"Mes racines sont dans le régionalisme"

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François Bayrou, maire de Pau et président du MoDem, qui enrichit souvent ses discours par quelques phrases en béarnais, a été en tant que ministre de l’Education celui qui a donné un statut légal aux écoles Diwan et aux autres écoles d’apprentissage par immersion. Il livre ici, dans un entretien accordé au magazine "Bretons", son sentiment sur l’importance des langues régionales.

BRETONS : En 2001 vous aviez déclaré « Le breton fait partie du trésor national ». Qu’entendiez-vous par là ?

J’ai toujours été frappé par le fait qu’au Japon, le japonais est classé trésor national. C’est-à-dire qu’on considère qu’il est du devoir de l’Etat de le défendre, de le promouvoir, de le transmettre. Je me suis souvent fait cette réflexion pour les langues régionales françaises qui sont en danger. Vous le savez bien : lorsqu’une langue disparaît – sauf de rarissimes exceptions comme l’hébreu ou le grec qui ont été ressuscités après plusieurs siècles – il est impossible de jamais la retrouver. Le territoire français métropolitain, sans parler de l’Outre-mer, comporte nombre de langues qui sont une richesse unique et menacée, qui sont en voie de disparition. Or, une langue ce n’est pas seulement un assemblage de mots. C’est une manière de penser, une manière de réfléchir, une manière de sentir, une manière de rire, une manière d’aimer, une manière d’être ému. C’est donc quelque chose d’extrêmement précieux que nous devions défendre de manière partagée, ça ne devrait pas être une opinion de défendre une langue, comme ce n’est pas une opinion de défendre le château de Versailles ou le château de Pau. Ce sont des parts de notre patrimoine national et, dans le cas des langues, de notre patrimoine immatériel national.

Je le dis d’autant plus que je suis un amoureux de la langue française, que je l’ai cultivée, défendue tout au long de ma vie. Ce n’est pas parce que je parle béarnais que j’aime moins la langue française. Peut-être pourrait-on défendre l’idée que : parce que je parle béarnais, je comprends mieux la langue française. En tout cas que j’en connais mieux un certain nombre de racines, et la même chose pour le latin et le grec. L’amour des langues n’est pas un amour qui exclut, c’est un amour qui rassemble.

Avez-vous parlé béarnais avec vos parents ?

Plus exactement – les Bretons me comprendront très bien – j’appartiens à la génération dont les parents parlaient béarnais entre eux mais pas avec leurs enfants. Et donc, c’était aussi la langue des secrets des parents. Mais cette imprégnation suffit à ce que, plus tard, j’ai parlé le béarnais sans difficulté même si mon accent n’est pas exactement ce qu’il faudrait.

Est-ce qu’on vous pose parfois la fameuse question :  à quoi ca sert de parler béarnais ?

A quoi ça sert de parler béarnais ? A quoi ça sert de parler breton ? A quoi cela sert de parler français dans ce cas-là ?  Vous comprenez : le secret des langues, c’est qu’elles vous permettent d’entrer dans leur histoire et d’exprimer des choses très profondes que vous avez en vous. J’ai été très touché par ce que dit Mona Ozouf du breton dans son livre, Composition française, au si beau titre. Pour moi, on pourrait défendre l’idée qu’une langue universelle sommaire, le « globish » comme on dit, l’anglais global, suffirait, mais toutes les nuances s’effacent et donc toutes les identités s’effacent. Qu’est ce que c’est le béarnais ? Oh, c’est très simple : c’est du latin originel avec les transformations que vingt siècles ont apportées. Et donc, c’est précieux de parler latin sous la forme du béarnais mais on pourrait aussi le dire du catalan, de l’espagnol, du portugais, de l’italien, du sicilien…Tout ça, c’est la même langue, avec des rameaux qui ont fleuri différemment. Quant au breton, les langues celtes sont de la même manière une richesse, une manière de penser, une manière de rêver. Et puis simplement, c’est à nous, on ne veut pas qu’on nous l’enlève, voilà. J’ai été aux obsèques de Jean-Yves Cozan (ancien député du Finistère, ndlr), à Ouessant. J’ai très souvent parlé avec lui du breton et nous avions les mêmes émotions, lui à l’égard du breton, moi à l’égard du béarnais, d’autres à l’égard du basque, de l’alsacien, ou du corse.

Alors comment peut-on expliquer une certaine indifférence, voire même une opposition d’une partie de la classe politique, à l’égard des langues régionales ?

C’est un grand mystère, j’ai même écrit dans un de mes livres sur ce sujet. Parce que vous dites « indifférence ». Ce n’est pas de l’indifférence, il y a une brûlante hostilité. Politiquement, ça se caractérise par le jacobinisme. Mais je soupçonne qu’il y a dans cette hostilité un aspect inconscient, subconscient, comme si les gens qui parlent français ne supportaient pas que d’autres aient une richesse en plus.

Peut-être aussi comme si l’identité de l’un obligeait à chasser l’identité de l’autre. Peut-on y voir la perception d’un danger venant de l’autre ?  Une peur d’un éventuel séparatisme ?

