"Notre responsabilité est d'offrir une proposition politique différente pour l’avenir du pays"

Au micro de Jean-Jacques Bourdin, François Bayrou a analysé point par point tous les sujets d'actualité : accord entre Cuba et les États-Unis, indépendance nucléaire de l'Iran, crise ukrainienne, privatisation des autoroutes et bien sûr l'effort de rassemblement indispensable à la reconstruction du pays.

Notre invité ce matin est François Bayrou, président du Mouvement Démocrate et maire de Pau. François Bayrou, bonjour !

Bonjour.

Cuba, les Etats-Unis, un peu plus de 50 ans de gel, de guerre froide, et voilà qu’un accord est trouvé. Le mot « historique » est employé mais pour une fois il est bien employé !

Cela montre une chose extraordinaire, c’est que les hommes peuvent parfois changer le cours de l’Histoire. On n’est pas sûr que ça réussisse à chaque fois, mais ici je crois que c’est la bonne volonté des deux présidents ou chefs de l’exécutif des Etats-Unis et de Cuba – et de Barack Obama en particulier dont on disait qu’il avait disparu – ainsi que du pape François qui a joué un rôle déterminant dans cette affaire, d’inspirateur, de lien, de chaînon manquant entre les uns et les autres. C’est un temps qui ne comporte pas beaucoup de bonnes nouvelles, c’est un temps dans lequel il y a beaucoup d’incertitudes et d’inquiétudes, beaucoup de menaces et cela est une bonne nouvelle.

François Bayrou, est-ce que ça veut dire maintenant que Barack Obama se doit de trouver un accord avec l’Iran, qui est la deuxième étape dit-on ?

Je pense que c’est dans son esprit. Et tout le monde voit bien qu’il n’y aura pas d’apaisement progressif dans cette région de l’Orient sans que l’Iran n’en soit partie prenante. J’ai l’impression comme vous que les dirigeants iraniens, en tout cas pour une partie importante d’entre eux, ont à l’esprit cette normalisation des relations autour de la question nucléaire militaire et nucléaire civil. Nucléaire civil oui, nucléaire militaire non. Comment peut-on donner des garanties sur l’un sans porter atteinte à l’autre ?

Est-ce que l’Iran doit obtenir son indépendance nucléaire ?

L’Iran a le droit d’avoir des centrales nucléaires civiles, ce n’est pas nous qui allons leur dire non. C’est un grand peuple avec une grande histoire, des chercheurs, une science importante et pour moi cela ne devrait pas se discuter. La question est la suivante : est-ce qu’il y a un détournement de l’usage du nucléaire civil vers le nucléaire militaire dans une région qui n’a vraiment pas besoin que l’on ajoute à ses tensions, ses risques et ses menaces ? Pour moi en tout cas, l’effort qui est fait en direction de l’Iran est justifié.

Autre effort possible en direction de Vladimir Poutine. Est-il temps maintenant d’ouvrir de véritables négociations avec lui ?

En tout cas, l’idée que l’on accule la Russie, que l’on met le gouvernement russe dans une situation dont il ne peut sortir que par des crispations immenses, cette idée à mon avis mérite d’être remise en question. L’avenir de l’Europe est dans des relations apaisées et constructives avec la Russie ! Ce sont nos premiers voisins, c’est une civilisation qui est intime de la nôtre, avec un régime politique dont tout le monde voit les limites. On est rentré dans une guerre froide nouvelle et dans un affrontement larvé. Poutine a gagné l’affrontement militaire, il a perdu l’affrontement économique. Sans doute est-ce le moment pour que l’on puisse, nous les Européens, tendre la main pour régler à la fois la question ukrainienne et la question du désenclavement de la Russie.

François Hollande a commencé en allant rencontrer Vladimir Poutine.

Il a bien fait.

Est-ce qu’au niveau européen, l’Europe doit prendre une initiative commune pour aller ouvrir un dialogue ou du moins accélérer un dialogue avec la Russie ?

C’est le moment pour l’Europe de prendre une initiative sur le dossier russe. L’affrontement qui arrive à des tensions impossibles est un danger pour nous mais aussi pour le monde.

Mais où est l’Europe ? Vous êtes un Européen convaincu ! Où est-elle l’Europe diplomatiquement parlant ?

Deux choses. La première : on a parlé des initiatives de François Hollande à l’échelon international. Je considère que la France tient son rang internationalement. Je pense que dans les diplomaties, la France est présente et elle fait ce qu’il faut. Elle ne fait pas ce qu’il faut en revanche dans l’ensemble européen. Autant elle est présente à mon avis à un bon niveau dans le concert diplomatique mondial, autant elle est faible dans l’ensemble européen. La France ne joue pas le rôle de leader qui devrait être le sien dans ce cadre.

