"Nous avons besoin d’une pensée forte et de personnalités fédératrices !"
Que penser de la réforme territoriale ? En quoi la désignation de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne signe une nouvelle étape pour l'Europe ? Comment corriger les dérives de la société ? François Bayrou a répondu à toutes ces questions ce matin au micro de France Inter.
Marc Fauvelle - Bonjour François Bayrou.
François Bayrou - Bonjour.
Neuf mois de prison ferme pour une ancienne candidate du Front National aux municipales qui avait publié sur internet un photomontage comparant Christiane Taubira à un singe, quels commentaires ?
Je trouve la condamnation très dure et très forte pour des propos qui étaient très durs, très offensants, blessants. C’est peut-être l’occasion de rappeler à ceux qui se livrent à de tels propos ou acceptent de telles caricatures que ce n’est pas seulement interdit par la décence et la morale, c’est interdit par la loi ! Cela dit, c’est très dur bien sûr.
Trop dur ?
Non, je ne veux pas dire ça. La violence de la blessure est extrême et le tribunal de Cayenne en a jugé ainsi. Il faut imaginer ce que de tels propos représentent pour des millions de Français, pour des dizaines, centaines milliards d’hommes et de femmes dans le monde, qui simplement à cause de la couleur de leur peau sont rapprochés, comparés à des animaux. C’est extrêmement violent. On voit là quel est le jeu des deux violences : la violence des propos et la violence de la loi qui lui répond ou essaie de lui répondre.
Décision critiquée par le Front National qui parle de décision politique et qui rappelle que le président de ce tribunal de Cayenne en Guyane est membre du syndicat de la magistrature dont la présidente est mise en examen pour injure contre le Front National. Voilà un débat qui relance ou pas la possibilité pour les juges de se syndiquer.
Pour moi, c’est extrêmement simple : chaque fois que l’on met en cause des magistrats au nom de leurs opinions ou des opinions qu’on leur prête, au nom de leurs rassemblements syndicaux ; on ne respecte pas ce que doit être l’équilibre d’une démocratie et je le dis pour toutes les circonstances présentes. Je ne crois pas que l’on puisse s’en sortir. C’est comme si un parent d’élève disait « je veux un enseignant qui soit de mes opinions » ou « je récuse le professeur de français ou d’histoire parce qu’il n’a pas les mêmes opinions que les miennes, il est trop à gauche ou trop à droite ». Je ne crois pas que ce soit de bonnes méthodes.
Les attaques de Nicolas Sarkozy contre les juges, ce n’était pas digne de l’ancien chef d’État qu’il est ?
Je ne prononce pas des mots comme ça. Je pense que l’idée selon laquelle on récuse un magistrat a priori en raison de son engagement syndical est une idée qui ne tient pas la route. Si vous êtes voyageur sur un train SNCF et que vous récusez un contrôleur parce qu’il n’a pas les mêmes opinions politiques ou le même bulletin de vote que vous, vous voyez que l’on arrive très vite aux limites de l’organisation de la société. Heureusement que des gens ont des opinions différentes et cependant que ceux-là sont capables de respecter la plus absolue neutralité, objectivité. Ce n’est pas parce que vous êtes un enseignant marxiste que vous ne pouvez pas enseigner les guerres de religion. Ou réciproquement, ce n’est pas parce que vous êtes chrétien que vous ne pouvez pas enseigner Voltaire. La laïcité qui est beaucoup plus large que les affaires de relations entre la religion et l’État est au cœur de l’organisation de la société française.
On a assisté le week-end dernier à des débordements en marge de plusieurs manifestations pro-palestiniennes. Y a-t-il comme le dit ce matin le grand rabbin de France Haïm Korsia un climat de haine des Juifs en France en ce moment ?
Il y a un climat de haine réciproque.
Dans les deux camps ?
S’ils n’étaient que deux… Il y a un climat de montée des intolérances, de la stigmatisation, de la violence interne à la société française. C’est un effet de la crise et de l’impuissance que les citoyens constatent du côté politique. Ils ont le sentiment qu’il n’y a pas de débouchés pour eux, que l’on ne peut pas se faire entendre. De ce point de vue, il y a une montée qui est indiscutable. Elle se porte sur les Juifs, elle se porte sur l’Islam, elle se porte sur la couleur de la peau – on vient d’en dire un mot – et cette violence est immense. Chaque fois que l’on a une société qui se trouve dans une impasse du point de vue de la prise en main du destin qu’elle devrait avoir, on a la montée de ce type de dérives.
Un mot d’un débat qui passionne nos députés, sans doute aussi nos auditeurs, c’est la carte de France, la carte des régions qui n’en finit plus de changer presque jour après jour sous nos yeux à l’occasion de l’examen du projet de loi sur la réforme territoriale à l’Assemblée. Dernière nouveauté : le rattachement de votre région -l’Aquitaine - à la fois au Limousin et à Poitou-Charentes. Est-ce que vous vous sentez un peu plus proche de Ségolène Royal ce matin ?
C’est n’importe quoi. C’est une improvisation loufoque qui fait que plus personne ne peut y retrouver la moindre logique et le moindre sens profond de ce qu’est une région. Pourquoi je dis « improvisation loufoque » ? Pour ceux qui n’auraient pas suivi le feuilleton, au début on a dit « Aquitaine sera avec Poitou-Charentes ». Après on a dit « non, en effet, ce n’est pas possible, donc Aquitaine va rester toute seule ». Et puis après on a dit « non, il y a une autre idée venue de l’Élysée, on va rejoindre Aquitaine et Limousin ». Maintenant on dit : « non, on va peut-être aller plus loin, on va mettre Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes et on va faire un ensemble qui n’aura de région que le nom ». Voulez-vous réfléchir à ce qu’est une région ?
