François Bayrou : "L'arme nucléaire est faite pour défendre les intérêts vitaux de la France et les intérêts vitaux de la France aujourd'hui c'est l'Europe"
François Bayrou, Président du Mouvement Démocrate, était l'invité de l'émission "L'événement du dimanche LCI" présentée par Ruth Elkrief ce dimanche 28 avril à 12h00.
Seul le prononcé fait foi.
Ruth Elkrief : Bonjour à tous et bienvenue dans l'événement du dimanche sur LCI. Bonjour François Bayrou, merci d'être notre invité. Vous êtes Président du MoDem, un parti important de la majorité. Vous êtes Haut-commissaire au Plan bien sûr et maire de Pau. Une heure d'entretien avec, à mes côtés, Nicolas Domenach, éditorialiste politique et François Lenglet, notre éditorialiste économique. Merci à tous les deux. Cette émission est bien sûr à suivre sur tous les réseaux sociaux de TF1 INFO. Beaucoup de sujets abordés ensemble : discours européen d'Emmanuel Macron, la campagne de la majorité qui a l'air de ne pas démarrer, Sciences Po bloqué, les propositions sur le retour de l'autorité. Et on commence par cette phrase d'Emmanuel Macron qui, dans l'interview qu'il a accordée au groupe Ebra, a évoqué la défense européenne : « Je suis pour ouvrir ce débat, qui doit donc inclure la défense anti-missile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine. Mettons tout sur la table et regardons ce qui nous protège véritablement de manière crédible. La France gardera sa spécificité mais est prête à contribuer davantage à la défense du sol européen. » On peut briser le tabou de l’arme nucléaire ? On peut le mettre à la disposition des autres Européens ?
François Bayrou : Je ne crois pas que ça se présente comme ça. L'arme nucléaire qui, comme vous le savez, est un élément essentiel de la défense, ou plus exactement de la dissuasion française, comme le général De Gaulle l'a répété 100 fois, ça veut dire, si vous nous attaquez, à ce moment-là, vous risquez vous-même votre peau. Et on voit à quel point, depuis la 2nde Guerre mondiale, cette dissuasion, pour tous ceux qui avaient l'arme nucléaire, a fonctionné. C'est un élément essentiel de la politique française que d'avoir à disposition cette capacité-là nucléaire. Mais cette capacité, elle est faite pour défendre les intérêts vitaux de la France et les intérêts vitaux de la France aujourd'hui, c'est l'Europe ! Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles un gouvernement français, des dirigeants français, décident que une menace sur l'Europe est une menace contre la France. Et c'est ce que le président de la République dit en disant, mettons tout sur la table, regardons les risques auxquels aujourd'hui nous sommes affrontés, confrontés. Il a dit à très juste titre qu’aujourd'hui, ce n'est plus seulement les civilisations qui sont mortelles, mais un grand ensemble comme l'ensemble européen, qui est porteur de valeurs, qui est porteur d'un modèle de société que les autres n'ont pas, et dont la France est, d'une certaine manière, la pointe avancée, c'est mortel aussi, cet ensemble est mortel aussi. J'ai trouvé que le discours de cette semaine à la Sorbonne était un moment très très important de l'évolution de la pensée du pays.
Ruth Elkrief : On n'en attendait pas moins d'un membre de la majorité…
François Bayrou : Non, je ne sais pas si vous avez observé, je ne suis pas dans l'inconditionnel. Jamais. Parce que je pense que l'inconditionnel n'est pas crédible, mais ce que le Président de la République a dit dans ce discours, du point de vue de la défense, de la nécessité de produire en Europe les armes des Européens et pas d'être dépendants des autres et de la grande question économique et monétaire dans lequel il a proposé un modèle…
Nicolas Domenach : Juste une précision sur l'arme nucléaire, est-ce que vous croyez qu'on peut imaginer un jour partager l'arme nucléaire avec notre ennemi d'hier, notre ami d'aujourd'hui, l'Allemagne ?
François Bayrou : Alors, je vous ai dit cette expression « partager », c’est une expression trompeuse : ceux qui ont la responsabilité de l'arme nucléaire française, c'est évidemment les autorités françaises, mais les autorités françaises peuvent toujours considérer que ce qui se joue en Europe, c'est leur destin, et que si vous avez une menace - imaginez une menace mortelle contre l'Allemagne, vous croyez que nous serions à l'abri ? Vous croyez que nos intérêts vitaux ne seraient pas engagés par une menace de cet ordre ? Et donc oui, il est normal qu'on en parle.
François Lenglet : Ça veut dire que ce n'est pas un abandon de souveraineté, les Français conserveraient la décision. Simplement, on se réserve la possibilité de la déclencher pour des raisons extérieures au territoire national, si on vous suit.
