"Nous sommes dans un pays en état d'urgence, il lui faut une majorité nouvelle"

François Bayrou, présent au Congrès de l'Alliance Centriste, à l'invitation de Jean Arthuis, a affirmé que nous étions dans un pays en état d'urgence et que seule une majorité nouvelle pouvait répondre aux défis que nous devrons relever.

"Mes chers amis, 

Je vais vous dire une première chose qui est très simple, c’est que ce moment est pour moi un moment infiniment précieux. Pas seulement politiquement mais humainement, infiniment précieux parce qu’il se trouve que ces retrouvailles, ce dialogue, qui s’est heureusement à nouveau instauré entre un grand nombre d’entre nous, ce dialogue a permis que se renforcent des liens humains, et ça compte beaucoup selon moi dans l’engagement politique, des liens humains qui viennent de loin ; et je peux dire à ceux qui sont dans cette tribune, ces liens sont profonds, anciens et n’ont jamais été perdus de vue. 

Car, au-delà des parcours différents, et dieu sait que parfois ils ont été très différents, au-delà des passions, et dieu sait que parfois les passions ont été brûlantes, nous n’avons jamais perdu de vue les uns et les autres. Je parle à Jean Arthuis, dont j‘ai constamment apprécié le travail au Sénat, à la Commission des Finances avec Jean-Jacques Jégou par exemple, et je parle à Pierre Méhaignerie car nous n’avons jamais ni l’un ni l’autre au travers du temps oublié que nous avions formé, disent les uns, et que nous formions, disent les autres, une famille d’esprit. Ces liens-là, pour moi infiniment précieux, pour Jean, pour Pierre, pour Jacqueline, pour Philippe Folio, pour Muguette, pour Michel, pour Yves, y compris jusqu’à Mayotte, et jusqu’au Morbihan, ces liens-là qui ne se sont jamais laissés affaiblir. Alors c’est très précieux, très émouvant pour moi de voir ces liens tout d’un coup apparaître publiquement dans un moment qui est un moment très important pour le pays. Nous formons une famille d’esprit et il est très important que nous arrivions à comprendre pourquoi nous sommes là, qu’est-ce qui nous réunit, ce n’est pas seulement une étiquette, et pas seulement le fait que nous pourrions avoir des enjeux électoraux. Si c’était cela, notre rencontre serait anecdotique, elle ne servirait pour moi à rien. 

Je veux partir de cette identité-là. Qu’est-ce que c’est que cette famille politique à l’échelon français et européen ? C’est une famille politique qui a décidé que le seul moyen de faire bouger les peuples, spécialement dans les situations de crise, c’était de leur dire la vérité. Et ce n’est pas d’aujourd’hui ; un très grand philosophe du début du siècle dernier, Marc Sangnier, dont j’ai assisté avant hier aux obsèques du fils Jean Sangnier, et j’étais très heureux d’y être au nom de notre famille politique, et qui est resté avec nous jusqu’au dernier jour de sa vie –Eh bien Marc Sangnier, le Sillon, avait une phrase dont j’ai toujours trouvé qu’elle devait être la maxime même de l’engagement politique, de notre engagement à nous : « La démocratie c’est l’organisation sociale qui porte à son maximum la conscience et la responsabilité du citoyen ». 

Alors, ceci est un idéal politique en temps ordinaire mais aujourd’hui c’est une question de vie ou de mort, car dans l’État de la France il ne peut pas y avoir de redressement si le peuple Français n’adhère pas à ce redressement-là. Aucune question ne peut trouver sa réponse si les citoyens ne comprennent pas l’enjeu et ne prennent pas eux-mêmes la responsabilité de soutenir ceux qui proposent de diriger le pays vers son redressement et sa reconstruction. Pardonnez-moi de le dire, ceci n’a pas été autre chose que le choix du Général de Gaulle en matière de politique intérieure, autre probablement a été son attitude sur d’autres sujets, algérien par exemple. Et c’est pour cela que ça a fait de si brûlants affrontements. Et ça n’a pas été autre chose que l’attitude de Pierre Mendès France. J’ai eu un petit affrontement chez Ruquier avec un des chroniqueurs, car il disait que Mendès France n’avait jamais rien fait dans sa vie. Enfantin ! Mendès France a fait quelque chose dans sa vie, en se trompant sur des sujets, il s’est trompé sur l’Europe par exemple, mais il a fait quelque chose d’infiniment précieux, il a convaincu les citoyens qu’il était possible d’avoir une politique à partir de la vérité. Qu’on pouvait expliquer, qu’on pouvait avoir une démarche pédagogique au sens civique du terme. 

