?« Ce qui a été présenté hier va dans le sens du projet de recherche de la loi du plus juste. »

François Bayrou était l'invité de Jean-Jacques Bourdin ce jeudi à 8h35 sur BFM TV et RMC.
Retranscription de l'entretien :
François Bayrou, bonjour.
Bonjour.
Merci d'être avec nous. Vous aviez demandé, je me souviens, un tournant du quinquennat. En était-ce un hier ?
Oui. Présenté hier, décidé il y a deux mois lors de la sortie du Grand débat et on a vu hier la dimension du défi et la dimension du programme que le gouvernement se donnait à lui-même.
Le programme est copieux.
Très important, mais parce qu’il faut prendre la mesure de ce qui est en jeu.
Ce qui est en jeu, c'est un projet de société, un changement de la société, une réponse aux difficultés que la société française rencontre depuis des décennies car, la crise que l'on vient de vivre, on l’a dit à ce micro, les gilets jaunes et tout ce qui s’en est suivi, ce n'est pas une crise de 2019, c'est une crise qui date de 30 ans ou 35 ans, peut-être plus.
Et, cette crise, on voit bien de quoi elle est faite. On voit une société qui a perdu, au fond, le sens de son action, de sa vie en commun. Une société que beaucoup de ses membres ressentent comme injuste alors qu’elle est plus prospère que bien d'autres, elle redistribue plus que bien d'autres.
Plus que tout le monde même.
Oui, mais les Français, pour beaucoup d'entre eux, ne s'y reconnaissent pas et ce qui a été présenté hier et qui avait été annoncé par le Président de la République à la sortie du Grand débat, c'est exactement cela, que je résume dans cette formule : au lieu de la loi du plus fort, la loi du plus juste.
On s'attaque aux questions de fond.
Je vais entrer dans les questions de fond François Bayrou. Mais, finalement, Emmanuel Macron et Édouard Philippe ne sont-ils pas en train de réaliser votre vieux rêve, gouverner au centre ?
Eh bien, si ce rêve se réalise, je serai le plus heureux.
Est-ce qu’il est en train de se réaliser ?
Oui, c'est exactement cela le projet. Je ne donne pas d'étiquette. J'ai vendu l'idée de centre en France à la fois…
Tous ces commentaires sur : il est de droite, il est de gauche, cela ne vous intéresse pas,
… parfois seul contre tous.
C'est absurde. Arrêtons-nous une seconde.
Le Premier Ministre a dit hier quelque chose que je partage. Il y a, comment dirais-je, une vision de droite une vision de gauche et une vision du centre.
Ces trois courants politiques existent dans le pays et il n'y a aucune raison de dire qu'ils n'existeront plus, ils continueront d'exister. La question que je pose depuis longtemps c'est : est-ce que ces femmes et ces hommes qui se reconnaissent dans ces valeurs et ces courants politiques peuvent travailler ensemble ou pas ?
Est-ce que, simplement parce que vous appartenez à une famille d’esprit, de sensibilité, à qui l’on donne ces noms géographiques : droite, centre et gauche, cela vous empêche de travailler ensemble ?
Ma réponse à moi, vous le savez depuis longtemps, c'est qu'il faut dépasser les étiquettes et travailler ensemble avec ce que l'on est.
Donc François Bayrou, quand je regarde le paysage politique qui change.
Beaucoup.
Très vite, il y a la France insoumise d'un côté, le Rassemblement National de l'autre et Europe Écologie Les Verts. Voilà une troisième force qui est arrivée parce que la jeunesse demande, c'est une aspiration extrêmement forte.
Est-ce que le gouvernement doit travailler - je sais que le gouvernement s'est engagé - par exemple avec M. Jadot, avec Europe Écologie Les Verts ? Avec des écologistes qui acceptent l'économie de marché ?
Il faut travailler, selon moi, avec toutes les bonnes volontés ou toutes les volontés disponibles. C'est exactement cela la ligne.
Vous avez vu l’épine dorsale du discours d’hier. C'est, en effet, il y a un chapitre à ouvrir sur l'environnement, la protection de l'environnement, les précautions que nous avons à prendre sur l'environnement et ce n'est pas moi, à la tête d'une ville qui se bat sur ce sujet qui vais vous dire le contraire puisque nous allons lancer le premier transport public à hydrogène.
Cette question-là est évidemment centrale pour tout le monde.
Et elle est centrale politiquement aussi, pour les municipales.
Elle est très importante politiquement.