François Bayrou : Oui, Monsieur Lenglet, cette question, ce mot de « souveraineté » est le mot politique par excellence, peut-être vous vous souviendrez que dans des campagnes plus anciennes, j'ai fait campagne en disant que j'étais un souverainiste européen. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de souveraineté si nous n'appartenons pas à un ensemble crédible sur la surface de la planète. Seuls, en vérité, nous ne pouvons rien dans le domaine économique, dans le domaine commercial, dans le domaine militaire, dans le domaine culturel. Le monde est désormais fait de grands ensembles qui, depuis février 2022, la date de l'invasion de l'Ukraine par Poutine, ont basculé dans un autre univers. Cet univers, c'est la loi du plus fort. On est revenu à ces temps redoutables dans lesquels on considère qu'il n'y a pas de droit, qu'il n'y a qu'une seule chose qui compte, c'est la force. Il n'y a pas de souveraineté française si nous n'avons pas constitué un ensemble crédible avec nos voisins européens qui partagent avec nous un modèle de société…
François Lenglet : On aurait pu le dire à l'époque du Général de Gaulle qui pourtant, lui, disait le nucléaire, c’est la France.
François Bayrou : Non, je pense qu'on pourrait trouver des déclarations du Général De Gaulle, je ne les ai pas en mémoire mais il me semble qu’il disait que c'est la France qui juge de ce que sont ses intérêts vitaux, et je dis que le monde ayant pris la tournure qu'il a prise, encore une fois, vous croyez qu'il y a un dirigeant français qui pourrait laisser menacer l'Allemagne ? Vous voyez ce que ce que ça signifierait ? L'Allemagne sous la menace d'une invasion ou d'une frappe nucléaire, vous croyez qu'un dirigeant français pourrait dire, ça ne nous regarde pas ? C'est un autre pays, ça n'est plus un autre pays : nous sommes une puissance européenne souveraine parce que nous avons notre destin en main, mais qui a conscience que sa souveraineté n'existe que dans un ensemble européen constitué et puissant. Et assez puissant pour impressionner les autres.
François Lenglet : Ça vaut aussi pour le siège de la France au Conseil de sécurité de l'ONU ?
François Bayrou : J'ai toujours pensé qu'au Conseil de sécurité de l'ONU, la France ne représentait pas ses seuls intérêts nationaux, qu'elle représentait, qu’elle était la voix, la parole de l'ensemble européen. Après, il ne faut pas pousser les choses à l'excès. Nous ne sommes pas là pour déshabiller la France, nous sommes là pour la renforcer. Et c'est la solitude qui nous déshabille, qui nous pousse en touche. C'est la solitude qui fait que nous n'existons pas. C'est la solitude qui fait que les grandes puissances, la Chine, la Russie bien sûr avec l'Iran, avec tout le tout, le substrat, tout l'arrière-plan que l'Iran manipule et les États-Unis qui ont eux aussi leur stratégie de domination. Le mot dans lequel nous sommes entrés depuis février 2022, c'est domination. Jusqu'alors, la domination était limitée par une loi internationale et on a basculé dans un monde où la loi internationale est méprisée et on lui fait subir toutes les rebuffades et chacun des 5 ou 6 grands ensembles que j'ai indiqués là a sa stratégie de domination. Et nous, si nous sommes tout seuls alors nous sommes assurés d'entrer dans la soumission.
Nicolas Domenach : Alors pour avoir une stratégie commune, encore faudrait-il mutualiser aussi nos achats d'armes ou participer au projet, le bouclier anti-missile par exemple que souhaitent les Allemands pour l'Europe, vous êtes pour ?
François Bayrou : Le président de la République a dit dans ce discours si important à mes yeux, que cette souveraineté que nous avons à construire ensemble, cette indépendance que nous avons à construire ensemble, elle passe par la production des armes dont nous avons besoin sur notre sol. Le but à atteindre et l'orientation stratégique qui est la nôtre, c'est de ne plus dépendre des autres et notamment pas des États-Unis. C'est d'avoir la volonté et la capacité de produire sur notre sol les armes qui seules peuvent nous défendre autrement comme vous savez, nous sommes à la merci. Et j'ai tout à fait du respect et de la reconnaissance et de l'amitié pour les pour les États-Unis. Mais il se trouve que je ne veux pas dépendre. Je n'accepte pas l'idée que nous nous résignons ou que nous nous organisions pour rester dans la soumission ou pour dépendre des autres. Et d'ailleurs, heureusement que nous avons maintenu cette politique parce que le Rafale par exemple qui a été pendant des décennies considéré comme un échec, on voit aujourd'hui qu’on en a le plus grand besoin…
François Lenglet : Ce n’est pas un avion européen, c'est un avion français.
François Bayrou : C'est un avion français mais la France c'est l'Europe, Monsieur Lenglet !
Est-ce que Airbus c'est français ?
François Lenglet : Non.
François Bayrou : C'est européen !
François Lenglet : C'est le contre-exemple. Mais en matière de défense, vous savez comme moi que tous les grands programmes industriels communs, c'est très difficile de se coordonner, que chacun des pays veut tirer la couverture à lui et finalement la réussite, vous l'avez dit, ces Rafales où la France était seule à la manœuvre…
Ruth Elkrief : Vous dites la France et l'Europe, et moi j'ai envie de vous dire : est-ce que l'Europe c'est la France, c'est-à-dire est-ce qu’un discours comme celui d'Emmanuel Macron sur l'Europe puissance, il est suivi par les 27 ?
