"Cet attentat est un concentré de haine visant à abattre un pays qui a réussi sa révolution"

Invité au micro de Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV/RMC, François Bayrou a estimé que le but de l'attentat du musée du Bardo à Tunis, qui a coûté la vie à 21 personnes mercredi, dont deux Français, était "d'abattre" la Tunisie.

Notre invité ce matin : François Bayrou. Bonjour.

Bonjour.

La Tunisie, cet attentat : marquer un pays qui a réussi sa révolution ?

Abattre un pays qui a réussi sa révolution ! Ce qui est frappant, c’est que c’est un concentré de haine contre la démocratie qui peu à peu s’est bâtie en Tunisie au prix des crispations que vous savez, abattre son économie – le tourisme qui joue un rôle très important et puis plus largement avec l’idée que personne ne peut investir dans un pays déstabilisé et traversé de risques aussi importants donc c’est l’économie que l’on vise – et puis la haine de soi, la haine de son pays, et tout cela au nom d’une course effrénée à la mort.

Un terrorisme mondial, qui égraine un peu partout dans le monde avec une situation géographique de la Tunisie particulière, cette Libye voisine… Est-ce qu’on peut dire que cet attentat est aussi la conséquence d’une intervention catastrophique de l’Occident en Libye ?

Quand on dit « de l’Occident », vous êtes gentil, c’est de la France.

Nous avons une responsabilité ?

Ce qu’il s’est passé en Libye, la création d’un chaos complètement immaîtrisé, une intervention sans vision de l’avenir… Vous vous souvenez, c’est une intervention qui a eu deux phases : la première était justifiée, à Benghazi il y avait la mise en danger de la vie de milliers de personnes et l’idée que l’on protège cette zone par une interdiction d’y apporter des armes et de survol, c’était une idée juste. Mais à partir de là, on a déclenché une expédition – on ne peut pas appeler cela autrement – en tout cas une intervention militaire qui a abouti comme vous le savez à l’effondrement de tout le pays et de tout ce qu’il y avait comme État. Et Dieu sait que Monsieur Kadhafi n’était pas ma tasse de thé… Et donc sans avoir préparé, sans avoir vu ce qui allait se passer, l’intervention militaire de la France a crée un chaos qui a fait se répandre dans toute cette région des milliards de dollars d’armes qui aujourd’hui ont pénétré dans tous les milieux. Et donc l’idée que nous sommes intervenus sans réfléchir en Libye a crée un chaos qui n’a pu qu’aggraver la totalité des conflits qui sont dans cette région. 

En 2003, les Etats-Unis interviennent en Irak…

Nous étions contre et  nous avions bien fait.

Mettre à terre Saddam Hussein, un dictateur, intervenir comme vous l’avez dit en Libye, mettre à terre un autre dictateur, Khadafi… Cela veut dire quoi ? Que nous devons garder les dictateurs au pouvoir ? Cela veut dire que ces interventions sont faites de manière un peu écervelée ? 

Ce sont des situations dans lesquelles il faut éviter d’employer des mots excessifs parce que cela ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu. Vous voyez bien la situation qui a été créée : c’est une situation dans laquelle ce n’est pas la démocratie que l’on a obtenue, c’est le chaos absolu. Et donc il faut avoir suffisamment de mesure et suffisamment de sang-froid pour être devant des situations de cet ordre. Avant d’intervenir militairement, il faut réfléchir de manière attentive à la sortie que l’on va utiliser.

Donc on a bien fait de ne pas intervenir contre Bachar el-Assad en Syrie ?

Comme vous le savez, je l’ai dit à votre micro, j’étais absolument opposé à une intervention en Syrie. Tous les responsables politiques, ou à peu près, étaient pourtant favorables. À mon avis, cela aurait ouvert la voie aux mêmes que nous retrouvons là, c’est-à-dire à tous ceux qui sont fondamentalistes, tous ceux qui veulent ce retour en arrière avec violence et terreur.

Mais cela veut dire quoi François Bayrou ? Cela veut dire qu’aujourd’hui il faut discuter avec Bachar el-Assad ?

