"Il est évidemment indécent de trier les réfugiés selon leur religion"
Au micro de Bruce Toussaint sur i>Télé, le président du MoDem a affirmé que les personnalités politiques ayant déclaré vouloir opérer un tri selon la religion pour accueillir les réfugiés manquaient à un devoir élémentaire civique.
François Bayrou est notre invité sur i>Télé ce matin. Bonjour.
Bonjour.
Merci d’être avec nous. On va regarder ensemble ces images, tournées cette nuit en Allemagne. Ce sont des réfugiés syriens et irakiens qui sont actuellement en route. Ils vont arriver en fin de matinée en France, ce sont les premiers, d’une certaine façon qui ont transité par l’Allemagne et qui vont se retrouver tout à l’heure en Seine-et-Marne. Alors on va écouter aussi ce qu’ils disent : ce sont des cris de joie au moment d’embarquer, ils crient : « Vive la France » mais aussi « Vive Chirac ». Est-ce que cela vous surprend ?
Non, ils voient le salut. D’abord il est inexact de dire que ce sont les premiers que l’on reçoit. Heureusement, la France a déjà donné asile à beaucoup de réfugiés. Toutes nos villes ont donné asile à beaucoup de réfugiés. Nous sommes aujourd’hui devant un événement d’ampleur médiatisé extrêmement fort, extrêmement émouvant pour les Français, et devant cet événement il faut évidemment que nous prenions notre part. De ce point de vue, les chiffres qui ont été annoncés (24 000) sont des chiffres – si l’on en restait là – absolument maitrisables par la France. Je fais un calcul rapide : 24 000 divisés par 100 – qui est le département moyen français, c’est le mien, les Pyrénées-Atlantiques – cela fait 240 réfugiés à accueillir et intégrer pour notre département. Pau est le quart du département, cela fait donc 60 réfugiés avec l’agglomération. Il est évident que l’on peut, en deux ans, sans difficultés, trouver un accueil et – j’espère – une intégration.
Donc le maire de Pau est prêt à accueillir des réfugiés. Sans hésitation.
Je l’ai dit au gouvernement – sans hésitation – tant que les chiffres demeurent des chiffres que l’on peut équilibrer dans la population. Il faudrait être naïf pour croire que la question s’arrête à 24 000 personnes. L’Allemagne en a accueilli 16 000 dans le week-end.
Un million au total dans l’année 2016, par exemple.
C’est la raison pour laquelle je dis que la solution exclusive à cette question n’est pas seulement chez nous. J’ai proposé l’idée que les autorités internationales réfléchissent à la création de zones protégées sur les terres de départ, dans les régions de départ. Des zones protégées par l’autorité internationale, par des forces armées internationales qui serviront à la fois de refuge et de reconstitution d’une vie, parce que, évidemment, les pays européens ne pourront pas accueillir – Michel Rocard avait dit autrefois « toute la misère du monde » -. Il faut ajouter une chose : il est évidemment indécent de prétendre trier parmi les réfugiés selon leur origine, leur religion ou je ne sais quoi. Lorsqu’un enfant se noie, on ne lui demande pas quelle est sa religion, on le tire de l’eau ! De ce point de vue là, il y a des attitudes qui sont hors de tout équilibre d’humanité.
Donc vous êtes d’accord avec Manuel Valls quand il dit cela : « On ne trie pas en fonction de la religion, on accueille, des chrétiens, des musulmans, des yazidies, on ne trie pas. Le droit d’asile est un droit universel, c’est un droit inscrit dans la conscience humaine ». Vous avez été choqué, par exemple, par ce qu’ont dit les maires de Roanne, Romans, de Belfort ?
Je viens de vous le dire, je pense que ceux qui se laissent aller à des déclarations de cet ordre manquent à un devoir élémentaire civique. Je ne dis même pas d’humanité, je ne dis pas de droits de l’Homme, bien sûr, mais un devoir civique élémentaire. Que l’on puisse dire en France « Je vais trier par la religion » - et c’est quelqu’un pour qui la religion est importante qui vous le dit – c’est insensé. De ce point de vue, oui, il faut ramener à la raison tous ceux qui dérivent et se laissent entrainer.
C’est même un problème moral, non ?
C’est un problème d’humanité élémentaire.
Ce n’est pas très chrétien.
Je ne veux pas mêler la religion à tout cela, franchement. C’est trop moche pour que ceux qui considèrent la religion comme importante le fassent.
