"Sortons de ce binarisme qui nous tue pour nous rassembler sur un projet"

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Jean-François Kahn propose de "sortir de l’opposition systématique", notamment entre "relance et rigueur", et appelle à la "mobilisation" de toute la France pour engager les réformes nécessaires.

Le fondateur de l'hebdomadaire Marianne, proche soutien de François Bayrou, était l'invité du débat d'Europe 1 Soir, avec Jacques Attali, en fin de semaine dernière.

Europe 1 - Jean-François Kahn, vous publiez chez Plon Comment s’en sortir, et Jacques Attali chez Fayard Urgences françaises. Faites-vous le même constat sur la situation de la France ?

Jean-François Kahn - Je suis assez d’accord avec les constats de Jacques Attali, l’accumulation du chômage, des impôts, l’un frappant la classe ouvrière, l’autre frappant les classes moyennes. C’est-à-dire la conjonction entre le mécontentement des classes moyennes et hautes classes moyennes, la peur d’une grande partie de la bourgeoisie, le mécontentement de ce qu’on aurait appelé le prolétariat en un autre temps, les employés, les ouvriers, etc. Tout cela combiné avec le malaise moral, psychologique presque, est quelque chose de très frappant. Avec en plus une chose qui est peut-être le plus grave : le manque de confiance des Français en eux-mêmes. D’un côté on n’y peut rien, on baisse les bras. Alors on gueule pour son bout de pain, pour son privilège. Les uns raisonnent en disant que c’est la mondialisation. Pour les autres, c’est l’argent qui décide de tout, ou le marché, mais ils n’y croient pas. Et en même temps, une haine de soi incroyable. C’est-à-dire qu’on voit rejaillir, et là ça rappelle l’avant-guerre, des propos antinationaux, anti-soi-même, anti-France en quelque sorte, qui annoncent toujours quelque chose de glauque et de dangereux.

Jacques Attali estime que "la France est peut-être à la veille d’une Révolution".

Révolution, je ne sais pas, mais finalement ce ne serait pas le pire. Ça dépend pour quoi, ça dépend laquelle. Il peut y avoir aussi des émeutes corporatistes qui s’accumulent. Mais il y a d'autres éléments qui peuvent être dangereux. D’abord, le double rejet, que l’on n’a jamais vu à ce point. C’est-à-dire qu’il y a aujourd'hui un rejet très fort de la gauche, mais qui ne profite pas à l’UMP. Les sondages montrent que, par exemple, s’il y avait des Européennes, ils feraient un score beaucoup plus bas que la dernière fois alors qu’on pourrait croire qu’ils flamberaient (...). On ne peut pas mettre sur le même plan les petits privilèges et les énormes privilèges, mais oui il y a aujourd'hui encore des privilèges. Oui, nous pouvons faire une nuit du 4 août comme on disait, c’est-à-dire les mettre tous sur la table. Mais pour ça, pour accepter tous ces sacrifices, il faut dire où l’on va, quel est le projet, quel est l’objectif, quelle est la dynamique etc. Or, là, il y a un déficit terrible de projet, c’est tragique. Peut-être que le Président de la République serait formidable dans un autre temps, il est intelligent, habile. Mais là nous avons un pouvoir qui ne porte pas en situation de crise paroxysmique, qui ne permet pas aux gens de se mobiliser.

Finalement, ce ne sont pas les révolutions qui m’intéressent. D’abord, je crois qu’il y a eu moins de révolutions qu’on ne le croit. Ce qu’on appelle révolution souvent, en analysant en historien, c’est la réaction à une régression de trop. En revanche, la France s’en est toujours sortie, pourquoi on ne le dit pas ? De périodes beaucoup plus graves, beaucoup plus terribles ! Mais comment s’en est-elle sortie ? Toujours de la même façon, ça devrait interpeler. C’est-à-dire qu’à un moment, les gens sortent de leur pré carré, de leur camp, ils passent par-dessus leurs fils de fer barbelé et ils se retrouvent sur un projet. Ils viennent de la gauche, de la droite, du centre, et ils se retrouvent sur un projet. Ça ne veut pas dire l’union nationale. C’est dire : "peut-être qu’on ne se retrouve pas sur tout mais là on est d’accord". C’est Mendès-France, regroupant pour faire la paix en Indochine. C’est de Gaulle, regroupant pour la paix en Algérie. C’est naturellement 44 et la Libération du pays pour une nouvelle société. Aujourd’hui, c’est de nouveau ce qui permettrait un rebond, mais il n’y a pas cette convergence de forces différentes qui se retrouvent autour d’un projet. 

