"L'unité du pays est la première responsabilité du président de la République"

Invité du Supplément de Canal+, dimanche, François Bayrou a défendu "l'unité du pays" comme "première responsabilité du Président de la République", alors même que le Front national fête une victoire électorale.

Le Supplément - En 2012, vous avez voté pour François Hollande mais, aujourd'hui, déçu, vous revenez vers la droite en vous alliant début novembre avec Jean-Louis Borloo. 

François Bayrou - Ça pourrait être un peu plus tôt. Ce que j'imagine, et lui aussi je crois, c'est avant la fin octobre. Vous dites que je reviens vers la droite, arrêtons-nous là dessus une minute. J'ai eu une ligne de conduite toute ma vie, c'est que la France avait besoin de Centre...

Mais là, vous vous rapprochez de la Droite, de Jean-Louis Borloo... 

Non. Essayez d'accepter ça. Je construis le Centre, pour la première fois depuis longtemps c'est possible, avec des centristes qui ont choisi le Centre-droit. Nous nous rapprochons pour construire un Centre plus fort. Si le Centre veut exister, veut être fort, il faut qu'il se rassemble. C'est cela que je fais.

Le PS et l'UMP sont les partis de gouvernement. Pour l'instant, le Centre n'a pas eu accès aux manettes, et c'est ce que vous voulez faire ?

Exactement. C'est très juste. 

C'est donc bien un mariage de raison : un leader sans parti et un parti sans leader ? 

C'est excessif.

Vous avez deux députés...

Oui, et alors ? Le Front national en a combien ? Dans le dernier sondage publié, nous sommes à 11% d'intentions de vote, c'est-à-dire à peu près la moitié du Front national. Ce n'est pas nul, cela fait beaucoup de millions de voix. Quand vous avez le sentiment d'avoir entre les mains quelque chose d'absolument précieux, d'absolument essentiel et que les autres n'ont pas, vous vous battez pour l'imposer, quelles que soient les difficultés, quels que soient les risques.

Pour vous, François Hollande est-il un président petit bras ? 

François Hollande a une limite. Un président de la République, ça ne devrait pas s'occuper de sa majorité, ce n'est pas un chef de parti, ce n'est pas l'homme d'un camp dans le pays. Un président de la République, c'est quelqu'un qui s'occupe des enjeux de son pays, en ayant la responsabilité de toutes les sensibilités.

Si vous aviez été ensemble, est-ce que vous auriez fait de grandes choses ? 

S'il avait accepté de sortir du cadre habituel dans lequel il est enfermé depuis trop longtemps, oui, de grandes choses auraient pu être faites. Mais je ne dis pas "avec moi". L'idée que j'aurais attendu d'entrer au gouvernement est fausse. J'ai d'ailleurs plusieurs fois refusé d'entrer dans le gouvernement précédent.

Cela aurait être légitime que vous l'attendiez. Des socialistes eux-mêmes le disent. François Rebsamen dit que vous auriez mérité plus de considération... 

Ce n'est pas la même chose. Je n'ai jamais fait des choix dans mon intérêt. On peut même le dire, j'ai fait des choix contre mon intérêt. Je vais vous raconter une histoire, qui m'est arrivée il y a dix jours. J'ai trouvé cela terriblement émouvant. Un chauffeur de taxi ne m'a rien dit pendant qu'il me transportait. Au moment de descendre, il est venu m'ouvrir la porte avec des larmes dans les yeux. C'était un monsieur de cinquante ans, noir, qui avait des larmes qui brillaient dans ses yeux. Je ne comprenais pas. Il m'a dit : "Je n'ai rien osé vous dire pendant le trajet, mais j'ai besoin de vous dire que le choix que vous avez fait, pour nous, pour mes enfants et pour moi, c'est un choix très important. Je sais que vous l'avez fait contre votre intérêt et souvent contre vos idées, mais pour nous cela devenait trop lourd." Il voulait dire : "Pour nous qui avons la peau noire, pour nous qui sommes un peu différents dans la société française..."

Il parlait de votre choix de ne pas soutenir Nicolas Sarkozy, qui avait adopté une ligne trop droitière pendant la campagne ? 

Droitière, je ne sais pas si le mot est juste... 

Extrême ? 

Non. Je vais essayer de le dire avec mes mots. Pour moi, un président de la République, sa première mission est l'unité du pays. Or, les campagnes électorales fondées sur l'affrontement à l'intérieur du pays, qui soufflent sur les braises pour que ça chauffe entre les gens parce que cela apporte des voix, cela manque à cette première obligation. Nous ne sommes pas là dans les étiquettes et les partis.

Aujourd'hui, vous êtes conseiller municipal. Il paraît que Nicolas Sarkozy vous appelle "le conseiller municipal de Pau". 

Je trouve cela plutôt flatteur.

Ce ne doit pas être aimable dans sa bouche... 

J'imagine qu'il ne le fait pas pour être aimable. Après tout, il a le droit de ne pas être aimable (sourire). Nous avons eu des affrontements nombreux. Cela dit, il y a pire comme insulte que "conseiller municipale de Pau", ce que je suis depuis assez longtemps pour que cet enracinement nous soit précieux. 

Vous vivez de votre retraite de député. Est-ce que la transparence que vous affectionnez va jusqu'à me permettre de vous demander à combien cela se monte par mois ? 