Il faut que nous ayons des diplomates qui aient une vision de l’avenir. Vous avez vu les évolutions américaines ? Il faut que nous ayons une diplomatie française qui soit une diplomatie active dans cette région. Et l’idée que l’on devait intervenir militairement pour abattre Bachar el-Assad, il fallait voir les conséquences que cela aurait engendrées. Je ne connais pas un chrétien de cette région du monde - qui sont aujourd’hui des victimes abandonnées à la pire des violences -, je ne connais pas une communauté minoritaire qui pensait que c’état la solution ! Alors il y avait en effet un consensus en France de l’UMP jusqu’au PS, et de gens très respectables, pour intervenir. Moi je n’ai jamais été de cet avis.

Est-ce qu’aujourd’hui, il faut dialoguer avec Bachar el-Assad ? Vous allez me dire que cela est restrictif ?

Oui, ça l’est.

Oui, mais c’est l’un des paramètres.

Il faut hiérarchiser les priorités et savoir dire ce qui est essentiel et ce qui viendra après. Ce qui est essentiel et urgent c’est la lutte contre Daesch, contre le fondamentalisme terroriste qui essaie de prendre le contrôle de toute une région du monde et de millions de femmes et d’hommes. Ça, c’est la priorité absolue.

J’ai entendu dire « ni Daesch, ni Assad ». Vous dites la même chose ? 

Je ne sais pas ce que cela veut dire. L’idée que l’on se trouverait en situation active pour intervenir dans un conflit qui est un conflit interne dans un pays avec la certitude que les pires menaces en profiteront est une idée à laquelle je demande que l’on réfléchisse tous. Monsieur Bachar el-Assad, je me suis comme vous le savez opposé à sa venue à Paris à l’époque où Nicolas Sarkozy lui demandait de venir présider le défilé du 14 juillet avec lui. Ce n’était pas rien ! Dans le même temps où presque, Kadhafi était invité à l’Élysée, à Marigny, avec sa tente de toile. Évidemment, tout cela était extrêmement choquant. Bachar el-Assad est quelqu’un que je considère comme étant en rien un modèle ni quelqu’un à soutenir mais de là à intervenir militairement, à bombarder pour supprimer ce régime et mettre à la place on sait qui, hélas, de manière évidente, alors non je ne partage pas ce sentiment. Lorsque vous êtes à la tête d’un État, en situation de responsabilité, bien sûr il y a plusieurs gens dont vous ne supportez pas les pratiques et cependant vous êtes en situation de réalisme et vous êtes obligés de ne pas être perpétuellement dans l’intervention pour créer plus de désordre qu’il y en avait avant. C’est ce qui s’est passé en Irak, disons les choses comme elles sont. Hélas on voit en Libye le résultat d’une intervention non maîtrisée et non réfléchie.

Projet de loi sur le renseignement : c’est la suite des attentats de janvier en France, aujourd’hui présenté par le gouvernement. Inquiétude de la CNIL : « une surveillance très large et intrusive ». Vous avez des inquiétudes ? Est-ce qu’au nom de la lutte contre le terrorisme, on doit pouvoir tout se permettre ?

Tout se permettre, non. Mais il y a des procédures, des juges, qui maitrisent et contrôlent. Vous ne pouvez pas lutter contre le terrorisme en étant uniquement bien intentionné, sans aucun contrôle de personne. Vous avez besoin d’avoir des armes défensives qui sont à la hauteur de la menace. Vous avez besoin d’avoir – en tout cas pour moi c’est une évidence – un accord à peu près général de ceux qui sont engagés dans la lutte contre ces réseaux et ils disent : « Nous avons besoin de moyens d’intervention, de savoir ce qu’il se passe, de pouvoir intervenir sur les sites, de pouvoir surveiller les dérives ». Je suis pour qu’on leur donne les moyens. Je suis absolument certain que, dans un pays comme le nôtre, avec la surveillance qu’il y aura, on ne va pas se laisser entrainer. 

Vous n’avez pas d’inquiétudes pour les libertés individuelles ? Nous attendons le texte aujourd’hui. 

