« Nous voyons régulièrement sur les réseaux sociaux des tonnes d'abjections dans tous les domaines, cela met à mal notre idée de la République. »
François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, était l'invité de Jean-Jacques Bourdin, ce jeudi 21 février 2019. Nous vous invitons à revoir cette interview.
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EXTRAITS :
RETROUVEZ LA RETRANSCRIPTION DE L'INTERVIEW :
Notre invité ce matin, François Bayrou. Bonjour.
Bonjour.
Merci d'être avec nous. Hier soir, le Président de la République a parlé de la proposition. Il a annoncé clairement qu'il allait prendre des mesures pour lutter contre l'antisémitisme. Première mesure annoncée hier : « proposition de loi pour freiner les propos racistes et antisémites sur le Net ». Renforcer la pression sur les opérateurs, indispensable, François Bayrou ?
Vous le savez bien. Vous allez tout le temps sur les réseaux sociaux.
Oui.
Et vous voyez les tonnes d'abjections qui se déversent. Comme c'est le cas dans la rue pour des injures ou dans les journaux, il faut qu'on puisse sanctionner ce qui est insupportable, ce qui est purement et simplement insupportable dans tous les secteurs, Vous avez vu qu'il y a eu récemment un scandale parce que des imbéciles s'attaquaient à des femmes qui étaient « moins minces » que les autres. Ce qu'on appelle d'un mot pas joli la « grossophobie ».
C'est inacceptable, ce qui se passe, qui ressort et qui resurgit, après tant de temps, à propos des juifs par exemple, avec de nouveau cette haine et qui arrive à d'autres moments à propos des musulmans. Tout cela n'est pas seulement français parce que cela se passe dans d'autres pays.
Hier, on a appris la démission de députés du parti travailliste parce qu'ils expliquaient qu'à l'intérieur du parti travailliste il y avait l'expression d'un antisémitisme qui s'appliquait à ceux des députés qui étaient juifs. Cela n'est pas seulement français, mais c'est plus cruel en France et plus grave. Pourquoi ? Parce que la France est une unité. La France s'est bâtie et construite au travers de son histoire comme une unité. Liberté, égalité et fraternité, cela parle de l'histoire séculaire du pays et du corps du pays dans l'histoire.
Donc c’est plus offensant en France. C'est grave partout, mais c’est plus offensant en France parce que cela atteint directement l'idée que nous nous faisons de notre pays et de la République
Responsabiliser les plateformes, on est bien d’accord : punir ceux qui tiennent ces propos haineux. Faut-il aller jusqu’à la levée de l'anonymat sur Internet ?
C'est très difficile parce qu'il y a en même temps, vous le sentez dans l'autre plateau la protection de la liberté d'expression. D’ailleurs, non seulement, c'est difficile à concevoir, mais c’est difficile à faire.
Il faut que le Parlement fasse son travail dans cette affaire. On a besoin d'avoir une réflexion partagée avec l'ensemble du pays sur les décisions qu'il faut prendre pour empêcher ce genre de dérives, mais de dérives par millions tous les jours.
Ces dérives, est-ce que, parce qu'il y a débat aujourd'hui sur le rôle de certains partis politiques, je pense au Rassemblement national et à la France insoumise. Est-ce quelque part ces deux partis ont une part de responsabilité dans ces dérives ?
Je n'ai pas envie d'entrer dans ce type de polémiques.
Parce qu’il y a l’antisémitisme d’extrême droite, mais il y a aussi cet antisémitisme d’extrême gauche, islamo-gauchiste.
On le voit à chaque instant. Quand on dit islamo-gauchiste, on dit deux choses en même temps.
Oui.
Je veux faire très attention à la manière que nous avons de nous exprimer. Ce sont des opinions que je ne partage pas et ce sont des attitudes souvent que je ne partage pas et vous le savez bien.
Oui.
Toute ma vie, je me suis inscrit dans une attitude de refus d’un certain nombre de dérives. Cependant, je n'ai pas envie de passer mon temps à condamner dans le principe ces opinions parce que cela se retournait contre la démocratie comme nous la voulons.
Il faut du pluralisme. Le pluralisme doit être protégé et défendu. En même temps, cela doit ouvrir des débats au sein des citoyens et parmi les citoyens, pour dire ceci est acceptable et ceci ne l'est pas.
