François Bayrou, invité d'Alain Bentolila et Margaux Sieffert sur RCJ
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, sera l'invité d'Alain Bentolila et Margaux Sieffert dans l'émission "Les Controverses" sur RCJ demain, jeudi 22 décembre, à 11h.
📝 Retranscription de l'entretien :
Alain Bentolila : Bonjour Margot, ravi de vous rencontrer et surtout ravi d’écrire à un ami et quelqu’un que je considère comme ayant fait œuvre très utile dans l’éducation et ça ne court pas les rues. Donc François Bayrou, merci d’être là, vraiment.
Margaux Sieffert : François Bayrou, je le rappelle, vous avez été ministre de l’Éducation de 1993 à 1997 et ministre de la Justice en 2017. Vous êtes aussi maire de Pau depuis 2014, président du MoDem et haut-commissaire au Plan depuis 2020. Et on va parler avec vous deux de la refondation de l’école. Donc on va commencer, si vous le voulez bien, par le classement PISA. On en a déjà parlé dans une précédente émission, je vais rappeler pour nos auditeurs donc Programme international pour le suivi des acquis des élèves. Vous aviez, François Bayrou, comme projet de faire entrer l’école française dans les dix premières de ce classement. Or, en 2019, on a appris que la France était située à la 23ᵉ position, donc plutôt dans la deuxième moitié de ce classement. Comment est-ce qu’on explique un tel score et à quel niveau, finalement, le système scolaire français échoue-t-il ?
François Bayrou : Plutôt à la fin de la deuxième partie. Les classements internationaux qui se succèdent, quelle que soit l’approche, révèlent des faiblesses très lourdes du système éducatif français. Alors, je ne dis pas que tout est parfait dans les classements internationaux. Je pense qu’il faut réfléchir à la manière dont ils sont construits et je pense même qu’il faut les préparer. Il faut préparer les épreuves parce que je connais bien d’autres pays qui les préparent, qui sont mieux classés que nous. Alors, il y a, au sein de l’Éducation nationale, une controverse, depuis longtemps avec les instances. Je les ai moi-même créées. Donc j’ai une petite idée. Les instances qui sont chargées de l’évaluation le disent. En réalité, si on prépare, ce n’est plus honnête. Mais il ne s’agit pas de préparer les épreuves en tant que telles, il s’agit de faire la liste des compétences requises. Et les compétences requises, elles tournent beaucoup autour de la lecture et de la langue. Alain et moi, nous avons très souvent dans notre vie parlé de ce sujet. Et simplement, il faut s’assurer que ces compétences sont acquises et réfléchir aux raisons pour lesquelles elles ne le sont pas et pour lesquelles, d’une certaine manière, on a, en effet, accepté une école qui est une école qui, pour l’instant, ne remplit pas cette obligation, parfois, on a l’impression de plus en plus gravement. Et donc cette réflexion sur les classements internationaux, c’est aussi une réflexion sur l’organisation de l’école, le recrutement des enseignants, la pédagogie, enfin tout ce qui touche à cette mission absolument précieuse et absolument unique de l’école qui est double, qui est de préparer des femmes et des hommes à l’exercice de leurs compétences, leur créativité, leur compréhension du monde dans lequel ils vivent, de leur faculté d’échanger avec nos contemporains, avec leurs proches, leurs amis, dans le monde professionnel. Ça, c’est la première mission, qui comprend les fondamentaux, la lecture, l’écriture, le calcul, peut-être on en parlera. J’emploie le mot de calcul exprès. Je ne dis pas des mathématiques, je dis du calcul, j’allais presque dire de l’arithmétique, de l’histoire pour se repérer dans le temps, de la géographie pour se repérer dans l’espace. Et puis un certain nombre d’acquis culturels qui font notre civilisation. Tout ça est assez simple à définir. C’est la première mission de l’école. Elle doit transmettre ces fondamentaux-là. Et la deuxième mission de l’école, elle doit autant que possible, je ne veux pas dire former, mais permettre l’éclosion d’esprits critiques. C’est-à-dire qu’une femme, un homme, un citoyen au féminin ou au masculin, tous les deux ont la mission de comprendre leur temps et de s’armer pour pouvoir éventuellement peser sur l’avenir de leur époque, de leur société. Et ça commence par juger par l’esprit critique. Ça ne veut pas dire esprit de critiquer, ça veut dire esprit capable de juger. Et ces deux missions-là, elles sont aujourd’hui largement interrogées, pour ne pas dire mises en cause, pour ne pas dire ciblées, parce que nous n’avons pas réussi à trouver la clé. Nous n’avons pas réussi, en particulier ces vingt dernières années, à trouver la clé.
