"Pour faire revivre la démocratie, libérons l'énergie du pays"

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Dans un entretien au journal Réforme, Jean Lassalle délivre un message d'espoir pour le pays. Pour le député, notre redressement "viendra du peuple", à condition qu'il soit enfin mis "au coeur du jeu" politique.

Réforme - Le 10 avril, vous avez entrepris votre Tour de France, non pas à vélo, mais à pied. Combien de kilomètres au compteur, à la date où nous parlons ?

Jean Lassalle - On les compte pour moi. Je pense que c’est de l’ordre de 1700 km. Le matin, il m’arrive d’être « vétuste » et complètement endolori ; et le soir, je termine comme un boulet de canon. Hier, j’ai fini à 1 heure du matin. Nous avons été reçus chez un ancien chasseur alpin qui avait été sidéré du peu de temps que nous avions mis, avec ceux qui m’accompagnaient, à parcourir les dix derniers kilomètres. C’est dans la tête que ça se joue.

Marcher, c’est se remettre physiquement à l’échelle réelle du territoire. Est-ce que, en soi, ça vous apprend quelque chose ?

J'apprends d’abord beaucoup sur moi, cette marche me rend humble. Et il me semble que je rajeunis. Je retrouve ce qui a construit ma jeunesse, c’est-à-dire le sens de l’effort physique ; non pas pour se faire souffrir, mais parce que c’est nécessaire, comme lorsque nous faisions les transhumances. C’était très dur : mon père avait des chèvres qui, le soir, refusaient de rentrer. Au retour de l’école, je partais avec ma sœur, et on se tapait des heures de marche dans la montagne pour les récupérer. J’ai donc beaucoup marché et couru dans ma jeunesse, et c’est un élément qui m’a permis de m’ouvrir. J’étais quasiment muet jusqu’à l’âge de 17 ans, tellement j’étais timide. La marche que je fais actuellement a un rythme très variable. Hier, j’ai parcouru un kilomètre en quatre heures parce que je faisais beaucoup de rencontres. La marche donne les meilleures conditions pour rencontrer les gens. Je n’ai pas de micro caché, ni une armada de gens qui me suivent ; alors, les gens parlent. Donc, aujourd’hui, je n’ai pas la moindre idée de l’étape que je vais faire. Mais là où je me sens le mieux, c’est quand l’organisme est lancé et que j’avance.

J’ai remarqué que la marche favorise la méditation : on pense constamment.

Comme votre corps est animé et que vous voyez défiler autour de vous un spectacle permanent (des gens, des maisons, des paysages…), ça stimule considérablement la réflexion.

C’est une véritable aventure que vous vivez, si loin de vos Pyrénées natales.

Hier, on m’a indiqué un raccourci dans une forêt vosgienne de 5 000 ha, qui me faisait gagner 10 km. Comme j’étais en retard, j’ai semé mes accompagnateurs : il était 19 h, il me restait 20 km, dont 10 de forêt. On m’avait perdu de vue, et j’ai échappé de peu au plan Épervier ! Je ne sais pas toujours où j’atterrirai le soir.
J’ai écrit un peu ce matin. J’ai une très bonne amie qui est décédée à Lourdios-Ichère, mon village ; il va m’être impossible d’aller à son enterrement, et je ne sais pas comment le dire à la famille, ni à ma famille. Demain, je dois entrer à Strasbourg : impossible de manquer ce rendez-vous. Tous ces sentiments sont décuplés par cette marche que j’ai entreprise.

J’ai l’impression que vous avez eu confirmation de choses que vous saviez, et que vous avez appris beaucoup d’éléments que vous ignoriez, notamment l’ampleur du désespoir qui existe en France.

Je ne pensais pas qu’on en était déjà là. Ensuite, je découvre les jeunes pour la première fois. Dans mes campagnes électorales, je n’en voyais aucun, si ce n’est des copains de mes fils qui faisaient un effort surhumain pour venir me dire bonjour ! Mais là, ils viennent, et ils viennent même marcher. Quel que soit leur niveau d’études, la politique, ils n’en ont strictement « rien à battre ». Ça ne fait pas partie de leur monde, surtout ceux qui sont nés après 1990, c’est-à-dire ceux qui sont rentrés de plain pied dans l’informatique et Internet.