Nous sommes la force politique qui considère qu’on ne peut pas sortir le pays de difficultés qui sont les siennes, sans partir de la vérité. La vérité aujourd’hui oblige à dire que nous sommes un pays en état d’urgence. Je ne veux prendre qu’un seul chiffre au mois d’avril 2011, dernière statistique en date, le déficit du commerce extérieur de la France, l’hémorragie, ce qui s’en va de notre pays mois après mois, a été de 7,5 milliards d’euros. 7,5 milliards, pour ceux qui considèrent que le calcul mental n’est pas essentiel -ce n’est pas mon cas - 7,5 milliards, c’est sept mille millions d’euros, en un mois. Et quand on regarde les statistiques du commerce extérieur sur la période depuis 2007, en 2007 c’était déjà 20 milliards puis 40 milliards en 2009, et en 2010 on est passé à 60 milliards, soixante mille millions d’euros ! Un pays qui est soumis à une telle hémorragie ne peut pas soutenir son modèle social, ne peut pas réaliser l’intégration des jeunes, ne peut pas offrir à l’éducation les débouchés qu’elle mérite, ce pays-là ne peut pas être indépendant. Ce pays-là pour vivre, pour continuer à faire semblant, il emprunte, jusqu’au jour où la dette devient tellement écrasante qu’elle menace sa survie. 

Beaucoup de mes amis me demandaient pourquoi en 2007 j’ai fait une campagne très axée sur le déficit et la dette du pays. Eh bien qu’ils regardent la Grèce, qu’ils regardent le Portugal, qu’ils regardent l’Irlande, qu’ils regardent la contagion à laquelle nous sommes aujourd’hui exposés et dont la France n’est pas à l’abri. Le discours officiel, c’est que nous nous en tirons mieux que les autres. Eh bien, essayez de vous représenter ce que voudrait dire pour un pays qui a un stock de mille sept cents milliards de dette, imaginez ce que cela voudrait dire qu’une augmentation des taux d’intérêts. Nous arrivons tant bien que mal à nous en sortir parce que les taux d’intérêts sont historiquement les plus bas que l’on ait connu depuis 50 ans ! On emprunte entre 3 et 4 pour cent, imaginez-vous qu’ils augmentent d’un point, deux points ou trois points, et ce n’est pas beaucoup dans l’histoire, cela veut dire qu’aujourd’hui la charge de la dette représente plus que la totalité des rentrées de l’impôt sur le revenu du pays, et demain cela représentera le double. C’est-à-dire que cela devient insupportable, et quand cela devient insupportable, cela veut dire que le crédit du pays disparaît, tout cela c’est l’état d’urgence auquel nous sommes soumis. 

