigu. 

L'activité en pleine renaissance que nous devrions avoir. Tant que nous n'aurons pas cette activité, vous aurez beau coupé à la machette partout, vous n'y arriverez pas. Donc, c'est l'activité. 

Je ne vous suis pas, François Bayrou. Il y a un débat en Europe qui est : est-ce qu'il faut tenir les engagements sur les réductions des déficits en 2013 comme on s'y était engagé ou est-ce qu'il faut laisser un peu plus de souplesse, un peu plus de temps aux États pour ne pas asphyxier la croissance ? On a accordé un petit peu plus de temps en Espagne, c'est cela le sujet. Est-ce que vous dites : il faut laisser du temps à la France pour le retour à l'équilibre sur les finances publique ? 

Si nous sommes dans la bonne direction, il n'y a à mes yeux pas d'inconvénients à ce que nous prenions une année de plus. Mais la question c'est que, pour l'instant, nous n'avons pas réussi à créer l'Etat efficace dont nous avons besoin. Car, ce pour quoi je plaide, ce n'est pas pour que nous coupions, c'est pour que nous fassions des économies en servant mieux les gens, en ayant une éducation de meilleure qualité. Vous savez que j'étais en désaccord avec François Hollande quand il a dit que la solution était dans la recréation de 60.000 postes, je n'en crois rien. Vous aurez beau multiplier les décisions qui sont des décisions publicitaires pour faire plaisir à une idéologie que je connais bien de gens que je respecte, qui sont l'ensemble de ceux, les syndicats en premier, qui à l'éducation nationale disent que c'est une affaire de moyens. Ce n'est pas une affaire de moyens. C'est une affaire de l'incapacité dans laquelle nous sommes à définir et transmettre les stratégies pédagogiques dont nous avons besoin pour que les enfants sortent des difficultés où ils sont.

Revenons à l'économie et à l'urgence, même si l'éducation nationale, on peut considérer que cela fait partie des urgences à traiter. Mille chômeurs de plus par jour, les chiffres du chômage sont tombés cette semaine, 3.200.000 et encore un peu plus de chômeurs. On a le sentiment, et j'imagine que les Français qui sont 78% à vouloir une union nationale ont aussi ce sentiment d'impuissance du politique face au chômage. Est-ce que là encore vous considérez que le gouvernement fait de travers ? 

Oui.

François Hollande dit "Il y a les outils, ils sont là".

Je considère qu'il se trompe en pensant que les outils sont là. Ses intentions, telles qu'il les exprime, elles me vont. Mais les outils qu'il a définis, pour moi passent à côté de la situation.

Contrats de génération ? 

Je prends les paris devant vous. Les contrats de génération, cela ne marchera pas parce que vous ne recrutez pas quelqu'un pour faire un tandem avec quelqu'un. Martine Aubry l'avait dit sévèrement. Je crois, moi, que ce n'est pas du tout comme cela que ça marche.

Emplois d'avenir ? 

Les emplois d'avenir c'est bien, on pourrait les élargir.

Il faut les élargir ? 

Oui, je trouverais ça bien, tout ce qui crée de l'emploi est bien. Ensuite, le crédit impôt-compétitivité, je vous dis que ça ne peut pas marcher.

Il fait baisser le coût du travail.

Oui mais ce n'est pas comme cela qu'on fait, c'est trop compliqué, c'est technocratique cette affaire-là. Je ne connais pas un entrepreneur qui embauche en 2013 en pensant qu'il aura un versement de crédit d'impôt en 2014. Ce n'est pas vrai. Je ne trahis pas un secret, je dînais avec Michel Sapin le soir où il a pris cette décision. Il était très content, il m'a dit "On va créer 300.000 emplois". Je lui ai dit "Selon moi, vous allez en créer zéro". Parce que ça ne répond pas à la question. Ce n'est pas de l'immédiat, du simple, du compréhensible par tout le monde. Les emplois sans charge que j'avais définis par entreprise étaient, me semble-t-il, plus accessibles à la décision de l'artisan, du commerçant... Bien sûr, ce ne sont pas des grandes entreprises. Tiens, je vais vous donner un renseignement, vous apporter un éclairage. Savez-vous qui sont les bénéficiaires du crédit impôt-compétitivité ? Le principal bénéficiaire, c'est La Poste. Et puis il y a de très grandes entreprises, et puis il y a Disney. Ce n'est pas là qu'il fallait apporter de l'aide pour permettre d'améliorer les bilans et de créer de l'emploi, ce n'est pas comme ça que ça se fait.

Le gouvernement s'est justifié sur ce point en disant qu'il faut ratisser le plus large possible. 