François Bayrou : Mais au début, non. Ou pas assez, ou pas évidemment. Mais il se trouve que nous en avons eu 1000 exemples. Lorsqu'il y a un leader européen, et il est souvent français, Jacques Delors par exemple, lorsque ce leader européen s'adresse aux Européens en leur proposant une stratégie différente, en leur proposant une stratégie plus ambitieuse, une stratégie qui va nous permettre de changer le monde. Au début, c'est haussement d'épaules et indifférence. Et puis après, on s'aperçoit que les autres suivent. Dans le discours de la Sorbonne 1, le président de la République avait proposé l'idée d'emprunt commun et à cette époque, Monsieur Lenglet s'en souvient bien, ça a provoqué une espèce de charivari de gens qui considéraient que nous étions là, comme toujours dans le rêve français, ces Français idéalistes dépensiers. Et puis on l'a fait ! Quand le COVID est arrivé, on l'a fait !
François Lenglet : Il récidive, si je puis dire, parce qu'il dit, il faut s'endetter maintenant pour la défense et il propose des nouvelles ressources pour la Commission, c'est-à-dire des nouveaux impôts. Mais l'unité de temps, elle est relativement courte compte tenu des menaces que vous avez évoquées. Les pays du Nord, ils ne veulent pas de nouveaux impôts, ils ne veulent pas de nouveaux emprunts.
François Bayrou : Si l'Europe c'était facile, ça se serait fait sans nous, ça se serait fait complètement et nous serions ici en train de parler de la pluie et du beau temps médiatique. On sait très bien comment se fait la pluie et le beau temps médiatique. Nous sommes ici parce que nous parlons du plus grave, du plus lourd et du plus essentiel. C'est ça qui se joue. Est-ce que ces autres sont tous convaincus à l'avance ? Non, mais ils ne le seront pas. C'est ça la responsabilité des leaders, la responsabilité de ceux qui doivent entraîner. Et la France a, à cause de son histoire, cette vocation-là et donc l'exemple que vous avez cité, il est très important, très important. J'avais beaucoup, dans les dans les mois et années précédentes, insisté sur ce sujet. Et c'est pourquoi je considère que c'est vraiment très important. Si nous regardons les États-Unis, ce que vous faites tous les jours, si nous regardons les États-Unis, on s'aperçoit d'un ensemble économique qui a une croissance formidable, un endettement et un déficit plus important que les nôtres et qui a décidé d'une stratégie de reconstruction de l'intérieur de son économie. Comment ? Avec une consommation, un socle de consommation qui la soutient et en acceptant de dépenser de l'argent public pour - avec les très grandes entreprises qui relaient cette volonté ou qui participent à cette volonté - pour maîtriser la technologie, maîtriser les filières industrielles et relocaliser sur le sol américain ce qui jadis était parti en Extrême Orient. Je ne dis pas que c'est l'exemple qu'il faut suivre, mais c'est devant cette concurrence-là que nous sommes. Les créateurs de start-up français les plus géniaux, ils sont inspirés par les États-Unis. Chat GPT – je n’ai pas vérifié le chiffre - c'est une trentaine d'ingénieurs qui ont pensé, développé l'intelligence artificielle et en 2 ans, vous voyez à quel point ça a changé l'univers. 17 d'entre eux m'a-t-on dit étaient français. Et j'ai dans mes fonctions de commissaire au Plan, travaillé beaucoup avec l'Académie des sciences et je vois surgir des start-up de découvertes formidables. Tous ont la crainte d'être captés par les Américains. Pourquoi ? Parce qu'ils ont 2 armes formidables : ils ont les moyens, ils ont de l'argent et ils ont le droit américain. Et avec ce principe sur lequel on ne s'interroge pas assez à mon avis, qui est le principe de l'extraterritorialité de la loi. C'est-à-dire, pour le gouvernement et la justice américaine, quiconque utilise 1$ à la surface de la planète relève des tribunaux américains. Mais ça fait 15 ans, je pense à un de mes amis, Marc Lassus, qui avait inventé la carte à puce et Gemplus. Il a ouvert son capital un jour pour avoir un peu plus de moyens à 20% de capitaux américains. En un an, il n’avait plus d'entreprise.
Ruth Elkrief : Alors François Bayrou, vous nous avez expliqué cette belle Europe que vous souhaitez, et on le voit, et on a entendu Emmanuel Macron…
François Bayrou : Non, ce n’est pas une belle Europe, c’est une Europe vitale !
Ruth Elkrief : D'accord et vous êtes venu pour, entre guillemets, dramatiser l'enjeu.
François Bayrou : Non !
Ruth Elkrief : Enfin dramatiser au sens positif !
François Bayrou : Pardonnez-moi de vous dire ça. Ça n'a rien d'électoral, ça n'a rien d'artificiel. Si vous ne voyez pas les menaces et les risques…
Ruth Elkrief : Mais on est en campagne, on est en campagne et on va regarder avec Nicolas la situation parce que la campagne, elle est là. On est à 43 jours de l'élection du 9 juin aux élections européennes.
