Sylvain Waserman : "Le lobbying a un devoir de transparence et de responsabilité"
Entretien avec le Député du Bas-Rhin et Vice-président de l’Assemblée nationale, Sylvain Waserman, au sujet de son rapport "Pour un lobbying plus responsable et transparent".
Vous êtes rédacteur d’un rapport contenant 25 propositions pour un lobbying plus responsable et transparent. Quel est votre constat sur la pratique du lobbying en France ? Le lobbying a-t-il une mauvaise image en France selon vous ? Si oui, pourquoi ?
Avec la professionnalisation des représentants d’intérêts, la pratique du lobbying a beaucoup évolué en France ces dernières années. C’est pourquoi, dans ce contexte, une règlementation spécifique, applicable aux relations entre les représentants d’intérêts et les parlementaires a été mise en place à l’Assemblée nationale. S’inspirant des différents dispositifs existants, dont le Registre de transparence commun au Parlement européen et à la Commission européenne, l’Assemblée nationale s’est dotée, en 2009, d’outils visant à encadrer l’activité des représentants d’intérêts. Ce dispositif a notamment été renforcé en 2013 afin de renforcer les obligations déclaratives des représentants d’intérêts, rendre obligatoire la publication de la liste des auditions et des personnes entendues dans les rapports parlementaires, ou leur interdire d’organiser des colloques à l’Assemblée nationale assortissant le droit d’intervention à une participation financière.
Avec la loi dite « Sapin 2 », relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, adoptée en 2016, nous avons, pour la première fois, posé les fondations d’un encadrement de l’activité de lobbying en France. L’objectif de ce texte était de rendre plus transparent le processus normatif dont l’opacité est incompatible avec la restauration de la confiance dans la vie politique.
On le sait, la défiance vis-à-vis des relations entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts est forte et la demande de transparence manifeste. Je parle souvent de l’importance des « circuits courts » et cela se traduit, dans ce cadre, par associer les citoyens à la décision publique. Qu’il s’agisse d’une association qui porte une cause ou d’un secteur économique qui défend ses intérêts, le lobbying fait partie intégrante du processus législatif. La question n’est pas de le nier ou de créer un « mur de Berlin » autour des députés pour les préserver, mais bien de préciser les règles et les bonnes pratiques qu’il faut imposer ou promouvoir pour encadrer cette relation. Pour que cette relation soit plus transparente, plus éthique, plus responsable.
C’est pourquoi, en tant que chargé de la délégation sur les lobbies, j’ai souhaité poursuivre cette dynamique et répondre davantage aux attentes légitimes des citoyens en la matière pour le développement d’une relation plus éthique entre les responsables publics et les représentants d’intérêts. Pour ce faire, quatre conditions me semblent essentielles : une plus grande transparence, une absence totale de conflits d’intérêts, le jugement libre et non faussé du député et la mise en œuvre d’un système de régulation, de contrôle et de sanction adapté. Ces quatre conditions fondent les 25 propositions de mon rapport « Propositions pour un lobbying plus responsable et transparent ».
La publication de ce rapport, le premier rapport officiel d’une délégation sur le sujet, témoigne de la volonté de notre majorité d’aller plus loin et de sortir de l’image négative du lobbying dans l’opinion publique.
Pouvez-vous nous parler de certaines mesures et nous expliquer comment elles pourraient s’appliquer concrètement ?
Justement, les mesures que je préconise dans mon rapport « Propositions pour un lobbying plus responsable et transparent » dont celles qui ont été adoptées lors du Bureau de l’Assemblée nationale du 20 janvier 2021 vont en ce sens. Il s’agit d’un Code de conduite plus exigeant (obligations déclaratives renforcées, délais de réponse, sanctions, respect du RGPD, etc.), mais aussi des mesures de moyen terme qui sont en cours d’étude avec, par exemple, la déclaration orale d’intérêts lors des auditions d’experts (c’est un enseignement de la crise sanitaire pour garantir le jugement libre et non faussé du député) ainsi qu’une clause spécifique dans les contrats des assistants parlementaires (interdisant au salarié d’accepter des dons, invitations ou avantages quelconques remis par un tiers, sans avoir obtenu l’accord formel et explicite du député).