Alain Bentolila : Mais du coup, tu vois, on se tutoie. Mais quand François Bayrou pose ces deux conditions pour une école de l’équilibre, c’est-à-dire, d’une part, la question des fondamentaux et, d’autre part, la question de l’esprit critique, il dit quelque chose d’absolument essentiel. Pardon de dire ça, mais je pense que c’est essentiel. C’est essentiel pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas considérer l’école uniquement comme le grand entonnoir, c’est-à-dire là où on va, si tu veux, mettre des connaissances les unes après les autres, etc. Et vérifier simplement que ces connaissances qui ont été mises dans l’entonnoir sont bien descendues et qu’elles sont encore là deux ans ou trois ans après, ce qui est rarement le cas d’ailleurs. Les deux pôles que tu définis sont très proches, finalement, l’un de l’autre. Parce que quand on dit l’esprit critique, ça veut dire quoi ? Ça veut dire l’esprit de résistance intellectuelle, faire des enfants, surtout dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, qui sont capables de dire non quand il faut dire non, de dire pourquoi ils disent non et de ne pas se laisser manipuler, ne pas mordre à n’importe quel mensonge. Non, il faut, et c’est là la question de l’esprit critique, mais cet esprit critique repose sur une capacité, effectivement, à comprendre des discours et des textes, et on disait tout à l’heure, et ça revient un peu à ta première question, sur quoi portent les évaluations de PISA ? Elles portent sur la question de la compréhension des textes et des discours et c’est là-dessus que nos enfants ne sont pas les meilleurs. Et c’est ça qui est inquiétant. Parce que s’ils ne sont pas bons dans la compréhension, c’est-à-dire cette capacité à la fois de respecter un texte, mais aussi de le mettre en cause, de le questionner, alors effectivement, nous nous trouvons dans une situation difficile. La question n’est pas d’être 24ᵉ à PISA. La vraie question est de se dire qu’on est 24ᵉ dans la capacité de nos élèves à interroger le monde, lui poser les bonnes questions, être capables de réfuter les éléments les plus critiquables dans ceux qu’ils vont trouver, notamment sur les réseaux sociaux. Et là, c’est vraiment là-dessus que nous avons failli. Et c’est vraiment cette pédagogie de la compréhension, ça veut dire bien lire précisément, etc. Mais aussi avoir cette capacité de prendre un texte à bras-le-corps.
François Bayrou : Et d’avoir, comme on dit en franglais, le background, c’est-à-dire, au fond, les soubassements qui nous permettent de comprendre ce que nous lisons. Parce que les mots sont une chose, les concepts sont une chose, les idées contenues dans les mots sont une chose, mais la grille de lecture qui doit être informée par un minimum de culture générale est une autre chose. Dans ce que tu décris, Alain, il y a une tragédie. Permettez-moi de l’énoncer et on va y réfléchir ensemble. La tragédie, c’est qu’il y a un demi-siècle ou trois quarts de siècle l’école française était la meilleure du monde. Si on veut s’arrêter une seconde. La santé française était la meilleure du monde. Le système médical français était le meilleur du monde. Et quelle est cette séquence qui nous a conduits à pareil effondrement ? Parce que c’est un effondrement, pas seulement des résultats, mais c’est un effondrement du moral des acteurs, de ceux qui portent l’école. C’est d’ailleurs la même chose dans le monde de la santé et c’est d’ailleurs pourquoi la question qui est devant nous, c’est la question de la reconstruction, de la refondation. Et c’est tout sauf simple. Alors pourquoi cet effondrement ? Qu’est-ce qui s’est passé exactement ? Je vais risquer des explications qui vont me faire très mal voir. Je pense qu’on a été hypnotisés par une espèce de fascination pour le nouveau et pour du passé « faisons table rase ». Alors, je vais prendre l’exemple des mathématiques qu’on a appelées modernes. J’ai eu une très grande satisfaction l’autre jour, que je confie comme une confidence comme ça. J’ai eu une très grande satisfaction. Alain sait que, du point de vue des mathématiques, j’ai beaucoup bataillé pour dire : « mais ces concepts sont trop abstraits et l’intelligence d’un enfant n’est pas une intelligence abstraite. » C’est d’ailleurs pourquoi nous avions construit une démarche qui s’appelle « La main à la pâte » avec le prix Nobel Georges Charpak, parce que c’est du concret. Et j’ai beaucoup bataillé sur ce sujet et je me suis fait très mal voir, considéré comme rétrograde, conservateur, réactionnaire, tout ce que vous voulez. Et j’ai été l’autre jour, dans le cadre de mes fonctions au Plan que vous avez eu la gentillesse de rappeler, j’étais à l’Académie des sciences et il y avait là les plus extraordinaires mathématiciens de notre temps. Et ils ont dit : « Il y a eu là une rupture dont nous payons le prix tous les jours. » Alors, avoir raison trente ans après, je ne suis pas sûr que ce soit une satisfaction formidable, parce qu’on préférerait avoir toujours, comme temporairement, raison. Mais tu vois bien, on a comme un début de début d’ombre, de commencement de clé pour comprendre les événements.