François Bayrou : C’est largement suffisant.
Nicolas Domenach : Mais alors pourquoi ? Pourquoi ce grand discours que vous évoquez de la Sorbonne 2 ? Et je n'y mets aucune ironie. On peut penser qu'effectivement, il trace des perspectives. Pourquoi ceux qui l'ont vu, selon en tout cas le sondage publié par Le Figaro, 66% des Français sont pas convaincus. Les scores estimés pour l'instant par le sondage Rolling LCI donnent un recul de la liste de la majorité, une avancée de la liste Glucksmann et une domination très très nette de Bardella. On va dire pourquoi ? Qu'est-ce qui fait que ça ne prend pas ?
François Bayrou : Parce que c'est très longtemps, jusqu'à quelques jours avant les élections européennes, très longtemps, les données de politique intérieure, les humeurs de politique intérieure, les agacements ou les mécontentements de politique intérieure jouent un rôle très important. Il faut du temps pour qu'infuse la gravité des choses et quelquefois on n'y arrive pas. Churchill s'est battu tout seul contre tous parce qu’il disait : mais regardez la menace d'Hitler ! Et puis il se trouve que l'opinion publique était pacifiste, que les grands partis ont choisi le pacifisme pour garder les élections.
Ruth Elkrief : Comment vous mobilisez votre électorat ? Comment vous répondez à ceux qui veulent voter pour Raphaël Glucksmann ? Qu'est-ce que vous leur dites, vous ? La campagne c'est maintenant.
François Bayrou : Alors excusez-moi, je connais mal Monsieur Glucksmann. Et je n'ai pas vu pendant 5 ans qu'il ait fait quoi que ce soit de très important. Mais ces derniers temps, il a fait des choses qui sont pour moi, pour un Européen, inacceptables. Il se trouve que les opinions publiques européennes et les gouvernements européens sont très préoccupés des problèmes de l'immigration. Et vous savez bien que ça fait le fond de la contestation de l'évolution du monde et du monde européen comme il va. Pour la première fois, les gouvernements européens de toute sensibilité, y compris socialistes, centristes et de droite se sont mis d'accord en disant : on ne peut pas accepter les choses comme elles sont. Là, il y a vraiment des décisions à prendre.
Ruth Elkrief : Voter le Pacte Asile et migration.
François Bayrou : Oui. Alors le Pacte Asile et migration, c'est abstrait, mais ça veut dire quoi ? Ça veut dire contrôle commun aux frontières de l'Europe, repérage et identification des gens qui entrent et capacité de suivi à l'intérieur du territoire européen pour qu’on puisse réguler de manière sincère, de manière indiscutable ou commencer à réguler cette immigration. Les grands courants européens ont fait ce pas essentiel, très difficile comme vous l'imaginez. Y compris le sien, et lui ne l'a pas fait. Et Monsieur Glucksmann a voté contre cette semaine ! Mais comment imaginer plus spectaculaire de la part de quelqu'un qui se prétend européen, comment imaginer plus spectaculaire désertion ? Alors il y a des gens qui disent, mais tout ça c'est la même chose au fond, c'est les mêmes sensibilités… Ce n'est pas vrai ! Dans la réalité des choses, ce n'est pas vrai, il y a ceux qui construisent et ceux qui disent non. Et je préfère que nous soyons du côté de ceux qui construisent. C'est un très grand enjeu que celui que nous vivons. Et c'est la même chose sur l'économie. Il a aussi refusé le pacte de croissance dont nous avons besoin.
François Lenglet : De l'autre côté, c'est bien sûr le Rassemblement national qui fait la course en tête. Nicolas a rappelé les éléments du sondage. Jordan Bardella, qui est le candidat en tête de la liste, s'exprimait jeudi après-midi. Je vous propose qu'on l'écoute : « La conséquence concrète et immédiate, nous l'avons dit, devra être la dissolution de l'Assemblée nationale. L'intervention ô combien politique d'aujourd'hui rend cette option inévitable en cas de désaveu électoral de la liste du président Macron. » Option inévitable en cas de désaveu électoral que la dissolution… L'écart est tellement spectaculaire. Est-ce que ça ne risque pas de fragiliser le fondement démocratique du gouvernement, au-delà de la réalité institutionnelle à l'Assemblée ?
François Bayrou : Que les élections de moyen terme, « midterm » comme on dit en anglais, aient assez souvent des échos qui ne sont pas des échos de soutien des gouvernements, ça se vérifie dans tous les pays et sur tous les continents. Mais..
François Lenglet : La fois dernière la liste du président de la République était tout proche de celle du Front national…
François Bayrou : Après que les sondages l’aient donnée en retard d'un très grand écart.
Nous avons vécu ça, y compris les sondages quelques minutes avant l'annonce officielle. Un - Il ne faut pas se laisser abuser par l'actualité immédiate. Quelle est la question ? Est-ce que dans le monde, jamais, dans aucun pays du monde, jamais, est-ce que les extrêmes ont rendu service au pays ? Est-ce qu’il y a eu dans le monde, jamais, une prise de pouvoir des extrêmes qui ait apporté du bien à un pays ? Parcourez les livres d'histoire. Jamais. Et c'est bien la raison pour laquelle la prise de conscience devrait être grave.