Mais pourquoi ? Parce qu’elle est faible économiquement ? Parce qu’elle est en déficit ? Parce qu’elle ne tient pas ses promesses ?

Jean-Jacques Bourdin, ce n’est pas devant moi que vous allez plaider la cause des équilibres qui ont tant manqué à notre pays depuis longtemps. C’est un combat que je mène depuis 15 ans, vous le savez. Ceci est une faiblesse grave de notre pays, cela entraine notre dégradation et notre recul d’influence au sein de l’Union européenne. Vous dites que c’est à cause de notre situation économique, mais je crois que ce n’est pas uniquement cela. C’est parce que nous n’avons pas de projet européen à porter ! Nous n’avons pas de modèle européen à défendre ! Nous ne disons pas ce que l’Europe devrait être ! Nous jouons comme beaucoup de pays assez bien une carte française dans les relations internationales mais nous ne sommes pas leader à l’intérieur de la famille européenne que nous formons.

C’est parce que les Allemands ne le veulent pas ?

Je ne le crois pas. Je pense que les Allemands sont ouverts à une orientation de l’Europe qui serait meilleure. Moi, je ne suis pas de ceux qui accablent ou attaquent sans cesse Jean-Claude Juncker. Je pense que le nouveau président de la Commission européenne a ce qu’il faut d’expérience et de densité pour porter l’Europe plus loin et plus vite que sa situation actuelle.

Cela ne vous gêne pas qu’il ait dirigé un pays qui soit un paradis fiscal ?

Monsieur Bourdin, je vais vous dire des choses précises : on accuse les autres d’être des paradis fiscaux, mais faites le tour de l’Europe et vous allez vous rendre compte que beaucoup de pays – l’Irlande, les Pays-Bas qui ne sont pas des pays soupçonnés d’être horribles du point de vue de leur législation – et la France ont fait voter ou ont signé des dispositions qui réservent à un pays comme le Qatar des avantages fiscaux tels qu’ils sont exonérés d’impôts sur un certain nombre de plus-values. C’est exactement la même chose que ce que le Luxembourg a fait. Alors nous attaquons et méprisons les autres mais nous ferions mieux de regarder ce que nous faisons et que tous les pays font ! C’est vrai que le Luxembourg, qui est un tout petit pays, a en partie attiré les entreprises en leur donnant des avantages fiscaux de long terme mais nous, nous avons supprimé les impôts, et c’est encore plus fort sur un certain nombre de plus-values.

Les autoroutes : est-ce que la résiliation des contrats est crédible, franchement ?

Non, je ne le crois pas. Vous savez que je me suis battu contre la privatisation des autoroutes tout seul au point que je suis allé à titre personnel, en tant que simple citoyen, au Conseil d’État pour contester la décision qui avait été prise par le gouvernement de l’époque de privatiser les autoroutes. Je considérais que c’était un manquement à l’intérêt national et que c’était de surcroit un manquement sur lequel on ne pourrait pas revenir ! Quand vous avez signé un contrat bétonné s’agissant d’autoroutes, en béton armé, qui a été écrit par des juristes de haut vol, qui savaient exactement ce qu’ils faisaient, je pensais que c’était un aller sans retour – c’est l’expression que j’avais utilisée – et nous en sommes là aujourd’hui.

Ségolène Royal était à votre place il y a deux jours. Elle dit « je vais faire en sorte que les péages n’augmentent pas en 2015 ».

Ceci est tout à fait autre chose. Vous voyez bien que l’on traite de deux sujets totalement différents !

Oui, totalement.

La résiliation des contrats nous coûterait entre 40 et 50 milliards d’euros. Est-ce que vous croyez que nous les avons dans un pays où nous cherchons à équilibrer nos comptes ?

Non.

Donc ce n’est pas possible. Je crois que c’est un leurre. Si le gouvernement veut s’y lancer, on verra mais pour ma part je ne le crois pas. Ce que dit Ségolène Royal est tout à fait autre chose : elle dit « on va ouvrir une négociation un peu musclée avec les sociétés d’autoroutes pour nous intéresser à la stabilité – peut-être un jour à la baisse – du prix des péages ». 

C’est tout à fait autre chose. Mais pour moi, je considère que la décision qui a été prise il y a 9 ans a été extrêmement discutable et même insupportable au regard de l’intérêt national. Ce matin, sur une radio, Dominique Bussereau, qui était Ministre des Transports, a dit – si j’ai bien entendu – que l’on avait bradé les sociétés d’autoroutes. 