Je pense que François Hollande, quand il croit qu'il a défini avec ses équipes les outils efficaces, il se trompe. Mais il n'y a pas besoin d'avoir un débat sur ce point, la réalité va nous départager. Je crois que ce n'est pas avec ces outils-là que l'on inversera, comme on dit, la courbe du chômage. 

Pour l'emploi des seniors, je ne sais pas si vous avez vu les chiffres, ils sont particulièrement inquiétants pour les chômeurs de plus de 50 ans, 101% d'augmentation du chômage en cinq ans. Le double de l'évolution enregistrée toutes classes d'âge confondues. Ce sont les seniors qui trinquent le plus. Est-ce que là il y aurait une mesure ciblée sur les seniors ? 

Peut-être, mais vous voyez, vous venez de dire quelque chose qui mérite que nous nous y arrêtions. La mauvaise foi politique fait que l'on cible le gouvernement actuel pour les uns et le gouvernement précédent pour les autres. En vérité, l'effondrement est continu depuis Sarkozy, ça avait même commencé plus tôt, ça avait commencé en 2000 à peu près. La série fin de Jospin - Chirac - Sarkozy - Hollande, elle est quasiment ininterrompue.

C'est-à-dire qu'il n'y a pas de responsabilité particulière du gouvernement de Jean-Marc Ayrault sur ce sujet ? 

Je ne veux pas exonérer, je ne veux pas faire l'indulgent tous azimuts, j'aime assez cibler et frapper au scalpel quand il le faut. Mais vous voyez bien, une série ininterrompue, cela veut dire que nous avons des problèmes qui tiennent à la nature de notre organisation, de l'Etat, des entreprises. Des problèmes que l'on dit, c'est un mot compliqué, structurels. Des problèmes qui tiennent à la manière dont nous avons bâti la France. Si nous n'identifions pas ces problèmes et si nous n'apportons pas à ces problèmes les réponses qu'il faut, tout le débat politicien est un débat ruiné. C'est pourquoi les gens n'en veulent plus. 

La moralisation, c’est un de vos thèmes de prédilection. Nous venons de voir un reportage sur les rapports ambigus entre les laboratoires pharmaceutiques et les politiques…

S’il n’y avait que la subvention apportée au club de rugby de Villeneuve, que le reportage cite en exemple… 

Ce ne serait pas si grave ? 

Franchement, je considèrerais que ça ne mérite pas l’indignation nationale. Mais ce n’est pas du tout cela. La question est celle d’intérêts privés qui se rapprochent du politique en leur apportant de l’argent pour obtenir des décisions dans leur sens. C’est ça la question. Cela s’appelle de la corruption. Discrète. On appelle ça des lobbys. On apporte des avantages, des services et quelquefois les parlementaires s’organisent pour ça. Ils deviennent avocats, conseils, pour avoir des liens financiers sans attirer le soupçon. Tout cela est inacceptable.

Et tout cela est terminé, François Bayrou ? 

Nous verrons si c’est terminé.

Il y a une volonté politique de la part du gouvernement en la matière.

Au moins, que la volonté sur ce petit point existe, c’est bien. Mais il y a beaucoup d’autres points. Par exemple, le cumul des mandats est une question de moralisation de la vie publique. Par exemple, le fait que l’on vote à l’Assemblée Nationale ou au Sénat en France même si l’on est absent, vous trouvez ça normal ? J’ai vécu dans des assemblées comme au Parlement européen où l’on ne peut pas voter si l’on n’est pas là.

Votre marcheur Jean Lassalle vote à distance, on l’a vu tout à l’heure. 

Si tous les députés avaient le souci des leurs comme Jean Lassalle l’a… 

Mais vous fixez des règles, elles doivent être les mêmes pour tous. 

S’il n’y avait qu’une procuration dans des circonstances exceptionnelles comme celle-là j’en serais ravi. Mais vous voyez bien que ce n’est pas du tout le cas. La vie politique est un théâtre d’ombres. Les règles que les parlementaires ont pour eux-mêmes ne sont pas les règles qui s’appliquent aux autres citoyens. Les gens le sentent très bien. Des réformes sont nécessaires. Moi par exemple je milite pour que nous ayons beaucoup moins de députés et de sénateurs que nous n’en avons. Nous avons, à population égale, huit fois plus de parlementaires que les Etats-Unis, le Parlement le plus respecté de la planète. Ne croyez pas que c’est indépendant, c’est parce qu’ils ont un Parlement peu nombreux qu’ils ont un Parlement très respecté. Cette réforme, et les autres, vous voyez bien que si vous les soumettez au vote des parlementaires elles ne seront jamais acceptées. 