Ruth Elkrief : Ce n’est pas le cas là. Il surfe sur les sondages…
François Bayrou : Nous sommes là pourquoi ? Pas pour nous laisser entraîner par les sondages, abuser par les sondages ! Si nous sommes ça, alors il vaut mieux rentrer à la maison et puis se laver les mains comme Ponce Pilate de tout ce qui va se produire.
Ruth Elkrief : Mais son discours eurosceptique, qu'est-ce que vous y répondez ?
François Bayrou : Un parti politique qui a, depuis des années et des décennies, proposé des thèses qui se sont trompées sur tout, sans exception. Moi je me souviens très bien de la campagne contre l'euro. Si nous n'avions pas eu l'euro dans les circonstances d'inflation où nous sommes, qu'est-ce qu'on aurait ? Deuxièmement, je me souviens très bien des déclarations absolument assurées de Marine Le Pen disant : « Mais enfin, qui peut soupçonner la Russie de vouloir envahir l'Ukraine ? Quel esprit troublé peut imaginer ? » Je suis à peu près exact dans les termes que je donne, ce n’est pas du mot à mot, mais c'est exactement l’idée si vous repassez ses déclarations. « Jamais la Russie et d'ailleurs, qu'est-ce que la Russie irait faire en Ukraine ? » Et c'est ce courant politique-là qu'on nous donne comme modèle et sans exception toutes les propositions qu'ils ont faites, et tous les votes qu'ils ont émis sont des votes qui ont été démentis par la réalité. Alors de quoi on parle ? Bien sûr, on peut dire : « Ah les sondages, mon Dieu. » Et puis les larmes de crocodile, souvent… Moi, je suis contre la déploration. Je suis contre le fait qu'on aille pleurer sur une situation….
Ruth Elkrief : Jordan Bardella, sa personnalité, apparemment elle fait mouche auprès des jeunes. Qu'est-ce que vous en pensez ? Il peut être premier ministrable ?
François Bayrou : Vous voyez bien ce qu'on est en train de faire, c'est construire sur du vent, sur quelque chose qui n'existe pas. C'est un vote de protestation, disons-le. Il y a des Français et ça arrive souvent dans l'histoire, c’est arrivé sous tous les présidents de la République, qui ont envie de protester. Mais présenter cette option comme une option qui puisse avoir du crédit auprès des Français et spécialement auprès des Français les plus jeunes ou auprès des Français qui ont le plus de difficultés, c'est une escroquerie et c'est une escroquerie qui devrait mobiliser ! Alors faisons ça, mobilisons pour défendre ce que nous considérons comme l'essentiel du destin du pays. Ce qui est en jeu aujourd'hui, ce n’est pas tant la représentation française, c'est de savoir si la question européenne est une question centrale pour l'avenir de la France. Et pour moi il n'y a à cette question qu'une réponse possible et il n'y a aujourd'hui qu'un choix européen crédible.
Deuxième partie de l’émission
François Lenglet : La réalité, vous la connaissez, puisque vous avez été l'un des premiers à alerter sur la situation financière de la France, il y a au moins une quinzaine d'années, sur les risques de dérive de la dette. Elle reste objectivement problématique. Ça vous inquiète toujours ?
François Bayrou : Oui, bien sûr. Mais le paysage a changé en raison de ce que nous décrivions, de la confrontation entre la stratégie économique américaine et la stratégie économique européenne. Il faut voir que les choses se sont déplacées. Peut-être avez-vous lu la note stratégique du Plan que nous avons consacrée à la dette. Pour moi, il y a 2 utilisations de la dette. La première, qui est vertueuse, qui est juste, qui est essentielle, c'est d'emprunter pour équiper le pays, Investir : investir dans la recherche, investir dans les entreprises, certains disent investir dans l'éducation. Où place-t-on le curseur ? Mais en tout cas, la dette doit servir à préparer l'avenir du pays. Je prends un exemple très simple, quand vous construisez un hôpital ou que vous construisez une université, c'est pour les décennies qui viennent.
François Lenglet : Ce n'est pas tellement ce qu'on fait nous…
François Bayrou : Et c'est exactement pourquoi comme vous le savez, j'ai tiré la sonnette d'alarme - comme on dit en latin, Vox clamantis in deserto, « une voix qui crie dans le désert ». C'est vrai, si on avait réfléchi tous ensemble à cette époque-là, je suis sûr que la situation serait différente aujourd'hui. Mais nous avons choisi l'autre utilisation de la dette et celle-là est pernicieuse. C'est emprunter pour dépenser pour la vie de tous les jours. Panier percé. Et vous savez bien à quel point je me suis battu sur la question du financement des retraites, du système de retraite où nous avons établi contre le COR ce qu'était la réalité du financement des systèmes de retraite, c'est-à-dire que l'équilibre n'est obtenu que parce que on verse de l'argent public, entre 30 et 40 milliards par an, 30 et 40 milliards chaque année, il n’y avait pas beaucoup de monde pour le dire au moment où nous l'avons dit…
François Lenglet : Surtout pas le Conseil d'orientation des retraites…
François Bayrou : …au moment de décembre, avant la réforme des retraites. Et on avait le temps. Si j’avais été en situation de responsabilité, j'aurais adressé à tous les foyers français ces comptes-là parce que rien n'est plus immoral que de faire payer par les générations qui viennent les pensions de retraite des retraités d'aujourd'hui ! C'est dingue !