Je crois que non, plus exactement j’espère que non. Je pense que ce n’est pas la motivation principale. Je pense que la motivation principale est ce que vous avez dit. C’est à dire qu’ils pensent que ça ne sert à rien. Et qu’ils se disent : occupons nous plutôt du français, ne perdons pas de temps avec des langages désuets.

N’y a-t-il pas aussi une idée de repli sur soi ? C’est ce qu’ils ressentent ?

Ils le ressentent car ils ne le tolèrent pas, ils n’acceptent pas la différence de l’autre. Ils n’acceptent pas que, n’ayant qu’une corde à leur arc, on puisse en avoir plusieurs. Moi, j’ai des souvenirs extrêmement brutaux. J’ai dû me disputer beaucoup, et méchamment, quand j’ai sauvé Diwan, les Ikastotak et les Calandretas, les écoles par immersion, alors que j’étais ministre de l’Education nationales et que je les fait entrer dans la loi Debré. C’est-à-dire, faire prendre en charge par l’Etat le salaire des enseignants, à qualification égale. J’ai été, vraiment, vilipendé par un certain nombre de gens du gouvernement de l’époque et de grandes responsabilités. Il y a une hostilité très vive à gauche et à droite, des deux côtés.

Vous avez déclaré dans Le Monde que la réforme du collège nuit à l’enseignement des langues régionales…

Elle ne nuit pas, elle supprime cet enseignement, pour l’essentiel. On trouvera toujours une manière de faire croire que ce n’est pas vrai mais la vérité est que la suppression des options qui est entérinée dans la réforme – et qui est la base de la réforme -, supprime les langues régionales comme elle supprimer l’enseignement du latin et du grec.

Le président François Hollande a lancé l’idée d’une ratification de la Chartre des langues minoritaires. Vous y croyez ?

Il serait temps qu’on cesse d’en parler et qu’on le fasse, si c’est bien l’intention de le faire. Je considère que les obstacles juridiques sont assez faciles à lever ou en tout cas ne sont pas impossibles à dépasser. Et je souhaite qu’on le fasse et qu’on arrête d’en agiter le fanion lorsque viennent les échéances électorales.

On va aller de façon un peu plus précise sur la Bretagne : comprenez-vous les revendications sur la défense de la langue ?  Et même sur la question d’un plus grande autonomie régionale ?

Vous savez bien quelle est l’histoire de ma famille politique, en Bretagne en particulier. Nos attaches et nos racines sont dans le régionalisme, c’est à dire dans l’idée que l’on prend des décisions plus justes quand on prend son propre destin en main. J’ai suivi l’affaire des Bonnets rouges, surtout ce qui s’en disait autour, ou même ce qui ne se disait pas, ce qu’il y avait entre les lignes, ce qu’il y avait sous les discours et les proclamations. Il y avait l’idée que, de Paris, on ne comprenait pas, notamment toute cette histoire de transport de marchandises d’animaux. C’est certain qu’une taxe uniforme ne comprenait pas la différence entre les pays  où on était obligé d’utiliser les transports et ceux, où au contraire, on n’est pas obligé de le faire. Le besoin de traiter ces questions de développement sur le terrain même est un besoin extrêmement fort. Ce besoin doit s’accompagner d’une conscience d’identité. C’est pourquoi j’ai beaucoup critiqué la réforme régionales qui, dans des régions comme le Grand Sud-Ouest met ensemble les Pyrénées-Atlantiques et les Deux-Sèvres, ou dans le Grand Est réunit Champagne-Ardenne et Alsace sous prétexte qu’ils sont plutôt à l’Est. Nier l’identité alsacienne, c’est vraiment ne rien comprendre à la France. Et prétendre que Bressuire et Pau c’est la même région, c’est d’une absolue désinvolture à l’égard de ces questions qui sont si précieuses et qui touchent à notre identité. Et prétendre que Montpellier et Toulouse c’est la même région, que la Méditerranée, les Hautes-Pyrénées et la Gascogne, c’est la même région, c’est d’une totale absurdité, c’est ne rien comprendre. Et ne rien comprendre à l’identité, ça empêche la réflexion sur le développement et l’aménagement du territoire.

La France est un des rares pays d’Europe occidentale qui n’a jamais pu véritablement regarder sereinement l’histoire de ses régions. Et les moyens de développement des régions en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Italie, sont nettement supérieurs…

On est à la traîne mais on ne peut pas nier l’histoire de la France. C’est l’histoire d’une nation qui s’est construite autour d’un Etat, et d’une nation qui s’est réunie autour d’un Etat largement unique. Evidemment, ça on ne le changera pas. Je ne suis pas pour l’idée qu’on divise un peu plus des peuples qui se divisent suffisamment. On ne changera pas l’histoire de la France, mais on devrait comprendre que les bonnes décisions peuvent être prises sur place. Que c’est plus intelligent, que c’est plus sensible, que les décisions sont plus fines. Et à une époque où il faut absolument moins gaspiller l’argent public, ça devrait être précieux.

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