À quoi attribuez-vous cette indifférence politique ?

Ils fonctionnent en circuit fermé avec leurs propres informations. Nous, leurs parents, nous n’avons pas de grille de lecture commune comme cela se faisait auparavant entre pères et fils et mères et filles. Ils ont le sentiment de devoir participer à une vie qui n’est pas la leur. Ils n’ont aucune idée de leur avenir, mais sans que ce soit forcément une inquiétude. Ils sont un peu « africains », un peu fatalistes. Ils sont rivés à l’écran, notamment du téléphone portable, ils tweetent sans arrêt. Ils préfèrent parler d’autre chose que de politique.

Mais alors, ils veulent parler de quoi ?

Ils sont préoccupés par le sort des déshérités, par notre gaspillage au milieu d’un monde où des gens meurent de faim. Ils voudraient créer une autre société, agir plutôt que discourir, mais on ne leur a pas appris à avoir de la constance pour concrétiser leurs aspirations. La dislocation des familles qui s’aggrave depuis trente ans, c’est un élément lourd qui perturbe leur identité. Ils sont à la recherche de référents dont ils disent par ailleurs ne pas vouloir. C’est assez profond.

En parlant d’identité, vous rencontrez des gens qui se sentent noyés dans la mondialisation, qui exècrent l’Europe. Le problème de fond de la France n’est-il pas un brouillage des marqueurs identitaires ?

C’est certainement le problème numéro un, j’en suis de plus en plus convaincu. Notre pays est trop pétri d’une longue histoire commune pour supporter ce brouillage, et ça va arriver aux autres pays.

Après les Cahiers de l’Espoir que vous allez mettre en forme, que fait-on ? Y a-t-il des amorces de solutions, ou bien en est-on au stade du constat ?

Les élus sont dans la phase de proposition : ils ont envie de réagir. Il faut laisser faire, car cette démarche ne peut venir que de la volonté du peuple de s’impliquer à nouveau. Et si vous avez le malheur de dire : -On va faire ceci et cela, on vous répond : -Ça y est, vous nous menez en bateau, vous avez un plan déjà tout fait !
Il faut donc que j’arrive à traduire la profondeur de ce qui est exprimé dans les Cahiers de l’Espoir. L’idée majeure qui sous-tend mon action, c’est qu’il faut arriver de nouveau à remettre le peuple en jeu. Il est le grand absent des vingt-cinq ou trente dernières années, avec des politiques qui n’en font qu’à leur tête et qui, pire encore, ne savent même pas où ils vont !
L’accueil que je reçois est extrêmement touchant. Les gens comprennent que je ne peux pas faire de miracles… mais ils ne m’en demandent pas. Ce qu’ils attendent de moi, c’est de pouvoir s’exprimer, de faire savoir ce qui remonte très rarement dans les média, en tous cas sous la forme où ils le disent. Je les incite à aller voir mon site de se réunir entre eux, ou en conseil municipal, à réfléchir collectivement pour élaborer une vision partagée de ce qu’ils vivent.

Vous êtes très proche de François Bayrou, qui contribue à la rédaction de vos comptes-rendus. Vous êtes respectivement Président et vice-Président du MoDem, un parti aujourd’hui réduit à fort peu d’adhérents, mais vous êtes respectés.

Nous sommes très proches. C’est lui qui rédige ma chronique à partir d’échanges ou de messages enregistrés que je lui laisse. Il y a entre nous une amitié très forte qui résiste à nos quelques désaccords et c’est ce qui plaît aux gens alors que, en politique, on voit plutôt des couteaux plantés dans le dos. Nous, nous restons ensemble ; quoi qu’il puisse arriver, nous nous comprenons.
Quant au MoDem, je pensais que je n’en verrais plus que quelques reliquats ; eh bien, je rencontre sur ma route des militants organisés qui ont des étoiles dans les yeux ! Je ne sais pas comment ils ont survécu. Ils sont de tous les âges. Ils me rappellent les jeunes qui suivaient Mitterrand en 1975, avec l’espoir de changer la France et peut-être le monde. Ces gens sont incroyablement déterminés, ils ont passé plusieurs stades de souffrance (aujourd’hui, se dire adhérent du MoDem, c’est déclencher un petit sourire en coin). En plus, ils tombent sur leur seul député qui fait une démarche apolitique (je ne marche pas du tout pour le MoDem), mais ils le comprennent très bien.