Alain Bentolila : Malgré les efforts et alors que tu avais ouvert la voie à cette question qui était « La main à la pâte », je vous raconte juste pour que nos auditeurs comprennent ce que c’est que « La main à la pâte », je prends un exemple : une classe d’école maternelle, un jour de soleil, la maîtresse amène ses élèves dans la cour. Elle pose une petite fille au milieu de la cour. On marque une croix là où elle est, puis on regarde l’ombre qui est portée au sol. Il est 9 heures du matin et de 9 heures, 10 heures, 11 heures, 12 heures, 13 heures, 14 heures, on retrace l’ombre à chaque fois projetée par le soleil sur ces enfants cachés par cette petite fille. Et à un moment donné, la maîtresse dit à ces enfants une chose très simple : « Qu’est-ce que vous avez là, mes enfants ? De quoi s’agit-il, quand vous regardez ? » Les enfants disent : « C’est une fleur. » La maîtresse leur dit : « Enfin mes enfants, je ne vous ai jamais demandé de dessiner une fleur. » « Non, maîtresse, c’est vrai. Mais regarde, tu vois bien que c’est une fleur. » Tu vois bien, tu vois bien l’évidence. Et elle les pousse, elle les pousse, elle les pousse. « La main à la pâte », c’est censé pousser pour dépasser l’œil et penser et interpréter ce que l’on voit. Ne pas se contenter simplement de voir et de dire, mais de l’interpréter. Et à un moment donné, une petite fille, timidement : « Maîtresse, je crois que ça a tourné, maîtresse. » C’est un moment divin, magique, où un enfant, tout d’un coup s’élève. C’est l’élévation. C’était ça la vraie question, pourquoi est-ce qu’on l’a promue ? Parce que, dans l’esprit d’un certain nombre de gens, ce n’était pas assez abstrait et théorique. Ça ramenait des enfants à quelque chose qui était trop terre à terre. Et ça explique aussi que ces gens-là n’ont pas grand-chose à faire des enfants normaux, du tout-venant, et que la seule chose qui les intéresse, c’est les enfants particulièrement doués. Et c’est pour cela qu’ils font les mathématiques. Pour eux, les mathématiques sont un outil de sélection chez eux.
François Bayrou : C’est une vision. Celle que tu viens d’exprimer. Très optimiste. Moi, je pense que la maîtrise de ces mécanismes, de cette pratique a été perdue. Je prends un exemple. On parle, aujourd’hui, tous les jours, de milliards d’euros. Qui sait ce qu’est 1 milliard ? Si je devais parier, je dirais il n’y a pas 25 % des Français qui savent ce que c’est 1 milliard. Qu’est-ce qui est plus grand, 3 milliards ou 321 500 000 ? Je ne suis pas sûr que tout le monde ait la bonne réponse.
Je ne suis pas sûr qu’un grand pourcentage de la population sache ce qu’est un hectare. Combien de mètres carrés dans un hectare ? Combien de millions dans 1 milliard ? Cette idée du calcul mental, je prétends souvent pour rigoler que je suis le créateur, le président et le seul adhérent de l’Association française pour le retour du calcul mental. Si tout le monde avait eu à l’esprit ce qu’est l’ordre de grandeur d’un milliard. Qu’est-ce qu’on peut acheter avec 1 million ? Et si tout le monde avait eu ça, on n’aurait pas laissé faire l’endettement du pays comme on l’a laissé faire, ce qui a été un des grands combats de mon engagement politique. Il y a un lien extrêmement étroit entre la culture générale à base des fondamentaux les plus simples et l’esprit civique. Par exemple, on parle beaucoup d’énergie aujourd’hui. Qui connaît la différence entre un watt et un watt-heure ? Entre un kW et un kilowattheure ? Et je vois, à votre regard perplexe, que ma question n’est pas totalement déplacée. Où sont les bases ? Or, ce sont les bases qui permettent la compréhension, l’engagement dans le monde, la capacité de lire un papier, et donc l'esprit civique.
Margaux Sieffert : Et juste pour revenir aux mathématiques qui ont été supprimées en 2019 dans les filières générales au lycée et qui vont être réinstaurées l’an prochain, qu’est-ce que vous avez pensé de cette suppression ? Il y a beaucoup de personnes qui se sont élevées contre ça.
François Bayrou : Je n’aime pas dire du mal des gens. J’étais tout à fait enthousiaste des deux premières années de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation. Et j’ai été beaucoup moins enthousiaste par la suite. J’ai essayé de le lui dire. C’est délicat à dire. Comme s’il y avait des groupes de pression internes au ministère qui, tout d’un coup, s’étaient saisis ou étaient entrés dans les méandres disponibles pour reprendre une partie de leur influence ou de leur pouvoir. Mais ce sont des choses extraordinaires. Je connais un certain nombre de jeunes agrégés, brillants, capables, réellement traumatisés par le poids qu’on fait peser sur eux. J’ai vu des rapports d’inspection, je les ai montrés au président de la République, disant : le cours de ce jeune garçon ou de cette jeune collègue est trop transmissif. Il communiquait quelque chose avec l’idée que le rôle de l’enseignant doit être plutôt de révéler ce que les élèves savent déjà. Je ne dis pas qu’il n’y ait pas un parcours pédagogique là-dedans, bien sûr, mais grosso modo, quand vous avez enseigné les premières bases de la syntaxe latine ou La Fontaine ou quelques vers de Racine, bien heureusement que vous êtes transmissifs. Chacun d’entre nous, quand il parle à ses enfants pour leur révéler quelque chose qu’ils ne connaissent pas, heureusement est transmissif. Ce que je dis, c’est document à l’appui. Et qu’est-ce que ça veut dire ? On passe à une autre partie de ce diagnostic. Ça signifie que l’idée que le prof est, en réalité, le maître dans sa classe. Qu’on le jugera sur les résultats et pas sur les a priori. Cette idée a disparu. J’espère qu’elle va revenir maintenant parce que le président de la République s’est exprimé, encore hier, pour dire « liberté pédagogique ».