Alors, je vous conjure de considérer que cette question-là est la question centrale. En vérité, je ne vois pas de sujet qui soit sujet plus grave pour un pays que celui auquel nous sommes confrontés. Et quand je regarde – on en a eu bien des exemples ce matin – quand je regarde les réponses qu’il convient d’apporter à ce sujet, alors je suis saisi par une certitude : aucune des deux majorités traditionnelles n’est capable d’apporter les réponses aux questions cruciales du pays. Ni la majorité actuelle ni la majorité d’union de la gauche classique, aucune des deux ne peut poser les questions qui ont été posées à la tribune, et aucune des deux, si je fais le bilan de ce que la situation du pays exige : produire en France, retrouver l’éducation qui est à la hauteur de notre histoire ; le pays a perdu ces dernières années dix rangs dans les classements internationaux, se retrouvant bien au-delà de la vingtième place, pour un pays qui avait la meilleure éducation du monde ! Et vous pouvez prendre à tous les bouts de l’échelle : les enfants qui sortent de l’école, et puis ensuite, à l’autre bout, le nombre de doctorats, par exemple. Les questions de l’éducation, les questions du traitement de la dépense publique et de l’équilibre à retrouver de la dépense publique, la question cruciale de l’Europe, Sylvie, pour lequel aujourd’hui en France je ne vois pas de réponse lisible. 

Je suis obligé de dire que j’essaye de suivre tant bien que mal l’actualité de mon pays, y compris en en parlant, parfois, avec, comme on a l’habitude de le dire, les plus hautes autorités de l’Etat. Je ne vois pas quelle est la stratégie européenne de la France ; et je ne vois pas que l’Europe est une stratégie. Or, la question de produire – industrie, agriculture, services – tout à l’heure, on dénigrait les services – faut rien dénigrer, faut tout prendre ! Agriculture, agroalimentaire, industrie, services : produire en France ; cette question, elle est, naturellement, infiniment perturbée, par exemple, par les monnaies, le taux, la guerre des monnaies à laquelle la Chine nous expose. Personne ne peut demander à la Chine de payer les même salaires que la France, mais en tout cas tout le monde devrait exiger de la Chine qu’ils aient une monnaie qui soit dans les mêmes conditions de fixation de son taux que toutes les autres monnaies de la planète. La monnaie chinoise est artificiellement, politiquement, stratégiquement, sous-évaluée ; et personne ne dit rien. Et l’Europe ne dit rien. Et on laisse ainsi se bâtir une espèce de scénario de libre-échange qui est en réalité une falsification, parce qu’il n’y a pas d’échanges loyaux, parce qu’il n’y a pas de concurrence loyale, ne serait-ce que pour la question des monnaies. 

Ça ne peut se résoudre que si l’Europe parle d’une seule voix. Elle ne parle plus du tout, ni d’une seule ni de plusieurs voix. Moi en tout cas, malgré le – Sylvie me jette des regards noirs, elle dit : mais nous, les députés européens, on travaille beaucoup ! – Oui, certes, beaucoup, énormément. Magnifiquement. Mais Sylvie, les citoyens ne savent pas ce que vous faites. Les citoyens ne savent pas ce qui se passe, ce sont des institutions trop compliquées, dans lesquelles la conscience civique ne peut pas s’établir. C’est ça la vérité. Et donc, la question européenne, cette question-là, elle ne peut pas être résolue par les deux majorités habituelles, qui sont absolument coupées sur ce sujet. Par exemple, on est en train de faire vivre aux pays, extrême droite et extrême gauche confondues, autour d’un leurre, qui est qu’on pourrait démondialiser. Eh bien, la démondialisation est un mensonge, et cette démondialisation conduirait dans le mur. On ne rebâtira pas des frontières dans un pays où un travailleur sur quatre travaille pour l’exportation ; ce serait un mensonge. En revanche, la question de savoir pourquoi la France, la France, pas le reste de l’Europe, est dans la situation dans laquelle nous nous trouvons : ça, c’est une question d’urgence nationale. 

