"Nous avons besoin de l’unité pour que la France trouve le nouveau visage qu’elle mérite aujourd’hui"
Université de rentrée 2016 | Discours de François Bayrou lors de l'ouverture des travaux
Je suis très heureux qu’on se retrouve déjà si nombreux, parce que c’est un exploit. Beaucoup d’entre vous ont traversé la France, beaucoup sont encore sur la route et vont nous rejoindre ce soir ou demain matin, mais je suis très fier que vous soyez si nombreux, attentifs, mobilisés, pour cette université de rentrée. Comme chacun sait, nous avons ici un certain nombre de signes distinctifs.
Le premier, c’est que nous essayons de réfléchir avant de parler, de réfléchir avant d’agir, et nous sommes là pour réfléchir ensemble durant ces trois jours avec de très éminentes personnalités, des experts, des gens qui ont marqué la situation du pays par leur travail, par leurs réflexions, par leur expertise. Tout à l’heure, nous allons avoir un débat sur l’économie. Et c’est Laurence Parisot qui vient d’entrer dans la salle, Nicolas Goetzmann aussi est entré sur le site, il va nous rejoindre d’une minute à l’autre, et bien d’autres vont être là tout au long de ces journées. Comme chacun d’entre vous le sait très bien, et l’a présent à l’esprit, cette université de rentrée intervient à un moment absolument crucial de la vie de notre pays. C’est un moment absolument crucial, et c’est un moment extrêmement dangereux. Ces moments politiques sont importants, mais le moment que nous vivons n’est pas un moment politique. C’est un moment historique. Les problèmes que nous allons avoir à affronter, les questions qui se posent à nous, les réponses que nous allons avoir à trancher, sont cruciales pour l’avenir de la France et pour l’avenir de l’Europe. Je veux dire cela et j’espère que vous entendez que je le dis avec gravité. Je vais vous faire une confidence, c’est la première fois de ma vie politique que je pense que l’Europe peut exploser. La première fois de ma vie politique que je pense que cette oeuvre immense, cette construction à la dimension des siècles qui a été faite pacifiquement et pour vaincre les démons de l’Europe, que tout cela est aujourd’hui d’une extrême fragilité.
Je regarde la divergence qui est en train de naître entre la France et l’Allemagne, c’est-à-dire les deux piliers sans lesquels plus rien ne peut être fait. Je regarde ce qui est en train de se dire de la part de certains de ceux qui participent à la primaire des Républicains. En tout cas, de ce camp. J’entends dire qu’on va abandonner complètement pour des années la discipline budgétaire. Ce que je vois et que j’entends, c’est que la France va choisir un chemin qui sera radicalement à l’opposé du chemin d’autres grands pays européens et notamment l’Allemagne. Et cette tension extrême qui est en train de naître entre nos deux pays fondateurs est dangereux. Parce que si jamais il arrivait qu’au terme de cette dérive, l’euro ait eu à souffrir… Comme vous entendez, il y a beaucoup de gens qui disent, l’euro il faut en faire plusieurs, il faut en faire deux, il faut en faire trois, il faut en faire quatre… Autrement dit il faut le supprimer. Je crois qu’il y aurait là un signe de dislocation qui doit être regardé comme étant de la responsabilité de ceux qui vont participer au débat français.