La carte de France des 13 régions, cela vous convient ou pas ?

Si vous regardez la carte de France, vous vous apercevez – et je ne connais aucun spécialiste qui dise le contraire, hors politique – que c’est une absurdité. Vous avez des régions qui sont des mégas régions, et d’autres qui sont toutes petites, et on considère que cela va bien. Cela part d’un à priori ou d’un principe qui est à mes yeux faux, qui est que plus c’est gros et mieux cela marche. Ceci est une absurdité. Plus c’est gros, plus vous êtes obligés d’embaucher des fonctionnaires ! Par ailleurs, la question des départements – c’est la question centrale : comment faire pour que départements et régions, ces deux entités administratives, qui font la même chose, s’occupent tout deux d’aménagement du territoire – subsiste donc on aura toujours plus de doublons et toujours plus d’augmentations de frais généraux du nombre de fonctionnaires.

Donc cela ne réduira pas les coûts, ni le nombre de fonctionnaires territoriaux ?

Absolument. Et plus encore, cela porte atteinte à quelque chose qui est essentiel dans la décentralisation : le besoin d’identité d’une région. Une région, pour qu’elle ait une volonté, il faut qu’elle ait une identité. Mélanger, dans notre cas, Aquitaine Poitou-Charentes et Limousin, cet ensemble qui va faire 1300 km ou quelque chose comme cela de frontières, qui n’a pas de culture commune, à côté de Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, tout cela c’est incohérent. Cela a été fait sur un coin de table pour des raisons politiciennes et pour moi cela ne représente pas l’intérêt national. Si vous regardez les régions des autres pays, il n’est pas vrai que plus elles sont grosses, mieux elles se portent. Donc je suis extrêmement déçu et choqué par la manière dont tout cela a été fait, sans logique et sans raison.

Votre région, quelle sera la capitale ? Bordeaux ? 

Logiquement cela va être Bordeaux.

Elle va s’appeler comment ?

Elle va sans doute s’appeler Aquitaine.

Aquitaine, la grande région ?

On entend dire cela. En tout cas, vous savez les humoristes disent qu’elle va s’appeler « APOIL ». A comme Aquitaine, POI comme Poitou-Charentes et L comme Limousin. Mais ce sont les humoristes et je me garderai bien de répéter au micro leurs choix.

François Bayrou, est-ce que vous ne poursuivez pas, politiquement, une chimère ? La France gouvernée au centre, le Centre n’a jamais vraiment gouverné. Aujourd’hui on vit dans un système politique qui est complètement bloqué, avec la droite et la gauche. 

Alors Jean-Jacques Bourdin, vous vous trompez complètement, absolument sur ce point, parce que résumer le débat politique à ce qu’il est aujourd’hui ou à ce que l’on nous annonce qu’il va être…

Mais c’est vous qui le résumez ainsi, les hommes politiques.

Vous m’accorderez de m’être battu toute ma vie avec le centre français contre cette fatalité, ce désespoir affiché. 

Vous vous battez vraiment.

Se battre est déjà formidable. Il y a tant de gens qui ne se battent pas, qui ne considèrent que leur intérêt personnel. Mais on ne peut pas résumer l’avenir de la France au retour de l’UMP au pouvoir.

C’est ce qui va se passer ? C’est ce qui se passe dans les élections locales. 

Jean-Jacques Bourdin, c’est ce que l’on voudrait nous faire entendre. 

C’est ce que Nicolas Sarkozy voudrait vous faire entendre.

Nicolas Sarkozy est une chose, moi je parle des Français. Ils ne peuvent pas se résoudre, accepter la fatalité, de voir le débat politique se résumer à la carte forcée du retour de l’UMP au pouvoir. Non pas qu’il n’y ait pas des gens bien à l’UMP, il y en a. Et j’en ai comme ami, de même que j’ai des amis dans la plupart des formations politiques françaises. Cela n’est pas la question.

Vous êtes l’épouvantail de l’UMP. Vous êtes parti. Dès qu’il y a un épouvantail à brandir, c’est François Bayrou, l’homme qui a fait élire François Hollande.

Très bien. Au moins cela prouve que l’on peut changer les équilibres de la vie politique française, et c’est bien le but que je me fixe. Ce que je me fixe, c’est qu’apparaisse dans la vie politique française une autre proposition politique que simplement le retour de l’UMP au pouvoir, non pas pour exclure l’UMP – il y a encore une fois des gens que j’estime dans cette formation -. Mais l’idée générale qui consiste à faire une restauration du parti qui a eu les responsabilités du pouvoir pendant 10 ans – et on vient d’évoquer un certain nombre de décisions qui ont été prises -  cette idée-là ne me satisfait pas et il est de ma responsabilité - et de celle d’autres dirigeants s’ils souhaitent un centre autonome et indépendant – de faire apparaître une proposition politique différente pour l’avenir du pays.