De toutes façons, le jour où l’on constatera des dérives, on sera là, vous et moi, pour dire que cela ne va pas, parce que la démocratie continuera d’être et l’intervention des citoyens est capable de changer les choses. Je ne suis pas pour la tiédeur.  

Les départementales, on va en parler. Les alliances UDI-UMP-MoDem, j’entends Nicolas Sarkozy nous dire partout qu’il ne veut absolument aucune alliance avec François Bayrou, il vous fait siffler dans tous ses meetings et puis en même temps je vois l’UMP alliée avec le MoDem. Je me mets à la place de l’électeur, que comprend-il cet électeur ? 

Mais il y a 2 choses : il y a des femmes et des hommes qui, sur le terrain, se connaissent, s’estiment – même s’ils n’ont pas toujours été du même avis – et disent « Nous sommes capables de nous unir pour que les changements nécessaires interviennent », ça c’est le terrain et la réalité humaine ; et puis après, il y a une espèce de combat lointain. 

C’est quoi ? C’est une vengeance, un esprit de vengeance, de revanche ? 

Oui, c’est quelque chose de cet ordre. Mais pour moi, cela ne m’intéresse pas. La raison principale pour laquelle un grand nombre de Français n’ont pas voté pour Nicolas Sarkozy en 2012, c’est parce qu’ils sentaient bien qu’il y avait une dose d’agressivité perpétuellement mise en scène qui faisait que l’on opposait les Français entre eux et que l’on créait perpétuellement, pour obtenir des voix, des affrontements. C’est en train de recommencer et c’est à peu près tous les jours que l’on le voit, en effet avec les manifestations excessives que vous indiquez. Pour nous, en tous cas, je préfère les gens qui se rassemblent avec une estime réciproque, une volonté de partager un but à atteindre plutôt que d’avoir des affrontements partisans et des agressivités perpétuelles, non contrôlées chez ceux qui devraient être des responsables au contraire de plein exercice. 

François Bayrou, vous remarquez cela ? Par exemple à travers l’histoire de la cantine de Chalon-sur-Saône, vous l’avez vue cette histoire de cantine, avec ces repas de substitution qui seront supprimés. Vous avez été Ministre de l’Education nationale. 

Je suis maire, en charge des ces sujets aussi. Vous voyez l’état du monde, est-ce que vous croyez que c’est le moment, qu’il est bienvenu d’à nouveau chercher à faire flamber ce type d’affrontement sur les menus des cantines des enfants ou sur les tenues vestimentaires à l’université ? Est-ce que c’est bien le moment ? Est-ce que c’est bien responsable, de la part de ceux qui se présentent devant les Français, qui ont la mission de les guider et de les entrainer ? Est-ce que c’est responsable de faire flamber ces sujets ? Je pense que cela ne l’est pas et je pense qu’il y a mille moyens pour que l’on vive ensemble entre Français qui ont des religions différentes. 

Je vais vous dire un exemple : à Pau, nous travaillons sur le fait que, dans les cantines scolaires, il y aura toujours un menu végétarien à la disposition des enfants. Cela n’a pas de connotation religieuse. 

2 menus tous les jours ? 

Ces menus à la disposition des enfants. Un choix qui pourra permettre à ceux qui, soit ont des préférences alimentaires soit qui sont tout simplement végétariens, soit ont des problèmes médicaux, de trouver une réponse pratique à leurs questions. Cela n’est pas une manière d’opposer, c’est une manière de réunir.

Mais supprimer ces menus de substitution c’est défendre la laïcité, explique le maire de Chalon-sur-Saône. 

Je ne mets pas la laïcité dans l’assiette des enfants. Excusez-moi de vous dire, il y a eu pendant très longtemps, et il y a encore aujourd’hui des millions de famille en France qui ne voulaient pas manger de viande le vendredi, est-ce que c’était défendre la laïcité que de les obliger, ces catholiques à manger de la viande le vendredi ? Est-ce que c’est cela défendre la laïcité ? Et bien moi qui ai beaucoup écrit sur la laïcité - je suis l’auteur de la circulaire sur le voile à l’école – je vous dis que la laïcité ce n’est pas se faire disputer les gens perpétuellement sur leur religion ou leur origine, c’est de permettre que l’on vive ensemble. C’est à dire qu’il y a une partie de la vie, précisément l’école, c’en est une, aussi la vie publique, dans laquelle les convictions religieuses passent après la loi commune. Et si l’on peut faire en sorte que des jeunes juifs, des jeunes musulmans ou des jeunes qui simplement ont d’autres préférences alimentaires soient assis à la même table, avec les mêmes bancs et que simplement ils se comprennent un peu mieux après l’école qu’avant l’école, alors on sert la laïcité. 