Je dis cela, je n’ai pas l’habitude d’être catastrophiste ; je crois ne l’avoir jamais pensé même. Aujourd’hui je vois venir ce risque. Et c’est à l’aune de ce risque que je vois aussi, que je juge aussi de la situation française. La situation française comme vous le savez, est préoccupante. Elle est critique. L’UNEDIC a annoncé hier que le chômage en 2017 allait repartir à la hausse, et naturellement vous savez avec quelle légèreté on a traité la question de l’équilibre budgétaire. Je veux rappeler simplement que François Hollande s’était engagé à descendre au-dessous des 3% en 2013, et s’était engagé à ce que nous nous retrouvions à l’équilibre en 2017. Et en 2017, on va être naturellement au-dessus des 3%. Rien n’a été fait de ce à quoi on s’était engagé. Le sentiment d’abandon qu’Antonin, qui s’est exprimé à l’instant avec beaucoup de brio, évoquait la situation de ceux de plus en plus nombreux qui tombent au-dessous du seuil de pauvreté. L’Éducation Nationale, vit une rentrée où ce qui me frappe, moi, c’est le sentiment que ceux qui la font, les enseignants en particulier, qui ont l’impression d’être incompris, abandonnés et trahis dans leur expression parce que toute la communication du gouvernement est de dire que ça va très bien, de mieux en mieux… Et dans la vie, ils constatent que ça va de plus en plus mal, pas seulement pour les moyens mais simplement parce qu’on dénie leur mission, l’idée qu’ils s’en font, et on les pousse à se transformer en animateurs d’activités alors qu’ils veulent être des enseignants qui transmettent quelque chose. Et ce sentiment-là, ce paysage-là, traduit dans beaucoup de secteurs du pays un immense échec. Et l’impopularité du gouvernement n’est pas autre chose que la sanction de cet échec.
Voilà dans quelle ambiance, dans quel moment historique nous sommes ! Voilà les enjeux, et voilà ce que nous devons affronter. Dans tout cela, il y a des signes positifs d’espoir, pour le pays, j’en parlerai dimanche naturellement, mais même pour la vie politique du pays. Comme tout le monde, naturellement, je suis les péripéties de la primaire, dans tous les sens que le mot peut prendre. Mais là on voit un certain nombre de dérives qui sont très importantes, je ne vais pas insister aujourd’hui, vous les suivez autant que moi.
Mais je veux parler de l’attitude d’Alain Juppé, que nous sommes beaucoup à soutenir dans cette salle. Je veux rappeler qu’il y a une enquête qui sort demain matin et qui dit que l’électorat qui est le plus actif et volontaire dans le soutien à Alain Juppé, à 75%, c’est l’électorat du MoDem. Cette attitude qui est la sienne est une attitude extrêmement courageuse. Il y a une interview dans Le Monde qui paraitra demain matin que je considère comme remarquable. Il dit, traitant des questions que l’on jette en pâture à l’opinion, que l’on est en train de devenir fous. C’est l’expression qu’il emploie. Et on a besoin de se ressaisir pour qu’au fond, le message de la France ne soit pas ce message de fermeture et d’hystérie. C’est un mot qu’il utilise lui-même dans l’interview. Pour moi, c’est la marque d’un homme d’État. Un homme d’État, c’est quelqu’un qui refuse de glisser quand tout le monde glisse et de dériver quand tout le monde dérive. L’attitude qu’Alain Juppé a choisi honore la vie politique et justifie le soutien que nous lui apportons. Parfois, on nous a demandé : « Pourquoi avez-vous fait ce choix ? ». Parce que nous pensons que le temps est au rassemblement à condition que les valeurs portées devant les Français justifie le rassemblement. Et c’est ce qu4Alain Juppé est en train de faire. Pour moi, c’est très important dans le moment historique que nous sommes en train de vivre. Je voulais le dire car cela donne à notre engagement tout son sens. Voilà le premier élément positif de cette rentrée.