Avez-vous lu le rapport de la Commission d’enquête parlementaire du Sénat sur l'affaire Benalla/Crase ?
Oui.
Enquête préliminaire ouverte sur le témoignage d’Alexandre Benalla et Vincent Crase, enquête préliminaire judiciaire ouverte. Les sénateurs réclament au bureau du Sénat : « de saisir la justice pour vérifier un certain nombre d’omissions, d'incohérences et de contradictions lors des auditions de certains proches du Président ». À juste titre ?
Quand il y a des contre-pouvoirs, il arrive très souvent que les contre-pouvoirs soient plus « contre » que « pouvoir ». Je veux dire qu’ils soient par définition une contestation du pouvoir. Au Sénat, évidemment c'est le cas par nature puisque vous avez lu le rapport, comme moi…
Oui.
… dans l'introduction on dit que la majorité et l'opposition du Sénat ont été associées. Mais vous savez bien qu’au Sénat la majorité et l’opposition, ce sont deux oppositions. La majorité c'est la droite et l'opposition du Sénat, c'est la gauche. Ce sont deux courants politiques qui sont contre le Président de la République.
Cela équilibre l'Assemblée nationale.
Oui. Il y a besoin de cet équilibre. De ce point de vue, on voit bien qu’il y a une certaine délectation à pointer du doigt…
Une délectation de la part de la Commission sénatoriale à pointer du doigt d'éventuelles dérives à l'Élysée ?
Je le pense. Ensuite, il faut dépasser cet aspect d'agacement. Le pouvoir est toujours agacé quand il y a des contre-pouvoirs. Même vous qui êtes le quatrième pouvoir, quand on vous met en cause cela vous agace fortement parfois.
Oui.
C’est comme cela la vie. On est toujours agacé d’être mis en cause.
Mais nous restons lucides sur nos insuffisances.
Ma thèse est qu'il faut s'en servir, au lieu de se sentir agressé ou assiégé, alors il faut lire attentivement pour voir ce qui doit être corrigé dans la manière dont sont organisées les institutions et leurs pratiques.
Il est temps que l'Élysée…
Troisièmement.
Oui. Allez-y.
Il ne faut pas oublier les principes et parmi ces principes il y en a un que le Sénat a défendu cent fois pour lui-même, qui est la séparation des pouvoirs.
Pensez-vous qu’en l’occurrence le Sénat dépasse son rôle ?
Je n'aime pas dire cela. Je pense qu'il y a dans certains esprits l’idée que, ma foi, c'est une bataille. Or, je ne conçois pas cela comme une bataille. La séparation des pouvoirs veut dire que le Sénat ne doit pas s'arroger ou revendiquer le droit de mettre en cause l'organisation de l'Élysée.
C'est ce que fait le Sénat à travers cette Commission d’enquête ?
Vous voyez bien. Vous avez vous-mêmes cité les titres. Je regardais les titres sur votre écran. C’est cela qui apparaissait. Je veux être encore plus clair. Les trois responsables qui ont été nommés par le Sénat et ciblés par le Sénat qui sont le secrétaire général de l'Élysée…
M. Kohler.
Le directeur de cabinet…
M. Strzoda.
Et le général commandant la place militaire de l'Élysée. Pour moi, ce sont des hommes qui sont de grands serviteurs de l'État et que jamais je n'ai vu s’exposer et je les connais assez bien, moins le général que les autres. Je ne les ai jamais vu s’exposer au moindre manquement.
Doivent-ils quitter leur fonction ?
Vous avez entendu ce que je viens de dire.
Je vous pose la question. Doivent-ils quitter leur fonction ?
Vous ne m’avez pas entendu.
Si.
Je dis exactement le contraire. De ce que j’ai vu tout ou long de ces années, ce sont des hommes qui ont la plus haute idée et le plus grand respect de leur fonction. Il fallait que cela aussi soit dit.
D'accord. Mais alors j'ai des questions claires avant de passer à autre chose. Tout de même, François Bayrou, indulgence incompréhensible de l'Élysée à l’égard d’Alexandre Benalla. Pardon.