François Lenglet : Là, vous avez un discours d'opposition…
François Bayrou : J'ai un discours constant au travers du temps et j'ai regretté que le gouvernement de l'époque ne se saisisse pas de cette réalité des chiffres et même au contraire.
Nicolas Domenach : Mais c'est le Président qui est dépensier, dit Bruno Le Maire ?
François Bayrou : Franchement, je ne crois pas qu'il l'ait dit et s'il l'avait dit ça ne serait pas dans l'équilibre les relations. Donc, de ce point de vue-là, la dette, pourquoi est-ce que les agences n'ont pas dégradé la France ? Moi je crois qu'il y a 2 raisons très importantes, c'est parce que les agences, elles ne mesurent pas seulement la dette, elles mesurent le potentiel pour rembourser la dette. C'est d'ailleurs la vérité pour les collectivités locales aussi, toutes les collectivités locales de France qui sont les principaux investisseurs publics. Toute collectivité locale, elle sait, on lui dit, l'État lui dit combien d'années il lui faudrait pour rembourser sa dette si elle y consacrait tous ses excédents. Et donc ils ont regardé le potentiel, et le potentiel, il est double : il y a l'épargne des Français qui est très importante, 6 000 milliards. Je crois qu'on peut dire un chiffre de cet ordre.
François Lenglet : Oui enfin ça appartient aux Français, pas à l’État…
François Bayrou : Oui, ça appartient aux Français, mais ceux qui sont endettés, c'est les Français aussi… Et deuxième raison, le potentiel de croissance. C'est un pays qui a, et c'est un indicateur que je crois on ne regarde pas assez, nous sommes un pays qui a une formidable capacité d'avancer, de construire et au fond, de croître. Simplement cette capacité, elle n'est pas mise en œuvre. Mais quand une agence regarde la dette d'un pays comme la France, elle regarde aussi la capacité du pays. Et le message qui a été envoyé par les agences, l'une d'entre elles avait dit très tôt - Fitch - que selon elle il y avait pas de raison de baisser la note de la France et cependant tous les officiels considéraient que c'était acquis. Vous le savez bien, on disait, c'est fait ! Eh bien, ça prouve que jamais les combats ne sont perdus d'avance et jamais la capacité à défendre la situation réelle d'un pays n'est prise en défaut si on se bat bien.
Ruth Elkrief : Alors un chiffre, François Lenglet, qui nous repose la question de la souveraineté.
François Lenglet : Oui, ce chiffre, c'est 162 milliards d'euros. C'est la valeur en Bourse de TotalEnergies, notre pétrolier national créé y a 100 ans. Son dirigeant Patrick Pouyanné donnait une interview y a 48 h à Bloomberg, une agence anglo-saxonne, en disant, au fond, l'idée d'aller se faire coter en bourse à Wall Street est légitime parce que nous avons la moitié de nos actionnaires qui sont américains. Est-ce que cette perspective vous inquiète en terme justement de souveraineté sur une entreprise qui joue un rôle déterminant dans l'économie française ?
François Bayrou : Alors, un : Total, c'est pour la France une partie de son capital, de sa capacité, de son patrimoine et de son avenir. Parce que Total avant d'être Total, c'était Elf Aquitaine. Et Elf Aquitaine, c'étaient les pétroles d'Aquitaine, c'est à dire chez nous, précisément à Lacq, où on a découvert, au début des années 50, le plus important gisement de gaz naturel, qui à l'époque était sur le continent, qui était celui du continent européen à l'époque. Et cette entreprise est un immense patrimoine de recherches, de connaissances du sous-sol. Et donc de ce point de vue-là, ça serait peut-être mieux de pas prendre Total en cible tous les jours. Alors je sais bien que c'est la mode. Il arrive même que des responsables politiques assez peu inspirés considèrent qu’il faut faire une cible de notre principal ou d'un de nos principaux atouts et je n'approuve pas le fait qu’on puisse envisager…
François Lenglet : Est-ce qu'il faut intervenir d'une façon ou d'une autre, ou pas, pour empêcher cette éventuelle émigration financière - je le précise : le siège social resterait en France
François Bayrou : Oui et c'est tout à fait l'essentiel, mais pour moi, symboliquement, ça serait une mauvaise chose.
Ruth Elkrief : Voilà qui est dit. Sciences Po bloquée : Nicolas, que faut-il en penser ?