Une région est une communauté de gens qui vivent ensemble, qui partagent le même destin, les mêmes habitudes, la même culture et qui se regroupent pour faire les grands choix de leur avenir. Est-ce que vous pouvez m’expliquer ce qu’est une région lorsqu’entre Pau et Bressuire au nord de Poitou-Charentes vous avez 500 kilomètres, entre Pau et Limoges vers l’est vous avez 450 kilomètres ? Ce n’est plus une région ! C’est un ensemble administratif. On nous dit que c’est pour que cela coûte moins cher. Cette perte de sens, je vous dis que non seulement elle ne coûtera pas moins cher mais elle coûtera plus cher ! Chaque fois que vous avez la perte de la dimension naturelle d’une région, d’une communauté humaine, chaque fois il faut mettre des relais, des fonctionnaires, des étapes intermédiaires et donc cela ne marchera pas. Je crois qu’on ne trouvera pas de majorité et en plus ça fait perdre absolument le sens de ce que doit être une région en tant que communauté humaine.
C’est une réforme qui va faire « pschiiit », qui va s’arrêter avant d’être votée pour vous ?
Je crois en tout cas qu’elle n’aura pas fait avancer les choses et le plus triste c’est qu’elle ne prend pas les choses par le bon sens. Si on les avait prises par le bon sens, on aurait commencé par se poser la question des conseils généraux.
Qui nécessitait une réforme de la Constitution et qui était sans doute le point le plus complexe de cette réforme…
Et bien que les gouvernants prennent leurs responsabilités ! Si les corps intermédiaires que sont les chambres parlementaires font de la résistance, on aurait pu faire appel au peuple. Mais tout cela est en fait une absence de logique. Je ne suis pas adepte du « big is beautiful », plus c’est gros et mieux c’est. Les dimensions naturelles, les dimensions de communautés humaines sont très importantes. Mais il y avait des choses à faire, par exemple Aquitaine et Midi-Pyrénées. C’est le sud-ouest, la même culture, la même langue, la même manière de vivre, on pouvait faire là une région puissante. On n’a pas voulu la faire pour des raisons politiques ! Je trouve que l’on marche sur la tête, que les citoyens vont s’en apercevoir et qu’on ne trouvera pas de majorité pour des réformes aussi peu sensées.
Puisque l’on parle de votre ville de Pau, est-ce que vous pouvez dire aux Palois et aux auditeurs de France Inter non Palois ce matin que vous serez bien le maire de Pau jusqu’au bout de votre mandat ?
C’est drôle que vous soyez en train de ressasser perpétuellement les choses de cet ordre. Je vais vous dire les choses de la manière la plus simple et la plus ferme : je suis pleinement maire de cette ville et comme le reportage l’a montré, je crois que les Palois ne s’en plaignent pas et qu’ils voient et vérifient une énergie nouvelle au service d’une ville qu’ils méritent parce qu’elle est vraiment très prometteuse, très porteuse d’avenir dans notre région, dans la France entière et peut-être en Europe.
Donc pleinement maire aujourd’hui.
Pleinement ! Deuxièmement, je suis pleinement citoyen français. Je suis président d’un mouvement politique, je regarde avec une infinie inquiétude et une infinie tristesse ce qui est en train de se passer en France, qui est sans précédent. Jamais dans notre histoire récente, depuis que la cinquième République existe, on aura assisté à l’effondrement parallèle de la majorité et de l’opposition. C’est un effondrement extrêmement significatif parce qu’il a des causes. Des causes institutionnelles, des causes qui sont dans des lois électorales profondément inadaptées, dans un labyrinthe de pouvoirs où le citoyen ne peut pas retrouver ses petits, ne peut pas trouver de logique. Cela devrait susciter l’engagement de tous. Pour ma part, je suis pleinement engagé comme citoyen et comme responsable de mouvement politique dans la réflexion et un jour s’il le faut l’action ; pour que les choses en France changent. Mais je suis pleinement maire de Pau ! C’est mon double engagement et à ce double engagement naturellement je fais face, j’assume avec un sentiment de gravité et de bonheur en même temps.
Vous avez lancé il y a deux semaines une sorte d’appel au rassemblement du centre et de la droite, en tout cas certaines personnalités de la droite. Vous avez cité deux noms : celui d’Alain Juppé – on sait que vos relations avec lui sont bonnes – et celui de François Fillon. Est-ce que le rassemblement pourrait aller jusqu’à Nicolas Sarkozy ?
On a besoin de personnalités qui rassemblent. On a besoin d’une pensée qui rassemble. On a besoin de projet et de vision. La situation du pays que je décrivais à l’instant est une conséquence d’un certain nombre d’erreurs et de dérives que nous avons acceptées depuis trop longtemps. Si on n’a pas la volonté de les corriger, on ne changera pas les choses. Il y a une phrase de Bossuet au XVIIème siècle qui dit quelque chose de formidable : "le ciel se rit des prières qu’on lui fait de ceux qui veulent écarter d’eux des maux dont on persiste à vouloir les causes". Si vous voulez changer les conséquences sans changer les causes, vous n’y arrivez pas.
Nicolas Sarkozy fait-il partie d’une éventuelle coalition ?
On a besoin d’une pensée forte et fédératrice et de personnalités fédératrices. Non, je ne crois pas que Nicolas Sarkozy soit une personnalité de rassemblement aujourd’hui. Il a été et est encore souvent une personnalité de clivage, d’affrontement, de montée des tensions dans la société française et je ne crois pas que cela réponde à la situation du pays.