Quand on fait la liste de cette liberté accordée à M. Benalla. Quand on sait qu’au mois de mars 2018 des contrats avec un milliardaire russe curieux, proche de Poutine, ont été signés alors que M. Benalla était en poste à l'Élysée. Personne ne surveille cela ?
Vous devriez lire ce que vos confrères écrivent parce que le correspondant de l'AFP à Moscou a dit : « proche de Poutine, c'est n'importe quoi ».
Mais tous les oligarques sont plus ou moins proches de Poutine sans être proches.
Oui. Ceci est anecdotique.
Oui.
Revenons aux faits. Moi-même, c’est une affaire que j'ai beaucoup de mal à suivre
Oui.
Parce que viennent s'ajouter des éléments, que même dans mon imagination la plus folle, je n'aurais jamais imaginés. Des histoires de contrats russes sur la sécurité et toutes ces choses, c'est n'importe quoi. Quelle la cause ? Elle est extrêmement simple.
D'après ce que je vois, c'est un jeune homme fasciné, comme il y en a tant, par les services de sécurité, les gardes du corps, les réseaux de toutes natures et les armes, sans doute avec des capacités. Il avait exercé ces fonctions auprès d'autres responsables politiques majeurs du parti socialiste, en particulier.
Il était chauffeur d'Arnaud Montebourg.
Non, pas du tout. Il a été garde du corps de Hollande, de Martine Aubry etc. Je me souviens que le responsable du service de sécurité du parti socialiste a dit que c'est quelqu'un de formidable. Ce n’est pas la question. Il avait sûrement ces aptitudes, mais cela lui est monté à la tête. Qu'est-ce qui lui est monté à la tête ?
C'est la toute-puissance en France de la présidence de la République. C'est le sentiment qu'on touchait là à une espèce d'invulnérabilité et de capacité magique de décision.
C'est ce qui est arrivé et c'est la raison pour laquelle il faut un équilibre des pouvoirs dans notre pays. C’est la raison pour laquelle il faut une démocratie qui soit vivante. C'est pourquoi les Français doivent être tous représentés ou en tout cas, les grands courants du pays. Tout se tient, vous le voyez bien.
Oui.
Je crois que le Président de la République en est parfaitement conscient.
Il faut prendre des décisions. Que doit faire l'Élysée ? Réorganiser ? Il a commencé.
Le Président de la République, quand il a mesuré cela, a décidé de mettre en place une nouvelle organisation avec quelqu'un qui en serait chargé et qui a l'habitude, un directeur des ressources humaines, comme on dit. Il serait chargé de bâtir une nouvelle organisation moins fragile face aux accidents. C'est un accident qui révèle des subtilités.
Nous allons passer à autre chose parce qu’il y a plus important. C’est le Grand Débat et la crise que nous connaissons.
Je crois aussi.
Sécurité du chef de l'État affectée ?
Non.
Dernière chose. Est-ce une affaire d'État ?
Non. Mais c'est une affaire qui révèle un certain nombre de fragilités dans l'organisation de l'État à la française. Ces fragilités ne sont pas d'aujourd'hui. Si vous remontez dans l'histoire de la Cinquième République vous en trouverez un certain nombre. En face de l’Élysée, il y avait l'appartement de M. Foccart et sûrement des gens qui avaient aussi des aptitudes considérables.
Mais il y avait ce sentiment d'invulnérabilité. Cette fois-ci il était exercé, tandis que maintenant il n'y a pas de protection.
Dernier mot. La preuve qu'au fond les choses se passent plus conformément aux principes, c'est qu'il n'y a aucune protection. M. Benalla, et c'est une sanction qui n’est pas mince, a dormi en prison. Il n’est pas protégé par quelque influence souterraine. On a sous les yeux la preuve par le réel que nous sommes un pays dans lequel s'exercent les principes de l'État de droit.
François Bayrou, à l'issue du Grand Débat des décisions devront être prises ?
Le Président de la République en prendra, j'imagine ?
Oui.
Par décret, par projet de loi, par référendum ?
Je pense que ce qui est en cause, et vous êtes mieux placés que d'autres pour le savoir et moi aussi, le mouvement que nous avons sous les yeux, cet espèce de profond besoin du pays de s’exprimer sur lui-même qui a surpris tout le monde, le Président de la République était…
Le premier.