Nicolas Domenach : Oui, alors on a vu ce qui se passait dans les universités américaines et cette contagion effectivement, Sciences Po bloquée par des militants anti-Israël pour certains pro Hamas d'ailleurs. Qu’est-ce que vous avez pensé et du blocage et du déblocage ? Certains ont dit que la direction avait capitulé en concédant beaucoup trop, et notamment une révision des accords avec les universités d'Israël.
François Bayrou : Est-ce que je puis dire comme un citoyen français et comme un ancien ministre de de l'enseignement supérieur que je trouve ce qui se passe à Sciences Po terriblement inquiétant. Sciences Po, ça a été le lieu de formation le plus éminent qu'on a pu développer, pendant des années, avec Raymond Aron, avec Jean-Claude Casanova, qu'on a pu développer chez nous, sur une idée d'indépendance, c'est l'école libre, les héritiers de l'école libre, des sciences politiques. C'était un lieu où on avait l'impression que pouvait s'imposer un sens de l'intérêt général au-dessus des intérêts partisans. Ça a dérivé ces dernières années et ça a dérivé jusqu'au point que vous avez montré, mais sur lequel je voudrais attirer l'attention sur un détail. C'est les mains rouges, vous avez le nombre d'étudiants qui avaient les mains peintes en rouge. Qu'est-ce que c'est les mains rouges ? C'est une allusion symbolique à une scène absolument atroce qui s'est passée en 2002, je crois, dans lequel des soldats israéliens ont été martyrisés, torturés et au bout du compte lynchés, et un combattant du Hamas de cette époque-là ou un est apparu à la fenêtre avec les mains rouges de sang juif, israélien et juif. Est-ce qu'on peut imaginer pire dérive que ce que ce genre de scène ? Quand est-ce que vont se ressaisir ceux qui, à Sciences Po ou par Sciences Po, ont construit un capital, un patrimoine de connaissances et d'intelligence et de sens de l'intérêt général ? Est-ce qu'on va laisser ce bien précieux, être déchiré, abandonné à l'encan à tous ceux qui ont envie d'en faire un lieu de haine et de détestation. Moi je considère que l'État a une responsabilité. L'État joue un rôle, par exemple, dans la nomination des responsables de Sciences Po, il donne son aval. C'est la responsabilité de l'État de ne pas laisser continuer cette dérive-là . Alors c'est difficile parce qu'on est sous la pression de courants sectaires, d'opinions qui veulent faire un lieu de de haine, de guerre et de déchirement. Je pense qu'il faut que l'État prenne ses responsabilités. Je pense qu'il faut que l'État impose le retour à Sciences Po du pluralisme, de la tolérance et de la compréhension mutuelle, nécessaire à la science.
Ruth Elkrief : Mettre l'école sous tutelle ?
François Bayrou : En tout cas, intervenir, ne pas accepter que ce genre de scène d'exclusion, d’un étudiant juif qui est sorti manu militari ou bien l'excitation des passions. Sciences Po, c'est pas un lieu de meeting politique. C'est un lieu de confrontation, c'est un lieu de discussion et la France a besoin de ce que Sciences Po a été et la France, ou en tout cas les responsables français, ont le droit de s'inquiéter de la dérive de Sciences Po.
Ruth Elkrief : Il y a derrière aussi ce qui se passe à Sciences Po et dans d'autres lieux, un mouvement politique, des personnalités, des députés qui encouragent et qui vous savez, on a cette fameuse phrase : « Il ne faut pas importer le conflit du Moyen-Orient en France » et qui importent délibérément ce conflit. Ou en tout cas, c'est ce qu'on entend dans cette campagne. Je parle de la France insoumise.
François Bayrou : C'est une stratégie transparente. La stratégie de Jean-Luc Mélenchon, elle est double, il a souvent expliqué la première et on lit très bien la deuxième. Premièrement : il dit, il faut tout conflictualiser, il faut de tous les sujets faire un affrontement de camp. Et deuxièmement, si c'est la révolution qu'on cherche, pour la révolution, on a besoin de troupes et les troupes de la révolution, c'est ce qu'on a appelé le Lumpenprolétariat, et celui-ci étant majoritairement musulman, ça entraîne des choix qui sont des choix de sectarisme des uns contre les autres. Je ne pense pas qu'on puisse mettre en cause mon respect de la religion musulmane et mon respect de la culture musulmane. Je suis un croyant, je comprends assez bien les croyants et je suis un laïc, c'est-à-dire défenseur de l'idée que là est la clé pour que, dans les décennies qui viennent, nous puissions vivre ensemble. Nous puissions échapper à la guerre civile. J'ai écrit plusieurs livres sur les guerres de religion. Je sais exactement comment ça marche.
Ruth Elkrief : Il veut déclencher une guerre de religion ?