Je veux vous dire ceci : nous sommes déficitaires, nous France, dans nos échanges, non pas seulement avec la Chine, non pas seulement avec l’Inde : nous sommes déficitaires avec tous les pays de la zone euro sauf la Grèce. On a la même monnaie, par exemple, que l’Allemagne ; on a le même modèle social, à peu près – Tout à l’heure, notre ami d’Alternative Libérale, je ne sais pas où il est, qui s’est exprimé, où est-il ? Voilà, au fond. Il a dit : Mais pas du tout, les Allemands ont des dépenses sociales infiniment moindres que les nôtres. En apparence ! Mais comme le système de retraite est un système privé... Alors, évidemment, vous déplacez des sommes artificiellement, et comme le disait Jo Kerguéris, il faut consolider l’ensemble du modèle social. De même qu’on me dit : Les Britanniques ont des dépenses publiques infiniment moindres – Oui, l’éducation est privée. Alors, toutes les familles sont obligées, 80 pour cent d’entre elles, d’aller gager l’héritage des grands-parents pour payer les public schools qui sont artificiellement publiques, et en réalité privées, pour leurs enfants. Il faudrait consolider toutes ces choses. 

Moi, je parle comme ça, avec mes yeux : l’Allemagne a à peu près le même modèle social que le nôtre, a peu près. Ils ont fait des choix que nous n’avons pas faits. Mais grosso modo, il n’y a pas plus de pauvreté de l’autre côté du Rhin que de ce côté-ci. La même monnaie, le même modèle social, et voilà qu’eux, ils sont en prospérité et en bénéfice sur tout l’ensemble de la production, et que nous sommes en déficit sur l’ensemble de la production. 

Et enfin, dernier point, auquel on ne peut pas apporter de réponse camp contre camp, ce camp-là contre l’autre camp, c’est les institutions, la démocratie, la manière dont elles fonctionnent, et qui est à pleurer en France. La situation du Parlement, le fait que Pierre Méhaignerie –je dis ça avec amitié, il a défendu de très bonnes idées, mais il a été obligé par la discipline qui lie la majorité au Président de la République, de voter dans le sens qu’on lui a été imposé ! Chaque fois, allez, 99 pour cent. Et je dis pas ça méchamment. C’est le système qui est comme ça ! Quand vous avez un Parlement élu au scrutin majoritaire, qui dépend directement du Président de la République, qui donne les investitures, il n’y a aucune liberté, même pour la majorité ! Alors, je ne vous parle pas de l’opposition, y compris des oppositions minoritaires que nous formons. 

Eh bien, si vous voulez changer le rapport politique, avoir un Parlement digne de ce nom, et je le dis, tant pis si je dois me faire mal voir, avec tous les courants politiques du pays représentés dans le Parlement, même ceux qui ne nous plaisent pas, moi je suis d’accord pour que soient représentées y compris l’extrême droite et l’extrême gauche ; après tout, ils sont au Parlement européen, et ça empêche pas de vivre. Je suis pour qu’on ait des institutions qui soient des institutions de vérité et de pluralisme, dans lesquelles le citoyen puisse retrouver un peu de lui-même, un peu de sa force. Eh bien, toutes ces choses-là, elles n’interviendront que si ce projet, qui est un projet de courage et de vérité, trouve sa majorité. Et sa majorité, c’est une majorité nouvelle, qui n’est aucune des deux qui sont pour l’instant proposées aux Français. Et l’élection présidentielle, mes amis, ça sert à ça. Ça ne sert pas à faire joli, ça ne sert pas à présenter des styles ou des attitudes dans un pays qui est dans la situation où nous sommes. La majorité présidentielle, elle sert à défendre un projet que personne ne défendra, et à proposer une majorité que, si nous n’existons pas, personne n’imposera 

Voilà le fond de la question qui se pose à nous, et voilà pourquoi le dialogue renoué dans cette famille politique, dans cette grande famille politique, qui s’est, au travers du temps, dispersée, pour des raisons absolument naturelles, et sur lesquelles il n’y a pas à jeter l’opprobre – nous nous sommes dispersés parce que, dans une vie politique bipolaire, le centre a plus de difficultés que les autres. Eh bien, il est temps qu’il se ressaisisse, qu’il se regroupe et qu’il présente au pays le seul chemin pour en sortir. Voilà pourquoi j’étais heureux de cette rencontre. Et voilà pourquoi je trouve que ceci augure d’un autre avenir, pas pour nous, pour la France, et c’est la seule chose qui compte. 

Merci beaucoup."

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