Réforme des retraites : "Depuis des décennies, les Français n’ont jamais été suffisament informés pour se forger une conviction."
Retrouvez ci-dessous l'entretien accordé par François Bayrou au Journal du Dimanche ce 11 décembre 2022.
Propos recueillis par Sarah Paillou
En quoi la réforme des retraites est-elle nécessaire, comme vous l’écrivez dans le rapport du Haut-Commissariat ?
Il faut partir de la réalité. Non pas la réalité de demain, mais la réalité d’aujourd’hui. Beaucoup affirment que la réforme n’est ni urgente ni indispensable, parce que, disent-ils, nos régimes de retraite sont aujourd’hui équilibrés et même excédentaires. C’est pourquoi le Commissariat au plan a voulu clarifier les chiffres. Et ce que montre cette étude, c’est que cet « équilibre » n’est obtenu que parce que l’État, c’est-à-dire le contribuable, apporte des sommes colossales pour assurer l’équilibre des régimes.
C’est-à-dire ?
Les retraites coûtent 345 milliards d’euros par an. Sur cette somme, les finances publiques, État, collectivités et hôpitaux, apportent 143 milliards, 40 % du total. Ils cotisent pour leurs salariés, les fonctionnaires, comme tous les autres employeurs, à hauteur de 25 milliards d’euros. Ensuite, l’État compense aux caisses de retraite tous les mécanismes de solidarité ou d’incitation qu’il décide à leur place (pour l’allègement du coût du travail, pour les familles, ou les départs anticipés) pour près de 90 milliards d’euros. C’est normal aussi. Mais 30 milliards de plus, au moins, sont consacrés à assurer l’équilibre des caisses de retraite. « L’excédent » dont on parle est donc calculé après intervention massive de l’État. Or cette intervention, c’est le contribuable, c’est du déficit et de la dette. La situation va s’aggraver dans les années qui viennent, ce n’est pas soutenable.
Faut-il donc freiner cette intervention étatique ?
Les Français, par l’intermédiaire de l’État et du Parlement, sont libres de décider à quoi ils utilisent leur budget. Encore faut-il qu’ils soient parfaitement informés, puisqu’au bout du compte c’est eux qui paieront. Et jusqu’à maintenant ils ne l’étaient pas.
Vous réclamez « un débat ouvert » sur le sujet. N’a-t-il pas eu lieu lors des campagnes présidentielle et législatives ?
Un débat sans information précise de tous les participants ne peut pas porter ses fruits. Or depuis des décennies, les Français n’ont jamais été suffisament informés pour se forger une conviction. On s’est bornés depuis des décennies à opposer des opinions entre elles. Mais on n’a pas donné à chacun des citoyens connaissance des faits, comme s’ils n’étaient pas capables de comprendre. C’est un débat entre spécialistes, gouvernement d’un côté, partenaires sociaux de l’autre. Or les citoyens, retraités ou actifs, devraient être les premiers intéressés. Nous n’avons pas, collectivement, fait l’effort de pédagogie nécessaire.
L’exécutif a-t-il commis une erreur en expliquant que cette réforme permettrait de financer d’autres transformations, la transition écologique par exemple ?
J’ai toujours pris mes distances avec cette affirmation. Ce n’est pas de l’argent disponible qu’on pourrait utiliser pour notre bon plaisir, c’est du déficit et de la dette ! Notre obligation première devrait être de retrouver les équilibres nécessaires.
Dans votre note, vous citez un âge de départ à la retraite à 64,2 ans permettant un retour à l’équilibre en 2032. Il ne faut donc pas aller jusqu’à 65 ans, comme l’évoque le gouvernement ?
Ne confondons pas l’âge légal de départ à la retraite et l’âge moyen. Ce que dit le Conseil d’orientation des retraites (COR) c’est que, si l’âge moyen passait à 64,2 ans, une partie des déficits à venir serait effacée. Mais ce qu’on oublie de dire quand on parle de l’âge légal à 64 ou 65 ans c’est que c’est un objectif pour dans dix ans, pas pour 2023 !
L’ancien Premier ministre Édouard Philippe plaide, lui, pour 67 ans. Une erreur ?
Repenser notre système de retraites n’est pas seulement une question de comptabilité publique, mais de modèle de société. Je refuse de dire aux aides-soignantes du centre communal d’action sociale de Pau, qui soulèvent des personnes âgées, souffrent de troubles musculo-squelettiques, qu’elles devront travailler jusqu’à 67 ans ! La question doit donc être individualisée. Je n’ai aucun doute que certains auront envie de rester plus longtemps dans leur profession, surtout s’ils ont ainsi accès à des avantages pour leur future pension. Et puis il faut repenser le travail, pour qu’on imagine d’autres activités, d’autres responsabilités en fin de carrière.
À 62 ans, selon les données de l’Insee, 25 % des Français les plus pauvres sont morts. Reporter l’âge de départ ne condamne-t-il pas un nombre croissant des plus démunis à ne jamais connaître la retraite ?
Prendre en compte l’état de santé avant le moment du départ à la retraite, cela doit être un impératif de justice.
Êtes-vous surpris de l’attitude de Laurent Berger, qui promet des manifestations de son syndicat, la CFDT, si le curseur des 65 ans ne bouge pas ?
J’ai beaucoup de considération pour Laurent Berger, à titre personnel mais aussi au nom du courant syndical qu’il représente. La clé de l’avenir de notre pays est entre les mains des réformistes. Élus, citoyens, représentants des entreprises ou des salariés, nous sommes tous coresponsables de l’avenir. On ne peut pas se contenter de la mise en accusation, de la revendication.
Craignez-vous un vaste mouvement social à la rentrée ?
Je ne crains jamais les mouvements sociaux. Cette réforme n’est pas une épreuve de force entre le gouvernement et la société française. La présentation de la Première ministre, Élisabeth Borne, jeudi, sera un point de départ. La discussion au Parlement, ensuite, doit avoir pour objectif de rendre durable notre système, pour que les pensions soient préservées et que tout le monde sache qu’il aura une retraite. Et de faire de cette réforme un projet de société, humain, qui prenne en compte les attentes légitimes de chacun.
Pourquoi préconisez-vous aussi d’augmenter les cotisations patronales retraites, de 16,5 % à 17,5 % du salaire brut ?
C’est un des leviers sur lesquels on peut jouer, mais le gouvernement ne souhaite pas du tout y toucher aujourd’hui. Pour résoudre un déséquilibre aussi grave, peut-être serait-il nécessaire que tout le monde fasse un pas.
Parmi les leviers d’action sur l’équilibre de notre système, votre note pointe aussi la productivité. Le gouvernement n’en fait-il pas assez sur le sujet ?
Notre productivité, il y a vingt ans, progressait de presque 1,5 % par an. Depuis 2010, on est tombé à 1 %. Si on retrouvait, ne serait-ce que 1,2 % de productivité, on gagnerait 5 milliards. Mais le levier le plus puissant c’est le plein-emploi. Si notre taux de chômage descendait à 4 ou 5 %, on trouverait 8 à 10 milliards d’euros de cotisations supplémentaires, sur les 30 que nous cherchons.
La réforme devrait être mise en œuvre par un texte budgétaire, facilitant l’usage de l’article 49-3 de la Constitution, qui permet une adoption sans vote. Validez-vous cette hypothèse ?
Le 49-3 est une arme institutionnelle normale. Mais on ne doit pas entrer dans cette réforme avec l’idée qu’on va couper court aux débats. Les débats au Parlement et dans l’opinion sont nécessaires.