Discours de François Bayrou, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la Justice lors de la passation de pouvoir.

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À la suite de sa nomination au ministère de la Justice comme ministre d'État, le nouveau garde des Sceaux François Bayrou a prononcé son premier discours lors de la passation de pouvoirs. Il succède à Jean-Jacques Urvoas.

François Bayrou, ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la Justice 

 

Cher Jean-Jacques, les applaudissements de vos collaborateurs ont dit assez l’estime qu’ils vous portent au moment où vous quittez ces fonctions. Je veux dire que je partage cette estime pour vous, pour votre action, pour ce que vous avez entraîné et pour les combats qui ont été les vôtres, en particulier les combats pour les moyens de la Justice.

Je voudrais vous dire que j’entre dans cette fonction. En effet, le président de la République a voulu qu’elle soit distinguée par ce titre de ministre d’État qui marque l’importance de la fonction. Et j’entre dans cette fonction avec un premier sentiment qui est un sentiment de reconnaissance ; reconnaissance à l’égard de celles et ceux qui donnent tant à cette œuvre immense qui est celle de la Justice de notre pays : les magistrats, l’ensemble des personnels, ceux qui ont la si lourde charge des prisons, ceux qui assument les responsabilités de légistes, ceux qui portent l’administration.

Tout cela, j’en ai été le témoin comme vous avant d’être garde des Sceaux, tant à la commission des Lois où nous avons siégé ensemble que dans ma ville, dans notre ville – vous à Quimper, moi à Pau –, et j’ai toujours été fasciné par la distance extraordinaire qu’il y avait entre les moyens mis à la disposition de ces femmes et de ces hommes et leur dévouement ou leur engagement dans la mission qui est la leur. Je n’ai pas dit le métier. J’ai dit la mission. Et pour beaucoup d’entre eux, la vocation qui est la leur. Et donc c’est avec ce sentiment de reconnaissance que je prends le relais de la responsabilité que vous avez occupée pendant quinze mois.

Je veux dire une deuxième chose que peut-être nos concitoyens ne saisissent pas du premier regard, c’est que la Justice est la clé de voûte d’une société de confiance. Et s’il y a une chose que je ressens si profondément, c’est qu’une société démocratique ne peut pas vivre sans confiance et spécialement sans confiance dans sa Justice.

Or, vous y avez fait allusion, trop souvent des attaques sont portées contre ses décisions, contre ses procédures, et ce sont des attaques contre lesquelles je m’inscrirai en défense. Ce n’est pas d’aujourd'hui. Comme vous le savez, il m’est arrivé de mener beaucoup de combats autour de l’indépendance de la Justice, autour de la défense d’un certain nombre de procédures, et pour mener des combats pour que Justice intervienne. Je ne dis même pas : « Justice soit faite ». C’est une formule un tout petit peu marquée. Mais pour que Justice intervienne dans des domaines d’où on voulait l’exclure.

Et donc pour moi, cette idée d’une clé de voûte d’une société de confiance, je la lis à bien des égards : confiance des citoyens dans la Justice, confiance à l’intérieur de l’univers de la Justice, quelles que soient ses formes, confiance de l’univers de la Justice dans ceux qui ont la charge de la conduire et de porter les décisions à prendre.

Toutes ces confiances-là, je m’appliquerai à les restaurer si elles ont été fragilisées, à les faire naître quand au contraire elles sont effacées, à les renforcer quand elles existent. Et cette confiance à l’intérieur de l’univers de la Justice et entre les citoyens et la Justice, et entre le monde de la Justice et ceux qui la gouvernent, sera pour moi un objectif de tous les instants.

Je suis décidé, comme l’ensemble du gouvernement et comme le président de la République, sur ce sujet particulier, à aller très vite. Je pense depuis longtemps qu’une des plaies de la société démocratique, à ce stade de son histoire, au moment que nous vivons, la plaie perpétuelle, c’est qu’on annonce des décisions, assez souvent à grands sons de trompe, qu’on fait des déclarations martiales, et que rien ne se passe. Vous revenez six mois après, neuf mois après, deux ans après ; rien n’a changé. Alors je comprends très bien les raisons. Je les ai très souvent analysées dans beaucoup de livres.

Je suis décidé à faire en sorte que l’action suive la parole, que les décisions soient prises et appliquées, et je parle de décisions prises et appliquées dans tous les sens que cette phrase peut prendre, y compris naturellement les décisions judiciaires. Mais que les choses changent là où elles doivent changer, et vite. Et en particulier, je prends l’engagement que la loi sur la moralisation de la vie politique va être sur la table du Conseil des ministres avant les élections législatives. C’est l’engagement que nous avons pris.

Tout le monde sait ici que c’est une loi qui me tient particulièrement à cœur ; qu’il y a des années que je me bats avec l’idée que cette loi, nous devrons l’écrire et que tout est naturellement, dans cette affaire, d’une importance capitale pour que les citoyens retrouvent un minimum de considération et de confiance dans leur vie publique.

Donc cette loi-là, elle est mise en chantier dès à présent. Je suis déterminé à ce que cette loi, en temps et en heure, soit présentée aux Français.

Enfin – je ne vais pas aborder tous les problèmes que vous avez abordés – je veux simplement dire que j’ai parfaitement conscience que du point de vue de ses conditions de vie, ce ministère, cette autorité que représente la Justice, sont en situation d’urgence, et je n’ai pas l’intention de prendre le mot « urgence » dans un sens vague. J’ai tout à fait l’intention de considérer que cette urgence nous engage.

Vous avez lancé, contribué à faire naître l’idée de l’urgence en matière de moyens et fait prendre un certain nombre de décisions. Il faut rendre hommage à votre pugnacité de ce point de vue-là.

Mais je veux simplement dire que pour moi la loi de programmation qui a été promise par le président de la République est une ardente obligation et cette loi-là, elle va permettre de donner à l’ensemble du monde de la Justice une visibilité sur son avenir. C’est pour moi infiniment utile et précieux pour les citoyens, qu’ils appartiennent au monde de la Justice ou qu’ils soient simplement ceux qui, comme citoyens, le fréquentent ou aspirent à le fréquenter, notamment pour ce qui touche à l’accès au droit.

Voilà ce que je voulais dire. J’ai parfaitement conscience de l’attente des Français ; attente des Français en matière de protection ; attente des Français en matière de jugements équitables ; attente des Français en matière de rapidité des jugements.

Jean-Jacques Urvoas l’a souvent rappelé : nous sommes ou devrions être au banc des pays qui forment la communauté des pays démocratiques et notamment au ban de l’Union européenne, ne serait-ce qu’en raison de la lenteur de nos décisions et de l’état de nos prisons. C’est au moins deux chapitres sur lesquels je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour que les choses changent.

Et donc, au moment de prendre cette fonction que je considère comme une mission, je veux simplement assurer tous ceux qui participent à cette grande œuvre démocratique de mon engagement personnel. Je ne le prends pas comme une responsabilité politique. Je le prends comme une responsabilité civique. C’est avec une certaine idée de ce qu’est la citoyenneté que je suis là. J’ai tout à fait l’intention de me battre en ce sens.

J’ai été heureux que Jean-Jacques Urvoas accepte, avec des mots extrêmement sympathiques et sentis, de m’introduire dans cette fonction que je vais être ravi de conduire avec vous. Merci à tous !

 

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