Concrètement, ces mesures permettent de renforcer ce que j’appelle la restitution à « 360 degrés » de l’empreinte normative des représentants d’intérêts sur le processus décisionnel avec des obligations de transparence renforcées pour ces derniers. L’empreinte normative, c’est-à-dire la possibilité de rendre compte de l’ensemble des éléments et des personnes qui ont eu un impact sur l’élaboration de la norme. Il s’agit ainsi de pouvoir identifier l’ensemble des participants à l’élaboration de la décision publique, à chaque étape du processus, et non de retracer dans le détail l’origine de chaque article du texte publié ou de chaque amendement déposé. D’autres organisations, comme l’ONG Transparency International, ont soutenu cette proposition. Ce faisant, la traçabilité de la norme serait profondément améliorée et l’information du citoyen serait renforcée grâce à une meilleure transparence de chaque étape du processus normatif.
Je propose notamment de renforcer la granularité des informations communiquées dans le registre, mais d’autres options sont à prendre en compte comme, par exemple, compléter le dispositif actuel avec le développement de « bonnes pratiques», telles que la publication des rencontres des parlementaires avec les lobbies ou bien encore le sourcing des amendements qui aurait l’avantage de faire apparaître une partie des résultats obtenus par les lobbies dans le cadre de leur stratégie d’influence, et pas seulement les moyens mis en œuvre pour ce faire.
Quel rôle joue la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ? Faut-il améliorer son rôle et son fonctionnement ?
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique joue un rôle essentiel, car elle a notamment pour mandat la gestion et le contrôle du répertoire des représentants d’intérêts, mis en place en 2017, dans lequel ils doivent donner des informations sur leur organisation, leurs actions de lobbying et les moyens qui y sont consacrés. Ce répertoire permet aux citoyens de mieux connaître et mesurer l’impact des représentants d’intérêts sur le processus législatif.
Le bilan de ses premières années d’exercice est contrasté. En effet, les avancées reconnues s’accompagnant encore de plusieurs limites,liées principalement au contenu du décret d’application de la loi « Sapin 2 ». On constate que les définitions du représentant d’intérêts et de l’action de lobbying, comme prévues par le décret, sont à la fois trop larges et trop restreintes au détriment de l’efficacité du dispositif. Par exemple, le critère de définition du lobbying « à l’initiative » du représentant d’intérêts est trop restrictif, excluant des pratiques quotidiennes comme des auditions menées à la demande des parlementaires. C’est aussi l’hétérogénéité des pratiques de déclarations, mais également le choix d’un régime de sanctions pénales peu adapté pour sanctionner les manquements à ce type de dispositif.
Pour avoir échangé à de nombreuses reprises avec son Président, je sais qu’il partage ce constat. C’est pourquoi je préconise de renforcer le rôle de la Haute Autorité, mais aussi de revoir le décret d’application de la loi « Sapin 2 » pour rendre le contrôle des actions de lobbying davantage opérationnel.
Le Groupe MoDem s’est engagé à publier ses rendez-vous avec les lobbys. Quels constats en tirez-vous ?
En octobre 2019, les organisations non gouvernementales Transparency International et WWF ont appelé à faire la transparence sur le lobbying dans une pétition à l’attention des responsables politiques. J’ai salué cette démarche et, avec les présidents des groupes MoDem et LREM, nous avons pris l’engagement de développer la transparence des agendas dans le cadre de nos rencontres avec les lobbies et l’indication des sources des amendements parlementaires.
Personnellement, j'indique la source de mes amendements lorsqu'ils sont issus de discussions avec les représentants d'intérêts et je publie chacune de mes rencontres avec eux sur mon site internet. Beaucoup de députés, de la majorité présidentielle, mais aussi de l’opposition, ont suivi cette initiative, car elle signifie que l’intérêt général se construit dans le dialogue et l’écoute des citoyens et des acteurs qui plaident pour une cause ou pour un intérêt économique privé. C’est la co-construction de la décision publique et la promotion des circuits courts que je défends.
Cette nouvelle approche méthodologique doit s’enraciner dans la manière dont on fait la loi et je souhaite qu’elle soit davantage mobilisée avec rigueur et éthique. Car il ne s’agit pas d’une obligation, mais bien d’une démarche volontariste et assumée de transparence. L’un des enjeux est de distinguer ce qui doit relever de l’un ou de l’autre. Rendre obligatoire la transparence des agendas des députés, par exemple, ne peut relever de l’obligation – car elle contraindrait des députés de l’opposition à une transparence dont le contrôle et les manquements relèveraient du Bureau, lui-même contrôlé par une majorité – une atteinte inenvisageable d’un point de vue démocratique. En revanche, une obligation qui porterait sur un rapporteur de texte, pour cette mission et pour une durée déterminée, pourrait aisément être mise en œuvre.