Pour les municipales, est-ce que vous pourrez imaginer des alliances ?
Je ne sais pas comment vous imaginez les municipales, je vais vous dire comment, moi, j'y pense.
Je n'ai jamais pensé aux municipales en termes d'étiquette et chaque fois que l'on a essayé d’y penser en termes d'étiquettes on s'est cassé la figure.
Enfin je sais que le Modem sera bien représenté tout de même.
Parce que je sais que les femmes et les hommes qui se battent avec moi depuis longtemps sont très bien et donc ils feront de très très bons élus. Mais si vous croyez qu'à Pau je vais faire une liste en fonction des étiquettes, vous qui connaissez bien cette ville et ce que nous y faisons, franchement, c'est non. Je ne ferai pas une liste à partir des étiquettes, je ferai une liste à partir des personnalités dont je sais qu'elles peuvent aider la ville de Pau et ailleurs.
On est d’accord, mais dans les autres villes de France ?
C'est pareil ailleurs.
Quand j'entends la République en Marche qui va présenter ses premiers candidats dès lundi, je crois, alors, là, c'est la République En Marche et ceux qui voudront venir avec nous viendront, mais pas plus.
C'est une formation politique qui vient de naître et qui cherche à s'affirmer et à affirmer ce qui la compose. Ils ont bien raison, mais vous savez bien que dans une ville, ce n'est pas comme cela que l'on réfléchit.
Je pense que les élections locales sont des élections locales c'est-à-dire à déconnecter des étiquettes.
J'ai compris.
Cela a toujours été ma position, mais comment réfléchissent les électeurs ? Ils disent : est-ce qu’on a un bon maire ou pas ?
Est-ce qu’au fond, ce qu'il pense, ce qu'il projette pour nous correspond à notre attente ?
Est-ce que cela rehausse l'image de notre ville ou pas ?
Est-ce qu’on y vivra mieux demain ?
Et cela touche aux problèmes de propreté, aux problèmes de sécurité, aux problèmes en effet d'environnement, aux problèmes d'économie, aux problèmes des entreprises, de l'accueil des entreprises, aux problèmes du numérique, est-ce qu’on va avoir le très haut débit dans chaque appartement ?
C'est cela, un maire.
Je suis d'accord, mais je vous pose une question très précise, je vais prendre trois villes : Bordeaux Toulouse et Nice.
Est-ce que la République en Marche doit présenter des candidats contre les trois maires sortants qui sont des maires qui, apparemment, font bien leur boulot ?
Si vous me permettez, j'en parlerai avec eux avant d'en parler avec vous.
D’accord, mais, François Bayrou, qu'est-ce vous en pensez ?
Tout le monde sait ce que je pense. Je pense que, lorsqu'un maire défend un projet qui est un bon projet, il faut essayer de rassembler autour de lui des forces qui permettent d'avancer.
On se range derrière lui, on rassemble autour de lui, la République En Marche doit se rassembler autour du maire de Bordeaux, du maire de Toulouse et du maire de Nice. Je comprends !
Je comprends que vous vouliez prendre en main les discussions entre le Modem et la République en Marche ! Je trouve très bien que vous y participiez mais il se trouve…
Non, j'applique ce que vous venez de dire !
…Je vous propose que l'on attende pour répondre à ces questions.
D'accord, mais je vous ai compris, les téléspectateurs vous auront compris.
L'idée que je me fais, c'est que les rassemblements les plus larges sont utiles dès l'instant que les élus respectent deux choses : d'une part on va dire au sens large les valeurs qui sont les nôtres et d'autre part qu'ils ne soient pas engagés partisans.
À ce titre, permettez de dire en une phrase quelque chose qui est un peu raide.
Je n'ai pas compris et pas approuvé le fait que les présidents d'association d'élus locaux, de maires, de présidents de conseils départementaux ou de présidents de conseils régionaux s'engagent sous une étiquette partisane, je veux dire se servent de leur mandat pour aller dire : Nous, on est LR et on va participer à la reconstruction de la droite.
À qui pensez-vous ?
Les trois présidents d'associations d'élus locaux M. François Baroin, M. Bussereau et M. Morin. Tous les trois se sont servis du mandat que leur ont confié leurs homologues, leurs collègues et qui leur ont confié ces mandats de toutes étiquettes* et, donc, moi je n'aime pas cette utilisation des choses.
Je trouve que, quand on est à la tête d'une association d'élus, on représente toutes les sensibilités des élus et pas un engagement partisan en se servant de ce mandat.
