Jean-Marie Vanlerenberghe : "Les rapports du COR sont devenus livres d'éveil pour irresponsables politiques"
Jean-Marie Vanlerenberghe, Sénateur du Pas-de-Calais, est intervenu lors de la discussion générale pour les débuts des débats autour de la réforme des retraites au Sénat. Revoir son itnervention.
Veut on d'un doux mensonge ou d'une amère vérité ? Celle ci, malheureusement, est claire. Le système des retraites par répartition est menacé. Faut-il donc le réformer ? La réponse de notre groupe, celle qu'a rappelé le président Marseille tout à l'heure, est claire et sans ambiguïté : c'est oui.
D'un système conçu à l'origine, avec 4 cotisants pour 1 retraité, ce ratio tombe aujourd'hui à 1,7 cotisants pour 1 retraité. C'est un déséquilibre évident, incontestable et qui s'accroît avec l'espérance de vie.
D'aucuns pensent que les Hommes mentent, les chiffres un peu moins. Le COR, Conseil d'orientation des retraites, s'est soudainement retrouvé sous les feux de la rampe. Des rapports, en général indigestes, sont devenus malgré eux un livre d'éveil, pour ne pas dire de chevet pour certains irresponsables politiques. Car il s'agit bien d'irresponsabilité à ne retenir du COR que le seul fait que les dépenses soient sous contrôle.
C'est négliger le sujet de la dette. La dette retraites est déjà très élevée, 43 milliards portés par la Cades.
C'est négliger aussi que les déficits cumulés, selon le COR d'ailleurs, représenteront 150 milliards de dettes nouvelles en 2030.
Alors, fallait-il réformer dès maintenant ? Nous répondons encore oui, sans hésiter.
En matière climatique, on parle volontiers d'urgence de ce que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants. Il en est de même pour les retraites et notamment pour les jeunes qui croient de moins en moins qu'ils en auront une.
Le Sénat, dans sa sagesse d'ailleurs, n'a pas attendu l'agenda gouvernemental pour réformer. Il adopte depuis plusieurs années le recul progressif de l'âge de départ à 64 ans, avec l'accélération de la loi Touraine, bien plus juste qu'un recul brutal à 65 ans.
La réforme proposée est-elle adaptée ? Notre réponse est encore affirmative si l'on accepte comme postulat de ne pas augmenter les cotisations retraite, afin de ne pas affaiblir le pouvoir d'achat des salariés, pour lequel évidemment nous sommes d'accord.
Mais en ce qui concerne la création d'emplois, j'en doute. En effet, un demi-point de plus de cotisations employeurs représente 4,5 milliards et demi de recettes, en moyenne 225 € par salarié et par an. C'est pour une entreprise de 100 salariés, un peu moins qu'un poste de travail.
Donc, cette réforme est-elle satisfaisante ? D'un point de vue comptable ? Oui. D'un point de vue social et politique, on peut en débattre, et c'est bien cela d'ailleurs auquel nous sommes conviés.
D'un point de vue social, les 17,7 milliards de recettes dégagées en 2030 permettront de financer 6 milliards de mesures de solidarité. Et d'un point de vue politique, l'évidence est que les Français n'admettent pas le recul de l'âge à 64 ans, considérant à juste titre que seuls les salariés sont mis à contribution.
Une autre solution serait évidemment d'augmenter la taxation du capital. Est-ce que c'est envisageable ? Eh bien, c'est une question que je pose au gouvernement et à ceux qui seraient tentés de prendre tout le plat dans leur assiette, pour citer l'Abbé Pierre. Au nom de la solidarité nationale, il ne me paraît ni outrageant ni indécent que les bénéficiaires d'un CAC40 au plus haut actuellement acceptent une augmentation de la CSG sur le capital. Un point supplémentaire rapporterait 1,5 milliards.
Alors abordons maintenant quelques articles rapidement. Saluons tout d'abord les propositions du gouvernement pour tenter d'améliorer la justice et l'équité du système. Nous avons quelques questions parce que pour certaines mesures, Le diable, on le sait, se cache dans les détails.
Pour les petites retraites, tout le monde a retenu qu'il n'y aurait pas de retraite à moins de 1200 €, mais peu ont compris que cela concernait que les carrières complètes. Alors une suggestion, ce qui me paraît intelligente et intelligible, pourquoi ne pas mettre un plancher à 75% du SMIC, soit 1000 € pour les carrières incomplètes ?
Pour les carrières longues, le dispositif paraît serpenter de façon erratique entre 43 et 44 ans de durée de cotisation, en fonction de l'entrée dans la vie active. Il nous apparaît nécessaire de lisser l'ensemble avec des départs de 57 à 62 ans, de quoi ouvrir une fenêtre de départ de 57 à 64 ans, cher aux économistes Blanchard et Tirole, et beaucoup plus jeune que plus juste qu'une borne unique de départ à 64 ans.
Pour les seniors, le gouvernement a décidé de s'intéresser aux fins de carrière. Mais je crains que l'index senior proposé ne soit guère suffisant pour répondre à l'intention qu'il manifeste. Il nous semble que cet index doit être accompagné d'une prime à l'embauche, sorte de "Un senior, une solution", et pourquoi pas d'ailleurs un CDI senior ? Et nous ne devrions pas faire l'économie d'un bonus-malus sur la base de cet index pour favoriser le maintien des seniors dans l'emploi.
Pour les droits familiaux, nous proposions un départ anticipé à 62 ans pour trois enfants et 63 ans pour deux. Mais nous constatons aussi de fortes disparités dans les droits familiaux, la réversion en particulier, où treize régimes subsistent et qu'il sera nécessaire de revoir dans la prochaine loi.
Enfin, la pénibilité du travail, que l'on s'y arrête un peu plus, nous y sommes attentifs bien entendu, nous sommes attentifs à la réflexion aussi sur le travail, la nécessité de lui donner plus de sens. Nous sommes aussi tous tout aussi vigilants face à ceux qui qui contesteraient la valeur du travail. Il n'appartient pourtant pas à cette loi de financement de la Sécurité sociale de traiter de ce sujet beaucoup trop complexe, où tous les points de vue divergent, suivant évidemment le point de vue duquel on se place.
Venons en à ce qui nous préoccupe vraiment, c'est-à-dire réparer l'usure professionnelle. La loi dans ce domaine est généreuse, elle prend en compte les trois autres critères dits ergonomiques qui donneront lieu à un suivi médical. C'est bien, mais il nous paraît nécessaire de compléter ce bilan avec un bilan de compétences pour envisager l'avenir sérieusement.
Enfin un mot pour conclure sur ce qui nous tient à cœur, à nous centristes, le dialogue social. Nous regrettons qu'il ait tourné court, que certains partenaires sociaux et responsables politiques aient refusé d'emblée le diagnostic du code du COR avant d'y consentir.
Que d'autres aient cru que la désinformation et l'hystérie pouvaient remplacer le débat aussi. Ce vrai débat que chacun mérite, et qui pourra, je l'espère, se nouer ici au Sénat.
Aucune réponse n'est faite pour l'éternité. Plusieurs dates jalonnent deux décennies de réforme des retraites. S'y ajoutera sans aucun doute 2023, et peut-être aussi 2027 avec la réforme présidentielle.
Pour cela, nous pensons qu'il est bon qu'il y ait une clause de revoyure, ou plutôt un bilan d'étape produit par la Cour des Comptes afin d'assurer peut-être la sérénité du débat qui suivra, comme celui qui, je l'espère, pourra se dérouler ici demain dans cette assemblée.