Margaux Sieffert : Vous êtes favorable à plus de liberté pédagogique ?
François Bayrou : Je suis favorable à plus de liberté pédagogique avec la vérification que les objectifs fixés sont atteints. Parce qu’il y a mille manières d’enseigner. Et si on jugeait l’enseignement à ses fruits... Qu’est-ce qui est intéressant ? Eh bien, c’est que le petit garçon, la petite fille, la jeune fille, le jeune garçon aient la maîtrise d’un certain nombre de choses, par exemple tout bêtement de l’orthographe. Je sais bien que l’orthographe, on disait autrefois, Alain se souviendra quand nous étions enfants, on disait que c’est la science des ânes. Je vous assure que quand vous voyez un rapport écrit, alors aujourd’hui, grâce à l’ordinateur, on corrige des fautes, mais ce n’est pas ça qui est intéressant. Ce qui est intéressant, c’est que l’esprit et la main soient capables tout seuls d’arriver à une correction de l’expression écrite.
Alain Bentolila : Je peux te donner un exemple qui va te ravir : la mort de l’homme que j’ai toujours espéré ou que j’ai toujours aimé. La question est de savoir si tu mets un e à la fin du participe passé ou pas. Si tu mets un e, c’est la mort. Si tu ne mets pas de e, c’est l’homme. On voit bien, ici, que l’orthographe n’est pas la science des ânes, c’est au contraire la capacité de compréhension, la capacité de l’esprit en fait de se poser, de s’appuyer sur un certain nombre de règles formelles. Et il faut qu’elles le soient, ces règles formelles. Autrement, nous ne pourrions pas communiquer. Et qu’elles distinguent de façon formidable des choses qui, sans cela, seraient confuses.
François Bayrou : Si vous permettez, c’est une illustration de ce que nous disons, en fait. Si nous allons plus loin, ce que je crois dans le domaine de l’éducation, et pas seulement dans le domaine de l’éducation, c’est que nous sommes assis sur une mine de compétences, d’imagination, d’inventivité, de capacités, mine totalement inexploitée. Je dis ça très souvent. Nous avons tous rencontré dans notre vie un, deux, trois professeurs exceptionnels qui nous ont marqués pour toute notre vie. J’ai des visages devant les yeux quand je dis ça. Et vous aussi. Ces profs nous ont fait progresser comme jamais, parce qu’ils ne nous ont pas seulement fait progresser, mais ils nous ont ouvert des portes. Ils nous ont fait passer d’un état d’incompréhension à un autre état qui est un état de compréhension. Et ceci, c’est comme la différence entre zéro et un, la différence entre zéro et un c’est l’infini. Ils nous ont ouverts, mais ces profs-là, qui a profité de leur intelligence et de leur créativité en dehors de leurs élèves ? Personne. Parce qu’on ne les repère pas. Jamais. On ne regarde jamais comment ils travaillent. Et il ne faudrait pas seulement regarder et repérer. Il faudrait étudier leur démarche pour la proposer aux autres. Je ne dis pas l’imposer aux autres parce qu’il y a mille enseignants qui ont trouvé une méthode formidable pour, je ne sais pas, l’histoire, la géographie, le latin, le grec. On pourrait au moins étudier leur démarche. Et puis leurs collègues en profiteraient. Personne n’en profite.
Margaux Sieffert : Est-ce qu’ils devraient alterner, par exemple, l’enseignement en classe avec des formations et de l’autoévaluation aussi pour se remettre à niveau ?
François Bayrou : Pardonnez-moi, c’est de la mécanique administrative, on trouvera la question. On a beaucoup d’imagination pour la mécanique administrative. Mais l’idée : vous êtes un jeune certifié ou une jeune agrégée dans votre classe. Vous pouvez innover, vous pouvez chercher, trouver des méthodes, un ordre de découverte des connaissances et on vérifiera, au bout du chemin, si vous avez fait avancer vos élèves ou pas. Non pas pour vous punir, non pas pour vous juger. Je m’arrête une seconde là. C’est la grande question de l’évaluation pédagogique. Les enseignants qui évaluent leurs élèves n’aiment pas beaucoup qu’on les évalue eux-mêmes parce qu’ils ont peur qu’on les sanctionne. Ils ont peur qu’on les punisse si ça ne va pas. Les enseignants sont d’anciens élèves et ils ont gardé de mauvais souvenirs des évaluations. Et donc il faut découpler l’évaluation de la sanction. L’évaluation est faite pour mettre en exploitation la mine dont je parlais à l’instant, la mine de compétences, la mine de savoir-faire, la mine de générosité. Parce qu’on ne peut pas être enseignant si on n’est pas généreux. On dit très souvent : il faut que les élèves soient heureux dans la classe. Oui, bien sûr, parce que s’ils ne sont pas heureux, ça ne marche pas. Vous ne transmettez pas. Si vous n’arrivez pas à regarder le garçon ou la fille qui est là et que, dans vos yeux, il voit que vous lui trouvez quelque chose de positif, ça ne marche jamais. Donc tout ça est étroitement lié à la générosité humaine et la générosité pédagogique et la générosité de la culture, c’est la même chose. Et donc on a une chose immense à construire pour mettre cette mine en exploitation à condition d’accepter que, je vais me faire encore très mal voir, la règle ne vienne pas d’en haut ou ne vienne pas que d’en haut.
