"Un courant politique ne peut pas se sentir piégé parce que ses idées sont reprises"
Invité de Radio Classique | LCI ce jeudi, six jours après les attentats perpétrés à Paris, François Bayrou a dénoncé l'attitude des députés qui se sont écharpés après les événements survenus en plein coeur de la capitale française. "Ils n'ont pas eu une attitude à la hauteur de la dignité exigée", a-t-il confié.
Si vous étiez parlementaire, est-ce que vous voteriez la loi sur le renforcement de l'état d'urgence ?
Oui. Je voudrais savoir ce qu'il y a bien sûr précisément à l'intérieur et parler avec ceux qui sont habitués des problèmes de sécurité et de justice mais oui je la voterais. On a besoin, vous le voyez bien, de renforcer notre arsenal de défense. Les réponses que nous pouvons apporter, et nombre d'opérations qui ont été menées depuis 48h, nous n’avons pu les mener qu'en raison de l'état d'urgence. Donc oui je la voterais.
François Bayrou, ce n'est pas un mystère, vous avez aux environs de 60 ans, est-ce que vous vous rendez compte de la révolution culturelle qui est en train de s'opérer dans ce pays ? C’est un gouvernement de gauche qui crée un état d'urgence face au terrorisme alors qu'il y a encore des années, dans votre jeunesse, les flics étaient suspects, toute forme d'autorité était suspecte. Qu'est-ce qui s'est passé en France ? Est-ce que vous accompagnez, vous, culturellement ce changement de la société ?
L'exigence des temps, ce qui est en train de se passer sous nos yeux, les drames que nous vivons font que l'on a besoin de renforcer notre sécurité et tout le monde le ressent y compris pour sa famille ! Vous avez été frappé comme tout le monde et comme moi : après Charlie, le jour des grandes manifestations, le 11 janvier, de ce que les jeunes applaudissaient les policiers, de ce que les CRS étaient ovationnés et tout cela s'explique parce que l'on se rend compte dans des temps si difficiles qu'au fond notre cercle de famille, nos enfants, nos parents, nos petits frères et soeurs, ce cercle de famille est ce que nous avons de plus précieux et c'est précisément ce que les terroristes attaquent. En face de ces attaques, tout le monde ressent un besoin de solidarité, un besoin de se serrer les coudes et le besoin d'avoir et de rendre hommage à ceux qui font un travail formidable. Ce qui s'est passé à Saint-Denis et puis ce qui s'était passé à l'intérieur du Bataclan, le BRI et le RAID, c’est un travail formidable qui nous permet d'être fiers d'avoir un État. On vérifie là que nous ne sommes pas un pays décomposé. Nous sommes un pays où années après années, nous avons réussi à bâtir un instrument pour défendre et protéger ceux qui sont les plus faibles en face de ceux qui sont des assassins en puissance et en actes.
Voici le New York Times ce matin. On a l'impression qu'il y a des failles dans le renseignement incroyables. Cet homme-ci habite la Belgique, vient de Syrie, il circule par la Turquie, on ne sait pas s'il est dans la région parisienne actuellement à l'heure où l'on parle. C'est quand même un entretien politique qui se passe avec des gens qui circulent dans la région parisienne ou peut-être ailleurs, peut-être armés jusqu'aux dents avec des bombes.
Vous voyez bien que la grande question est l'échange des renseignements ! J'ai été frappé hier - il y avait un article qui indiquait que l'État islamique avait désormais l'intention d'utiliser ce qu'ils appellent des frappes obliques. Qu'est-ce que c'est ? On utilise des Allemands pour frapper en Belgique, des Belges pour frapper en France, des Français pour frapper en Espagne parce qu'ils spéculent sur le fait que les services de renseignements et de sécurité n'échangent pas suffisamment à l'intérieur de l'Europe et on voit bien que la Belgique a servi de nid, de base arrière, pour ceux qui nous attaquaient. Donc il n'y a pas d'autre voie que la coopération entre États décidés à se battre et l'échange de renseignements est une arme précieuse dans la lutte que nous avons à mener. Cela ne veut pas dire que les autres vont faire à notre place, cela veut dire que tout le monde se sentira un jour ou l'autre impliqué, concerné, par ce contre quoi nous avons à lutter.
Hier chez nos confrères d'Europe 1, Christiane Taubira répondait à des questions de Jean-Pierre Elkabbach et visiblement était agacée par ce qui se profilait en matière justement d'état d'urgence. Est-ce un problème politique pour la société française que Christiane Taubira qui semble-t-il - il faut être très prudent - est en désaccord total avec ce qui est en train de se faire ?
J'avais observé les visages pendant l'intervention du Président de la République et il m'avait semblé en effet qu'il n'y avait pas une adhésion complète. Bon, si le ministre de la Justice n'est pas en accord avec ce qui se fait, elle s'en ira !
Elle s'en ira ou d'après vous elle doit partir vu la situation ?
Comme vous l'avez dit, on ne sait pas exactement ce qu'elle pense. C'est vous qui l'avez dit. Il appartient au Président de la République et au Premier ministre de vérifier que le gouvernement est complètement solidaire et que le ministre de la Justice est en adéquation avec la politique de sécurité qu'il propose au pays.
François Hollande dans cette affaire, est-ce une certaine forme de rédemption d'un homme qui vient de la gauche classique et qui a longtemps compris la culture de l'excuse ou est-ce qu'il est en train d'enfumer son opposition en reprenant une grande partie de ses propositions pour amener l'opposition à faiblir aux régionales ou peut-être à la présidentielle de 2017 ? Est-il sincère ou opportuniste ?