C'était au passage.
Vous l'avez dit, il fallait que vous le disiez, vous aviez envie de le dire.
Les retraites. Parmi les mesures, les grandes réformes de la fin du quinquennat, nous verrons si elle est grande ou pas en fonction du projet de loi et de ce qui est voté.
Elle ne peut être que grande.
Eh bien, nous verrons. Retraite, âge légal de la retraite maintenu à 62 ans, mais l’âge légal n'a plus énormément d’importance, franchement, François Bayrou. Ce qui compte, c'est la durée de cotisation.
Il faut comprendre ce qu’est la réforme.
On a des dizaines et des dizaines de régimes différents. Les Français en sont, pour leur majorité, exaspérés et à juste titre parce qu'ils ont le sentiment d'une inégalité.
Et donc on remplace cette manière de voir les choses par une autre organisation qui est en fait une organisation de retraite à la carte.
Vous choisissez vous-même votre âge de départ à la retraite en ayant en tête que, si vous partez tôt, votre pension sera moindre, si vous restez au travail pendant une, deux, trois années de plus, votre pension sera plus importante et tout cela s'analyse avec des régimes par point.
Je voudrais, puisque vous m'y invitez, corriger une ou deux erreurs.
Allez-y.
La première : beaucoup de gens pensent que les régimes spéciaux vont disparaître et les avantages de ceux qui y étaient affiliés aussi.
Ce n'est pas vrai.
Toutes les années qui ont été passées au travail sous tel ou tel régime seront prises en compte.
Les droits acquis seront préservés.
Ce qui est à qui est acquis est acquis. Si vous avez passé 40 ans sous ce régime-là, eh bien vous garderez le bénéfice de ces 40 années, ce sont les deux années et demie qui vous manqueront qui entreront dans un autre régime qui sera le même pour tous les Français.
La préservation des acquis est une chose très importante.
Il y a une deuxième chose très importante, c'est que l'on va prendre le temps. Cela ne va pas s'appliquer comme un couperet du jour au lendemain, il va y avoir une période d'adaptation à cette nouvelle organisation et, à terme, l’année travaillée par tous les Français se verra appliquer les mêmes droits sauf, et cela va être tout le travail de l'Assemblée Nationale et du Sénat, pénibilité.
Oui donc retraite à la carte, donc je vais accumuler des points. Le problème, c'est que je ne saurai pas la valeur du point à la fin de ma vie professionnelle, je ne saurai donc pas le montant de ma pension.
Vous saurez la valeur du point le jour où vous prenez votre retraite et c'est pourquoi les régimes équilibrés font que le but de l'autorité qui aura la charge sera de préserver la valeur du point.
Peut-être préserver la valeur du point, mais sauf que je ne connaîtrais pas la fin parce que je ne connaîtrais pas la durée de ma cotisation.
Jean-Jacques, vous êtes à l’AGIRC ou à l’ARRCO. Eh bien, AGIRC ou ARRCO, c'est exactement comme cela que cela fonctionne.
Sauf que je ne saurai pas combien de temps je devrai travailler pour obtenir.
Non, c'est vous qui choisirez…
Mon départ. C’est-à-dire que, pour toucher une retraite pleine, je serai peut-être obligé de travailler 63, 64 ans…
Pas pleine, améliorée.
Vous aurez droit à une retraite pleine, mais naturellement le montant de la pension sera amélioré si vous restez plus longtemps au travail.
Si je reste plus longtemps sauf que, pour toucher une retraite pleine, je serai obligé de travailler plus de 62 ans, âge légal qui ne veut plus rien dire.
Retraite pleine, c'est un mot du système précédent. Chacun choisit l'âge de départ à la retraite. Il y aura des discussions, ce n’est pas une réforme simple.
Non, elle est très compliquée.
Mais c'est une réforme essentielle pour que l'on arrive à l'équilibre et à l’équité.
J’ai une autre question sur les retraites puis je vais passer à autre chose.
Je suis un travailleur, j'ai 55 ans, j'arrête de travailler parce qu'on m'a licencié, je me retrouve sans boulot ; à 55 ans, c'est très difficile de retrouver du travail, je vais me retrouver pendant 7, 8, 9 ans sans revenu ?
Non, les mécanismes de protection jouent et seront les mêmes. On ne parle pas de la retraite là, on parle des mécanismes de protection en cas de perte d'emploi.
Oui, mais le temps que j’arrive à ma retraite...