Concrètement, vous, en tant que maire de Pau, on vous a contacté ? Les autorités vous ont contacté, vous ont d’ores et déjà demandé quelque chose ou est-ce que vous êtes en train d’organiser cela ?
J’ai été invité à participer samedi prochain à une réunion avec le gouvernement, bien sûr que j’irai et bien sûr que nous travaillons et nous travaillons depuis longtemps. Je veux répéter cela : faire croire à l’opinion publique par des médias interposés que c’est la première fois que l’on va accueillir des réfugiés, c’est faire fi de toutes celles et de tous ceux – les associations, des gens dévoués et parfois désarmés – qui travaillent sur ce sujet depuis longtemps, des villes qui les accueillent depuis longtemps. J’ai, le jour de la rentrée, participé à la rentrée scolaire d’une classe non-francophone parce que depuis longtemps nous travaillons sur ces sujets sachant qu’il y a une solidarité de l’humanité que l’on n’a pas le droit d’oublier.
La question maintenant de l’intervention militaire en Syrie, est-ce que vous soutenez cette initiative du Président de la République ?
Oui, je la soutiens. Je pense qu’il y a un large consensus parmi les responsables français pour dire que l’on est sous la menace immédiate, urgente, terrible d’une organisation qui est une organisation terroriste dans son essence et qui veut écraser les libertés, qui décapite les gens et qui détruit le patrimoine de l’humanité. Ceci est une urgence et il faut donc que toutes les forces disponibles des États - qui peuvent les mobiliser - se mobilisent pour cela. J’ai un peu souri quand on a parlé de « vols de reconnaissance ».
Pourquoi ?
Parce que les satellites que nous avons depuis longtemps doivent nous avoir permis de repérer absolument tous les sites en question. Donc bien sûr, je soutiens la participation de la France et des autres pays de l’UE, et des autres pays ententes du monde - par exemple de la Ligue arabe – pour que vienne le jour où l’on se décide à réduire cette plaie de l’humanité qui est en train de se constituer.
Jusqu’où faut-il aller ? Pour l’instant, François Hollande dit « Pas question d’aller au sol », la question se pose néanmoins.
On sait très bien que c’est au sol que cette question se résoudra mais est-ce que c’est à nous d’aller au sol ? Je pense que c’est plutôt aux puissances de la région. Vous comprenez, pour ne pas porter l’image – on a vu ce qu’il s’était passé en Irak, guerre, vous le savez, à laquelle nous étions opposés – des Occidentaux qui viennent imposer leur loi. Il faut que les pays intéressés, les pays de la région, et les pays de la zone soient les premiers contingents, qu’on les aide, qu’on les assiste, qu’on envoie des observateurs – comme on dit pudiquement -, qu’on leur apporte le soutien nécessaire, oui.
Attention néanmoins à ne pas tout mélanger. Agnès Levadois, qui est une grande spécialiste du Moyen-Orient expliquait hier soir sur i>Télé qu’une intervention militaire ne résout pas forcément la crise des migrants. C’est intéressant ce qu’elle dit, parce que finalement il peut y avoir une espèce de confusion du moment où tout cela est annoncé et ce consensus que vous évoquiez à l’instant. Ce n’est parce que l’on fera une intervention militaire qu’il va y avoir un arrêt des réfugiés.
Elle a sûrement raison mais vous voyez bien, il faut faire une hiérarchie des menaces, de l’urgence des menaces, du caractère intolérable. Que Bachar el-Assad ne soit pas ce que l’on peut recommander à un pays, comme vous le savez, je le pense depuis longtemps et j’ai désapprouvé le moment où il avait été invité par le Président de la République française de l’époque à présider le défilé du 14 juillet. De ce point de vue, je pense que l’on a raison d’être intransigeant. Mais il y a des signes qui prouvent que cela bouge un peu : la Russie – qui est le principal défenseur de Bachar el-Assad – donne des signes qui font que, bien sûr, il faut que l’on prépare la suite, l’après Bachar el-Assad. Mais pour l’instant, la menace la plus immédiate c’est évidemment de Daech qu’elle vient.
Parlons maintenant de l’actualité sociale, avec la remise du rapport Combrexelle tout à l’heure au Premier Ministre, rapport qui concerne le Code du Travail. Alors, à peine remis, on nous explique déjà que, finalement, on ne touchera pas aux 35h, à la durée légale du travail, ce rapport – qui est assez explosif – ne donnera lieu qu’à des réformes plus mesurées. Attendez-vous quelque chose néanmoins de cette réforme ?