Je pense qu'il est sincère et comment ne le serait-il pas après avoir vu ce qu'il a vu ? Il faut imaginer que tous ceux qui ont de près ou de loin mesuré ce qui s'était passé à l'intérieur du Bataclan et sur les terrasses des Xème et XIème arrondissements sont profondément meurtris ! C'est notre pays, ce sont nos enfants ! Donc quelles que soient les divergences que l'on peut avoir avec le Président de la République sur le reste de la politique du gouvernement, vous ne pouvez que faire confiance.
Il n'est pas en train de monter un piège comme l'a écrit le Parisien il y a trois jours à Nicolas Sarkozy et aux opposants ?
Je pense que ce sont les opposants qui se montent des pièges à eux-mêmes. L'attitude de certains parlementaires qui se sont comportés pendant les séances de questions d'actualité - alors que nous étions en deuil national - comme on ne se comporte pas, ils ont eu une attitude qui n'était pas à la hauteur de la dignité exigée. Tout cela fait du tort.
Est-ce que c'est sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy qu'un certain nombre de gens mettent en cause la politique du gouvernement actuellement ?
J'essaie de plaider l'unité nationale, je ne vais pas transformer l'unité nationale en divisions avec les Républicains. Vous savez bien que j'ai avec Nicolas Sarkozy des différences d'appréciation et même d'assez fortes confrontations, pour autant je n'ai pas envie de transformer en polémique. Je dis simplement et tous les Français l'ont ressenti, qu'il y a des moments, des instants et des événements dont la gravité exigerait que le monde politique se dépasse.
Mais s’ils se sentent piégés politiquement : déchéance de nationalité, maintenant on envisage le réarmement de la police …
Un courant politique ne peut pas se sentir piégé parce que ses idées sont reprises, ou alors c’est qu’il est dans un déséquilibre très grand ! Je ne vais pas me sentir piégé parce que le Président de la République a repris l’idée des assignations à résidence, ou de la garde nationale - que j’avais défendue - c’est-à-dire la possibilité de remettre en activité des réservistes pour défendre le sol de la nation. Ce n’est pas un piège ! Il est bon que le Président de la République ait décidé de reprendre, après avoir été sourd pendant longtemps, une partie des idées de l’opposition. Il faut que nous ayons la responsabilité de ceux qui disent que l’intérêt de nos enfants dépasse – de très loin – l’intérêt partisan.
C’est ce que disait d’ailleurs, en partie, Nicolas Sarkozy dans l’entretien qu’il a confié au Monde. Tout le monde se souvient du discours de l’ONU de Dominique de Villepin. D’ailleurs il continue à dire : on ne combat pas le terrorisme par la guerre, c’est un échec. Evidemment ce matin, quand on converse tous les deux, qu’est-ce qu’on voit ? On voit que les bombardements n’ont jamais été aussi massifs et qu’il y a trente-trois djihadistes qui ont été tués. Donc les gens se disent : la coalition internationale bombarde Raqqa et Daesh et il y a trente-trois morts alors qu’à Paris il y en a plusieurs dizaines, on est pratiquement à cent cinquante morts. Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de bizarre dans cette intervention ?
Vous voyez, le grand piège pour des sociétés comme les nôtres, c’est que nous nous désarmions nous-mêmes. Je suis sûr que les terroristes spéculent là dessus : au lieu d’avoir un sentiment d’unité et de soutien à ceux qui - services de renseignement, gouvernement, défense nationale - ont des renseignements que nous n’avons pas et prennent des décisions justifiées, au lieu d’avoir cette attitude de soutien a priori on commence par se diviser.
Je ne suis pas en train de faire l’apologie de la guerre et de la volonté qu’il y ait des gens qui soient martyrisés. Mais enfin ça paraît disproportionné …
Je suis absolument persuadé que dans le souci d’éviter des victimes civiles au maximum on cible des centres de commandement et d’entrainement et l’on fait ce qu’il faut pour éviter qu’hélas il y ait trop de victimes complètement extérieures au conflit, qui seraient des victimes de plus.
Une dernière petite question pour vous, François Bayrou, est-ce que vous trouvez normal que, dans la perspective des régionales, Jean-Yves Le Drian soit maintenu candidat chez lui en Bretagne et comme Ministre de la Défense ? C’est-à-dire que François Hollande ferait une exception à cause de la situation contrairement à tout ce qu’il a déclaré depuis je ne sais pas combien de temps…
Techniquement on ne peut pas changer puisque les listes ont été déposées.
Il y a un problème Le Drian ?
Non je ne veux pas dire ça ! Il y a des moments dans l’histoire des peuples où l’on est obligé de faire la différence entre ce qui est essentiel et ce qui est secondaire. Ce qui est essentiel aujourd’hui pour Monsieur Le Drian c’est le Ministère de la Défense nationale. La Région Bretagne, il y est candidat. Il y aura une majorité dans un sens ou dans un autre, ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel c’est que le Ministre de la Défense nationale soit entièrement plongé dans sa tâche qui consiste à défendre le pays. Tout le pays sent bien que le rôle du Ministre de la Défense est d’être à la tête des armées parce qu’il faut que la France soit défendue au mieux. Je ne veux pas mépriser mais, vis-à-vis de ces évènements, c’est un rôle beaucoup plus important que celui de Président de la Région Bretagne.
Merci beaucoup François Bayrou.