Mais est-il possible en France de mener des réformes ?

Je ne crois pas à cette idée qu’on a entendue mille fois selon laquelle les Français sont rétifs à la réforme, donc ne font pas de réformes et font des révolutions. Je sais bien qu’il fait une différence entre les réformes économiques, structurelles, et les réformes de mœurs. Mais enfin, c’est en Angleterre que les juges ont toujours des perruques, c’est aux Etats-Unis qu’on a encore un crucifix dans les écoles, c’est dans ce pays-là qu’il y encore la peine de mort qui existe. Regardez dans l’Education Nationale, on fait justement trop de réformes et on ne s’y retrouve plus. Je pense que l’idée qu’on ne fait pas de réformes est un peu un lieu commun.

En voyageant dans le monde mais aussi en France, c’est incroyable comme on voit nos atouts. Il y a une France qui innove, qui invente de manière incroyable. On dit toujours du mal des fonctionnaires, mais il y a des fonctionnaires qui se dévouent de façon inouïe. On a des petits industriels qui sont attachés à leur terre, à leur terroir, qui s’y donnent totalement. On a des professeurs qui supportent sur leurs épaules tous les maux de la société et qui là aussi se dévouent complètement. On voit ça, c’est extraordinaire. Mais il y a aussi une autre France, c’est vrai qu’elle existe, celle-là on peut la bouger, une France pour qui la France n’existe pas. Vous avez le gay qui ne s’intéresse qu’à sa sexualité, le Juif qui ne s’intéresse qu’à l’avenir d’Israël – pas tous bien sûr, momentanément – l’écologiste qui ne s’intéresse qu’au gaz de schiste, l’épargnant qui ne s’intéresse qu’à l’épargne etc. C’est respectable, mais la France ? À un moment, ils doivent également s’intéresser réellement à la France. C’est vrai que cette France existe, mais il y a l’autre France, celle qui innove, qui invente, qui imagine, qui accepte beaucoup plus les réformes qu’on ne le dit, qui est prête aux réformes. Simplement, excusez-moi, la première réforme à faire, c’est de changer les institutions.

Vous publiez Comment s’en sortir chez Plon, avec ce sous-titre Je vous en supplie, lisez ça. Vous suppliez les gens de vous lire parce que c’est important ?

Je ne l’ai fait que pour que les gens les lisent. Ce n’est pas le cas de tous les livres. Là je ne l’ai fait que pour ça, qu’il soient d’accord ou pas.

Alors que les autres, vous les aviez faits pour que les gens ne les lisent pas ?

Pour qu'ils les lisent s’ils en ont envie. Mais là, j’ai une rage, une volonté rageuse.

Jacques Attali propose de lancer quelques grands chantiers. Un gouvernement de dix ministres maximum, la fin des départements, revoir la coûteuse formation professionnelle et d’autres choses encore. Vous dites un peu la même chose en disant que l’essentiel, aujourd’hui, d’abord, c’est de réaliser des économies.