Vous vous souviendrez peut-être que dans une émission de télévision qui avait fait du bruit à l’époque j’avais montré le Code du Travail français par rapport au Code du Travail suisse. Le Code du Travail français fait 2000 pages et doit peser 1,5kg, il est écrit tout petit et donc absolument illisible. C’est une première question, la lisibilité. Robert Badinter a fait un petit livre qui ne prétend pas donner l’intégralité d’un futur Code du Travail mais il donne l’exemple qu’à la lecture de quelques dizaines de pages, on peut sans doute écrire un Code du Travail lisible. C’est la première question, parce que beaucoup de gens sont complètement égarés devant le Code du Travail, des salariés et des employeurs qui, évidemment ne peuvent pas s’y retrouver.
Mais c’est néanmoins fait pour défendre, nous salariés, l’origine c’est cela.
Je ne crois pas que ce soit une défense efficace. L’autre jour j’entendais un spécialiste dire « Ne vous trompez pas, même les avocats en droit social ne peuvent pas connaître le Code du Travail ». Alors, si on en est là, il faut prendre des mesures qui soient des mesures spectaculaires – j’allais dire – pour réécrire tout cela dans un français compréhensible. Vous vous souvenez que la règle c’est Nul n’est sensé ignorer la loi. C’est la première chose. Deuxièmement : est-ce que l’on peut avoir des adaptations ? Est-ce que lorsque l’on a une règle générale qui prétend s’appliquer à l’ensemble du territoire national, est-ce que l’on peut l’adapter à telle ou telle branche ou à telle ou telle entreprise ? Par accord, ça c’est la logique et la raison. Et donc oui, évidemment je soutiens cette orientation. Autre question : celle du temps de travail. Il me semble que cette question-là est une question centrale, je pense que la France a beaucoup perdu quand elle a pris la décision trop rapide sans réflexion approfondie et sans adaptation de mettre en place les 35h mais on peut traiter la question et la résoudre. Par exemple, les 35, qu’est-ce que c’est ? C’est le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Pourquoi ? Parce que les heures supplémentaires coûtent plus cher à l’entreprise. Elles rapportent davantage aux salariés, ça c’est justice, elles coûtent plus chères à l’entreprise et cela c’est la question. J’ai proposé depuis longtemps, que l’on ait un système qui permette à l’entreprise de ne pas payer l’heure supplémentaire plus chère aux salariés, qu’elle ne lui coûte pas plus mais qu’elle lui rapporte cependant sa prime en baissant pour la même proportion les charges sociales. Et à ce moment-là, le problème des 35h n’existe plus.
C’est votre positionnement mais visiblement le gouvernement est très frileux sur cette question. Dès lundi, François Hollande dans sa conférence de presse a dit que l’on ne touchera pas à la durée légale du travail.
Le gouvernement est frileux parce que sa majorité est divisée. En privé, tout le monde convient, on entend beaucoup de responsables publics dire « Au fond, c’est trop rigide, ça ne marche pas » et ils ont raison de ce point de vue. Mais je pense qu’il y a des adaptations simples, compréhensibles par tous et qui peuvent permettre de résoudre cette question pour l’avantage mutuel des salariés et des entreprises. En tout état de cause, c’est très simple : tout obstacle à l’embauche est un obstacle qui doit être traité. Je suis absolument persuadé qu’il y a des – je pèse le chiffre – centaines de milliers d’emploi qui pourraient être créés et ne le sont pas.
À cause de la complexité du Code du Travail.
À cause de la complexité du Code du Travail, à cause du contrat de travail.
Cela aussi, il faut le réformer ?
Cela aussi, il faut le réformer.
Comment ?
Si ce n’est pas possible par la loi, il faut le faire par référendum. Les grandes questions – j’ai déjà défendu devant vous cette idée – qui sont des questions de basculement pour faire sauter des obstacles excessifs, s’il est impossible de les résoudre par les élections et la voie législative classique, alors il faut les résoudre par la voie référendaire.
Est-ce que l’on fait cela à un an et demi d’une élection présidentielle ? Et donc à un an d’une campagne ?
Si vous êtes en train de me dire que François Hollande a, en effet, gâché le temps qu’il a eu et les chances qu’il a eues, je partage ce sentiment et même je suis prêt à ajouter une ligne à ce bilan.