Alors qu’est-ce qu’on fait ? On passe par un référendum ? 

Donc, il faut faire un référendum de moralisation de la vie publique où nous traiterons tous ces problèmes qui, depuis des années, sont des métastases dans le corps civique des Français. Réglons-les et traitons-les en nous appuyant sur le peuple français. Il y a des gens qui disent “On ne gagne jamais un référendum quand le pouvoir n’est pas bien”. Moi je vous dis que si vous traitez des vrais sujets, les Français vous suivront.

Vous avez lancé une pétition, moralisation.fr, vous en étiez à 55.000 votants, vous en êtes à combien ? 

Je n’ai pas regardé mais ça a dû monter. Ça va monter avec votre émission : moralisation.fr pour obtenir les réformes nécessaires. Une pétition en ligne qui atteint les 60.000 signataires pour obtenir les réformes nécessaires avec la décision du peuple français. 

Bastien Hugues vous a écouté avec attention et a relayé les commentaires des téléspectateurs.

Bastien Hugues - François Bayrou, au début de l’émission vous avez affirmé que l’union nationale allait s’imposer à la France comme elle s’était imposée, par exemple à l’Allemagne, il y a quelques années. Le problème c’est que, s’il y a bien eu une coalition de 2005 à 2009 en Allemagne entre le grand parti de la droite, le CDU, et le grand parti de gauche, le SPD, le parti du centre, le FDP, en a été écarté. N’est-ce pas un mauvais exemple que vous prenez ?

Non, parce que le FDP n’est pas le parti du centre en Allemagne, c’est le parti le plus à droite de l’échiquier politique allemand.

Vous siégez quand même ensemble au Parlement européen. 

Il siège dans le groupe libéral, nous siégeons dans le groupe démocrate et nous avons fait un accord pour pouvoir exister. Mais vous vous tromperiez beaucoup en croyant que cela nuit à mon argument. C’est grâce à l’accord de la CDU, parti démocrate-chrétien du centre-droit que j’ai beaucoup de raisons de connaître, et des sociaux-démocrates du SPD, que l’Allemagne a pu faire le pas décisif en avant. Le FDP, c’est ce qu’on appellerait en France des ultra-libéraux et vous m’accorderez que ce n’est pas tout à fait ma ligne.

Poursuivons avec la proportionnelle. Tout à l’heure vous avez rappelé que vous étiez favorable à l’instauration d’une dose de proportionnelle aux législatives. Pendant la campagne, vous aviez demandé au moins 25% de proportionnelle. François Hollande a promis d’en introduire une dose d’ici à 2017, elle sera sans doute beaucoup plus faible. Nous avons fait le calcul, même avec les 25% de proportionnelle que vous demandez et avec le très faible score du MoDem aux dernières législatives, vous n’auriez eu que deux députés donc cela n’aurait rien changé pour vous. Est-ce que vous croyez vraiment que la proportionnelle peut aider à réconcilier les Français avec leurs élus ? 

D’abord, affaire de chiffres. Monsieur, vous vous trompez du tout au tout. J’ai obtenu près de 10% à l’élection présidentielle. Si les élections législatives s’étaient tenues en même temps, nous aurions obtenu le même score et nous aurions évidemment un groupe à l’Assemblée. Arrêtons-nous une seconde à l’idée de proportionnelle. Il y a deux manières d’avoir une représentation des minorités dont je répète ici que c’est leur droit de citoyen, même s’ils votent Front National, Front de gauche ou MoDem. C’est leur droit de citoyen d’être représentés. Il y a deux manières. Soit le mode de scrutin qui est dans tous les pays européens continentaux sauf la France, vingt-cinq sur vingt-six, c’est-à-dire des représentants à proportion des voix obtenues dès l’instant que l’on passe 5%. 5% c’est pas mal, c’est un million. Alors il faut faire des coalitions, c’est ce qu’il se passe dans tous les pays européens, nous venons de le voir en Italie. Ou bien un mode de scrutin type des municipales, si vous arrivez en tête on vous donne la majorité, mais les sièges restants servent à représenter les minorités. Ce n’est pas tout à fait le même jeu démocratique mais c’est valable aussi. Donc, on peut obtenir à la fois la proportionnelle et une majorité ferme.

Une dernière question très courte posée par une téléspectatrice. "François Bayrou n’est plus ministre et n’est plus député, compte-t-il essayer de devenir maire de Pau l’an prochain ou va-t-il se défiler pour éviter une nouvelle défaite ?"

Caroline Roux - Merci pour la question ! 