Le seul à être favorable dans l'appareil de l'État, ou l'un des seuls à être favorable au Grand Débat.
C'est-à-dire qu'il est…
L'ensemble de l'appareil de l’État...
Était opposé au Grand Débat ?
En tout cas il ne comprenait pas ce qui allait se passer.
Cela veut dire que l’ensemble de l’appareil va être opposé aux mesures que le Président de la République annoncera après le Grand débat ?
En tout cas, nous serons nombreux à soutenir ces orientations nouvelles du Président de la République.
Il y aura des orientations nouvelles, c’est certain ?
C’est ce que je crois.
Et des décisions très fortes.
Je ne suis pas le porte-parole du Président de la République.
Mais, vous le connaissez et vous le rencontrez.
Allons un tout petit peu plus loin.
Allez-y.
Cette fermentation profonde dure depuis combien de temps ? 30 ans. Tous les matins au téléphone chez vous, vous en entendez des échos.
C'est vrai.
Vous avez un peuple de citoyens qui est dans l'incompréhension, quelquefois la rancœur, quelquefois la colère. Tout cela est lié. On parlait des remugles profonds et l'antisémitisme en est un et il y en a d'autres.
Tout cela c’est un pays qui a perdu son unité et sa sève. C'est un pays qui a mal à son âme. Et ce n’est pas rien que la charge qui repose sur les épaules du Président de la République parce que c'est cela à quoi il doit répondre.
S'il ne répond pas ?
Je crois qu'il répondra.
Malgré tous les freins qui vont surgir ici ou là ?
Les freins vont surgir de partout. Il n'empêche qu'il a une profonde conscience plus qu'aucun de ceux qui l'ont précédé et que j'ai connus. Il a une profonde conscience. Cet homme qui est jeune, mais qui a été élu sur cette vague, il a une profonde conscience de l'attente historique de la société française.
Bien.
C'est sur ce point qu'il va devoir répondre. Et plus difficile encore, il va devoir y répondre dans le temps le plus tourmenté que nous ayons connu depuis des décennies. Vous avez dans le même temps ce mal des sociétés démocratiques occidentales, toutes sans exception, Trump, le Brexit, ce qui se passe en Europe de l'Est et vous avez des forces colossales à l'œuvre pour essayer d'abattre ce que nous avons construit.
Vous avez des forces colossales qui veulent abattre l'Union européenne que nous avons construite et qui y travaillent de l’extérieur et de l'intérieur, si on suit, et qui veulent imposer leur loi. Ce que les États-Unis veulent, ce que Poutine veut, c'est l'éclatement de l'Europe, pour imposer sa loi pour l'un et sa vision du monde pour l'autre.
C'est dans ce moment particulier si profondément grave que nous allons devoir en même temps répondre aux problèmes de notre société. Tout cela repose sur le sentiment de confiance que le Président de la République doit porter, créer, recréer, assumer avec le pays profond.
Abandon d'un référendum le même jour que les Européennes, c'est fait.
Je le souhaite.
Mais c’est fait. La décision est prise selon mes informations. Vous le confirmez ?
Je n’ai jamais été, comme vous le savez, favorable à cette idée. Pourquoi ? Parce que la question européenne est l’une des deux ou trois questions historiques dont dépendra l'avenir du pays et il ne faut pas la dissimuler sous un autre débat qui prendrait évidemment un autre tour.
La tête de liste, La République en Marche MoDem Agir, c'est pour quand ?
Je ne sais pas. Que fait-on habituellement ? C’est mi-mars.
Vous la connaissez ?
Non. Il peut m'arriver d'avoir des idées et ceci étant…
Vous ne la connaissez pas ? Vous ne savez pas qui conduira cette liste ?
Vous ne me piégerez pas.
Il ne s’agit pas de vous piéger, mais de vous poser une question directe.
Vous voyez bien la question. On a besoin de quelqu'un qui est une force en soi-même, quelque chose qui arrache le débat européen à l'enjeu politicien. C'est la question. C'est pourquoi le choix est important.
S'il peut m'arriver d'avoir des idées, je ne vais jamais plus loin que les idées…
Un homme ou une femme ?
On verra.
Merci François Bayrou d’être venu nous voir ce matin.