Il y a un deuxième élément positif sur lequel je voudrais que l’on s’arrête. Enfin tout le monde se met à parler de recomposition. C’est un mot que nous avons porté souvent seuls devant l’opinion. C’est un choix que nous avons depuis longtemps présenté aux Français comme inéluctable. Et aujourd’hui, de partout, on voit bien que cette idée de recomposition avance et commence à s’imposer. Et naturellement, Alain Juppé s’est exprimé plusieurs fois sur ce sujet en disant qu’il allait falloir que des courants qui jusqu’à maintenant étaient étrangers, se rassemblent. Manuel Valls a évoqué cette idée. Emmanuel Macron évoque cette idée. Et nous l’avons porté et nous en sommes les premiers défenseurs. Je voudrais dire simplement un mot sur ce que la recomposition doit être. Pour moi, c’est la création d’un paysage politique nouveau et d’une pratique politique nouvelle en France. Cela n’est pas la reprise des anciennes formes politiques même changées même cosmétiquement modifiées par un maquillage habile. Il y a deux éléments qui permettent de juger de la réalité et de la profondeur de cette recomposition. Le premier de ces éléments, c’est que la recomposition doit être vue comme une alternative aux politiques et aux pratiques qui ont été suivies sous les deux derniers septennats. C’est à dire la proposition d’un changement profond. Une politique à mettre à la place des politiques qui étaient précédemment suivies. Vous reconnaîtrez là dans ce mot « alternative », celui que nous avions choisi avec Jean-Louis Borloo avant qu’il ne se retire de la vie politique sauf l’Afrique où il travaille. Donc c’est le mot que nous avions choisi : « alternative » ! C’est une proposition différente faite au pays. Et même une proposition différente à mettre à la place ou à proposer à la place de ce qui, jusque là, a été proposé ou imposé. Donc c’est une rupture franche avec ce qui s’est fait. C’est la volonté de voir notre vie démocratique et civique suivre un chemin nouveau. Cela veut dire aussi qu’on reconnaît l’échec de ce qui s’est passé avant. Et j’ai montré très vite que les chiffres étaient éloquents.
Et le deuxième élément pour lequel je plaide dans cette recomposition au centre de la vie politique française, c’est l’unité et l’indépendance. On a besoin des deux. Si le centre ne s’était pas divisé, s’il n’avait pas cédé aux sirènes du soi-disant parti unique de la droite et du centre avec des traits d’union entre chacun de ces mots, s’il était resté ce qu’il devait être, confiant dans ses forces, fier de ses idées, il aurait gouverné la France. Et je suis persuadé que sur l’agenda qui est celui des responsables politiques, il faut que l’unité soit au premier rang. Plus vite nous retrouverons cette unité en passant sur tout : sur les vanités, sur les agacements qui sont hélas la trame de la vie politique classique, plus vite la vie politique de ce pays retrouvera son équilibre. Parce que cette recomposition au centre, ce n’est pas pour nous que nous devons la faire, c’est pour éviter à la France de dériver comme elle dérive depuis des années. Nous avons besoin de l’unité pour que la France trouve le nouveau visage qu’elle mérite aujourd’hui.
Et le deuxième caractère que nous avons besoin de retrouver, c’est l’indépendance. Cela ne signifie pas que l’on ne peut pas travailler avec les autres. Il est dans l’ADN du centre qu’on puisse travailler avec d’autres. Mais c’est que l’on soit pas perpétuellement à chercher à se réfugier sous un allier supposé être plus puissant, à se rallier et s’aligner sur d’autres. Cette famille politique a quand même depuis longtemps le patrimoine historique, le patrimoine d’idées, le patrimoine de modernité, le patrimoine d’innovation, qui fait qu’elle a tout pour en être un vecteur de garantie pour l’avenir du pays. Unité et indépendance. Pour moi, je ne céderai sur aucun de ces deux mots. Je suis prêt au travail avec qui voudra sur cette idée de recomposition. Je suis prêt au débat avec qui voudra, à condition que l’on ait cette idée claire que ce soit une alternative franche à ce qui s’est fait dans les périodes précédentes. On a besoin que ce soit un mouvement qui choisisse l’unité et l’indépendance. Cela, ce sont de bonnes nouvelles. On a aujourd’hui dans la vie politique française, autour d’Alain Juppé et de son travail, ce que je considère comme une bonne nouvelle. Et tous ceux qui affirment vouloir une recomposition de la vie politique, je considère aussi que c’est une bonne nouvelle à condition qu’ils choisissent unité et indépendance pour une vraie alternative politique. Merci. Bonne université de rentrée !