Cela se monte à peu près au niveau d'un salaire d'activité de député qui est de l'ordre - c'est assez important - de 7.000 euros par mois. Et maintenant, vous allez me dire vous combien vous gagnez ?

Mais je ne pratique pas la transparence comme vous. Nous n'avons pas les mêmes devoirs quand on est en charge d'un suffrage universel... 

Moi, je ne me défile pas. Vous, pourquoi vous défilez vous ?

Vous vous présentez devant le suffrage des Français, il me semble légitime de pouvoir vous poser des questions que vous ne pouvez pas forcément me retourner. 

Vous croyez ? Je trouve que cette exigence de transparence d'un côté et d'opacité de l'autre, ne correspond à la modernité dont nous nous réclamons vous et moi.

Vous êtes donc plus moderne que moi. 

Non. Je suis obligé, vous n'imaginez pas que je puisse dire le contraire, c'est normal. Vous exigez la transparence, je l'assume.

(Chronique sur le réseau de François Bayrou.)

Vous voyez souvent Alain Juppé. C'est la connexion "grand Sud-Ouest". On dit que vous le poussez pour 2017. Après avoir rêvé de Matignon avec François Hollande, est-ce que vous en rêvez maintenant avec Alain Juppé ? 

Pas du tout. Je n'ai pas ce genre de préoccupations. Entre les hommes politiques, il arrive qu'il y est de l'estime, des gens qui savent que dans les coups durs ils sont solides. J'ai toujours considéré qu'Alain Juppé était quelqu'un de bien, pour parler simplement, et en l'occurrence peut-être que la réciproque est vraie. Je pense qu'il a les qualités d'un homme d'État, il a cette dimension là. Le lien d'estime réciproque, c'est aussi sur cela qu'il repose.

(Chronique sur le style vestimentaire de François Bayrou.)

Vous êtes un homme politique indépendant. Vous êtes l'un des seuls à écrire vous-même vos discours. Et c'est pareil vestimentairement parlant. Vous n'avez pas de conseiller, vous seriez même à aller contre les conseils de votre entourage... 

C'est assez vrai (rires). Cela raconte quelque chose de juste. Je fais attention, comme vous. 

Jérôme Kerviel vient d'adresser une lettre aux responsables politiques, vous l'avez reçue François Bayrou. Il dit que sa vie est un enfer, qu'elle est sacrifiée, qu'il a été civilement condamné à mort. Qu'en pensez-vous ?

L'avocat de Jérôme Kerviel m'a appelé. Je pense qu'il faut fouiller sur ce sujet, je suis pour que l'on regarde. Si vous m'interrogez comme homme, est-ce que Jérôme Kerviel est coupable, responsable ou victime ? Je pense qu'il est responsable et victime, d'un système qui est à la limite de deux folies, celles de l'argent et du jeu. Il a été pris et broyé dans ce système là. Est-ce que l'amende de 4,9 milliards a quelque chose de réaliste et de raisonnable ? Juridiquement peut-être, mais humainement c'est absurde. Je suis plus prudent et circonspect en revanche sur l'idée d'un complot. 

(Reportage sur les terribles conditions de travail des migrants au Qatar.)

Le Qatar mérite-t-il cette coupe du monde ?

L'idée d'aller organiser une coupe du monde là-bas est très surprenante et très troublante pour moi. Les conditions de travail sont épouvantables. Il faudrait au moins que leurs passeports leurs soient rendus. La chose la plus choquante, c'est qu'ils ne peuvent pas repartir. Partout dans le monde, il y a des chantiers avec des travailleurs migrants dans des conditions pas brillantes. Mais au moins qu'on leur donne la liberté de circuler, de venir et de partir. Si les responsables du Qatar nous écoutent, au moins qu'on puisse leur dire cela. La liberté d'aller et de venir, normalement, c'est l'une des premières libertés que nous devons accorder aux êtres humains.

Revenons maintenant en France, avec le Nouvel Observateur qui sort "le sondage qui fait peur" : le FN premier parti de France. Le FN pourra-t-il être amené à gouverner un jour ?

Ce serait un choc pour la France. Il faut mesurer que les idées que le Front national propose, je pèse mes mots, sont mortelles pour notre pays. 

Est-ce que cela pourrait arriver ?

Tout peut arriver. C'est arrivé dans d'autres pays européens.

Vous allez concourir à une quatrième présidentielle ?

Ce n'est pas une affaire de François Bayrou personnellement. C'est l'affaire d'un courant politique, le Centre, qui doit être représenté à l'élection présidentielle.

Vous concourrez ?

Je n'en sais absolument rien. Est-ce vous savez, vous, ce qui va se passer en 2017 ?

Je sais ce que vous dites vous de la présidentielle : "C'est le seul endroit où on peut véritablement changer les choses".

Oui, c'est le seul endroit où on peut vraiment changer les choses. Il y a un drame français, ce n'est pas le seul : il n'y a plus d'esprit pratique au sommet, la manière dont sont sélectionnées les élites et les politiques fait que les mots sont préférés aux choses. Par l'élection présidentielle, on peut introduire une culture qui fera que les choses soient préférées aux mots. Il y a de très beaux mots et c'est très utile, mais le "blabla" remplaçant les actes est épouvantable pour des millions de gens.

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