Vous avez parlé ailleurs de la haine envers le personnel politique. Ne vient-elle pas de cette malhonnêteté qui nous explose au visage tous les jours ? Avoir confiance en deux ou trois hommes politiques honnêtes, ne serait-ce pas le début de la solution ?

Ce n’est pas suffisant. Car il n’y a pas que les scandales : il y a ces programmes de grande ampleur présentés lors des élections présidentielles, et qui aboutissent systématiquement au contraire de ce qui est annoncé dès qu’on accède aux affaires. Par exemple le Pacte européen que Hollande avait juré de ne jamais signer, et qu’il a ratifié deux mois plus tard… Et on n’a pas oublié ce fameux référendum sur la Constitution européenne où, en 2005, le Non a été complètement outrepassé, ce qui inquiète même les pro-Europe ! La politique, on l’a oublié, c’est avant tout de l’idéal. La France a besoin de vivre sa démocratie depuis la base : celle-ci commence au pied du clocher, au pied de la Mairie. Il faut restaurer l’État, qui est comme un ver de terre coupé en morceaux qui bougent dans tout les sens.
Il faut très vite injecter de « l’ingénierie d’intelligence » pour mettre ensemble tous ces gens qui ont de l’énergie, mais au milieu d’un océan de résignation. Il faut revaloriser d’urgence l’expérience des anciens, ceux qu’on met à la retraite et qui, dit-on, coûtent cher au pays. C’est un état d’esprit complet qu’il faut changer, et c’est une question de paix ou de guerre. Vous savez, je me suis trouvé tous les prétextes pour ne pas faire cette marche, mais ça s’est imposé à moi, et j’ai aujourd’hui la confirmation qu’il fallait le faire.
Les mois qui viennent vont être déterminants ; Hollande ne terminera pas son mandat. La France n’a plus aucune marge, par exemple au niveau industriel. Dans l’agriculture, il n’y a plus de candidats pour prendre les successions. Les artisans sont des centaines par jour à déposer leur bilan. Le menuisier que j’ai rencontré par hasard hier soir dans un village, gagnait de l’argent il y a dix ans ; aujourd’hui, il n’en gagne plus parce que ce sont les Polonais qui récupèrent systématiquement tous les marchés des fenêtres. Il était le dernier menuisier qui restait dans son secteur.
Face à cette situation générale, je suis persuadé que si nous nous interpellons mutuellement et remarquons les similitudes entre ce que disent les uns et les autres dans les Cahiers de l’Espoir, nous pouvons, au lieu de la défaite annoncée, créer une des plus belles histoires dont notre grand peuple est capable. Les Anglais parlent du French flair. Nous pouvons passer les dix prochaines années à retaper la France. Le peuple français est comme un puissant et beau moteur V6 qui est grippé et, au lieu de se donner des coups de marteau sur les doigts comme on le fait depuis vingt-cinq ans, il faut démonter ce moteur, enlever la couche de rouille que sont la résignation, la colère, le désespoir, faire réapparaître la mécanique, remettre les pistons en état, et recommencer à investir.
Moi, j’ai hypothéqué cinq fois la maison de mon père, mais j’ai fini par gagner de l’argent. On nous rebat les oreilles avec la dette, mais on ne la remboursera que si on regagne de l’argent ! Nous, les quinquagénaires, qui n’avons pas été lumineux jusqu’à ce jour, et qui avons bénéficié de presque tout, nous pourrions nous en sortir et en même temps bien passer le relais à une jeunesse qui se plairait dans cette entreprise, à sa manière, avec ses réseaux informatiques. Mais je ne sais pas comment le faire : il faut que ce soit réinventé par le peuple.

Pour l’instant, vous en êtes au stade du défrichage.

Du défrichage, de l’écoute, du constat, mais aussi de l’émergence des premières idées.

Retrouvez l'interview en intégralité en cliquant ici.

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