Alain Bentolila : C’est-à-dire qu’il faut découpler la formation des maîtres de l’université toute-puissante.
François Bayrou : Oui, ça suppose que l’université est toute-puissante, mais je crois qu’elle n’est plus toute-puissante.
Alain Bentolila : Mais aujourd’hui, quand tu vas dans les INSPE, puisqu’on les appelle des INSPE maintenant, tu te rends compte à quel point, juste à un chiffre : 2 h 45 en moyenne en île-de-France sont consacrées à l’apprentissage de la lecture. 2 h 45 par an. Pourquoi ? Parce que l’universitaire qui arrive dans l’INSPE, il vient de faire une thèse sur le roman policier du xviiiᵉ siècle. Il arrive et il dit au directeur de l’INSPE : « Cher monsieur, moi, voilà ma spécialité. J’ai ma thèse, je viens d’être nommé et je suis maître de conférences. »
Margaux Sieffert : Donc ce que vous dites, c’est que les universitaires ont trop de poids aujourd’hui dans la fabrication des programmes ?
Alain Bentolila : Ce à quoi a appelé François Bayrou est d’aller chercher les meilleurs talents, ça veut dire donner le pouvoir à ceux qui savent, c’est-à-dire qui ont été dans les classes. Les universitaires n’ont jamais été dans une classe.
François Bayrou : Alain Bentolila, Dieu sait que lui peut en parler, aborder la question de la transmission de la lecture. Question centrale. Alors là encore une satisfaction trente ans ou quarante ans après. Je viens de voir une étude sortir, extrêmement sévère, pour l’approche globale de la lecture, parce qu’il se trouve que la graphie en France, la graphie de la langue française n’est pas une graphie idéogrammatique comme la Chine ou le Japon, c’est une graphie d’abord phono-grammaticale, ça veut dire d’abord on écrit des sons. J’ai beaucoup bataillé sur ce sujet, maladroitement sans doute, dans ces années déjà lointaines, et tout le monde me disait mais il n’y a plus de lecture globale. Alors j’ai fait venir les deux cents manuels, il y en avait un peu plus de deux cents disponibles en vente libre et, sauf un que tout le monde connaît parce que tous les parents s’en servent pour leur propre enfant – la méthode Boscher –, ils étaient tous d’approche globale. Or, cette semaine est sortie une étude, que tu as dû lire, qui dit « c’est une catastrophe » et ça fait cinquante ans qu’on a imposé à des générations d’enseignants, non pas de partir de leur propre créativité pour transmettre, mais de partir de ce qu’on leur imposait comme devant être la loi et les prophètes. Et donc voilà la tragédie. Pourquoi je dis ça ? Pour moi, c’est très important, parce que ce qu’on oublie toujours en France, c’est que les conséquences ont des causes. Le bilan PISA et simplement la capacité d’un jeune diplômé à écrire correctement en français, la capacité de nombre de jeunes enseignants à écrire correctement leur langue. Le doute qui les envahit quand ils ont à transmettre. La crainte de se tromper ou de ne pas être au niveau. Mais si vous n’êtes pas au niveau, ce n’est pas grave, on va vous mettre au niveau, on va vous aider à récupérer le niveau en question. Autrement dit, tout l’appareil de l’éducation, au lieu, je propose que, au lieu de contraindre les enseignants, il se donne pour mission de soutenir les enseignants.
Alain Bentolila : J’enchaîne sur ce que ce que dit François Bayrou avec beaucoup de pertinence. Enfin ce qu’il a dit avec beaucoup de pertinence. Il est vrai que, en français, nous sommes devant une langue dite alphabétique graphologique, contrairement au chinois. Sauf que, les petits Chinois qui apprennent le mandarin, il leur faut neuf années d’études. Nous, nous sommes capables de le faire en un an. Pourquoi ? Parce que nous avons une langue graphophonologique. Bon, elle est bâtie comme ça. Vous voyez une lettre, il y a un son qui est à côté, vous avez un son, il y a des lettres ou des groupes de lettres. Donc il faut rappeler sans arrêt que la base, le fondement même de l’apprentissage de la lecture, c’est l’apprentissage des correspondances entre les lettres et les sons. Mais la question que je pose est, est-ce que ça suffit ? Et là, je réponds non, il ne suffit pas d’être un très bon déchiffreur pour être un vrai compreneur, c’est-à-dire un enfant capable, ce que tu as appelé tout à l’heure de tes vœux, c’est-à-dire capable de prendre un texte à bras-le-corps et de le comprendre, le questionnant, etc. Il faut considérer que l’apprentissage de la lecture se fonde sur la bonne maîtrise des graphèmes et des phonèmes. Mais il faut aussi dire qu’on doit nécessairement accompagner les enfants jusqu’au collège, vers la compréhension des textes et dans leurs différentes acceptions. C’est-à-dire, on ne lit pas un texte de mathématiques comme on lit un conte merveilleux.
