François Bayrou : «Il serait singulier que l’ex-majorité critique le gouvernement sur l’effort à accomplir pour corriger un bilan qui est en réalité le sien»

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Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou au Journal du Dimanche ce 13 octobre 2024.

Propos recueillis par Antonin André 

Cet entretien est aussi disponible sur le site du JDD.

Le JDD. Le gouvernement présente un budget avec 60 milliards d’euros d’économies, deux tiers de baisse des dépenses, un tiers de recettes fiscales. Est-ce la bonne répartition ?

François Bayrou. C’est un budget de crise. Tout le monde aurait souhaité éviter cette situation. Mais la cascade des accidents ces dernières années a engagé des dépenses très importantes et des recettes amoindries. Les Gilets jaunes, le Covid, la guerre en Ukraine, les coûts de l’énergie et de l’inflation, la situation de semi-récession en Europe… Tout cela dans une ambiance française bien connue : « Dépensons toujours plus. » De mémoire, je n’ai jamais vu personne proclamer à la tribune : « Je vous suggère de couper ces crédits. »

Tous, de droite, de gauche, un peu moins du centre heureusement, sont venus en déclamant : « J’exige de l’argent supplémentaire pour l’éducation, pour la santé, pour les agriculteurs, pour la défense, pour les forces de sécurité, pour la justice… » Cette addiction à la dépense publique, je le sais depuis que j’ai fait une campagne présidentielle sur le sujet des déficits et de la dette, personne ne s’en est préoccupé. C’est devant la difficulté qu’on se lamente.

Diriez-vous qu’il y a une culture française de l’aveuglement ? De déni de la réalité des comptes publics ?

Certainement oui. Avec le commissariat au plan, j’ai produit il y a trois ans la première analyse véridique du financement des retraites. Le Conseil d’orientation des retraites les prétendait – c’est ironique –, « légèrement excédentaires ». Son diagnostic occultait soigneusement la réalité qui était que l’État est obligé d’apporter tous les ans entre 30 et 40 milliards pour équilibrer ! Milliards que nous devons emprunter intégralement.

C’est la même cécité qui explique qu’il y ait un écart de 90 milliards d’euros entre les prévisions de Bercy en janvier et la réalité d’aujourd’hui ?

Je vous répondrai par une allusion à la pensée de Péguy que j’aime beaucoup : « Il y a deux impératifs. Le premier, c’est avoir le courage de dire ce qu’on voit. Et le deuxième, c’est d’avoir le courage, et c’est plus difficile encore, de voir ce qu’on voit. » On ne voit souvent que ce qu’on a envie de voir ! Et on ne voit jamais le temps long. C’est la raison pour laquelle je me bats depuis des années pour une autorité chargée de la prévision et de la stratégie. C’est ce dont nous avons manqué. Cruellement.

Comment qualifiez-vous la philosophie générale de ce budget ?

C’est un budget d’urgence. Qui propose à tout le monde de partager l’effort, et c’est courageux, il faudra bien y arriver. J’ai deux signaux d’alerte : d’abord le maintien de l’activité, de la créativité, de l’initiative et de la croissance ; et le deuxième, la recherche d’économies doit être entreprise avec les acteurs de terrain eux-mêmes, et pas imposée à l’aveugle.

Certains responsables politiques issus du « bloc central », Gabriel Attal ou Gérald Darmanin notamment, critiquent les choix budgétaires de Michel Barnier. Vous aussi ?

Je ne relaierai pas leurs critiques pour deux raisons. La première : il serait singulier que l’ex-majorité critique le nouveau gouvernement sur l’effort à accomplir pour corriger un bilan qui est en réalité le sien. La deuxième raison, c’est qu’il y a un moyen très simple de sortir de ces incompréhensions : le débat parlementaire. Le Parlement redevient le lieu des discussions, des négociations et de l’élaboration de compromis. Que ceux qui ne sont pas d’accord proposent des amendements. Qu’ils prennent le projet de budget et qu’ils expliquent comment l’améliorer. Nous verrons sans doute qu’il est moins simple de faire que de dire. Mais je ne suis pas pour qu’on organise la guérilla, surtout quand on appartient au courant principal à partir duquel ce gouvernement a été formé.

