"La vraie moralisation, c'est l'égalité devant la loi, devant l'impôt et devant la représentation"

François Bayrou a déploré que "les textes de lois présentés ce matin en Conseil des ministres passent à côté des sujets principaux de la moralisation de la vie publique" et détaillé ses propositions en la matière, mercredi sur France Inter.

Patrick Cohen - Le mariage pour tous, vote historique comme le dit la gauche ou passage en force comme le dit la droite ? 

François Bayrou - C'est une loi très importante et il n'est pas étonnant qu'elle suscite des réactions, favorables et défavorables. Si nous faisons le bilan de ces mois de discussion et de vote, nous arrivons à ce qui comporte pour moi de l'amertume. Je suis frappé de voir que les divisions de la société française sont plus fortes après qu'elles ne l'étaient avant, et que l'adhésion au statut du mariage pour tous est moins forte après le débat qu'elle ne l'était avant. Il me semble que la stratégie choisie par le gouvernement, qui était très identitaire, pour faire de ce sujet celui de la mobilisation de son camp, a été en partie responsable de la dégradation que nous remarquons.

Il y avait un moyen de faire autrement ? 

Je suis persuadé qu'il y avait un moyen de faire autrement, qu'il existait une voie qui permettait de répondre à l'attente de reconnaissance et de droits, qui était celle des couples homosexuels, tout en répondant au souci de stabilité de transmission à l'égard des enfants, qui était celui d'une autre partie de la société. Peut-être aussi au troisième groupe, ceux qui pensent que ce n'était pas un sujet essentiel et que ce n'était pas sur ce sujet-là qu'il fallait focaliser l'action pendant des mois, tout ceux qui pensent que ça compte mais que ce n'était pas à mettre en première ligne. 

Sur ce sujet, comment regardez-vous le rapprochement, que nous avons pu voir dans la rue, entre des élus UMP et Front National ? 

Il ne me semble pas significatif. Ce n'est pas parce qu'il y avait un député du Front National derrière la banderole, qu'on peut considérer qu'il y a une stratégie générale. Les questions de stratégie entre la droite et l'extrême-droite, les zones frontalières, les recoupements et les recouvrements, cela viendra. Le poids électoral des uns et des autres, en lui-même, indique que ces sujets viendront. Mais pour l'instant, je ne fais pas de procès sur ce sujet.

Vous ne voyez pas dans la rue l'émergence d'un peuple de droite ? Et, pour reprendre l'analyse fameuse de Patrick Buisson, l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, l'homogénéisation entre l'électorat de droite et d'extrême-droite ? 

Qu'il y ait des sujets qui désormais deviennent très mobilisateurs, cela est vrai. Qu'il y ait une nouvelle affirmation, notamment par des jeunes, que ce qu'ils veulent c'est une nouvelle politique fondée sur des valeurs - même si le mot valeur est utilisé un peu trop souvent - cela est vrai. Enfin, qu'il y ait une demande d'affirmation forte, d'un certain nombre de choses qui jusqu'à maintenant apparaissaient comme mises en cause, régressives ou d'un autre temps, cela est vrai aussi. Cela fait partie de ce mouvement vers la division, dont je dis qu'il est très dangereux pour la France. Parce qu'un pays en crise ne peut pas affronter les problèmes qui sont les siens en étant perpétuellement dans l'affrontement entre une partie et l'autre du pays. Souvent d'ailleurs, il y a plus que deux camps, il y a des sensibilités très différentes qui se mettent en accusation et qui cherchent à se faire porter la responsabilité. Ce n'est pas de cette manière que nous en sortirons. Les problèmes que nous allons vivre sont difficiles. Demain, jeudi, nous allons probablement battre le record du nombre de chômeurs dans notre pays. Si l'on ne voit pas que cela devrait susciter la mobilisation générale, alors on ne voit rien. La perte de confiance du monde politique - nous allons parler de la moralisation dans une minute j'imagine - si l'on ne voit pas qu'elle devrait susciter la mobilisation de tous, on ne voit rien. La division est donc l'ennemi du redressement. 

Au Conseil des ministres ce matin, trois projets de loi. Non pas pour la moralisation - parce que c'est votre expression, vous êtes l'un des premiers à l'avoir employée - mais pour la transparence de la vie publique et la lutte contre la fraude fiscale. Est-ce qu'il y a là un changement culturel qui s'amorce, pour reprendre l'expression qu'utilisait Noëlle Lenoir, la déontologue de l'Assemblée, tout à l'heure ? 