Voilà, c’est très sympathique comme question. (rires) Donc je vais vous dire des choses simples. Quand j’aurai à parler des municipales de Pau, j’en parlerai à Pau. C’est une ville que j’aime. Je suis en train de conduire une action qui est une action de regroupement parce que, pour l’instant, il y a cinq, six ou sept listes, je ne sais plus, qui veulent se présenter dans l’opposition. J’ai dit, franchement, que cette affaire n’était pas sérieuse. Si vous voulez obtenir une alternance que je crois nécessaire à la mairie, vous vous rassemblez. Le reste, je le dirai à Pau parce que je trouve que les Palois méritent bien qu’on leur parle sur place, où je vis.

Vous auriez voté contre si vous aviez été député mais la loi sur le mariage pour tous a été votée cette semaine à l’Assemblée. La mobilisation continue contrele texte. Une manifestation est encore prévue le 26 mai et les opposants au texte mettent encore tous leurs espoirs dans le Conseil Constitutionnel qui se prononcera mi-mai. En attendant, les couples gays se préparent à la noce. Vous vous êtes déjà beaucoup exprimé sur le sujet. Une question précise : si vous étiez maire, est-ce que vous célébreriez des unions ?

C’est la règle républicaine, le maire est fait pour appliquer la loi.

Certains ne le feront pas, ils le disent aujourd’hui.

Si son adjoint veut le faire à sa place, c’est son affaire, mais un maire est fait pour appliquer la loi, quelles que soient ses opinions. Il peut être en désaccord avec des aspects de la loi mais il l’applique. J’aurais voulu reprendre une phrase que j’ai entendue dans votre reportage. Il y a un monsieur qui a dit “Cela va nous permettre d’éviter les risques juridiques si l’un de nous deux meurt”. Il y avait tous les moyens de répondre à cette question des droits, à la question de la reconnaissance, par un statut qui aurait été un statut de reconnaissance généralisée ou de rassemblement des gens au lieu d’être d’affrontement. C’est mon regret.

Le 6 mai, cela fera un an que François Hollande est à l’Elysée. Un mot pour qualifier son bilan ? 

En un mot on ne peut pas le faire. Il faut au moins faire deux colonnes, la colonne des plus et la colonne des moins. Je vais tout de suite à la colonne des moins : trop d’incertitudes, trop d’interrogations, une absence de clarification. De ce point de vue, je suis sûr que cela handicape beaucoup son bilan.

Un Président qui est dans le costume de Président, vous le considérez désormais ? 

Il le deviendra de toute façon, ils font tous ce chemin. Ce n’est pas si simple.

Et la colonne des plus ? 

Regardez, des choses très simples. Les juges travaillent librement, même quand c’est contre le gouvernement. On l’a vu avec l’affaire Cahuzac. Deuxièmement, un accord très bien entre syndicats et patronat pour la sécurité d’un côté et plus de souplesse pour l’entreprise de l’autre. Troisièmement, il ne faut pas l’oublier dans le bilan, une manière que j’ai trouvée très respectable de conduire l’opération du Mali, avec de la décision et en même temps de la réserve, de la retenue.

Le mot c’est donc "mitigé", "équilibré" ?

Je ne sais pas… 

Bon, j’ai essayé. Nous allons passer aux photos de la semaine. François Fillon, Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé, Jean-Louis Borloo. Il manque François Bayrou, nous aurions pu le rajouter. Cela pourrait ressembler à ça, une primaire ouverte ? Est-ce que vous y participeriez ? 

Ces quatre personnalités se définissent comme étant de droite, moi je me définis comme étant du centre.

Donc vous ne participeriez pas à une primaire si elle était organisée par l’UMP ?

La vie est très longue. Cela dépend des circonstances, de la pression… Mais, par définition, je ne me reconnais ni dans une organisation de la droite ni dans une organisation de la gauche. Il est nécessaire pour la France qu’un centre indépendant se fasse entendre et respecté, il est le seul à porter un espoir que d’autres ne porteront plus.

Je vous lance un défi François Bayrou, vous avez 47 secondes. Le mur des cons, c’était cette semaine au syndicat de la magistrature. Une enquête a été ouverte chez nos confrères de France 3. Ça pose la question de l’impartialité de la justice. Ça vous a fait rire ou ça vous a inquiété ?

D’abord cela prouve, je vais employer le même mot que vous, que le plus con des deux n’est pas celui qu’on pense. Quand on cloue des personnes en disant que ce sont des cons, on signe soi-même sa propre bêtise. Deuxièmement, oui, cela pose des questions d’inquiétude légitimes sur l’impartialité. A ce titre, c’est une faute. 

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