François Bayrou : Tu as 10 000 fois raison. Mais il faut ajouter que l’étape un est vitale.
Margaux Sieffert : Il n’y a pas assez de temps scolaire consacré à cet apprentissage de la lecture ?
François Bayrou : Et on se dit qu’on veut aller trop vite et en particulier moi, je suis très frappé par ça, qui a eu la passion toute ma vie. Vous entrez dans une classe je ne sais pas quoi, de CM1. Vous faites lire un texte en lecture vocale tout fort, comme on dit à des élèves. Vous savez déjà qui fera des études supérieures et qui n’en fera pas. Et peut-être on peut remonter encore avant. Moi j’ai envie de lancer une expérience pour accompagner des enseignants qui seraient intéressés par le plaisir de la lecture à voix haute avec leurs élèves. La lecture qu’on partage par la voix. Je suis persuadé qu’on peut faire des progrès formidables. J’ai rencontré récemment des parents qui ont un enfant un peu handicapé. La lecture à voix haute a libéré cette enfant, parce qu’elle a transformé quelque chose qui était exercice en quelque chose qui est plaisir.
Alain Bentolila : Plaisir et don. C’est ça qui est extraordinaire dans la lecture à voix haute. C’est un don. Je t’offre et par ma voix, tu entres quelque part avec moi. Et ça, on ne l’a pas dans la lecture silencieuse. Alors la lecture est éminemment silencieuse, bien sûr, mais ça ne suffit pas.
François Bayrou : Moi je fais ça quelquefois, les soirées d’été avec mes enfants qui sont grands et qui rient parce qu’assez souvent les textes que je choisis sont pour moi très émouvants. Et il m’arrive de pleurer en lisant tellement l’émotion du texte et de la transmission, de cette générosité, de ce don presque amoureux est tel que ça me serre la gorge.
Alain Bentolila : Et je voulais simplement poser à François une question concernant cette désaffection, ce désenchantement de notre jeunesse qui entre dans la carrière, si j’ose dire, ou qui devrait entrer dans la carrière pour le métier d’enseignant. Moi, je suis plus qu’inquiet. Je suis terrifié en voyant à quel point nous avons un mal fou à intéresser de jeunes esprits à venir enseigner. Il y a des tas de raisons, mais moi j’aimerais avoir ton point de vue sur comment est-ce qu’on en est arrivé là finalement, à ce désenchantement ?
François Bayrou : C’est un sujet de réflexion très important. Hors micro, je rappelais tout à l’heure que j’avais écrit il y a plus de trente ans un livre qui s’appelait La Décennie des mal-appris. Je m’étais trompé, ce n’était pas la décennie, c’était le demi-siècle des mal-appris. Donc mon unité de temps n’était pas la bonne et, déjà à cette époque, il y avait désaffection complète. Et une des thèses de ce livre, c’était : nous allons avoir des générations d’enfants de plus en plus nombreux et de moins en moins d’enseignants. Et aujourd’hui, on y est. Il y a plusieurs choses. Je les donne en vrac. D’abord, une chose qu’il ne faut pas oublier : c’est un métier scandaleusement mal payé. Comme j’ai beaucoup d’enfants enseignants, mon sang ne saurait mentir. Je regarde, je leur demande de me dire combien ils gagnent net par mois. Et j’ai des enfants universitaires, maîtres de conférences, doctorants qui enseignent à l’université depuis plus de dix ans, feuille de paie : 1 250 € par mois. Et professeur d’université, titulaire de chaire dépasse 3 000, mais pas de beaucoup.
Alain Bentolila : Moi, j’ai fini. J’ai pris ma retraite à 4 500 €.
François Bayrou : Oui, et tu étais le sommet, au top du top de la carrière, de la réputation internationale. Je ne dis pas ça pour te flatter, c’est la vérité. Et donc vous voyez, ça, c’est un aspect des choses qu’il ne serait pas juste d’oublier. Deuxièmement, il y a une perte de prestige parce que l’enseignant n’est plus considéré comme étant un repère dans la société. Il l’a été il n’y a pas si longtemps. L’instituteur dans un village des Pyrénées lisait Marcel Pagnol, qui est un génie, entre nous, un classique. Lisez Marcel Pagnol et vous allez voir ce qu’était l’instituteur du village chez nous, en plus, souvent, il était secrétaire de mairie pour arrondir ses fins de mois. Et ça lui donnait la double légitimité, la légitimité du savoir et la légitimité administrative, du prestige de celui qui peut aider et qui signe les certificats au nom du maire. Donc perte de prestige. Alain se souviendra que, quand j’étais ministre, on avait fait une étude pour essayer de déterminer quels étaient pour les élèves les facteurs de succès. Est-ce que c’était le niveau social ou économique de la famille ? Est-ce que c’était le niveau culturel ? Eh bien, le facteur principal de succès, c’était l’image de l’école à la maison. Si l’école était considérée à la maison, et je suis de ceux qui savent ce qu’ils disent quand ils disent ça, c’est mon histoire et peut-être la tienne Alain, si l’école est à la maison respectée, si le maître est considéré à la maison comme légitime dans sa classe et pas comme devant être discuté, pas comme devant être remis en cause, pas « il est nul ». La phrase de « Il est nul » des parents s’adressant aux enseignants, et parfois on ne sait jamais, ils ont peut-être des raisons, ce n’est pas ça la question, cette phrase devrait être bannie. Vous savez, je vais raconter quelque chose qui parle comptable : dans les fermes béarnaises pyrénéennes d’où je viens, vous aviez une punition à l’école. L’enfant rentrait se plaindre à la maison et il avait une claque de la part des parents. Alors je ne recommande pas les claques, quoi qu’il me soit arrivé dans ma vie à mon corps défendant mais c’était comme si la légitimité du maître dans sa classe devait être relayée par un surcroît de légitimité à la maison.