Mais c'est le cas aujourd'hui.
Oui. Le taux le taux d'emploi de ces personnes-là est très bas.
Très bas, trop bas et, d'ailleurs, il faut, de ce point de vue, changer la représentation.
Ce n'est pas parce que vous avez 55 ans que vous n'êtes pas apte, et même souvent plus apte que de plus jeunes au travail que l’on vous demandera.
Beaucoup d'environnement dans le discours du Premier Ministre hier. Moi, je veux bien, rompre avec le gaspillage c'est très bien, mais enfin on continue à subventionner…
Finissez votre phrase, les mesures me paraissent très bien, parce que vous aviez interrompu !
Les mesures, concernant le gaspillage me paraissent. J'attends de voir, après, l'application comme toujours, vous aussi, j'imagine.
Mais pourquoi subventionne-t-on encore l'énergie fossile ? Pourquoi ?
On taxe l'énergie fossile.
On la subventionna aussi.
Quand vous êtes à la pompe à essence, on taxe et nous n'allons pas passer d'un coup d'une énergie à une autre, tout cela doit être lissé dans le temps et heureusement que nous avons cette capacité-là.
Par exemple, quel est le chauffage le plus propre en dehors des énergies renouvelables ? Et cela demande une précision ?
C'est le gaz. On ne peut pas mettre dans le même sac le gaz et le charbon.
Le charbon est une énergie disons-le « dégueulasse » qui pollue l'atmosphère, le gaz est une énergie qui, au contraire, préserve assez largement.
Eh bien, écoutez, on ne peut pas mettre les deux dans le même sac.
Donc, de ce point de vue, il faut aussi que nous apprenions à penser l'avenir en termes de transition, et c'est ce que nous allons faire.
Réforme des institutions qui va être retardée, car elle a un peu disparu, cette réforme des institutions.
Vous le regrettez, j'imagine, car vous y teniez.
Plus que cela ! Je vais tout vous dire. J'étais partisan, tout le monde le sait, d'organiser un référendum le jour du deuxième tour des élections législatives de 2017. On entrait dans une nouvelle phase et on demandait aux Français en un seul dimanche de tracer le cadre de ce que serait l'avenir.
Quelle était l'idée ? Moins de parlementaires pour qu’ils aient plus de poids.
Si vous regardez le nombre de parlementaires aux États-Unis et en France pour une population qui est d'un rapport de 1 à 6, eh bien vous vous apercevez qu'en effet ils ont plus d’autorité aux États-Unis et nous devrions travailler de ce point de vue en France.
Par ailleurs, instaurer la loi électorale juste qui consiste à dire : tous les courants politiques auront une représentation, s'ils passent une barre raisonnable de 5 %.
Je pensais que c'était nécessaire. C'était d'ailleurs l'engagement du Président de la République.
Vous le pensez, je n’ai pas l’impression que le Président de la République et le Premier Ministre le pensent.
Non, je crois que le Président de la République était très attaché à cette idée.
Cela fait des mois, des années.
Ils ont tous choisi, ils ont choisi de passer par un mécanisme plus lent. De ce point de vue, j’ai depuis le début pensé que ce n'était pas rassurant pour la réforme, mais il va y avoir des rendez-vous.
Cela vous irrite, franchement, vous devenez impatient ?
Non, je ne suis pas impatient, j'en ai vu beaucoup du point de vue des institutions.
Je sais que tout le système est crispé sur la préservation de l'existant.
Est-il si difficile en France de réduire par exemple le nombre de parlementaires ?
Pour moi, c'est nécessaire, c'est facile et il se trouve que tout le système est braqué contre.
Vous regrettez ce retard ?
Non seulement je regrette, mais je pense que l'on devrait un jour poser cette question de manière efficace, mais vous avez vu sans doute que le Sénat, le Premier Ministre l’a dit élégamment hier entre les lignes, n'a pas manifesté un enthousiasme délirant pour cette réforme.
Disons les choses il n'en veut pas !
Voilà et donc, moi, je pense qu'il faut en effet, avec les Français, pousser cette réforme et, peut-être un jour, la trancher par un référendum.
Cela fait des mois que l'on en parle. Il faut rénover la vie démocratique.
Pour l'instant, ce n'est pas du temps perdu, car, de toute façon, cela ne peut pas s'appliquer avant les prochaines élections donc considérons que nous sommes dans un rythme utile.
Merci François Bayrou d'être venu nous voir ce matin.