Sur la formation professionnelle, je le dis aussi, je suis d’accord. Je ne suis pas sûr qu’il faille supprimer le département en tant qu’entité administrative mais il faut supprimer les conseils généraux et tout ce qui va autour, je le crois aussi. Il faut naturellement regrouper les collectivités, c’est évident, décentraliser beaucoup plus. Cela implique aussi une réforme du système institutionnel. Je ne considère pas qu’au fond, nous avons la stabilité grâce au système français. Entre nous, tous les autres pays autour de nous, à part peut-être l’Italie, qui ont un système totalement différent, un scrutin proportionnel notamment, ont aussi la stabilité. Prenons le scrutin électoral, il faut une dose de proportionnelle. Je vais vous donner un exemple. Berlusconi, c’était une catastrophe, l’Italie allait s’effondrer. C'est parce qu’il n'avait pas de majorité totale, parce qu’il n’y a pas un parti qui a la majorité absolue, qu'ils ont pu le renverser et faire appel à Monti qui a fait une coalition et qui a pu sauver l’Italie du désastre. En France, c’est impossible. Vous avez un type qui pendant cinq ans est désastreux et vous ne pouvez pas le changer. On a gardé Sarkozy, il faudra garder Hollande pendant encore quatre ans… Il n’y a aucune souplesse, évidemment qu’il faut en créer une. Je crois également qu’il faut remettre l’Homme au centre et ne pas accepter un système où l’Etat ou l’argent soit central. Il faut aussi travailler sur les flux migratoires, sur la sécurité, sur le problème de la ghettoïsation, sur le problème de la concurrence et des petits commerces de proximité dont nous avons besoin dans les cités. Un certain nombre de problèmes qui concourent au malaise des Français et à la montée de l'intolérance et de l'extrémisme.

Je crois que ce qui est fondamental, c’est de sortir de ce que j’appelle le binarisme. C’est lié à cette opposition, façon guerre civile, entre la droite et la gauche. "Vous choisissez quoi : la liberté ou la sécurité ?" Ça suffit, il n’y a pas de sécurité sans liberté, ni de liberté sans sécurité. "Vous êtes pour la fermeture ou l’ouverture ?" C’est absurde ! Il n’y a pas le choix entre l’un ou l’autre. On continue à avoir des débats sur la relance par la demande ou l’offre. Attendez, la relance par l’offre, s’il n’y a pas de demande, c’est quoi ? Et essayez une relance par la demande si l’offre ne correspond pas, c’est l'explosion du déficit du commerce extérieur. C’est là où je voulais en venir, c’est comme si tout était comme ça, entre relance ou réduction des dépenses. Mais il n’y a pas d’opposition. Il faut une relance, et c’est parce qu’il faut une forte relance qu’il faut une forte réduction des dépenses, c’est-à-dire une extrême rigueur. Moi je crois que c’est très important de mettre en préalable la nécessité de sortir de ce binarisme qui nous tue.

Vous êtes donc d'accord sur le fait qu'il faut réduire les dépenses ?

Quand on leur dit qu’il faut réduire les dépenses, faire une politique de rigueur, les gens disent que c’est antisocial. Cela s'explique par le fait qu'on a employé le mot "réforme" pour tout : des réformes nécessaires et positives, mais aussi toutes les régressions. À la limite, on supprime le SMIC et les congés payés et on appelle ça une réforme ! Du coup on a mis dans la tête des gens l'idée que parler de réforme revient à prendre dans leur poche. Nous devons modifier cela. Une réforme doit redevenir un plus pour le pays, pour la Nation, pour ce que nous avons en commun. Il faut aussi se méfier de trop globaliser. Évidemment que nous devons avoir le courage d’ébranler les privilèges, mais on ne peut pas mettre sur le même plan le parachute doré, le type qui gagne des millions, ou le taxi qui est un privilège mais sans qu’il y ait commune mesure. Il ne faut pas donner l’impression qu’on globalise. Il y a une énorme différence entre certains privilèges et d’autres. Au fond, ce qui est essentiel, c’est de mobiliser ce qui dort pour le faire travailler, même avec des mesures extrêmement fortes. L’argent qui dort, qui immobilise, qui rigidifie, même si ça flatte des corporations ou autres, nous devons le transformer en argent qui travaille, qui fait fleurir, qui développe le pays. Pour moi, cette transformation de l’argent qui dort en argent du travail est essentielle. 

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