Margaux Sieffert : Et ça n’est plus le cas du tout aujourd’hui ?
Français Bayrou : Est-ce que cet affaiblissement de légitimité est lié à la multiplication du nombre des enseignants ? C’est une question qu’on peut parfois se poser.
Alain Bentolila : C’est lié aussi, si tu veux, au fait que d’autres sources de savoir...
François Bayrou : J’y venais. C’est le dernier point. Quand je réfléchis à la crise de la lecture. Il n’y a pas de doute que les écrans ont relayé la lecture comme clé. Moi, j’ai passé mon enfance intégralement à lire.
Margaux Sieffert : Et aujourd’hui les enfants sont sur les réseaux sociaux.
François Bayrou : Et aujourd’hui, on est sur un écran, on a une tablette. Or, si vous réfléchissez à ceci, lire c’est rendre son corps, son intelligence actifs. Il faut aller chercher l’information, il faut la déchiffrer et la recombiner pour faire du sens avec les mots, comme disait Alain, mais la recombiner avec le fonds culturel qu’on a bien sûr et c’est une opération active, si j’ose dire, de musculation de l’intelligence. Tandis que l’écran et l’image vous saisissent en situation passive.
Alain Bentolila : Et j’ajouterai juste que lire c’est fabriquer ses propres images. Et contre l’imposition d’images venues de l’extérieur. Et donc je pense à Antoine de la Garanderie qui a tellement insisté sur la question des images que l’on se fabrique. C’est pour ça, par exemple, que je dis souvent aux instituteurs quand j’ai l’occasion, je leur dis : lorsque vous mettez un enfant en compréhension, évitez de lui balancer des images. Et il y a un temps...
François Bayrou : Qu’il se fabrique ses propres images !
Alain Bentolila : Voilà. Et ensuite, éventuellement, vous irez chercher des images, des œuvres d’art, etc. Dans le moment de la compréhension, laissez-le, poussez-le à fabriquer ses images. Pourquoi ça a été perdu, cette volonté de faire en sorte que l’enfant soit lui-même à la fois respectueux du texte et créateur de son propre sens ? C’est parce que c’est difficile, c’est compliqué.
François Bayrou : C’est un effort plus grand que de recevoir l’image et le son. Et il y a là aussi une des explications, si on voulait dire la vérité, une des méta-explications de la perte de prestige de l’enseignant : passer de celui qui ouvre la porte vers une civilisation du livre à celui qui se défend comme il peut dans une civilisation de l’image.
Alain Bentolila : Et lui-même étant étonné, terriblement absorbé par cette civilisation de l’image. Parce que c’est : comment peut-on construire cette quête de l’intelligence si soi-même on n’est pas persuadé qu’on s’en sortira par la culture ? C’est une vraie question.
François Bayrou : C’est une pyramide à rebâtir notre histoire.