Changement culturel, je crois que oui. Le mouvement vers "vous n'avez rien à cacher, vous ne devez rien dissimuler", est un changement très important. Et après tout irrésistible : cela se passe dans tous les pays, sauf le nôtre, donc ça se passera un jour chez nous. Mais ce ne sont pas les sujets principaux et les textes de lois passent à côté de ces sujets principaux. Je vais en citer deux ou trois. D'abord, le cumul des mandats. On a fait toutes les campagnes, notamment la présidentielle, en affirmant haut et fort que cette question serait traitée, que jusqu'à maintenant on avait battu en retraite, mais que cette fois-ci on assumerait... Or, le cumul des mandats est renvoyé en 2017, c'est-à-dire probablement quand les poules auront des dents. Évidemment, on ne fait pas face. 

Il y a un rapport entre le cumul des mandats et la moralité ou l'honnêteté des élus ? 

Il y a un rapport entre le cumul des mandats et le degré de confiance que les citoyens ont dans le monde de leur élus. 

Ce n'est pas ce qu'ils disent dans les urnes. Les cumulards sont mieux élus ou mieux réélus que les autres. 

Pour une raison toute simple : pour être élu, il vaut mieux être connu de tous que de ne pas l'être. C'est la chose la plus importante. Il y a l'étiquette et la notoriété, voilà les deux éléments qui font le choix dans une élection politique. Mais revenons au sujet. Bien entendu que les Français voient bien que les travées de l'Assemblée Nationale sont vides. Les Français voient bien que pour les votes, tout le monde est absent. Pour le vote sur le mariage homosexuel au Sénat, on n'a pas osé ou on n'a pas voulu faire un vote public !

Il n'a pas été demandé par les groupes politiques.

Vous êtes en train de souligner la connivence, complicité j'allais dire, qui existe entre les groupes, pour qu'à un certain moment on n'aille pas voir dans leurs camps. 

Apparemment, c'est le groupe UMP qui a oublié de demander un vote public... 

Vous voyez bien que tout cela est ridicule. Donc, d'abord, cumul des mandats. Deuxièmement, il y a une règle qui devrait être unanimement respectée : celle que les parlementaires sont soumis aux mêmes règles fiscales que les autres. Cela devrait être la moindre des choses. Ils votent les impôts, donc ils devraient avoir les mêmes règles. Y compris en ayant le droit de déduire leurs frais de fonction, pour que les choses soient absolument transparentes. Il y a encore quelques semaines, un amendement présenté par Charles de Courson à l'Assemblée Nationale, pour que cette règle soit appliquée, a été refusé dans une connivence générale. 

Une part seulement de leur indemnité est défiscalisée... 

Vous voyez bien que lorsque les contribuables qui vous écoutent vous entendent dire cela, ils se disent : "Mais pourquoi est-ce que ce n'est pas la même chose pour nous ?". La règle devrait être la même pour tous ! Vous voyez bien qu'ainsi on écarte un certain nombre de décisions très importantes. J'en vois d'autres. Je pense qu'il y a trop de parlementaires en France, songez que nous en avons huit fois plus par habitant que les Etats-Unis, qui est le Parlement le plus respecté de la planète. Dans un moment où tout le monde cherche à faire des économies, il serait utile et juste de réduire le nombre de parlementaires. D'abord, parce que cela coûte trop cher et ensuite, ce qui est très important, pour qu'ils soient plus respectés. Enfin, il faudrait que tous les courants du peuple français soient représentés. Plus de 40% d'entre eux ne le sont pas à l'Assemblée Nationale. Ceci n'est pas acceptable. Vous voyez que la moralisation de la vie publique, ça va beaucoup plus loin que l'affichage des voitures, des vélos et des propriétés. 

Là-dessus, Alain Juppé vous a répondu. Sur la proportionnelle, il disait dans une interview au Nouvel Observateur : "On croit rêver. En Italie ou en Israël, pays de la proportionnelle, il n'y a aucune corruption c'est bien connu". 

C'est une formule qui est évidemment fausse. Permettez-moi de rappeler que tous les pays européens, sauf le nôtre, ont cette loi élémentaire qui fait que tous les courants de l'opinion sont représentés. Après, qu'on donne une prime majoritaire, pour assurer que la coalition arrivée en tête aura la majorité, cela me va et est tout à fait facile.

Et si je vous dis qu'avec la proportionnelle depuis un mois nous n'aurions pas de gouvernement en France ? 

Vous ne m'avez pas écouté.

Si. 

Je plaide pour qu'il puise y avoir une prime majoritaire qui garantisse la majorité à ceux qui sont arrivés en tête. Vous entendez bien : garantir la majorité. Mais que les autres soient représentés. Il n'y aucune raison que 40%, ou presque 50% des électeurs, ceux de l'extrême-gauche, de l'extrême-droite ou du centre, n'aient pas de représentation pour une seule raison, c'est qu'ils ont refusé de se soumettre aux deux partis principaux. Aujourd'hui, ce sont les deux partis principaux qui attribuent la totalité à quelques unités près, des sièges à l'Assemblée Nationale. Vous voyez bien que ces règles-là, d'égalité de tous devant la loi, devant l'impôt et devant la représentation, pour l'instant ne sont pas traitées par les projets de loi présentés.

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