François Bayrou : Écoutez bien, entendez bien ce que j'ai dit. Un : si le Lumpenprolétariat est musulman comme il l'analyse parce qu'il réduit les convictions philosophiques et religieuses de ceux qui ont une foi et de ceux qui n'en n'ont pas, il le réduit à cet aspect identitaire des choses, pour trouver des troupes de bataille, pour trouver un corps électoral. Et de ce point de vue-là, je trouve que c'est un double danger et un double risque. Conflictualiser tout dans une société aussi violente que la nôtre, c'est un énorme risque et transformer la question des convictions religieuses en convictions de troupes de bataille, de masse de bataille, c'est un deuxième risque absolument essentiel. Et là, c'est l'essentiel qui est en jeu. Tout ce que nous avons sous les yeux - c'est pourquoi ces élections sont tellement importantes - tout ce que nous avons sous les yeux, c'est tous les éléments des drames que nous avons vécus dans notre pays pendant des années et du mal français que nous connaissons aujourd'hui. Les risques du pays, ils sont sous nos yeux.
Ruth Elkrief : Alors il y en a un dont on parle et dont on voit un certain nombre de faits divers qui interpellent. Il s'agit des questions des mineurs, des questions de délinquance de mineurs, de questions autour de cela. Et Nicolas, c'est votre droit de suite.
Nicolas Domenach : Alors l'autorité, c'est aussi quelque chose que vous connaissez bien, François Bayrou, et il y a eu un moment dans votre campagne électorale que vous connaissez bien, où vous avez manifesté cette autorité via une taloche, on va peut-être le revoir. Alors ce moment avait beaucoup marqué. Vous avez été aussi ministre de l'Éducation, l'autorité, c'est quelque chose que vous connaissez. Il y a eu un certain nombre de faits divers, des interventions au plus haut sommet de l'État pour dire qu'il fallait la rétablir, c'est donc on l'a perdue, en tout cas à plusieurs niveaux. Qu'est-ce que vous mettriez en avant, quelles priorités pour vous pour ce rétablissement ? Est-ce qu’il s'agit de remettre en cause par exemple l'excuse de minorité comme le disent certains, ou bien de mettre en avant la responsabilité des parents comme disent d'autres ? Pour vous, c'est quoi ?
François Bayrou : D'abord pour rappeler que ce geste est un geste de père de famille. Je suis dans une manifestation houleuse à Strasbourg et les manifestants s’en prennent en des termes d'une violence et d'un sexisme que je ne peux même pas répéter, à Fabienne Keller, qui était à l'époque la maire de Strasbourg et dans la confrontation avec les responsables de la mosquée qui étaient là et qui étaient, qui étaient en situation pour impressionner, machinalement, je touche ma poche, et je trouve la main de cet enfant dans mes poches, en train de de piquer mon portefeuille. J'en parle gravement parce que ce petit garçon, il a été sur tous les écrans du monde et c'est pas une situation facile. Et sa vie n'a pas été facile après. Et donc j'en parle avec prudence. C'est un geste de père de famille à l'époque. À l'époque, j'ai reçu 10 000 lettres. Et la plupart de ces lettres venaient de parents immigrés qui disaient : « Merci Monsieur de ce que vous avez fait. » J'avais dit au père de famille qui était très ému et qui disait : « Chez nous, on ne touche pas les garçons. ». Je lui avais dit : « Si mon fils avait essayé de vous faire les poches et si vous lui avez mis une taloche, je vous aurais dit merci. ». Donc les parents ont dit merci de ce que vous avez fait. Ces images ont fait le tour du monde comme vous savez. Ils ont dit « Merci de ce que vous avez fait mais nous, on nous interdit de le faire. » Et c'était la traduction de ceci, c'est que c'est dans la famille aussi que tout ça se joue et que bien des parents, y compris d'origine immigrée, vivent comme une extrême difficulté l'impossibilité de faire respecter par leurs enfants ce qui se passe. On a tous les jours dans une ville comme la mienne, la semaine dernière, un gamin de 13 ans cagoulé sur un scooter volé, qui a refusé d'obtempérer et qui est allé renverser un policier. Alors quelle solution ?
François Lenglet : Il faut punir les parents comme on l'envisage, avec des allocations plus faibles, avec des travaux d'intérêt général pour les responsabiliser.
François Bayrou : Il y a des parents qui simplement n'arrivent pas à contrôler leurs enfants. Il y a des parents qui s'en foutent, c'est possible, je n'en connais pas. Mais si vraiment il y a des parents sans aucune préoccupation de leurs enfants, cela, il est légitime qu'on les poursuive ou qu'on les ramène dans une attitude différente. Il y a des parents qui ne peuvent pas, la principale responsabilité, elle est de construire une stratégie éducative ou rééducative, une stratégie de reprise de contrôle et de reconstruction de ces enfants qui très tôt sont dans une situation d'abandon et de dérive. Et il faut bâtir une stratégie scolaire éducative. J'avais proposé, j'avais appelé ça « collège hors les murs ». Il faut les sortir des collèges où ils sont parce que les transférer d'un collège à un autre, ça ne résout rien, ça ne fait que compliquer la situation et ça leur donne un sentiment d'absolue impunité qui en fait des petits caïds respectés dans la cité. Si nous n'avons pas une réponse collective, pédagogique et éducative avec des éducateurs, c'est-à-dire des personnes non impressionnables. Et pour l'instant, cette stratégie-là, nous ne l'avons pas.
Ruth Elkrief : Merci François Bayrou.