Cela veut dire que Nicolas Sarkozy, l’UMP est en train de courir après le Front national ? 

Pas l’UMP, et peut-être pas de courir après le Front national. Ce qui est en train de se passer, c’est qu'un certain nombre de responsables – Nicolas Sarkozy par exemple – voient sur les thèmes du Front national un contingent réservoir de voix. C’est pour des raisons électorales que l’on fait tout cela. 

Purement électoral, politicienne ?  

Ce sont des raisons électorales, c’est s’imaginer qu’en abordant ces thèmes là on va avoir une fortune électorale meilleure. C’est cela la question. 

Mais n’est-ce pas vrai, François Bayrou ? 

Je ne sais pas si c’est vrai, j’ai tendance à penser que non mais en tout cas, je peux vous dire, ce n’est pas de cette manière là qu’on exerce la responsabilité politique. Pour moi, la question principale n’est pas de savoir comment on peut capter le plus de voix en allant faire flamber des choses qui sont dangereuses, la question est de savoir quelles idées défendre, quelles attitudes adopter, quelles pratiques à avoir pour que le pays aille mieux. 

Vous renvoyez dos à dos Nicolas Sarkozy et Manuel Valls ? Qui dit, lui, « J’ai peur du Front national ». 

Je pense que Manuel Valls s’est trompé en choisissant ces thèmes y compris pour sa propre image. Je pense que cela n’est pas lutter efficacement contre le Front national que d’en faire le sujet unique des conversations, que de dire « Le but de ma vie est de vous stigmatiser ». C’est la meilleure manière de servir le Front national. Vous ne voyez pas, depuis des mois, sur vos antennes – pas seulement les vôtres, sur les antennes des radios et des télévisions – on ne parle que du Front national et de Marine Le Pen. Mais elle doit se frotter les mains ! Tous les matins, elle doit se réveiller en disant « Je ne sais pas de quelle manière cela s’est passé mais j’ai vraiment un horoscope sympathique ». 

On a eu le FNPS, les déclarations de François Hollande, celles de Manuel Valls, quotidiennes. 

Vous ne trouverez pas les miennes dans cette liste, parce que ma certitude à moi c’est que le seul moyen de lutter efficacement contre le Front national c’est de montrer : 

Un : que les politiques peuvent se comporter différemment, que les élus peuvent se comporter différemment, que ceux qui parlent aux Français peuvent se comporter avec responsabilité. 

Deux : de résoudre précisément et rapidement les problèmes que l’on peut résoudre, d’apporter des réponses concrètes aux gens qui n’en peuvent plus d’entendre des mots et des phrases à longueur d’émission et de ne jamais voir la réalité changer. 

François Bayrou, puisque vous parliez du comportement des élus, est-ce qu’il faut supprimer l’immunité des parlementaires ? 

En tout cas, il faut la lever chaque fois que le juge le demande, dès l’instant que l’on vérifie qu’il n’y a pas une manœuvre derrière tout cela, il faut que les parlementaires soient des justiciables comme les autres. Il faut qu’ils soient des justiciables comme les autres, des contribuables comme les autres, car si les parlementaires étaient soumis à la même loi fiscale que les autre, peut-être ne voteraient-ils pas les impôts avec autant d’allégresse. Il faut qu’ils soient des citoyens comme les autres, c’est à dire qu’ils ne soient pas ou qu’ils ne donnent pas le sentiment d’être dans un univers de privilégiés, qu’ils donnent le plus possible le sentiment de partager la vie des citoyens dont ils ont la charge, ou dont ils sont chargés de dire la voix. 

Merci François Bayrou d’être venu nous voir ce matin.  

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