Ce que vous n’avez pas dit dans votre présentation des élections locales qui montrent chaque dimanche que c’est l’UMP qui gagne, c'est que le FN est au second tour et qu’il est battu à tous les coups. Ce qui fait qu’une fois de plus, il n’y aura pas de représentation pour cette frange des Français qui représente pourtant 25%, peut-être 30% parfois à certaines élections, c’est une injustice colossale.

Je me suis battu contre le Front national, mais que 25 ou 30% des Français se voient totalement privés de représentation, est-ce acceptable pour un esprit citoyen ? Pour moi, cela ne l’est pas. Donc, ce que vous avez oublié de dire pour ces élections locales, c’est que le chiffre le plus frappant est l’incroyable taux d’abstention, 70-75-80%. C’est parce qu’il n’y a pas d’offre différente, indépendante, originale, constructive, attractive, et c’est cela que nous avons à construire. Je ne me résouds pas à voir uniquement une seule offre.

C’est construit autour d’un homme ? De l’ambition d’un homme ? Nicolas Sarkozy à l’UMP selon vous ? 

Pas du tout, c’est construit autour d’une mécanique qui est une mécanique de balancier dont la France a terriblement souffert depuis des décennies et qui fait que notre pays n’a pas pu porter son propre modèle et sa propre vision alors que d’autres le faisaient.

Mais, François Bayrou, on est bien d’accord, les Français demandent le renouvellement.

Vous dites « mes auditeurs sont d’accord avec ce que vous dites », ce que je crois être vrai.

Pas tous. 

Pas tous. 

Mais regardez, quels sont les deux hommes politiques qui progressent le plus en ce moment dans toutes les enquêtes d’opinion ? À gauche, Emmanuel Macron ; à droite, Bruno Le Maire. Renouvellement de la classe politique. Et que nous propose-t-on ? Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy, François Hollande. C’est cela le renouvellement de la politique ?

Alors tout ne se résume pas dans l’âge du capitaine. Il faut du renouvellement, mais le renouvellement cela se gagne aussi. Je veux dire qu’il est légitime et normal que chacun fasse son parcours, ses expériences. Mais on a vu à une période récente que manquer d’expérience n’était pas une bonne chose pour un pays. Pour moi, ce n’est pas cela la question. Elle est dans la vision. Est-ce que ce que l’on défend est quelque chose d’ouvert, intéressant,  constructif, novateur, apaisant pour un pays ? 

Donc pour vous c’est Alain Juppé, vous vous rangerez derrière lui s’il est candidat. 

Si Alain Juppé est candidat, s’il est choisi par sa formation politique, oui. J’aurais peut-être fait autrement à sa place, mais il a choisi le mécanisme des primaires, s’il est choisi, je n’aurai aucun mal à trouver un accord avec lui et je dirai que c’est favorable pour le pays. 

Vous auriez fait autrement ? Le système  des primaires est noyauté ?

Je l’ai déjà dit à votre micro. Je ne dis pas que le système est noyauté. C’est un mécanisme qui ne respecte pas ou qui ne retranscrit pas les équilibres profonds d’une société et d’un pays, du moins je le crains. C’est ma crainte, ce mécanisme-là qui est un mécanisme adapté d’élections complètement différentes qui sont les élections américaines, cela suscite pour moi plus de points d’interrogations que de points d’exclamations. 

François Bayrou, une dernière question, tout le monde se la pose. Si Alain Juppé n’est pas candidat, vous irez ?

Et bien nous verrons cela ensemble. 

Vous ne rejetez pas l’idée ?

Je ne rejette aucune des responsabilités qui sont les miennes.

Donc ? 

Ne dites pas donc. 

Mais vous ne dites pas non ?

Je n’ai pas dit non. Je redis devant vous que je crois que notre pays a besoin de rassemblements, je suis persuadé que l’on pourrait trouver ces rassemblements si l’on avait cela comme but à atteindre. Mais à la question de savoir est-ce que la vie politique française doit être limitée à l’hypothèse du retour de l’UMP telle qu’elle était au pouvoir, ou bien de l’extrême-droite, à cette question je réponds non. Je considère que nous avons, nous, comme citoyens français, la responsabilité de faire apparaître autre chose, une autre vision de l’avenir que je m’efforcerai de clarifier et de fixer à ma mesure dans les mois qui viennent.

Merci François Bayrou.

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