Alain Bentolila : C’est une pyramide à rebâtir. C’est effectivement, tu l’as souligné, une question aussi de méthode, une question de formation absolument nécessaire, de revalorisation. J’ajouterai juste une chose à cette question de désenchantement : ils ne se sentent plus indispensables, les maîtres, aujourd’hui, et pour une raison assez simple finalement, c’est que, quand on voit année après année les écarts se creuser entre les élèves, voir ce que ça donne, PISA le montre de façon très évidente, année après année, les écarts se creusent. Alors je ne dis pas que l’école doit supprimer, non, les écarts existent, mais elle doit essayer de donner sa chance à chacun et ça, elle le fait de moins en moins. Et le maître qui est porteur de cet espoir-là se trouve dans une situation où il dit finalement : « À quoi est-ce que je sers ? Quoi que je fasse, de toute façon, ils sortiront de la classe quasiment dans le même état d’écartement, de difficulté dans lequel ils étaient quand ils sont entrés. »
François Bayrou : Je voudrais abonder dans le sens d’Alain. Si j’essaie de poser cette question, celle de l’ascenseur social, l’école ascenseur social, l’école promotion qui donne à chacun la possibilité de se réaliser au mieux et d’échapper aux contraintes de sa naissance, du milieu social, culturel dans lequel il est né. Question qui, au passage, obsède le Président de la République à juste titre, cette affaire d’échapper à l’assignation à résidence. Quand je me pose cette question. Je vois très bien une différence. Quand nous étions enfants, le chemin était balisé. On savait que si on réussissait les examens, du certificat de sixième, le baccalauréat et puis les études universitaires, et puis les concours, tous les concours, La Poste, c’était un concours. Tout ça était enseignement. C’était un concours bien sûr, avec ses grades. Et quand on obtenait l’agrégation, il y avait en soi quelque chose qui avait changé parce que du coup on n’aurait plus de supérieur. En tout cas, moi c’est comme ça que je l’ai vécu. Et donc c’était balisé, il n’y a plus rien de balisé. J’ai le souvenir très précis et très brûlant, très douloureux, dans un des quartiers de Pau, une dame marocaine dont, on a beaucoup de Marocains dans les quartiers à Pau, c’est 80 % et d’ailleurs ils étaient très contents hier soir de la victoire du Maroc en huitièmes de finale, mais au moment où l’émission va être diffusée, on connaît la suite, c’est cette dame marocaine à qui j’ai essayé de transmettre les messages politiques et les plus généreux. Elle me dit : « Je crois pas ce que vous me dites ». J’ai dit, pourquoi ? Elle me dit : « j’ai un fils qui est bac plus dix et pour gagner sa vie, il a été obligé de partir faire la plonge à Londres ». Il a un doctorat de philosophie. Et vous comprenez la disparition des balises. Le jour où j’ai eu ma licence, ma mère qui ne connaissait pas très bien les arcanes, elle m’a dit : « Bah c’est bien, maintenant tu vas pouvoir enseigner » parce que licence, c’était l’autorisation d’enseigner. Et pour elle, c’était ça. Si on avait une licence, on pouvait au moins enseigner. La porte était ouverte. Alors elle ne savait pas qu’il y avait les concours. Bon, mais elle l’a su très vite et c’était balisé. Et vous avez un doctorat. Vous n’êtes pas sûr que ça vous ouvre la moindre porte. Et c’est une frustration absolument terrible pour les élèves devenus étudiants, devenus adultes. Une frustration, sentiment de n’être pas reconnu et aussi une perte de légitimité pour les enseignants parce qu’ils avaient la clé. Tu n’as plus de clés. Et donc cette restitution, c’est la réflexion nécessaire pour restituer les balises d’une chose très importante.
Alain Bentolila : Ça veut dire qu’il faut aussi revaloriser la culture. Dire qu’être cultivé, ce n’est pas honteux, ce n’est pas ridicule. On y voit un bouffon parce qu’on est cultivé, on n’est pas un bouffon parce qu’on ne fait pas de fautes d’orthographe, au contraire et au fond du fond, quand même, il y a cette question, moi, je travaille avec Serge Baumard sur les textes fondateurs, ce travail de fond sur les textes les plus importants, les plus beaux, qui portent tout ce qui nous unit est quelque chose d’absolument essentiel et qui a été complètement délaissé par l’éducation aujourd’hui. On en avait parlé il y a quelques années. Tu m’avais dit à quel point tu étais soucieux justement de travailler sur ces textes profanes ou sacrés, peu importe, mais sur ces textes qui qui font que nous nous reconnaissons.
François Bayrou : Mais vous savez, pour finir sur un sourire, dans un village des Pyrénées, cette culture fondamentale, ce socle commun, il était partout. Par exemple, on jouait à la belote et vous aviez toujours quelqu’un qui posait une carte sur la table en disant : « Rodrigue, as-tu du cœur ? » Et l’autre répondait : « Non, je n’ai que du pique. » Le Rodrigue as-tu du cœur, c’était Le Cid, évidemment, pour des gens qui parfois n’avaient même pas le certificat d’études, mais c’était comme un fonds culturel commun qui était un ciment aussi. Alors aucune raison d’avoir de la nostalgie pour ce temps-là. Ce n’était pas des temps faciles pour tout le monde. Et quand vous étiez en bas de l’échelle, j’ai beau dire que c’était balisé, mais si vous ratiez la balise, vous restiez aussi en bas de l’échelle. Quand je dis que c’est à reconstruire, ce n’est pas à retrouver le passé, c’est à trouver dans notre avenir une manière de voir le monde, une organisation qui puisse nous rendre les clés que nous avons perdues ou nous permettre de retrouver des clés pour un univers qui est à construire.
Margaux Sieffert : Merci beaucoup François Bayrou d’avoir été notre invité aujourd’hui. Je le rappelle, vous êtes maire de Pau depuis 2014, président du MoDem, haut-commissaire au Plan depuis 2020. Et donc vous avez été ministre de l’Éducation de 1993 à 1997 et ministre de la Justice en 2017. Merci beaucoup pour ces informations. Merci Alain Bentolila pour cette émission.
Alain Bentolila : Merci Margot, Merci d’être là avec nous et avec François. Vraiment, j’ai été extrêmement heureux que tu viennes ici aujourd’hui.
François Bayrou : Merci de m’avoir invité.