2 200 postes supprimés dans l’enseignement. Le ministre de l’Éducation que vous avez été approuve-t-il cet effort ?

2 200 postes pour la France entière, c’est moins que l’épaisseur du trait. Pour prendre un exemple, dans l’agglomération de Pau, les personnels de l’éducation sont au nombre de quelque 2 800. Sur cet ensemble, il faudra économiser 5 postes ! Et dans beaucoup de régions le nombre des élèves baisse… Qui présenterait cet effort comme impossible ?

Les collectivités territoriales sont elles aussi mises sous pression. Le maire de Pau le comprend-il ?

C’est un sujet très sensible. Qui investit en France ? Ce sont les collectivités locales. Elles font marcher le bâtiment et les travaux publics, maintiennent à niveau les écoles, les établissements de santé, les routes… Les collectivités investissent là où l’État n’investit plus. Et elles ne pourront plus investir si l’on dégrade leur financement. C’est mécanique. Il y a des collectivités mal gérées, il faut le dire, mais les frapper toutes sans discernement, c’est injuste et décourageant. Et très dangereux. La dette des collectivités locales, c’est à peine 8 % de la dette totale du pays.

Le gouvernement veut raboter les allégements de charges sur les bas salaires à hauteur de 4 milliards d’euros. Cela ne risque-t-il pas de sacrifier des emplois ?

La « smicardisation » est un piège mortel. Quelle en est la cause principale ? C’est la concentration des baisses de charges sur les bas salaires. C’est une trappe à bas salaires, dont les entreprises ne peuvent plus sortir. Et les salariés non plus. Il faudrait concentrer ces allègements sur les plus jeunes, sur les débuts de carrière, sur ceux qui entrent dans l’emploi.

Autre point de friction, le report de l’indexation des retraites, prévue en janvier, à juillet. Est-ce que cela vous semble injuste ?

Non. Dans la situation qu’affronte le pays, tout le monde doit consentir des efforts. Je pense que la majorité des retraités sait qu’il n’est pas injuste qu’ils y participent.

Sur l’immigration, Bruno Retailleau déploie un discours de fermeté. Il souhaite durcir fortement les conditions d’accueil des sans-papiers. Approuvez-vous son approche ?

Commençons par dire que je ne crois pas à « l’immigration zéro ». Madame Meloni, en Italie, l’avait proclamée à grand son de trompes… Elle vient de régulariser 450 000 clandestins ! La Grande-Bretagne a voté le Brexit sur la promesse de « reprendre le contrôle » de l’immigration. Ils annoncent cette année 800 000 entrées, quatre fois plus que chez nous ! Et quand les Allemands décrètent la fermeture des frontières, le même jour, ils signent un accord avec le Kenya et l’Ouzbékistan pour accueillir plus de 250 000 de leurs ressortissants.

Promenez-vous dans les rues de nos villes, regardez les échafaudages : 80 % de ceux qui y montent sont issus de l’immigration. Allez dans les cuisines des restaurants, qui y travaille ? Très souvent des immigrés. Ceux-là sont utiles au pays ! Toute régularisation devrait poser trois conditions. La première : est-ce que vous êtes prêts à travailler vraiment ? Deuxième condition : est-ce que vous apprenez la langue ? Et la troisième : est-ce que vous comprenez et acceptez l’idée que nous avons des principes de vie en société, notamment la laïcité, qui ne sont pas négociables ?

J’ai rencontré Bruno Retailleau. Je lui ai dit que le sujet d’urgence absolue, c’était la question des OQTF. Aujourd’hui, à peine 7 % d’entre elles sont exécutées, et encore… Les pays d’origine refusent de reprendre leurs ressortissants. Comment contraindre ces pays à les accepter ? J’ajoute qu’il faut aussi que la France n’émette d’OQTF qu’en ayant une garantie raisonnable qu’elle pourra les exécuter. Autrement, comme aujourd’hui, c’est une hypocrisie et une fabrique à clandestins.

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